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Lorsque certains délits mineurs ne sont pas punis par l'Etat, il est normal que l'on en vienne peu à peu aux voles de fait. Le 9 avril 11+39 (63), l'abbesse de Sainte­Croix por­ ta plainte devant le sénéchal de Poitou au nom de ses tenan­ ciers établis à Vasles. Elle y accusait Robert et Pierre Rousseau et Jehan et Pierre du Chilleau d'avoir exercé des violences de toutes sortes sur ses terres, puis leurs forfaits

commis, d'avoir quitté le territoire sur lequel s'étendait sa juridiction, afin de ne pas être soumis à sa justice. Plus particulièrement, elle les accusait de s'être emparé de plu­

sieurs moutons appartenant à Guillaume du Pont, de les avoir amenés à la Boulinière et d'avoir exigé 1+0 boisseaux d'avoine pour les rendre à leur propriétaire. Ils auraient ensuite re­

pris les mêmes moutons ■ ■.­.­•_ et exigé cette fois 30 bois­ seaux d'avoine de rançon et cela, après avoir tué plusieurs bêtes. Enfin, elle reprochait à Robert Rousseau et à ses frè­ res d'avoir démoli une maison que Guillaume Bourreau avait construite sur le terroir de Pôrotlne (61+). L'ordre du séné­ chal résuma bien leur crimes: "...lesquelles choses ont este et sont faictes en comettant voys de fait port darmes rancone­ mens transport de .juridiction en autre en enfreignant folement la sauvegarde de notre dit sire..." Le sénéchal, Jehan de la

63. AV, 11+1+0.

81+. Pérotine, hameau, comm. Vasles, cant. Ménigoute, ar­ rond. Parthenay (D.­S.).

Reche (85), demanda au sergent local une enquête discrète (66), jusqu'à ce qu'il tienne les coupables. Quelques jours plus tard, le 9 avril, le sergent appréhenda Jehan, Robert et Pier- re Rousseau. Ceux-ci reconnurent leurs forfaits et s'offri- rent à les réparer par un grant blan, c'est-à-dire dix sols,

somme qui fut trouvée très Insuffisante par le procureur des moniales. Comme il arrivait toujours lorsque les parties ne pouvaient s'entendre, ils furent adlournés devant le tribunal de Poitiers pour le mois suivant. Cependant, la démarche qu' entreprit le sergent à Vasles le 22 avril nous apprend les cau-

ses profondes de toute cette affaire. Interrogés à la chaus- sée de l'étang du Chilleau, Pierre et Jehan du Chilleau se vi- rent menacés d'une amende royale de 1000 livres, s'ils ne te- naient pas compte à l'avenir de la sauvegarde du roi sur l'ab- baye Sainte-Croix et sur ses biens. Ceux-ci ripostèrent en affirmant avoir un droit de pâture aux Béraudières, quand ces terres n'étaient pas en culture. Ce qui avait semblé être à l'origine un délit de droit commun, était en réalité la lutte entre deux types d'agriculture et de régimes agraires. Guil- laume du Pont avait clos ses champs pour y faire l'élevage des moutons. Les du Chilleau détruisirent ses clotures (66 bis),

85. GR, tome IV, p. 1+77, fait deux personnages de Jehan de la Roche. Mais comme Jehan de Rochechouart et Jehan de la Roche auraient prêté leur serment d'office le même jour, il ne peut s'agir que du même homme.

86. AV, 11+39: "...informez vous dilligemment secrètement et bien de et sur la voye de fait..."

66 bis. AV, 11+39: ".. .eulx estans armez et embastonnez darmes Incisives et deffendues (ont rompu) ou fait rompre cer- taines clotures ou patiz que ledict du Pont avoit fait autour des choses ainsi aluy baillées..."

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au nom de leur droit de vaine pâture. C'était en quelque sor- te une querelle des enclosures comme le XVIIIe siècle allait en connaître tellement (87). A défaut de protection légale, les frères du Chilleau s'étaient fait justice eux-mêmes. On ne sait malheureusement pas ce que statua le tribunal de Poi- tiers en cette affaire.

Un délit du même genre se produisit en 11+1+7 (88). Un certain Jehan Normant (89) fut alors accusé d'avoir récolté de force, avec ses hommes d'armes, la moisson d'une pièce de terre, qu'avait "laboure dernièrement Pierre Gilet dudlct lieu de Vasles et y avoit fait de lavoyne contenant XII bo- cellees de terre..." L'abbaye lui reprocha moins les voies de fait qu'il avait commises contre le tenancier, que de n'être pas allé chercher le terrageur afin d'évaluer et de mettre de côté la part des moniales. En somme si l'abbesse de Sain- te-Croix avait touché sa part de la rapine, elle n'aurait probablement pas porté plainte devant le sénéchal de Poitou. Pierre Dousset, sergent général de la châtellenie (90), ap-

87. Marc Bloch, dans ses Caractères originaux, tome I, pp. 1+3 et suiv., insiste sur la prohibition de clore les la- bours dans presque toutes les coutumes régionales et cela, pour assurer la vaine pâture à tous les habitants; J. Heers, au contraire, ouvr. cit., pp. 127-130, montre les progrès que

l'on avait fait dans l'abolition des contraintes collectives, progrès qu'il attribue à l'affaiblissement de la communauté paysanne durant les difficultés du XlVe siècle.

