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Violences extrêmes et crimes contre l’humanité

Deux rapports établis par la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (Manui)311 et le Haut-commissariat aux droits de l’homme (HCDH), qui s’appuient sur des enquêtes de terrain et les témoignages de victimes montrent, que la situation des civils dans les zones

309 Source confidentielle.

310 Ministère de la Justice, « Terrorisme/Focus mensuel », op. cit., p.7.

311 Reports on the Protection of Civilians in the Armed Conflict in Iraq. UNAMI United Nations Assistance Mission for Iraq

– Human Rights Office and HUMAN RIGHTS Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights. (Rapport du 06 juillet au 10 septembre 2014 et rapport du 1er mai au 31 octobre 2015).

sous contrôle de l'EI, soit (entre 8 et10 millions de personnes), est catastrophique. Nous aborderons successivement, dans les trois paragraphes ci-dessous, un aperçu des exactions commises sur place (§1), les vols, les pillages et les destructions (§2) et la situation des femmes captives de l’EI (§3).

§1 - Les exactions commises sur place

Les groupes armés djihadistes, comme les gouvernements en place en Irak et en Syrie, infligent aux populations civiles, des actes de torture et des traitements inhumains constitutifs de crimes de guerre et, dans le cas de Raqqa, de crimes contre l’humanité. En outre, l'EI a créé une police des mœurs stricte et rigoureuse, la Hisbah312, qui se livre à toutes sortes d’exactions sur les populations, sous couvert d'appliquer la Charia. L'EI inflige des peines sévères aux personnes qui refusent de reconnaître son autorité ou sa légitimité, comme l’attestent les centaines d’exécutions publiques de personnes dont les corps sont exposés plusieurs jours à la vue de tous, dans le but de terroriser et de forcer la population à se soumettre. L'EI procède également à l’amputation en public313 des voleurs

ou à la flagellation des personnes ayant fumé ou n’ayant pas fermé leur commerce à l’heure de la prière. L’État islamique exécute les combattants prisonniers appartenant aux autres factions rivales314 ainsi que les soldats de l'armée régulière syrienne qui ont été capturés.

Quant aux minorités ethniques ou religieuses, Yézidies, Chiites, Chrétiennes, Kurdes et Arméniennes, elles sont forcées de se convertir ou sont exterminées dans le cas contraire. Un ressortissant français mis en examen au pôle antiterroriste de Paris a déclaré315 : « Les

francophones ne traînaient qu'entre eux, ils formaient une bande. J'avais l'impression qu'ils avaient exporté une ambiance de cité en Syrie. Ils étaient indisciplinés et se comportaient comme des voyous. Les francophones ne respectaient pas les personnes plus âgées et en conséquence ils recevaient des blâmes de ceux qui nous encadraient ».

Depuis 2014, plusieurs ressortissants français sont apparus dans des films de propagande de l’État islamique montrant des exécutions, appelant au djihad armé et à la commission

312 « Dar Al Islam », N°7, Safar 1437 (décembre 2015), organe de propagande de Daesh. Reportage sur les tâches

quotidiennes de la Hisbah, dans la wilâyah de Tripoli : « Ils ordonnent le bien et condamnent le blâmable ».

313 « Dar Al Islam », n°7, Safar 1437, décembre 2015, organe de propagande de Daesh. Amputation de la main du voleur

(Al Mâ’idah:38)

314 Les procédures d’enquête en France confirment ce que les rapports de la commission d’enquête internationale

indépendants de l’ONU ont constaté.

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d’actes terroristes. Les Français Mehdi Nemmouche et Salim Ghalem étaient d’ailleurs considérés par le département d’État américain comme d’actifs bourreaux de l'EI.

Les diffusions d’images mettant en scène des Français sont sans équivoque :

- diffusion le 16 novembre 2014 d’un film de propagande de Daech intitulé « N’en déplaise aux mécréants » sur lequel une vingtaine de djihadistes de l’État islamique, parmi lesquels un français, Maxime Hauchard, décapitaient 18 prisonniers ;

- diffusion le 19 novembre 2014 d’une vidéo montrant trois djihadistes français ayant intégré l’État Islamique, brûlant leurs passeports et appelant au djihad ;

- diffusion le 3 février 2015 d’une vidéo de propagande de Daech intitulée « Un message aux enfants de mon peuple : faites exploser la France », dans laquelle un djihadiste français menace de mort le Président de la république ainsi que le recteur de la mosquée de Paris et l’imam de Drancy ;

- diffusion le 5 février 2015, par Daech d’une vidéo dans laquelle cinq djihadistes armés dont quatre francophones font l’éloge des attentats de Paris (Charlie Hebdo) et appellent à en commettre d’autres ;

- diffusion le 12 février 2015, par l'EI d’une vidéo montrant l’interview du djihadiste français Salim Benghalem, faisant l’éloge des attentats de Paris (Charlie hebdo) et appelant à commettre de nouveaux attentats ;

