• Aucun résultat trouvé

D’où vient le système qu’on veut changer, et pourquoi devrait-on le faire ?

Dans le document Le Développement d Haïti est Possible (Page 56-62)

Par Raphaël Paul Gustave Magloire 28/11/2019 – Mise à jour 07/01/2020

Est-ce que le système socio-politique et économique dans lequel nous vivons aujourd’hui est le premier et le seul qu’a connu notre pays, ou bien y a-t-il eudans le passé, d’autres systèmes en exercice sur ce coin de terre?

Rappelons ce que c’est qu’un système. Du point de vue philosophique, où est défini ce concept, c’est un ensemble de principes ou de règles qui fonctionnent solidairement comme dans un ordre logique, c’est-à-dire, l’un explique la position ou le rôle de l’autre. Chaque élément d’un système valorise l’existence des autres. On ne peut modifier l’un sans modifier les autres. Nous vivons en fait avec des systèmes autour de nous, avec des systèmes grands et petits : tels que l’alphabet de notre système grammatical, le système numérique, le système nerveux, le système social, politique et monétaire d’un pays, notre système solaire de la Voie Lactée, etc. etc. etc. Mais, les systèmes ne sont pas toujours explicites, parfois ils sont implicites. Ils vous gouvernent et vous contrôlent sans vous le faire savoir ou se définir clairement. C’est toujours le cas dans les systèmes qui vous oppressent. Leur définition et leurs composantes ne sont pas vraiment apparentes. Cela ne saute pas aux yeux.

57

Mes étudiants en quatrième année à l’Académie Nationale Diplomatique et Consulaire (ANDC) vous diront que cet exposé est l’introduction à mon cours sur le Système International.

Le système qui est problématique chez nous et qui fait la une des nouvelles, et qu’on voudrait, si on peut, changer c’est le système socio-économique et politique qui est aussi vieux que l’indépendance du pays, précisément mis en place après l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines le Grand, le 17 octobre 1806. On a changé de régime politique en plusieurs fois (empire, royauté, présidentiel), mais on n’a jamais vraiment changé de système. C’est le même qui perdure, malgré les torts qu’il a faits et continue de faire à Haïti.

A l’arrivée des premiers conquérants européens en Ayïti dans les bateaux de Christophe Colomb, il y avait un système qui existait déjà. C’était celui des aborigènes « natif-natal » d’Ayïti. Ils étaient plus d’un million de parts et d’autres de l’ile. Mais, en moins de 50 années les Européens les ont annihilés eux et leur système de vie simple et naturelle, pour mettre en place un autre système plus sophistiqué qui devait être profitable aux Européens. Ce premier génocide de l’Amérique s’est réalisé sous le contrôle du royaume d’Espagne.

Le royaume de France avait déclaré que le Testament d’Adam ne l’avait pas exclu du partage de l’Amérique, un nouveau continent pour les Européens. Ainsi, en se battant à coup de canons et d’arquebuses, il a obtenu le tiers occidental de l’ile d’Hispaniola que les aborigènes « natif-natal » appelaient la Terre Haute, ou tout simplement Ayïti, Bohio, Kiskeya. Les Français prirent leur part de territoire et décidèrent d’en faire une riche exploitation coloniale. Donc, contrairement aux Espagnols qui, dans la partie orientale de l’ile, s’étaient adonnés à l’élevage qui n’exigeait pas trop de main-d’œuvre, les Français, eux, ont choisi de lancer la culture de la canne à sucre. Car, le sucre qui venait de l’Inde orientale faisait du prix en Europe, et les produits de l’élevage étaient difficiles à exporter en Europe à l’époque. C’est ainsi que va commencer la grande histoire de la colonie de Saint-Domingue, le nom que les Français avaient choisi de donner à leur morceau du territoire de l’ile d’Ayïti. En effet, les Français allaient construire la plus riche colonie de l’Amérique, plus riche que les 13 colonies britanniques qui formeront plus tard les Etats-Unis d’Amérique. Avant la révolution qui mena à l’indépendance en 1804, Saint-Domingue produisait plus de la moitié du sucre et du café qui étaient consommé dans le monde et représentaient le tiers du commerce extérieur de la France.

