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Les vestiges : lieux de souvenirs, lieux pour apprendre

B) Légitimer la mise en valeur de ces structures

II) Les vestiges : lieux de souvenirs, lieux pour apprendre

Pour encourager la valorisation des vestiges du Mur de l’Atlantique, mettre en avant le fait que ces structures soient menacées directement de dégradations ou de destructions ne suffit pas. L’élément valorisé doit être porteur d’un message et doit s’inscrire dans une démarche où l’objet patrimonial soulève des questions. Les vestiges du Mur de l’Atlantique ont-ils véritablement un rôle ou un pouvoir mémoriel ? Pierre Nora parle abondamment des corrélations qu’ils peuvent exister entre la mémoire et l’Histoire126. Pour rendre légitime la

valorisation des vestiges du Mur de l’Atlantique, il faut tout d’abord s’interroger sur la nature de la mémoire que peut véhiculer ces structures. La réponse est très complexe.

Tout d’abord, la valorisation des vestiges du Mur de l’Atlantique ne semble pas s’inscrire dans une démarche commémorative. La mémoire des guerres est très présente en France au travers des symboles que l’on peut retrouver dans l’espace public. Des plaques, noms de rues, monuments aux morts ou autres réalisations sont le moyen de lutter contre l’oubli, et de transmettre la mémoire des générations précédentes aux générations futures. Si cette politique du souvenir matérialisée dans l’espace public tente de transmettre les concepts et les notions de patriotisme, de sacrifice, de résistance et de bravoure à l’heure actuelle, elle a également pu transmettre les idées de haine, de vengeance et de douleur127.

126 NORA Pierre, Les lieux de mémoire, Paris, éd Gallimard, 1997, P89. 127 NORA Pierre, op.cit.

La nature et l’histoire des vestiges du Mur de l’Atlantique les rendent difficilement associable à une démarche commémorative car l’objet de la commémoration serait incompris. Les populations locales ne s’identifient pas à l’histoire des vestiges du Mur dans la mesure où ils véhiculent une image douloureuse. En outre, la construction de ces ouvrages bétonnés est l’œuvre d’une armée étrangère d’occupation sur le sol de France. Les blockhaus du Mur de l’Atlantique ne semblent donc pas être un support idéal de commémoration car il n’y a aucun hommage à rendre à une armée d’occupation ayant construit une ligne fortifiée pour placer la France dans une étreinte. A titre de comparaison, la perception de la ligne Maginot128 est

radicalement différente de la situation du Mur de l’Atlantique. A de nombreux égards, celle-ci présente pourtant des similarités historiques et esthétiques avec le Mur de l’Atlantique.

Ligne de défense fortifiée, constituée de réseaux de casemates et d’abris, elle est dans un état de conservation proche des vestiges du Mur aujourd’hui. Cependant, elle devient depuis les années 1970 un lieu où se met en place une politique commémorative envers les soldats français dont l’acharnement et le sacrifice peuvent êtres à juste titre exaltés et commémorés. L’histoire de cette ligne de défense justifie sa commémoration. Elle devient un monument funéraire où l’on transmet le souvenir des défenseurs morts pour la France. Le message que peut mettre en avant ce type de commémorations est légitime. Celui du Mur de l’Atlantique semblerait en revanche plus complexe. Un élément précis pourrait toutefois faire entrer les vestiges du Mur de l’Atlantique dans une démarche commémorative, et donc aboutir à une meilleure considération et une juste valorisation. De nombreux travailleurs français et étrangers furent réquisitionnés pour réaliser ce réseau de défense. Le Mur de l’Atlantique pourrait devenir un lieu qui s’attache à transmettre la mémoire de ceux qui furent astreints au travail forcé, et leurs souffrances. On constatera d’ailleurs qu’il existe relativement peu de monuments pour les déportés du travail en France durant la Seconde Guerre mondiale.

Valoriser les vestiges du Mur de l’Atlantique, c’est amener leur situation actuelle, c’est-à- dire l’oubli, vers une meilleure situation dans l’avenir, où ils auraient la vocation de « lieux de souvenirs ». Un des heurts assez fréquent dans la création de lieux de mémoire, c’est que celle-ci n’est pas la même pour tous et il arrive parfois qu’une population donnée ne s’identifie pas à la mémoire célébrée. Les lieux de mémoire que l’on peut retrouver aujourd’hui dans l’espace public semblent s’inscrire dans deux dynamiques différentes.

128 MARY Jean-Yves, HOHNADEL Alain, Hommes et ouvrages de la Ligne Maginot. Paris, éd.

D’un côté il y a les lieux de mémoire « locale », de l’autre, les sites de mémoire « nationale ». Le premier cas est sans doute le plus fréquent dans les petites communes et les villages.

Un évènement historique tel que la guerre est commémoré par la mise en valeur d’exemples locaux. Il faudrait mettre au pluriel ce terme de « mémoire locale » dans la mesure où si la trame de fond et le contexte historique des évènements demeurent les mêmes pour tous, les habitants d’un lieu restreint auront tendance à le célébrer par le biais d’exemples et de manifestations locales. Les lieux de mémoire nationale pour la Seconde Guerre mondiale sont plus rares mais plus visibles et volumineux dans l’espace public. Davantage présents dans les villes, les thématiques du souvenir sont plus larges, l’objectif est de souder, de rattacher le peuple d’une nation à une mémoire commune. Les thématiques de la Shoah et de la Résistance sont les plus fréquemment rencontrées129.

Cette très rapide présentation des lieux de mémoire des guerres nous interroge sur les vestiges du Mur de l’Atlantique : peuvent ils devenir un lieu de souvenir local pour la guerre 1939-1945, ou bien un lieu d’avantage tourné vers une mémoire nationale ? La question demeure problématique. D’un coté, ces structures furent réalisés sur le territoire basque et une partie des gens du pays participèrent a leur construction. Mais le Mur de l’Atlantique c’est aussi une ligne de défense qui a la caractéristique de dépasser l’espace local de part son importance géographique. Pour tenter de répondre a la question il faudrait encourager la valorisation des vestiges du Mur de l’Atlantique pour qu’ils puissent devenir des « lieux de souvenirs locaux » tout en ayant dans une dimension historique, le rôle de « Lieux pour apprendre ».

La présence de vestiges en bon état de conservation demeure une formidable richesse pour les populations locales, d’un point de vue historique et pédagogique. De nombreuses thématiques de la Seconde Guerre mondiale découlent des ces vestiges : l’Occupation, la vie pendant le conflit, mais aussi la Résistance et la Libération. Préserver ces vestiges, c’est donner l’opportunité aux générations futures de disposer d’un outil de savoir pour comprendre les différentes thématiques de la Guerre au travers d’une réalisation bâtie. L’étude de la Seconde Guerre mondiale passe par des supports variés tels que photographie, films, témoignages oraux, documents écrits, plans etc… mais rarement il est question de bâti. Valoriser une partie de ces vestiges pour en faire un lieu pour apprendre, pour transmettre les évènements du conflit demeure un projet qui pourrait avoir une dimension pédagogique

certaine pour les jeunes générations. La visite de site du Mur de l’Atlantique dans le cadre scolaire permettrait de montrer que la guerre laisse des traces visibles dans le paysage côtier d’aujourd’hui.