- diffusion en mars 2015 d’une vidéo de l'EI menaçant l’État d’Israël, mettant en scène l’exécution d’un otage israélien par un adolescent, sur incitation d’un ressortissant français, Sabri Essid, un proche de Mohamed Merah ;

- diffusion en décembre 2015 de la revue de propagande de Daech en langue française Dar

Al Islam, (n°7, Safar 1437), dont la couverture porte le titre « La France à genoux », suite

aux attentats du 13 novembre 2015. Un article de ce document est intitulé « Délaisser l’éducation des mécréants »316 et rappelle qu’il est obligatoire de combattre et tuer les ennemis d’Allah, en l’occurrence les enseignants qui font « ingurgiter une bouillie de mécréance aux enfants ».

Certaines procédures judiciaires en France confirment les éléments rapportés par la commission d'enquête internationale de l'ONU. Les services du ministère de la Justice français ont pu ainsi établir que des Français avaient pris part aux exactions commises, en particulier dans les villes de Raqqa et d’Azzaz.

Auditionnés à leur retour en France, des Français mis en examen ont reconnu avoir assisté à des séances de flagellations filmées sur la place centrale d'Azazz où, deux à trois fois par semaine, les têtes de personnes accusées d'apostat étaient coupées et exposées publiquement. Ils ont indiqué que le sous-sol de l'ancien poste de police d’Azazz servait à enfermer les prisonniers où ils étaient torturés. Un Français « marqué » par son expérience en Syrie a reconnu avoir participé à de telles exactions et avoir tenu personnellement la tête d'un détenu pendant qu'il était décapité.

Un autre Français, mis en examen et écroué en France, membre de la police islamique de Raqqa, la Hisbah, a reconnu avoir assisté à de nombreuses exécutions publiques et autres atrocités. Dans ses fonctions de « policier islamique », il a expliqué que les vendeurs de cannabis ou de cigarettes recevaient des coups de fouet. Quant aux vendeurs d'héroïne, aux homosexuels, aux personnes adultères, « aux sorciers » et aux rebelles, ils étaient exécutés dans la rue et leurs cadavres exposés en public avec un panonceau indiquant le motif de leur exécution. Il citait les exemples d'un adolescent de 14 ans égorgé pour avoir arrêté la prière, de la décapitation d'un vieil homme accusé de sorcellerie et de la défenestration d'un homosexuel.

§2 - Vols, pillages et destructions des sites archéologiques

Pour les djihadistes, les sites archéologiques datant de la période préislamique ou composant des symboles d'idolâtrie doivent être systématiquement détruits. La raison principale réside dans les risques que ces symboles sont supposés faire courir aux croyants en les détournant de Dieu. Ainsi, la presse internationale317 rapporte qu’au cours de l'été 2014, à Mossoul en Irak, les œuvres d’un musée ont été détruites à coups de marteaux piqueurs et de masse. La bibliothèque qui abritait des manuscrits rares a également été

317J-L, Anderson, « Table rase du passé », in « Daech, la menace planétaire », Courrier international, hors-série,

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détruite. A Tikrit (Irak), le site de la mosquée Al Arbaïnun qui abritait les sépultures d'une quarantaine de figures de l'Islam a été dynamité.

A Nimroud (Irak), les vestiges de la capitale de l'empire néo-assyrien (1250 avant J.C.) ont été rasés au bulldozer en mars 2015. A Hatra, le même mois, c'est une cité fortifiée de l'empire Parthe vieille de 2000 ans qui a été détruite à coups de pioche et de massue. A Palmyre (Syrie), au cœur de la cité antique, le temple de Baal et de Baalshamin (1er siècle avant J.-C.) ont été rasés en août 2015. Quand ils ne sont pas détruits, les œuvres et les vestiges de l’époque mésopotamienne font l’objet de trafics dans les circuits de l’économie souterraine. Les autorités françaises et européennes ont pris d’ailleurs des mesures pour enrayer ces pillages d’œuvres d'art. 318

§3 - La situation des femmes sous contrôle de l’Etat islamique.319

Les femmes connaissent deux situations sous le contrôle de l’EI. La première concerne les femmes qui n'ont pu échapper aux griffes de l'organisation terroriste. La seconde concerne les femmes volontaires qui ont rejoint l'organisation, converties ou non, et qui adhèrent à son idéologie.

En premier, le sort des femmes qui subissent les exactions des djihadistes320 provient de

témoignages accablants. Ceux-ci font état de mariages forcés, d’interprétation stricte de la Charia sur la manière de s’habiller, les déplacements, la profession et l’observance religieuse. Les femmes et les jeunes filles de plus de dix ans doivent être entièrement voilées. L’inobservance de ces règles est généralement punie de coups de fouet. Dans les cas d’adultères, vrais ou supposés, la personne mise en cause encourt la peine de mort par lapidation publique. Les châtiments sont administrés par la police des mœurs (Hisbah) mais aussi par la brigade Al-Khans’aa, une sorte de milice composée exclusivement de femmes.

