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D’INFORMALITÉ DE L’ÉDUCATION

5. EST-CE QUE LA VILLE PEUT ÉDUQUER ?

A en juger par ceux qui défendent le concept et la pratique de « la Cité Éducative », la réponse est oui. Ce concept s’est consolidé au début des années 90, à Barcelone, en Espagne, où s’est réalisé le premier Congrès International des Cités Educatives. Ce Congrès a approuvé une Charte de principes de base qui caractérisent une ville qui éduque. C’est la ville, comme espace de culture éduquant l’école et tous ses espaces et l’école, comme scène de spectacle de la vie, éduquant la ville dans un échange de savoirs et de compétences.

La ville dispose d’innombrables possibilités éducatives. La vie commune dans la ville se constitue d’un espace culturel d’apprentissage permanent en soi, spontanément, informellement. Comme disait Paulo Freire :

« il y a une façon spontanée comme si les villes gesticulaient, marchaient, se mouvaient ou parlaient, comme si les villes proclamaient des choses qu’elles ont faites, des faits vécus par des femmes et des hommes qui sont passés par là, mais il est resté aux villes une façon spontanée d’éduquer » (Freire, 1993:23).

Mais la ville peut être « intentionnellement » éducative. Une ville peut être considérée comme une ville qui éduque, quand, au-delà de ses fonctions traditionnelles – économiques, sociales, politiques et qui offre ses services – elle exerce une nouvelle fonction, dont l’objectif est de former à la citoyenneté. Pour qu’une ville soit considérée comme éducative, elle a besoin de promouvoir et développer le protagonisme de tous et de toutes – y compris des enfants – dans la recherche d’un nouveau droit, le droit à la cité éducative :

« en tant qu’éducative, la ville est aussi éduquante. Un grande partie de sa tâche éducative implique notre position politique et, évidemment, la façon dont nous exerçons le pouvoir dans la Ville et le rêve ou l’utopie dont nous imprégnons la politique, au service de quoi et de qui nous la faisons » (Freire, 1993:23).

Qu’est-ce qu’éduquer pour la citoyenneté ?

La réponse à cette question dépend de la réponse à une autre question : qu’est- ce que c’est que la citoyenneté ? On peut dire que la citoyenneté est essentiellement la conscience des droits et des devoirs et l’exercice de la démocratie : droits civils, comme la sécurité et la locomotion; droits sociaux, comme le travail, salaire juste, santé, éducation, habitation, etc. droits politiques, comme la liberté d’expression, de voter, de participer dans les partis politiques et syndicats etc. Il n’y a pas de citoyenneté sans démocratie. Le concept de citoyenneté, néanmoins, est un concept ambigu.

En 1789 la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen établissait les premières normes pour garantir la liberté individuelle et la propriété. Naissait ainsi la citoyenneté en tant que concept libéral. Aujourd’hui le concept de citoyenneté est plus complexe. Avec l’élargissement des droits, il est né aussi une conception

consumériste de la citoyenneté (le droit de défense du consommateur) et, d’un autre

côté, une conception pleine, qui se manifeste dans la mobilisation de la société pour la conquête des nouveaux droits et dans la participation directe de la population dans la gestion de la vie publique, au travers, par exemple, de la discussion démocratique du budget de la ville. Cela est devenu une pratique, surtout au niveau du pouvoir local, qui a aidé dans la construction d’une démocratie participative, dépassant les étroites limites de la démocratie purement représentative.

Adela Cortina (1997) affirme qu’il existe des dimensions complémentaires, qui se constituent en exigences d’une citoyenneté pleine : citoyenneté politique : le droit de participation dans une communauté politique; citoyenneté sociale : qui comprend la politique comme exigence éthique dans la société du bien-être et du bien vivre; citoyenneté économique : participation dans la gestion et les richesses de l’entreprise, transformation productive avec équité; citoyenneté civile : affirmation des valeurs civiques comme liberté, égalité, respect actif, solidarité, dialogue;

citoyenneté interculturelle : affirmation de l’interculturalité comme projet éthique et

politique devant l’ethnocentrisme.