Le système colonial esclavagiste mis en place par les Français dans le tiers occidental de l’ile d’Ayïti avait un but clairement exprimé. Ils voulaient exploiter la colonie de Saint-Domingue pour enrichir les colons français et la métropole française en cultivant principalement la canne à sucre pour produire du sucre brut, cultiver aussi le café et le coton en grande quantité pour les exporter en France. Car, comme prévu par le système d’exploitation colonial, c’est en France, la métropole, où tous les produits agricoles bruts devaient être transformés en produits finis. La métropole réexportait les produits finis dans le monde entier de l’époque (l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique) et même dans la colonie de Saint-Domingue. La France avait le monopole d’acheter et de vendre dans ses colonies, car cela créait du travail dans la métropole et

58

beaucoup de profits. Le principe de l’exclusivité du système colonial était, en effet, très profitable, et cela a duré pendant longtemps. Mais, les colons ne l’aimaient pas. Car, leur premier système c’était la piraterie. Ils vivaient de rapines. Les premiers établissements français étaient sur l’ile de la Tortue et sur les côtes de Petit-Goâve, où ils recevaient des licences du premier gouverneur de la colonie, Bertrand d’Ogeron, pour aller attaquer et dévaliser les bateaux marchands anglais, espagnols et autres qui passaient dans la région. Donc, la tradition de vivre de rapines n’a jamais quitté le pays depuis lors.

Le système d’exploitation des plantations agricoles était très dur, et la population autochtone soumise à ce régime a été décimée en un rien de temps. Les colons engageaient des Blancs sans travail en Europe, les emmenaient dans la colonie pour y travailler sous contrats et les libéraient après 36 mois. Ce système de 36 mois ne fournissait pas suffisamment de main-d’œuvre pour faire prospérer la production agricole. Mais, depuis quelque temps déjà, les Portugais achetaient des Noirs sur la Côte Ouest de l’Afrique et les revendaient en Europe pour travailler comme domestiques et dans des plantations. On pensait que ces Noirs seraient mieux adaptés aux travaux de Saint-Domingue. Malgré que des secteurs religieux aient objecté contre le principe de la réduction d’une race en esclavage, le besoin de main-d’œuvre dans les colonies était de plus en plus pressant et le Royaume de France adopta officiellement le système de l’esclavage des Noirs dans les colonies. Comme de fait, beaucoup de secteurs avaient misé sur les profits des colonies et y avaient investi beaucoup d’argent. Donc, au nom du profit toutes les réserves, morales et éthiques en particulier, ont été mises à côté. La Traite des Noirs avait commencé. Les bateaux et leurs propriétaires étaient devenus des négriers. Ils allaient chercher les Noirs en Afrique, les enchainaient dans les cales des navires dans des conditions inhumaines pour la longue traversée et les amenaient dans les iles, principalement à Saint-Domingue. Ces bateaux étaient alors chargés de denrées, principalement du sucre, du café et du coton qu’ils transportaient en France. C’était le système du commerce triangulaire dans le cadre du Système Colonial Esclavagiste. On estime que durant les trois siècles qu’a duré le système du commerce triangulaire près de 40 millions de Noirs ont été embarqués de force des côtes d’Afrique vers les Amériques. Plusieurs millions ont péri en mer durant la traversée.

Le Système Colonial Esclavagiste était organisé pour durer et réaliser le maximum de profits avec ses normes qui seront codifiées par le Code Noir de Louis XIV, rédigé par son Premier Ministre Colbert. Le Système Colonial Esclavagiste avait plusieurs dispositions issues par la France qui stipulaient que la colonie n’achète et ne vend qu’à la France, sa métropole. Le système social était divisé en 3 classes sociales : i) Il y avait au haut de l’échelle les colons blancs, les maitres de la colonie ii) Au deuxième niveau de l’échelle, il y avait les mulâtres, enfants naturels des maitres blancs avec les femmes esclaves, le plus souvent qui étaient abusées, en fonction de la rareté de femmes blanches dans la colonie. Iii) Au bas de l’échelle il y avait la masse des esclaves noirs, dans la proportion de 9 pour 1 par rapport à l’ensemble des 2 autres classes sociales. A la veille de l’indépendance, en 1804, Saint-Domingue avait une population

59

formée d’environ 450,000 Noirs, 30,000 Blancs et de 20,000 Mulâtres et de Noirs en dehors du joug de l’esclavage, c’étaient les affranchis.

