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Vers une vue d’ensemble du développement pragmatique

Au terme des analyses détaillées qui précèdent, la présente section vise à dégager les tendances de l’organisation et du développement des compétences communicatives. Elle utilise à cette fin des comparaisons entre scores, rendues possibles via l’établissement de scores relatifs, calculés en rapportant les scores bruts au nombre d’items dans la série (cf. Partie Grammaire). Nous présentons successivement ci-après les comparaisons relatives à l’organisation de chacun des trois domaines pragmatiques.

5.1. L’organisation des capacités de participation aux échanges langagiers

Le développement comparé des six scores partiels de participation aux échanges langagiers est représenté à la Figure III.13, qui permet d’en apprécier les relations hiérarchiques. Les données précises (valeurs moyennes des scores relatifs partiels et du score global) sont fournies à l’Annexe III.7.

Figure III.13. Communication - Les six scores relatifs partiels d’échanges langagiers: valeurs moyennes

Comme on le voit, les six scores d’échanges langagiers sont tous élevés dès 18 mois (ratios les plus bas à près de 0.50) et, pour quatre d’entre eux, atteignent pratiquement le maximum 1.00 dans les groupes les plus âgés.

La comparaison montre cependant certaines différences de développement. Le score ‘Intelligibilité’ affiche les valeurs les plus élevées, se détachant des autres scores par un ratio initialement très fort (0.78 à 18 mois) et atteignant dès 30 mois la valeur plafond (0.98). Les trois scores ‘Attention et réaction à autrui’, ‘Pertinence de la réponse’ et ‘Conversation et tours de parole’ ont à 18 mois des valeurs proches et élevées (respectivement 0.64, 0.62 et 0.63). Leur augmentation - régulière pour le premier, plus explosive pour les deux autres – les conduit à 30 mois à des valeurs proches du plafond (respectivement 0.86, 0.98 et 0.96), valeurs maintenues dans la suite du parcours (0.93, 0.99 et 0.95 à 42 mois).

Les deux autres scores, ‘Adaptation à la situation de communication’ et ‘Maintien et enrichissement du thème de l’échange’ sont ceux qui ont les valeurs les moins élevées à 18 mois (0.47 pour l’un et l’autre). Ils ont aussi les valeurs les moins élevées durant la suite du parcours (à 42 mois, 0.65 pour ‘Adaptation à la situation de communication’ et 0.79 pour ‘Maintien et enrichissement du thème de l’échange’). Ces deux scores sont ceux qui comportent des items régressifs, A3a ‘abandon du propos’ et A6a ‘rupture du thème’. On peut penser que leur déficit durant la deuxième partie de l’étude s’explique partiellement par la présence de ces items à évolution régressive. Ce type d’items, en effet, tend à favoriser le niveau global de performance dans les groupes les plus jeunes et à le défavoriser chez les plus

âgés. On note cependant une différence d’évolution de ces deux scores à partir de 23 mois : le score de maintien du thème continue de progresser et atteint un niveau proche des quatre autres, tandis que le score d’adaptation à la communication continue à présenter des valeurs nettement plus basses, témoignant de la relative difficulté qu’ont les enfants à reformuler leur message pour capter l’attention de l’interlocuteur.

En résumé, malgré les différences de rythme visibles surtout dans la première partie du parcours, les six capacités de participation aux échanges langagiers, déjà bien installées à 18 mois, se développent toutes précocement et sont pour la plupart largement maîtrisées dès 30 mois environ. La capacité à s’adapter à la situation de communication et la capacité à maintenir et enrichir le thème de l’échange sont un peu plus tardives que les autres et, dans la deuxième partie du parcours, sont grevées par les items régressifs ‘abandon du propos’ et ‘rupture du thème’, moins pratiqués par les enfants plus âgés. C’est l’adaptation à la situation de communication qui reste la capacité la moins assurée, en lien avec la difficulté des enfants à reformuler leur message.

5.2. L’organisation des capacités d’utilisation du langage et des actes de parole

La Figure III.14 présente le développement comparé des cinq scores partiels d’utilisation du langage, entre lesquels disparités et hiérarchies apparaissent nettement (voir les données à l’Annexe III.8).

Figure III.14. Communication - Les cinq scores relatifs partiels d’utilisation du langage:

Dans la première partie du parcours, les cinq scores augmentent tous avec l’âge mais présentent de grandes disparités de développement (à 18 mois, ils varient entre 0.00 et 0.80 environ). Ces disparités tendent à s’atténuer après 30 mois (à cet âge, les écarts vont de 0.50 à 1.00) sans pour autant disparaître totalement. Le score ‘Expression des désirs et émotions’ a le ratio le plus fort durant la quasi-totalité de la période étudiée : il affiche une valeur élevée dès 18 mois (0.77) et atteint à 30 mois la valeur plafond qu’il ne quittera pratiquement plus. Son léger déficit par rapport à la valeur plafond de 1.00 peut s’expliquer par la présence de l’item B1b ‘gémissement’, à évolution régressive. À l’autre extrême, le score ‘Explications’ a un ratio quasi nul jusqu’à 20 mois, atteint la valeur d’environ 0.50 à 30 mois, puis continue d’augmenter pour plafonner autour de 0.80 dans les derniers mois de l’étude.