88. AV, 11+1+7.

89. AV, 11+18 et 11+1+7; Jehan Normant était le fils de Jamet Normant, procureur de l'abbaye Sainte-Croix en ll+l8.

90. Même s'il avait commis son crime à Vasles, Jehan Normant était paroissien d'Ayron, et relevait par conséquent du sergent du châtelain de Montreuil-Bonnin.

préhenda les prévenus et les somma de rendre ce qu'ils avaient pris, ce qu'ils firent sans difficulté. Il s'agit certes de violence et de menaces; mais est-ce vraiment du banditisme ou si au contraire, le texte ne recouvre-t-11 pas des rivali- tés économiques ou des tensions sociales, comme cela avait été le cas en 11+39 ?

3- La répression: organisation et fonctionnement des structures judiciaires locales.

La publication et l'utilisation des lettres de rémission (91) nous permettent de cerner en partie la conception qu'a- vaient de la justice les hommes de la fin du Moyen Age. Le procédé était simple. Lorsque quelqu'un commettait un crime,

il s'enfuyait d'abord afin d'éviter une vengeance Immédiate de la part des parents de sa victime. Puis, il sollicitait humblement son pardon du roi, qui acceptait paternellement

et grâce à une compensation pécuniaire de le soustraire de la juridiction des tribunaux. Ce moyen pouvait être utilisé tant par les nobles qui avaient eu la maladresse de tourner

y

casaque au mauvais moment, que par les roturiers coupables de délits de droit commun. L'une d'elle fut accordée à un pa-

roissien de Vasles en décembre 1395 (92). Mathurin Sabouraut était le fils du fermier de Jehan de Pllloué et habitait à Choupe (93), dans la paroisse de Vasles. Un jour, un étran-

91. Sur les lettres de rémission en général, voir P. Gue- rin, "Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France", AHP, tome XXIV

(1693), introd., pp. ix à xvi. 92. Ibid., pp. 207-210.

93. Choupe, ferme, comm. Vasles, cant. Ménigoute, arrond., Parthenay (D.-S.).

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ger nommé Pierre Rabaut vint demeurer à la ferme paternelle et séduisit la mère de Sabouraut (9lx) * c e qui contribua à ren-

dre ridicules et le père et le fils aux yeux de la population locale. Le père abandonna estât et menage aux amants et quit- ta le pays. Quant au fils, 11 rencontra le séducteur au coin d'un bois et il "le feri d'un cousteau sur la teste d'un seul cop et un autre cop en la jambe". Rabaut agonisa pendant 3 semaines et mourut des suites de ses blessures.

La lettre nous montre un changement important dans l'é- chelle des valeurs morales des individus. L'adultère, que l'on punissait autrefois pour lui-même, ne fut pas invoqué comme justification de son acte par le meurtrier. Ce qui en fait provoqua la colère de Sabouraut, c'est qu'il était la ri- sée de ses voisins. Il semble donc qu'une atteinte au statut social ou civil ait eu plus de poids que le désir de mettre fin à une situation morale inacceptable. Les moeurs avaient vraiment changé depuis le début de la grande guerre.

Il est remarquable que lorsque le document fait allusion au père Sabouraut, il ne donne jamais son prénom, mais l'Iden- tifie toujours au fait qu'il était le fermier de Jehan de Pil- loué, un hobereau des environs (95). C'est probablement

d'ailleurs grâce à ce seigneur que la lettre avait été ob- 91+. P. Guérln, ouvr. cit., p. 207: "...lequel Rabaut fei- gnant qu'il feust cousin ou parent de la dicte mere du dit Ma- thelln se feust par ses blandices solicitations et paroles de- ceptives après aucun temps acointle dicelle et tant fréquente environ elle que le peuple en parloit..."

95. Une note biographique sur Jehan de Pilloué se trou- ve dans P. Guerin, ouvr. cit., note 2, pp. 207-208.

tenue. La région était sans doute très atteinte démographl- quement, et il ne fallait pas risquer de voir des gens la quit- ter pour des motifs sur lesquels on pouvait facilement s'en- tendrea(96).

L'attribution de lettres de rémission avait évidemment lieu après que le crime avait été commis. Comme il fallait auparavant Instruire les affaires criminelles et protéger les gens, on eut tôt fait de créer une vaste structure administra- tive en Poitou. Le roi déléguait son pouvoir à un sénéchal,

choisi habituellement dans la haute noblesse du pays. Ce fonctionnaire avait à sa disposition plusieurs sergents royaux avec qui il était directement en contact. Aucun d'entre eux ne résidait à Vasles, du moins à titre permanent. Les ordres de mission s'adressaient en général "au premier sergent royal qui sur ce sera requis". Le rapport que fit le sergent Ra- taut au sénéchal en juin 11+1+7 (96 bis) est le seul qui fasse mention d'une sergenterie permanente et bien délimitée. Com- me nous l'avons mentionné plus haut (96 ter), il s'agit de

la circonscription de Montreuil-Bonnin. Il était normal que le fonctionnaire royal résidât au chef-lieu de la châtelle- nie, c'est-â-dire au village de Montreuil même. Quant au bourg de Vasles, qui était situé à la périphérie, rien en som- me n'y justifiait la présence permanente d'un sergent.