Si la séparation entre les 2 principaux groupes raciaux, les Blancs et les Noirs était bien définie, le système social était pourtant très segmenté. La segmentation des classes entre plusieurs petits groupes visait à maintenir la division sociale et empêcher une classe dans son ensemble de se soulever et de renverser le système colonial esclavagiste qui était très florissant et apportait d’énormes revenus à la métropole française.

a) Du côté des Blancs, il y avait les grands-blancs propriétaires des grandes plantations. Ceux qui possédaient plus d’une centaine d’esclaves étaient anoblis par le roi de France et avait ainsi leur rentrée à la cour royale et passaient beaucoup de temps dans la métropole. Ceux qui étaient moins riches vivaient dans la colonie, mais bénéficiaient de tous les privilèges sociaux. Ils fréquentaient le gouverneur de la colonie et présidaient toutes les associations. Il y avait ensuite les officiers de l’armée qui stationnaient dans la colonie, de même que les fonctionnaires qui avaient le contrôle de l’administration coloniale et qui distribuaient des faveurs fortement rétribuées. Il y avait le groupe des professionnels tels que médecins, arpenteurs, contremaitres et représentants des colons absentéistes. Il y avait les petits blancs sans fortune qui étaient des artisans, des orfèvres, ou des anciens engagés Tous et chacun avaient un statut qui leur faisaient croire à leur supériorité par rapport à un autre, surtout à celui de la classe inférieure des affranchis. Chacun voulait défendre très jalousement sa prétention à la supériorité de classe.

Mais, les petits blancs étaient le groupe qui avait le plus de préjugés contre les Mulâtres qu’ils humiliaient à chaque fois que l’occasion se présentait.

b) Les Mulâtres n’existaient pas juridiquement en tant que classe sociale. Ils étaient classés dans la catégorie des affranchis où on trouvait aussi des noirs libres. C’était aussi une couche sociale très peu solidaire et avec beaucoup de revendications. La colonie avait créé des Mulâtres de plusieurs appartenances, en se basant sur leur nuance épidermique. En effet, on avait toute une gamme de nuances parmi les Mulâtres, allant du quarteron le plus proche du blanc, au grimaud avec très peu de sang blanc dans ses veines. Un mulâtre quand même. En plus, il y avait le niveau de fortune et le statut civil. Car, les Mulâtres étaient en majorité affranchis du joug de l’esclavage. Mais, un mulâtre qui est né en général d’une négresse, n’est pas affranchi automatiquement par son père blanc. Un affranchi a un statut juridique qui est décerné devant un tribunal par le père blanc. Le pire, c’est que l’affranchi pouvait perdre son statut juridique et redevenir esclave. Donc, le statut d’affranchi était un bien très précieux qu’il fallait conserver à tout prix. La loi coloniale exigeait que l’affranchi devait respecter le blanc, tel que se lever et se mettre debout en présence d’un blanc, sans tenir compte des différences d’âges. Si un mulâtre frappait un blanc, il devait avoir le bras coupé en public. Plus l’affranchi devenait riche plus le blanc le martyrisait pour lui faire respecter la différence raciale. Donc, l’affranchi était un frustré qui détestait terriblement le noir qui lui rappelait l’origine de sa mère. Donc, il ne voulait pas s’associer au noir, cet être infâme, pour renverser le système colonial esclavagiste qui exploitait tout le monde sans distinction dans la colonie, au profit de la France.

60

c) Le régime avait peur de la masse d’esclaves noirs. Il craignait un soulèvement qui pourrait balayer tout sur son passage et mettre fin au système. Donc, le système était conçu pour terroriser l’esclave noir, le déshumaniser de façon subtile et ouverte. Dans la pratique, le système rendait l’esclave toujours méfiant vis-à-vis d’un autre esclave. Et, le maitre récompensait toujours un esclave qui dénonçait un autre esclave. Les sanctions contre l’esclave étaient brutales et sévères.

Le Code Noir avait réduit les peines au fouet jusqu’à la pendaison pour éviter que le maitre tombe dans toutes les formes de bestialité en sanctionnant ses esclaves. Mais, tous les esclaves ne haïssaient pas leur maitre. Car, les esclaves étaient subdivisés en plusieurs catégories.

L’esclave de maison était ce fidèle domestique de la maison du maitre, qui passait la journée dans la maison du maitre et qui était content quand le maitre était content, était malade quand le maitre était malade. Il était aussi le cocher du maitre, le cuisinier du maitre, l’homme à tout faire du maitre qui se promenait librement dans la maison du maitre, et qui ne voulait pour rien au monde perdre sa situation. Il y avait aussi les commandeurs de plantation. Ils étaient les yeux et les oreilles du maitre, les bourreaux du maitre qui vous fouettaient au moindre signe de fatigue.