Les Françaises parties rejoindre l'EI expriment souvent une volonté de vivre pleinement leur vie de musulmane en terre d’Islam, de se marier à un djihadiste ou d’effectuer une

318 Cet aspect sera développé dans la section 3 : Les capitaux et la propagande, paragraphe 1 traitant des capitaux et du

financement de l’État islamique, p.207.

319 Report on the protection of civilians in armed conflict in Iraq: 6 July-10 September 2014, p.10-11. Assistance Mission

for Iraq (UNAMI) Human Rights Office and Office of the High Commissioner for Human rights (OHCHR). (Rapport de la commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU) et M. Guidère, « Les femmes esclaves de l’État islamique », Le Débat/Ed. Gallimard, 2016, N° 188, p.106-118.

mission humanitaire. Mais, à leur arrivée en Syrie, certaines sont placées dans une madafa (maison pour femmes), où elles ne sont plus libres de leurs mouvements et attendent « l’attribution » d’un mari.

L’une d’elle raconte avoir été placée en détention par un tribunal islamique après avoir demandé le divorce. Une autre raconte avoir séjourné une quinzaine de jours dans une

madafa dans l’attente de son mariage. Une fois mariée, elle a subi des violences et des

viols conjugaux puis a été défenestrée par son mari, insatisfait. Blessée, elle a réussi à regagner la France où elle vit actuellement.321 Une autre a été lapidée après avoir été accusée d'adultère. En fait, elle avait été victime de viols. Son agresseur a été également lapidé à mort alors qu'il aurait pu s'en sortir avec quelques coups de fouet s'il n'avait pas été marié au moment des faits.322

Le recours au viol et à diverses pratiques sexuelles par les djihadistes ne constitue pas seulement une arme de guerre. Il s'agit aussi d'une doctrine théologique qui s’appuie sur des avis juridiques et des « arguments théologiques inspirés de la pratique médiévale des armées musulmanes ».323 Les lignes directrices de cette théologie ont été exposées dans

l'une des revues de l'EI,324 à laquelle a fait suite un questionnaire distribué à la sortie des

mosquées de l'EI. Composée de questions-réponses sur les femmes captives, le document traduit en français donne un aperçu de la condition de la femme sous l’empire de la « jurisprudence islamique djihadiste ». Il est fait état, par exemple, de la possibilité de « vendre les femmes captives et les femmes esclaves, d'avoir des rapports sexuels avec la femme captive, de frapper la femme esclave pour « la corriger », d'avoir des rapports sexuels avec les esclaves non pubères si elles sont aptes à l'accouplement ».325 Pour Mathieu Guidère, les propagandistes de l’État Islamique prétendent ne rien inventer en le remettant à l'honneur. En réalité, ils procèdent d'une réinterprétation complète du fonds théologique ancien et réactivent, aujourd'hui, des pratiques et des interprétations totalement faussées.

321 Une association d'aide aux victimes. 322 S. Laurent, L'état islamique, op.cit., p. 71.

323 M. Guidère, « Les femmes esclaves de l’État islamique », op.cit., p.106. 324 Dabiq, n°4, octobre 2014.

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Quant aux femmes appartenant à la minorité culturelle yézidie, des témoignages sont rapportés par la presse internationale326 : « Etablie à partir d’entretiens avec 21 femmes et jeunes filles qui ont récemment échappé à l’EI et d’un examen attentif des communiqués officiels du groupe, l’enquête rapporte qu’au total 5 270 femmes yézidies ont été enlevées l’année dernière, parmi lesquelles 3144 au moins sont encore retenues captives. Des centaines de femmes et parfois de très jeunes filles issues de la minorité yézidie, ont été parquées dans la ville de Mossoul et aux alentours, puis envoyées en Syrie et dans d’autres villes d’Irak pour y être vendues comme esclaves sexuelles ».327

En second lieu, les femmes volontaires qui adhèrent à l’idéologie des salafo-djihadistes, sont célibataires et jeunes, âgées le plus souvent de 15 à 25 ans (la plus jeune identifiée avait 13 ans). Elles viennent de milieux socio-économiques divers et sont de nationalités et d'origines très variées mais, en général, elles sont plus instruites et studieuses que leurs homologues masculins. « Selon les agences de sécurité, ces jeunes femmes représentent sans doute pour l'Occident une menace aussi grande que les hommes parties combattre en Irak et en Syrie : elles risquent moins d'y laisser la vie, mais bien plus d'y perdre leur conjoint, et sont donc plus susceptibles de rentrer au pays, endoctrinées et pleines de rancœur ».328