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Les causes du retour

Aux termes de l’article L.225-1 du code de la sécurité intérieure332«toute personne qui a

quitté le territoire national et que l’on peut soupçonner d’avoir rejoint « un théâtre d’opérations de groupements terroristes » peut, dès lors qu’elle est susceptible de présenter une menace pour la sécurité publique, faire l’objet d’un contrôle administratif au moment de son retour en France ». La mesure de « contrôle administratif de retour sur le territoire » (CART) a été mise en place dans le but de contrôler les personnes de retour en France qui ont tenté de rejoindre une zone de conflit, en Syrie ou en Irak, mais ont été interceptées avant, en Turquie ou ailleurs.

90 % des retours seraient judiciarisés et 10 % feraient l’objet de mesures de police administrative en attente d’une éventuelle judiciarisation. Parmi ces 90 %, seule une partie fait l’objet d’une judiciarisation pénale, l’autre partie de cette cohorte faisant l’objet de mesures de protection judiciaire. Nous évoquerons plus en détail cette mesure dans la section traitant des mesures de police administrative.333

331 I. Watson, « Du bétail et rien d'autre », Courrier International, 18 août 2015, p. 32-33. Extrait d'une enquête de The

New-York Times intitulée « L'état islamique et sa théologie du viol », publiée en août 2015, The New York Times montre

comment Daech a fait du viol une pratique systématique qu'il légitime en invoquant le Coran. Plus qu'une arme de guerre, les violences sexuelles feraient partie intégrante de sa stratégie de propagande.

332 La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement a créé un dispositif

de contrôle administratif des retours sur le territoire national, prévu aux articles L. 225-1 à L. 225-8 du code de la sécurité intérieure. Cette mesure est souvent appelée « assignation à résidence CART » ou « mesure CART ».

333 La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement a créé un dispositif

de contrôle administratif des retours sur le territoire national, prévu aux articles L. 225-1 à L. 225-8 du code de la sécurité intérieure. Appelée « assignation à résidence CART » ou « mesure CART », elle sera développe p.352-353 de la présente thèse.

Les causes de retour sont très variées. Il est nécessaire ici de distinguer les causes de retour en France non inspirées par des projets terroriste et les causes de retour guidées par de tels projets.

§1 - Les causes de retour non inspirées par des projets terroristes

La liste des motifs conduisant au retour dans le pays d’origine n’est pas exhaustive. Ces causes sont multiples, nous retiendrons les principales qui seront exposées en détail infra : les luttes intestines au sein de la mouvance djihadiste, la confrontation à la réalité des massacres et aux exactions, la maladie, la déception, le refoulement de certains par les Etats limitrophes et enfin les échecs subis par l’EI.

A - Les rivalités entre mouvances islamistes.

Certains individus sont revenus en France en raison de combats fratricides entre groupes terroristes. Il serait faux de croire que le régime syrien est opposé à un bloc d'islamistes homogènes. Trois groupes principaux s'opposent entre eux et combattent en ordre dispersé le pouvoir en place : l'Armée Syrienne Libre (ASL), Jaabat al Nosra (Le front de la Victoire) et l'Etat islamique en Irak et au Levant (devenu EI). Or, pour certains djihadistes venus combattre Bachar El Assad, il est incompréhensible de continuer à s'entretuer entre opposants au régime, d’autant que ce sont des islamistes qui se battent contre d’autres islamistes. Ce malentendu serait à l’origine de plusieurs départs voir même de désertions.334

B – La confrontation aux atrocités

Pour d'autres volontaires djihadistes, la raison du retour réside dans la confrontation à une violence extrême insoutenable : décapitations, exécutions sommaires, actes de tortures, exhibitions de cadavres attachés par les pieds à l'arrière de véhicules, etc.

La mise en scène macabre de la mort des suppliciés par l'EI pourrait constituer une nouvelle catégorie de comportements criminels proche de celle des tueurs en série. Pour les meurtriers en série, la destruction de l’autre constitue à la fois un « éblouissement »,

334 Selon une étude de l’International centre for the study of radicalization and political violence du King's College de

Londres, portant sur les témoignages de 58 combattants terroristes provenant de divers pays, ayant quitté volontairement les rangs de l’État islamique, les causes de retour sont liées aux brutalités à l'égard des civils, la guerre permanente contre les autres rebelles et la corruption.

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soulageant leurs frustrations internes et leur permettant d’accéder à la notoriété. Pour les salafo-djihadistes, le massacre des populations semble produire les mêmes effets avec, en plus, une fonction de propagande. La stratégie du chaos par la terreur, que nous évoquions en introduction, constitue une arme psychologique redoutable contre les adversaires de l'EI, dont certains ont fui sans combattre.335 L'horreur est mise en scène, filmée et diffusée dans un but « publicitaire », afin de recruter des individus hautement radicalisés, fascinés par la violence. Cette pratique exhibitionniste de la violence extrême suscite une très large désapprobation dans les milieux musulmans du monde entier, pour qui les méthodes de l'EI sont étrangères au message de la foi musulmane.