Ils aimaient leur travail et détestaient les noirs paresseux. Ils détestaient tout ce que le maitre n’aimait pas. Mais, parmi les éléments de cette classe, ceux qui étaient exploités le plus rudement dans tous les aspects de sa vie, c’était l’esclave des champs. Il n’avait rien. Il n’était rien, mais

« une chose », comme le stipulait le Code Noir du Roi Soleil. Pour lui, s’il était un esclave des champs, il devait se trouver dans les champs au lever du soleil, et aller vers sa case retrouver les siens au coucher du soleil, après une journée de travail abrutissant sous le fouet du commandeur.

Les femmes esclaves des champs détestaient tellement le système qu’elles préféraient souvent pratiquer l’infanticide que de donner naissance à des enfants dans ce système.

Un esclave des champs, en particulier plantait la canne à sucre, le café et le coton qui faisaient la richesse de la France. Saint-Domingue produisait la moitié du sucre et du café qui étaient exportés dans le monde, même jusqu’en Russie où les gens aimaient prendre leur café et leur thé avec ce sucre obtenu par la sueur et le sang des esclaves noirs dans les plantations de canne de Saint-Domingue. C’est ainsi que des villes de France construisirent de très grandes richesses depuis l’établissement des plantations de canne, jusqu’à la victoire de l’armée indigène haïtienne conduite par le Général en Chef, Jean-Jacques Dessalines, le 18 novembre 1803, sur les forces expéditionnaires françaises envoyées par le Premier Consul français, Napoléon Buonaparte, pour rétablir l’esclavage à Saint-Domingue et dans les autres colonies françaises.

Les conditions initiales d’un être humain ne tracent ni son avenir ni son destin. Toussaint Louverture était un noir, esclave de naissance qui a grandi comme un esclave domestique sur une habitation au Haut du Cap-Français, aujourd’hui Cap-Haitien. Il a été affranchi par son maitre le Baron de Libertad et a appartenu à la classe des affranchis possédant, dit-on, des propriétés et des esclaves. Il a pu se libérer, pourtant, de tous les atavismes de ses appartenances sociales et quand les esclaves des champs inspirés par l’Ati Boukman ont lancé le mot d’ordre de la révolte générale conte un système injuste, Toussaint avait renoncé à tous les acquis qu’il avait réalisés dans le système colonial-esclavagiste pour embrasser la cause de son peuple. Il a montré son

61

génie militaire insoupçonné, en conduisant les va-nu-pieds de l’armée indigène, de victoires en victoires, sur les champs de batailles, d’abord face aux troupes françaises, ensuite contre les espagnoles et les anglaises comme général français. Il devint général de division et reçut le grade de Capitaine-Général de Napoléon Bonaparte pour les services rendus à la France dans la colonie de Saint-Domingue.

Le système colonial esclavagiste avait été renversé à Saint-Domingue le Premier Janvier 1804 avec la proclamation de l’Indépendance de la Première République Noire du monde par le successeur de Toussaint Louverture, le Général en Chef Jean-Jacques Dessalines. Cependant, un nouveau système allait commencer.

L’héritage colonial va façonner le nouveau système qui sera mise en place dans le pays après l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines, le 17 octobre 1806. L’environnement géopolitique jouera un grand rôle également dans l’évolution de ce système. Comme on dit, il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller et pour éviter de se perdre en répétant les mêmes erreurs. Nul ne doute que le système esclavagiste a favorisé les plus riches en oppressant les plus faibles. Rien n’a beaucoup changé depuis.

Ne devrait-on pas changer ce système archaïque qui est organisé de sorte que les riches deviennent plus riches et les pauvres deviennent de plus en plus pauvres ? Car, la grande disparité dans les richesses personnelles, familiales et sociétales dans le pays pourrait devenir la cause d’un éclatement social aux conséquences incalculables. Ne serions-nous pas déjà au début de cet éclatement ?

Le développement est un choix. Ce n’est pas le fait du hasard. Nous pouvons faire ce choix et réussir !

Alors, je vous dis, à un autre soleil !

62

Le Développement d’Haïti est Possible

Dans le document Le Développement d Haïti est Possible (Page 56-62)