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Vient ensuite le temps du « pathomasochisme » qui correspond pour SMADJA (2001) à un processus qui aurait pour fonction une reliaison psychosomatique d’où une restructuration du sujet est possible car « la resexualisation de la fonction somatique altérée par la maladie […] a pour conséquence d'accroître les capacités du sujet de lier la destructivité interne à l'œuvre sur le terrain de l'organe ou de la fonction malade », p.103.

Nous voyons donc là la fonction positive, reconstructrice puisque liante, du masochisme pour protéger de la poursuite de la désorganisation somatique. ROSENBERG (2001) va même plus loin en affirmant que « c’est lorsque le masochisme échoue qu’il y a maladie psychique ou psychosomatique », p.13. Le masochisme n’aura donc pas qu’une fonction de liaison secondaire mais agirait dès la racine en empêchant la maladie de

s’instaurer pour peu qu’il réussisse à « lier et intriquer [la pulsion de mort] », ( op.cit., p.13).

Remarquons que sur cette question du masochisme ROSENBERG met sur le même plan et la maladie psychique et la maladie psychosomatique ; ceci parce qu’il a choisi de faire le lien entre masochisme et maladie sans distinction. Cela souligne donc que le masochisme, quelque soit le niveau d’expression de la maladie (somatique ou psychique), tient la même fonction ou tout du moins, si maladie il y a, achoppe au même point du fonctionnement ? Ce ne serait donc pas le masochisme et son allure selon le contexte psychique ou somatique de la maladie qui en ferait la distinction processuelle ?

A cela ROSENBERG (2001) répond en expliquant que le masochisme « représente la première défense contre la pulsion de mort, la première liaison, intrication de celle-ci par la libido », p.15, et que du même coup cela signifie que « toute intrication pulsionnelle est fondamentalement de l’ordre du masochisme », p.15. Or, c’est la pulsion de mort qui est impliquée dans la maladie et le masochisme qui en est la défense et actionne le processus de réorganisation. Pour ROSENBERG, c’est de ce double mouvement (action de la pulsion de mort et liaison masochiste de la pulsion de mort avec la pulsion de vie) qu’apparaît « toute pathologie », (op.cit., p.15). Et pour lui, lorsque le masochisme ne tient plus sa fonction de

« cadre commun en ce qui concerne l’existence de l’opposition pulsionnelle, et avec elle, de la conflictualité », (op.cit., p.22), alors il se produit une pathologie psychosomatique. En effet, pour lui, les « psychosomatiques […] fuient la prise de conscience de la conflictualité psychique par la vie opératoire et surtout par la somatisation », ( op.cit., p.22).

D’ailleurs, les procédés auto-calmants que décrit avec finesse SMADJA (2001) pointent aussi l’échec de cette liaison masochique : « le sujet somatisant est incapable de lier sa destructivité interne pour constituer un vécu masochique », p.254. Et ce sont alors les procédés auto-calmants qui vont en assurer la fonction.

Pour le versant de la chronicisation, MAIDI (2003), pense que le maintien du « trouble organique peut tout à fait être favorisé ou accentué par les inclinations d'ordre masochique du sujet », p.89. Le sujet, ainsi, « se trouve, à son insu, victime de ses propres pulsions sadiques qui sont réfléchies et dirigées contre soi », p.89. De sorte que la chronicisation revêt pour lui le critère de « besoin itératif de victimité » de certains malades refusant inconsciemment la guérison, justifiant de la sorte leur « place d'objet sacrificiel », p.90.

Ainsi, précise-t-il, seule l'élaboration mentale peut permettre au sujet de sortir de son destin, « en partie auto-institué », de masochisme mortifère. Là aussi, nous retrouvons la question de l'activité-passivité liée à la position masochiste du sujet face à la maladie et à sa

part de responsabilité psychique dans le maintien de sa souffrance. Est-ce qu'alors le mécanisme de chronicisation ne s'installerait que lorsque le sujet a le sentiment de subir sa maladie du fait de sa position de victime de la maladie ?

Serait-ce alors ce concept freudien de masochisme féminin et que FINE (2001) décrit comme « la capacité d’une tolérance à une « passivité réceptive » de la souffrance », p. 42 ?