96. Ibld., p. 208: "...ledit Mathelln, doubtant rigueur de justice s'est absentez ou au moins ne se ose pas tenir ne demourer seurement ou pais et a este et est en peril de estre pour ce desert a tousjours..."

96 b i s . AV, 11+1+7.

61 L'abbaye possédait sa propre administration avec des pré-

vôts ou prieurs, des sergents et des procureurs. L'attribu- tion du prieuré de Saint-Philbert sur l'Alliance, suscita au XVe siècle une vive querelle, où l'on voit bien toute l'Impor- tance que l'on attachait à ce genre de bénéfice. L'affaire commença en 11+17 (97), lorsque l'abbesse du moment, Jeanne d'Orfeuille (98), concéda le prieuré à une des moniales de Sainte-Croix, Jeanne de Dercé. Il était bien entendu qu'à la mort de la bénéficiaire, ses biens reviendraient à l'abbaye

(99). En 11+22 (100), la nouvelle abbesse Raymonde de Peyrat (101) renouvela la don ation en justifiant son geste avec des arguments qui nous font sentir les liens puissants qui unis- saient les nobles entre eux (102). Lorsque Jeanne de Dercé mourut en li+1+3. les moniales éllrent à sa place l'une d'entre

elles, Marguerite Amblarde. Une autre des religieuses, Cla- rine de la Chastre, prétendit avoir des lettres royaux lui conférant la maison de Saint-Philbert. L'affaire fut portée devant le sénéchal Pierre de Brézé qui eut le mérite de poser

97. AV, 11+17.

98. Jeanne d ' O r f e u i l l e ou d ' A r f e u i l l e fut abbesse de S a i n t e - C r o i x de P o i t i e r s de 11+16 à 11+22 (AV, 11+22) et non pas j u s q u ' e n 11+23 (GR, tome I I , c o l . 1302-1303).

99. AV, 11+17s " . . . d i c t a domus cum p r e d i c t i s p e r t i n e n c i i a s u i s ad nos e t mansam nostram volumus r e v e r t i . . . "

100. AV, 11+22.

101. Raymonde de Peyrat fut abbesse avant le 6 novembre 11+22 (AV) et le demeura jusqu'en 11+51+ (GR, tome II, col. 1303).

102. AV, 11+22: "...pour ce que nous savons que vous estes gente femme et pour quoy vous puisset votre estât convenable- ment maintenir ainsi qu'il vous sied et que par ces causes fe- heu dame Jeanne de Orfeuille notre predecessoresse abbesse di- celuy moutler pour vous seconder et ayder vous avoit balllle

en commande la maison de Saint Philibert laquelle est maison de crosse dlceluy moutler a votre vie..."

la question de façon pertinente à savoir "si lesdlctes prieu- re et maison de Saint Philibert povent cheor en ladlcte nomi- nation du roy notre sire" (103). Le nouveau sénéchal Louis de Beaumont (10i+), rendit jugement au début de l'été 11+1+5

(105) à l'avantage des moniales et donc contre le roi, en em- pêchant ce-dernier de distribuer un bénéfice sur lequel il n'avait aucun droit (106).

L'autorité monarchique n'aurait jamais pu s'imposer sans la présence, au bas de l'échelle administrative, d'un groupe de fonctionnaires zélés et soucieux de faire respecter les di- rectives du sénéchal. Ces "bras de la justice" (107) avaient cependant dans la région de Vasles un champ d'activité plus vaste que celui qu'on leur a attribué dans le bailliage de

Senlis. Il est vrai que le sergent avait pour tâche essentiel- le de maintenir l'ordre. Mais, lorsqu'un délit avait été com- mis, c'est lui que l'on chargeait d'instruire l'affaire. S'a- gissait-il d'arrêter des bandits, on le voyait, parfois seul parfois accompagné d'un notaire royal, franchir des distances Importantes pour les faire comparaître au tribunal de Poitiers.

103. AV, 11+1+3.

101+. GR, tome IV, col. 1+78-1+79: Louis de Beaumont, cheva- lier, seigneur du Plessls-Macé et de la Forest, sénéchal du 3 avril 11+50 à décembre 11+61.

105. AV, 11+1+5 (texte Incomplet).

106. Ibld. : "...il lui estoit duement apparu ledit prieu- re de cloistre estre benefice électif et par ce ne povoit cheor en nomination ne simple collation la main du roy mise et apposée au temporel de ladlcte défenderesse et de sondlct couvent ensemble seroit levée et la leva et mlst ledit tem- porel a pleine délivrance".

107. B. Guénée, Tribunaux et gens de justice dans le bail- liage de Senlis à la fin du Moyen Age, Paris, 1963, P. 213.

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