Du point de vue médico-légal, les décapitations sont assez rares en matière criminelle et peu étudiées. Nous nous sommes penchés sur ce mode opératoire criminel afin de cerner davantage le profil des auteurs. Quelques rares typologies de modes opératoires, ont été rapportées dans la littérature criminologique. Kathleen Joan Reichs336 a observé que la

décapitation et le démembrement pouvaient être motivés par la facilitation du transport du corps et par la dissimulation plus aisée de ce dernier. Le criminel peut aussi chercher à retarder ou à masquer son crime en opérant alors un démembrement complet. L'on retrouve cette pratique dans le passage à l'acte de tueurs en série. Steven Symes a par ailleurs émis l'hypothèse « d'un lien entre le choix d'un tel modus operandi et l'existence chez l'auteur des faits, d'une répugnance vis-à-vis de sa victime voire d'un mépris absolu de l'Homme ».337

En 1918, Ernst Ziemke338 définissait deux types de mutilations : « la mutilation défensive

ayant pour intention de dissimuler le corps et/ou son identité, et la mutilation offensive visant à masquer la cause du décès résultant d'une pulsion meurtrière ». Deux autres catégories étaient ajoutées aux deux précédentes : la mutilation agressive, motivée par l'outrage ressentie par l'agresseur, qui intéresse la face et les organes génitaux et la

335 M. Lafon, « L'Irak va-t-il disparaître du de la carte du Moyen-Orient ? », Le Courrier du Maghreb et de l’Orient, 27

septembre 2016. Article relatif à la fuite de 30 000 soldats des 2e, 3e et 12e divisions de l’armée irakienne, abandonnant armes et matériels financés par les Etats-Unis, sans livrer bataille, face à 800 djihadistes qui prennent la ville de Mossoul en juin 2014, sans résistance. Selon les observateurs ce fait est lié à la propagande de l’horreur véhiculée par Daech, mais il traduit aussi le malaise au sein de l’armée Irakienne devenue un assemblage clivé de communautés dont certains ont rejoint Daech par la suite.

336 K-J. Reichs, « Forensic Osteology: advances in the identification of human », second Edition, Charles C. Thomas

Publisher, 1998.

337 P. Vacher et coll., « La décapitation criminelle. A propos de trois observations à l'Institut Universitaire de Médecine

Légale de Lyon », Journal de médecine légale et de droit médical, Ed. Alexandre Lacassagne, n°8, vol. 55, 2012.

mutilation nécro-maniaque qui est caractérisée par le prélèvement d'une partie du corps de la victime et qui sera conservée comme trophée par l'auteur des faits.

C - Les malades

Des individus sont revenus en France pour se faire soigner à la suite de blessures subies ou de maladies contractées sur place. Certaines Françaises préfèrent aussi revenir accoucher en France. L'une d'elle a expliqué son choix par le fait que l'accouchement par péridurale est impossible en Syrie339 sur le territoire administré par l'EI.

D - Les « déçus »

Ce sont des volontaires qui n'ont pas été envoyés au combat, bien souvent parce qu'ils n'étaient pas jugés aptes. Ces jeunes gens ont été cantonnés à des tâches subalternes, telles que faire le ménage, garder les prisonniers ou enterrer les corps. Une jeune femme de retour en France portait à notre connaissance que certains individus incapables de se servir d’une arme en raison d’un handicap, se voyaient proposer par des cadres de l'EI d’intégrer le « groupe des kamikazes ». Cette proposition était présentée comme un « honneur », celui de pouvoir mourir en martyr avec une ceinture d’explosifs. D'ailleurs, les familles qui perdent un proche sont généralement contactées par téléphone. Elles reçoivent non pas les condoléances de l'interlocuteur mais ses félicitations pour le sacrifice du défunt et son accession au Paradis. A toutes ces déceptions s'ajoutent les mauvaises conditions de vie, le froid, la faim, le danger permanent et la corruption de l'EI.

E - Les « refoulés »

Les « refoulés » sont une autre catégorie de « revenants ». Ces individus ont tenté de gagner la Syrie et ont été appréhendés en Turquie ou dans les Balkans puis renvoyés vers leur pays d'origine. Il y a aussi des individus qui ont été détectés avant d’avoir pu quitter le territoire français. Ils sont dénommés « velléitaires ».

F - Les revers et échecs de l'EI

Les revers et échecs de l'EI doivent enfin être mentionnés parmi les causes du retour. Depuis septembre 2016, la situation en Syrie et les défaites successives de l'EI laissent

339 Faits rapportés par les membres d'une association de prévention de la radicalisation concernant le cas de la jeune

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augurer des retours en France de femmes et d'enfants plus nombreux. Evalués à plusieurs centaines de personnes, ces publics poseront quelques difficultés lorsqu’ils devront s'intégrer dans une société dont ils ne connaissent rien, ni la langue (pour les enfants nés en Syrie), ni la culture, antagoniste à celle qu'ils ont connue. En outre, il est difficile d’évaluer des personnes dont on ne connaît pas les motivations. Les veuves, en particulier, peuvent nourrir un désir de vengeance.

