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Chapitre 2 – Les réseaux militaires internationaux comme acteurs intentionnels des relations

2.4. Présentation du cas et méthodologie 64

2.4.1. Présentation du cas 64

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’analyse empirique repose sur l’étude approfondie d’un cas : le Multinational Interoperability Council. En termes méthodologiques, l’étude de cas intensive est particulièrement recommandée lorsque l’on cherche à mettre en lumière les processus d’évolution politique dans le temps et à mettre l’accent sur l’importance du contexte du changement politique56. Si l’on considère, d’un point de vue épistémologique, que la connaissance scientifique dans les sciences sociales est nécessairement dépendante du contexte de l’observation, et qu’elle ne peut faire l’objet de généralisations abusives, l’étude de cas apporte souvent plus d’informations que les études à grand nombre de cas57.

54 Vincent Pouliot, « The Logic of Practicality: A Theory of Practice of Security Communities », International

Organization, vol. 62, no 2 (2008), p.279.

55 Et ce y compris en matière de politique étrangère et de défense.

56 Bent Flyvbjerg, « Case Study », p.301-316, dans Norman K. Denzin et Yvonna S. Lincoln (dirs.), The Sage

Handbook of Qualitative Research, 4e édition, Thousand Oaks, Sage Publications, 2011.

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Créé dans les années 1990, le MIC est un réseau à budget modeste, qui a pour premier objectif de favoriser l’échange d’informations entre les nations afin d’améliorer l’interopérabilité dans le cadre d’interventions militaires multilatérales (sous le mandat de l’OTAN, de l’ONU ou lors de coalitions ad hoc)58. Dans la pratique, le MIC cherche des solutions aux points de friction rencontrés sur le terrain lors de missions conjointes59. Il s’agit de la seule structure d’échange d’informations militaires stratégiques connue, en dehors de l’OTAN (la plupart des réseaux étant consacrés aux questions techniques ou tactiques). Le MIC est composé des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie. Certains pays sont intéressés à se joindre au groupe, comme la Nouvelle-Zélande qui s’y présente à titre d’observateur. Des organisations internationales, comme l’OTAN, l’ONU et l’UE y participent occasionnellement, également à titre d’observateurs.

Le MIC constitue un cas particulièrement intéressant dans la mesure où il est un des rares (sinon le seul à notre connaissance) réseaux militaires internationaux dont le mandat est spécifiquement d’ordre stratégique. Dans le vocabulaire militaire, le niveau stratégique est synonyme de grand strategy, soit l’emploi par « une communauté de sécurité de tous les instruments de pouvoir disponibles », dans le but de coordonner et diriger les ressources d’une nation ou d’un groupe de nations « en soutien aux décisions prises par le politique »60. Étant donnés les processus décisionnels et la mobilisation des ressources qui ont lieu au niveau

58 Pour plus de détails, consulter leur site Internet : https://community.apan.org/mic/

59 Sur le terrain, les opérations révèlent souvent des incompatibilités techniques, opérationnelles, organisationnelles, stratégiques et même juridiques, qui rendent l’exécution des missions conjointes plus difficiles.

60 Colin Gray, War, Peace, and International Relations. An Introduction to Strategic History, New York, Routledge, 2011, p.1.

stratégique, la grand strategy conçoit la guerre comme un objet éminemment politique. Ainsi, les officiers membres du MIC ont pour mandat officiel de traiter de dossiers reliés plus ou moins directement au domaine politique, et plus spécifiquement, au champ de la sécurité internationale. Concrètement, le MIC s’est penché sur une multitude d’enjeux aussi variés que le traitement et les échanges des données biométriques – les législations nationales étant divergentes à cet égard – les échanges de prisonniers, les limites des règles d’engagements mutuelles – afin de mieux planifier les opérations dans le respect des contraintes légales nationales61 – ou encore la coordination lors de désastres naturels.

Le MIC ne constitue pas une organisation proprement formelle, car elle ne possède aucun statut légal contraignant en vertu du droit international et les membres y participent et y investissent des ressources sur une base volontaire. Néanmoins, le réseau dispose d’un bureau, d’un logo, d’un site web, et de différents documents constitutifs comme une charte et un code de procédure62. Il dispose aussi de sa propre structure hiérarchique.

Le fonctionnement du MIC est assez classique. Le réseau est divisé en trois niveaux hiérarchiques – le Groupe des directeurs, le Groupe de suivi et les Groupes de travail – et dispose d’un Secrétariat exécutif qui comprend un employé civil à temps plein et une équipe de trois ou quatre militaires « prêtés » par les différentes nations. Le Groupe des directeurs est composé de généraux qui font office de représentants nationaux. Le Groupe de suivi est composé d’officiers supérieurs – de grade équivalent à celui de lieutenant-colonel – qui font

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office de comité exécutif. Finalement, les Groupes de travail, divisés par thématiques, gèrent les tâches spécifiques qui leur sont attribuées. L’ensemble du réseau est placé sous la responsabilité d’un général deux ou trois étoiles américain (major-général ou lieutenant- général, des grades de haut niveau), et la direction du comité exécutif à un lieutenant-colonel de l’Armée de l’air américaine. Les bureaux du MIC sont également fournis par l’armée américaine et se situent au Pentagone63. L’organisation du travail suit en général le cours suivant : les généraux se rencontrent au minimum deux fois par année, et dressent une liste de questions prioritaires à traiter dans les mois suivants; il revient ensuite au Groupe de suivi de mettre en œuvre ces chantiers, d’organiser la distribution des tâches au sein des groupes de travail, d’assurer la production et de livrer les résultats aux généraux. Le MIC permet de négocier des ententes, de trouver des arrangements ou des solutions mitoyennes ou, au moins, de se tenir informé des frictions pouvant réduire l’efficacité des missions. Une fois les différents sujets de préoccupations exposés, il revient au Comité directeur de fixer l’agenda.

Le MIC n’est pas très connu dans le milieu militaire. Il s’agit d’un réseau peu étendu, avec peu d’employés, et son budget est limité. Surtout, il occupe une niche spécialisée de niveau stratégique, qui ne concerne qu’un nombre limité de responsables militaires occupés à des missions internationales, alors que la majorité des effectifs militaires s’affairent à des tâches plus techniques et tactiques, encadrées par des procédures strictement nationales. La première prise de contact avec le MIC dans le cadre de ce projet a eu lieu suite à la recommandation d’un major du Directorat des opérations psychologiques des Forces

63 Les États-Unis sont les principaux bailleurs de fonds du réseau, ce qui explique qu’il soit placé sous leur responsabilité. Cela ne veut pas dire pour autant que les Américains « décident de tout ». Nous verrons que les prises de décision sont consensuelles, et que l’armée américaine cherche à réseauter pour partager le fardeau de la sécurité internationale avec ses alliés.

canadiennes, rencontré dans le cadre d’un projet de recherche précédent. Le MIC a rapidement répondu positivement à une demande par courriel, et l’agent de liaison a organisé une première rencontre au Secrétariat exécutif. Le réseau a formellement accepté de participer au projet, en incluant la recherche dans une démarche de communication et de diffusion de ses travaux. La recherche répond également à certains de ses propres questionnements organisationnels.