Ou bien encore est-ce l’expression du masochisme moral au sens où la maladie est alors vécue par le sujet comme une sanction, une punition ? AISENSTEIN (2001) évoque l’idée que « la victimisation ou les sanctions sont recherchées pour elles-mêmes parce que vécues dans une excitation qui implique une dérive narcissique », p.32.

Alain FINE (2001) quant à lui, associe clairement cette question à la « présence de masochisme moral, véritable narcissisation de la souffrance pour certains, [qui] se constate aussi comme une résistance qu'il faut essayer de lever avec prudence », p.43. AISENSTEIN (2001) le rejoint sur ce point lorsqu’elle avance en conclusion de son article qu’il est « des douleurs physiques qu’il est parfois dangereux de guérir », p.32. Ceci parce que finalement le masochisme « peut par érotisation de la souffrance, ou pour expier une culpabilité, permettre la récupération de la maladie somatique comme source de jouissance et en bloquer le développement vers la guérison », selon GUTTIERES-GREEN L. (2001), p.59.

Au travers de ces auteurs, et de ces réflexions, nous pouvons d'ores et déjà dégager l'hypothèse de la place du masochisme (mortifère, moral) dans l’apparition et la chronicisation de la maladie en suivant la réflexion d'Alain FINE (2001). Selon lui, « le masochisme (...) serait ce qui permet à certains patients de continuer à supporter la vie, rejoignant ainsi l'acceptation supposée d'une dimension masochiste de l'existence humaine, révélatrice, malgré les apparences, de qualité vitale », p.39. Le masochisme aurait alors là pleine fonction de « gardien de la vie » comme le souligne ROSENBERG (2000).

Et AISENSTEIN (2001) d’aller plus loin encore en soulevant une autre question, celle du lien entre maladie et masochisme moral : «ne peut-on pas penser que la

maladie lui [masochisme moral] succède ou bien en tient lieu ? », p.32.

Elle appuie ainsi les propos de Marty (1980) qui pointent que les mouvements sadomasochiques peuvent être le signe d'une réorganisation mentale qui peut avoir lieu suite à une maladie somatique : « la réorganisation mentale se perçoit souvent à son début [...] dans le témoignage des affects sadomasochiques », p.19. Comme si ces résurgences marquaient le début de la réintrication pulsionnelle sexuelle et agressive, le masochisme jouant là son rôle de réintrication, de mobilisation des pulsions libidinales et agressives.

Concernant sa forme clinique, pour SMADJA (2001), le masochisme moral se repère « dans sa forme manifeste par des comportements. Le sentiment de culpabilité est cliniquement absent », p.102, car ajoute-t-il plus loin, « il est inconscient ». Il s’affirme par l’état de maladie et non par celui de culpabilité », (op.cit., p.200). Cette absence d’expression de la culpabilité s’inscrit dans un ensemble plus vaste d’absence d’expression de la souffrance psychique, à savoir, précise SMADJA (2001), que « ce qui est supprimé ou abrasé […] c’est principalement la fonction de signal de l’affect qu’il s’agisse de l’angoisse ou de la douleur.

La souffrance psychique est rendue absente dans son expression, sinon dans sa représentation.

Du coup c’est tout le travail mental qui est aussi abrasé. », p.56.

MARTY aussi, déjà en 1980, signalait « la disparition des sentiments inconscients de culpabilité- ou tout du moins l’absence de perception par l’observateur de tels sentiments », p.63. Il ajoute, précision clinique non des moindres pour notre analyse, que ce sentiment ne doit pas être confondu avec la « culpabilité consciemment dévoilée […] qui signale plutôt un sentiment d’infériorité en relation avec un Moi Idéal peu élaboré », p.63.

En tout état de cause, l’absence de sentiment inconscient de culpabilité, qui serait

« attaché au surmoi », p.63, constitue pour lui, comme pour SMADJA (2001), l’un des signes principaux de la dépression essentielle, en lien direct avec une somatisation, dans une sorte de mouvement circulaire : la dépression essentielle précède la somatisation puis à partir de cette somatisation revient à elle mais « avec un gain psychique », p.49, réalisé par l’investissement masochique de l’organe malade précise ce dernier.

Nous posons donc ici notre cinquième hypothèse :

H5 : le fonctionnement psychosomatique serait marqué par l’existence d’une grande composante masochiste.