Dans la ville qui éduque, tous ses habitants se servent des mêmes opportunités de formation, développement personnel et de loisir qu’elle offre. Le « Manifeste des Cités Educatives » approuvé à Barcelone en 1990 et revu à Bologne en 1994, affirme que « la satisfaction des besoins des enfants et des jeunes, en ce qui concerne la municipalité, présuppose une offre d’espace, d’équipements et de services propres au développement social, moral et culturel, à partager avec d’autres générations. Le conseil municipal, dans le processus de prendre des décisions, devra considérer l’impact de ceux-ci. La ville offrira aux parents une formation qui puisse aider leurs enfants à grandir et utiliser la ville dans un esprit de respect mutuel. Tous les habitants de la ville ont le droit de réfléchir et participer dans la gestion de programmes éducatifs et culturels, et de disposer des outils nécessaires qui puissent leurs permettre de découvrir un projet éducatif, dans la structure et dans la gestion de leur ville, dans les valeurs que celle-ci propose, dans la qualité de vie qu’elle offre, dans les fêtes qu'elle organise, dans les campagnes qu’elle prépare, dans l’intérêt qu’ils manifestent pour eux et dans la façon de les écouter ».

Dans ce contexte, le concept d’École Citoyenne, développé par l’Institut Paulo Freire au Brésil, gagne un nouvel élément : la communauté éducative reconquiert l’école dans un nouvel espace culturel de la ville, tout en l’intégrant dans cet espace, considérant ses rues et places, ses arbres, ses oiseaux, ses cinémas, ses bibliothèques, ses biens et services, ses bars et restaurants, ses théâtres et églises, ses entreprises et magasins... Enfin, toute la vie qui existe dans la ville. L’école n’est plus un endroit abstrait parce qu’elle s’insère, de cette façon-là, définitivement, dans la vie de la ville et gagne ainsi une nouvelle vie, dépassant la traditionnelle dichotomie entre

éducation formelle et éducation non-formelle. L’école se transforme en un

nouveau territoire de construction de la citoyenneté.

La relation entre École Citoyenne et Cité Éducative se trouve dans l’origine étymologique des mots « cité » et « citoyen ». Tous les deux ont la même origine latine « civis », citoyen, membre libre d’une ville à laquelle il appartient par origine ou par adoption, donc sujet d’un endroit, celui qu’il s’est approprié. Ainsi, la ville (cité, civitas) est une communauté politique où les membres, les citoyens, se gouvernent eux-mêmes et le citoyen est la personne qui jouit du droit de la ville.

« Cité », « citoyen », « citoyenneté », font référence à une certaine conception de la vie des gens, de celle qu’ils vivent d’une façon « civilisée » (de civilitas, affabilité, bonté, courtoisie), participant d’un même territoire, s’autogouvernant, construisant une « civilisation ». Bien sûr qu’à Rome, ce concept de sujet de la ville était limité à peine à quelques hommes libres, dont la culture était le reflet de l’oisiveté et pas du travail. Le travail (« tripalium » = châtiment) était réservé aux innombrables esclaves. Ceux-là étaient sujets « assujettis », soumis et, pourtant, n’étaient pas considérés comme citoyens. Ils n’avaient pas droit à la citoyenneté, ils n’étaient pas considérés comme civilisés, mais étrangers, barbares, ne pouvant pas jouir des bienfaits de la civilisation.

Nous pouvons parler d’École Citoyenne et de Cité Educative quand le dialogue existe entre l’école et la ville. On ne peut pas parler d’École Citoyenne sans l’inclure comme école participative, école appropriée par la population comme faisant partie de l’appropriation de la ville à laquelle elle appartient. Dans ce sens, l’Ecole Citoyenne, plus ici, moins là-bas, suppose l’existence d’une Cité Educative. Cette appropriation arrive au travers des mécanismes créés par l’école elle-même, comme une Collégialité Scolaire, la Constitution de l’École, des rencontres pédagogiques et autres. Cet acte de sujet de la ville amène à l’intérieur de l’école les intérêts et les besoins de la population. Cela est le « scénario » de la ville qui éduque dans lesquels les pratiques scolaires rendent possible de qualifier autant la lecture du mot écrit que la « lecture du monde » (Paulo Freire). La ville qui éduque ne reste pas dans l’immédiat, mais indique plutôt une compréhension plus analytique et réflexive soit des problèmes du quotidien, soit des défis du monde contemporain.

Quand peut-on parler de ville qui éduque ?

Nous pouvons parler de ville qui éduque quand elle cherche à instaurer, avec toutes ses énergies, la citoyenneté pleine, active, quand elle établit des réseaux permanents de participation, stimule l’organisation des communautés pour qu’elles prennent en main, de façon organisée, le contrôle social de la ville. Cela n’est pas une tâche « spontanée » des Villes. Nous avons besoin de volonté politique et d’une perspective historique.

« La tâche éducative des Villes se réalise aussi à travers le traitement de sa mémoire qui ne la garde pas seulement, mais la reproduit, l’étend, se transmet aux générations qui arrivent. Ses musées, ses centres de culture, d’art sont l’âme vive de la volonté créatrice, des signes de l’aventure de l’esprit » (Freire, 1993:24).