Les trois autres scores sont intermédiaires et relativement proches les uns des autres. Le plus précoce est le score de requête (0.49 à 18 mois), qui présente sur les deux autres un avantage manifeste jusque vers 24-26 mois (maximum à 0.70), avant de stagner, voire de régresser (0.60 à 42 mois). L’avantage des premiers mois, tout comme la stagnation dans la deuxième partie du parcours, reflètent la contribution de deux items régressifs à ce score, l’item B2b ‘geste’ et l’item B2c ‘simple mot’, utilisés par les tout jeunes enfants pour exprimer des requêtes puis délaissés par les enfants plus âgés. Les scores de demande d’information (0.30 à 18 mois) et d’assertion simples (0.28 à 18 mois) ont des développements très proches, augmentant en parallèle jusque vers 35-36 mois, où ils atteignent l’un et l’autre une valeur d’environ 0.90. Le score d’assertion simple régresse ensuite légèrement, vraisemblablement en raison de la présence de l’item régressif B4b ‘désignation par un nom’, tandis que le score de demande d’information continue d’augmenter, atteignant la valeur plafond à 40 mois.

En résumé, les cinq capacités d’utilisation du langage dans les actes de parole émergent et se développent à des rythmes variés, avec des différences particulièrement manifestes durant la première partie du parcours. L’aptitude à exprimer des émotions est très précoce, présente à 18 mois chez une large majorité d’enfants et assurée dès deux ans. Les deux capacités de demande (demande d’objet et demande d’information), ainsi que la capacité à commenter le réel de façon élémentaire (assertion simple), sont elles aussi présentes à 18 mois et maîtrisées par la majorité des enfants à 30 mois. En revanche, l’aptitude à rapporter et expliquer des événements, qui est, comme attendu, l’acte de langage le plus tardif, n’émerge qu’à partir de 20 mois et se trouve encore en plein essor après 30 mois, ce qui témoigne de la complexité cognitive propre à la démarche explicative.

5.3. L’organisation des capacités discursives

La figure III.15 présente le développement comparé des quatre scores relatifs partiels d’organisation des messages (les valeurs sont fournies à l’Annexe III.9, pour les scores partiels et pour le score global).

Figure III.15. Communication - Les quatre scores relatifs partiels d’organisation des messages: valeurs moyennes

Comme on le voit, les scores sont nuls ou quasiment jusqu’à 20 mois. À l’exception du score de référence aux personnes, ils restent bas jusqu’à 24 mois : 0.36 pour le plus élevé, la référence aux personnes (favorisé chez les plus jeunes par la présence des items régressifs d’utilisation du ‘prénom’ et du ‘pronom moi’ pour référer à soi-même), moins de 0.20 pour la référence au temps et pour l’enchaînement de phrases, et à peine 0.04 pour l’utilisation des procédés discursifs.

Les quatre scores augmentent de manière constante sur toute la durée du parcours, selon des trajectoires développementales homogènes. On note cependant un léger avantage pour les scores de référence aux personnes et d’enchaînement de phrases jusqu’à 30-31 mois (0.78 et 0.65 respectivement à 30 mois). Les scores de référence au temps et d’utilisation des procédés discursifs sont un peu plus bas, atteignant les valeurs respectives de 0.54 et 0.55 à 30 mois. Durant la deuxième partie du parcours, les quatre scores présentent des trajectoires plus irrégulières mais très proches les unes des autres, les amenant à 42 mois à des valeurs élevées, comprises entre 0.80 et 1.00. Les scores les moins élevés sont la référence aux personnes, défavorisée chez les plus âgés par la présence des items régressifs, et la référence au temps, grevée par la difficulté d’utilisation de formes tels que l’imparfait. En revanche, l’utilisation

des procédés discursifs rejoint les valeurs extrêmes de l’enchaînement de phrase dans les derniers mois.

En résumé, aucune des capacités d’organisation discursive des messages n’émerge véritablement avant 20 mois, et aucune n’est achevée à 30 mois. Ces capacités se développent simultanément sur toute la période étudiée, à un rythme de progression homogène. On peut cependant mentionner la précocité initiale de la référence aux personnes et son léger déficit dans les derniers mois de la période étudiée (phénomènes l’un et l’autre explicables par la présence des items régressifs), ainsi que le léger déficit de la capacité à référer au temps des événements, non totalement assurée chez les enfants les plus âgés de l’échantillon.

Section 6 - Bilan et mise en perspective des apports sur le développement