§2 - Les causes de retour inspirées par des projets terroristes

Les actions terroristes revendiquées par Al-Qaida au début des années 2000 se préparaient sur plusieurs années, à l’aide d’agents dormants constituant un réseau organisé et fermé. Il s’agissait de mener des actions d’envergure et spectaculaires. Aujourd'hui, les néo- terroristes, opèrent bien souvent seuls, sans soutien logistique et choisissent leurs cibles au hasard, au dernier moment. L’heure est au « terrorisme low-cost » illustré par la folie meurtrière de Adebolajo, qui assassina au cœur de Londres un jeune militaire à coups de machette au nom d’Allah, celle des frères Tsarnaev, perpétrant un attentat contre le marathon de Boston, ou celle de Mohamed Merah qui sema la terreur à Montauban puis à Toulouse en faisant sept victimes, dont trois enfants d’origine juive. Au cours de l'année 2015, plusieurs faits de ce genre se sont produits : la tentative d'attentat dans le train Thalys qui relie Paris à Amsterdam ou le cas d'un Français, « refoulé » par la Turquie, alors qu'il cherchait à se rendre en Syrie, et qui tenta de poignarder trois militaires de patrouille dans le cadre du plan Vigipirate dans le centre-ville de Nice. Le 14 juillet 2016, c’est le dénommé Lahouhaiej Bouhlel qui passa à l’acte seul, à bord d’un camion, écrasant les piétons se trouvant sur la Promenade des Anglais à Nice, faisant 86 morts et plus de 300 blessés.

A côté des individus qui n’ont pas réussi à partir pour la Syrie, et ont été interpellés avant d'y parvenir, dénommés abusivement « loups solitaires », coexiste la menace que représentent ceux revenants de la même zone avec l'intention de commettre des massacres de masse.

Le danger de ses retours est aggravé par la formation dispensée sur place par des individus devenus des vétérans du djihadisme et par le fait que la France est désignée comme une cible prioritaire (avec la Belgique).

Le retour dans le pays d’origine, sous couvert d’une prétendue désertion, peut relever d’une mission terroriste commanditée par l’EI et laisse perplexe les services du contre- terrorisme. La plupart des criminels français ayant sévi en 2015 sur le territoire national ont fait des séjours en zone de conflit : Merah, Nemmouche, Belhoucine, Boumeddiene, Amimour, Salhi, Bilal Hadfi, Mostefai, Kouachi. Tous ont fait au moins un séjour soit au Yémen, soit en Afghanistan, soit en Syrie, soit au Pakistan.

Ainsi, un djihadiste français, interpellé en août 2015, a reconnu avoir été missionné par un ressortissant belge membre de l'EI pour commettre un attentat en France. Des consignes précises lui avaient été données afin de passer par la République Tchèque. Une clé USB contenant des logiciels de cryptage, 2000 euros et des instructions précises lui avaient été remis pour choisir une cible « facile » et faire un maximum de victimes. Ces projets sont d'autant plus préoccupants que les commanditaires recommandent aux exécutants la discrétion, par l'utilisation de documents d'identité appartenant à des tiers, et de passer à l'action violente dans un pays autre que celui dont ils sont issus.

Des dysfonctionnements administratifs ont été pointés du doigt par la commission d’enquête parlementaire,340 notamment dans le cas d’un individu radicalisé ayant tenté de

se rendre en Syrie, placé sous contrôle judiciaire et faisant l’objet d’une interdiction de quitter le territoire avec retrait de ses papiers d’identité. Ce dernier a néanmoins réussi à quitter le sol français après avoir fait refaire ses papiers d’identité par la préfecture, en arguant de leur perte, alors que, normalement, toute demande de nouveaux papiers d’identité déclenche la consultation par la préfecture du fichier national des personnes recherchées (FPR), dans lequel sont mentionnées les interdictions de sortie du territoire. Un autre individu faisant l’objet d’une fiche S pour radicalisation est parvenu lui aussi à se rendre en Syrie. Signalé par les autorités turques à la France, il n’aurait pas fait l’objet d’une surveillance satisfaisante. Mais il convient d’observer que cette mission devient délicate hors du territoire français.

Le suivi en France et hors de France est rendu de plus en plus difficile pour les services de sécurité en raison de l’ampleur du phénomène de radicalisation et de sa porosité avec le

340 Rapport de la commission d'enquête parlementaire n° 3922, relatif aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter

contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Président Georges Fenech, rapporteur Sébastien Pietrasanta, 5 juillet 2016, p.148.

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terrorisme. Elle nécessite une collaboration européenne accrue que nous évoquerons dans la partie 2, titre 1, chapitre 2, sections 1 et 2 du présent travail.