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Vers une nouvelle définition du siège de l'autorité

Dans le document Socrates Mailbox - Rapport de Synthèse (Page 86-89)

4. Conclusions : Permanence et changement dans le monde de l'éducation

4.3 Vers une nouvelle définition du siège de l'autorité

Nous nous sommes posées la question, avant même de commencer nos observations, de savoir si les TIC avaient un impact sur la répartition du pouvoir entre les différents acteurs d'une école.

Nous voulions voir dans quelle mesure la dynamique des relations pouvait être modifiée par l'intégration progressive des nouvelles technologies de communication dans les pratiques pédagogiques et dans les structures des organisations éducatives. D'après nos observations, nous pouvons affirmer qu'il y a un changement dans la manière implicite dont les acteurs se servent pour instituer les relations de pouvoir et véhiculer les modes de légitimation de l'autorité au sein de la classe et dans l'école.

Pour que les TIC s'intègrent bien dans les pratiques scolaires, il semble nécessaire que les autorités compétentes (de la direction aux structures de contrôle académiques) revoient les structures de pouvoir régissant l'ordre à l'école. Ne pas le faire, en se battant pour maintenir les prescriptions et hiérarchies traditionnelles, réduit à presque zéro le potentiel pédagogique des TIC et engendre dysfonctionnements et frustrations pour les enfants et durablement pour les enseignants.

L'introduction des TIC semble requérir l'élaboration de nouvelles règles (explicites et implicites) pour régler les relations entre les différents acteurs. Cela demande aussi une réorganisation des savoirs implicites et explicites nécessaires pour que chacun se sente et soit reconnu comme membre de la communauté scolaire.

Nous avons vu que la manière dont les enfants et les enseignants utilisent l'espace lors de l'utilisation des TIC est différente de celle qui s'observe dans les classes traditionnelles : liberté de mouvement, possibilité de choisir ses voisins (et par conséquent ses compagnons de travail) et liberté de parler à voix haute. S'aider les uns les autres devient une règle et non plus un péché comme c'était le cas dans les classes traditionnelles. L'inviolabilité du territoire de la classe est aussi radicalement remise en question : apparemment, l'enseignant semble ne plus être le seul "seigneur" en son royaume.

Lorsque les leçons ont lieu dans le laboratoire informatique, les professeurs partagent souvent le territoire avec l'"opérateur technologique" dont ils dépendent entièrement pour les aspects opérationnels de la technologie. Le laboratoire devient ainsi un territoire ouvert : tout le monde peut y

"entrer sans frapper", parler à voix haute et personne n'y est sanctionné pour ses déplacements.

D'autres enseignants peuvent également y intervenir en parallèle.

La structure verticale du pouvoir est radicalement remise en question : on assiste à une décentralisation et une multiplication des microstructures de pouvoir qui adoptent alors différentes configurations temporelles et spatiales.

L'utilisation des TIC peut être un élément de rupture des relations traditionnelles entre enseignants et élèves. Dans certains cas, nous avons pu observer une attitude de consternation de certains enseignants devant la perte de contrôle. Ils tendaient à se préserver soit en invoquant leur rôle protecteur vis-à-vis des élèves, soit en se renfermant sur leur position à travers l'établissement de règles formelles et disciplinaires. La règle formelle devient garante de la position de pouvoir, et conséquemment du maintien de l'ordre. D'un autre côté, nous avons observé des cas où les enseignants avaient spontanément trouvé d'autres façons d'exercer leur contrôle sur l'activité des classes. Il en est ainsi chaque fois qu'ils envisagent leur rôle comme celui d'un guide et d'un soutien pour l'apprentissage des enfants, ou comme celui d'un animateur organisant des activités. Ils ont parfois une expression assez maternelle de leur rôle. Dans ces cas, l'action des enseignants est

apparemment plus passive, discrète, et l'accent est mis sur l'autonomie des élèves. Enfin, nous avons observé des cas où les enfants entraînent leurs enseignants qui se sentent parfaitement à l'aise dans cette situation.

Il semble y avoir une dislocation du siège central de l'autorité, auparavant représentée autant par l'enseignant incarnant l'institution, que par la multiplication des centres d'autorité dans et hors de la classe. La chose est particulièrement évidente lorsque les élèves sont appelés à jouer le rôle du professeur, comme c'est la cas lorsqu'ils se montrent plus compétents en informatique que leur enseignant. Leur compétence est reconnue par les différents professeurs, qui peuvent accepter plus ou moins facilement d'abandonner leur monopole autrefois indiscuté de "pourvoyeur de connaissances". Mais à partir de là, plus ils demandent aux enfants de participer, plus leur rôle de production de savoir est actif et, par conséquent, plus grande est la reconnaissance de leur statut de dépositaire du savoir. Les distances hiérarchiques sont raccourcies. Elles peuvent même être renversées et l'on découvre que leur légitimité ne réside plus dans l'investiture institutionnelle.

Tout ceci n'est rendu possible que si le système est suffisamment souple pour intégrer les compétences de l'apprenant au cœur de sa pratique. En soi, la présence d'un ordinateur dans une classe ne change rien. La réorganisation du champ de légitimité des dépositaires du savoir ne se produit que si les enseignants ne se sentent pas menacés par une perte de pouvoir. Il devient alors nécessaire de remplacer un système de domination verticale orienté du haut vers le bas, par un système fondé sur un principe de pouvoir collatéral et collectif. Une fois redéfini, ce mécanisme permet d'encourager l'autonomie des enfants au lieu de les infantiliser et amène les enseignants à envisager la possibilité de perdre leur statut de source unique de savoir dans le microcosme de la classe.

D'une certaine manière il n'y a pas d'inquiétude à avoir, si le système institutionnel global n'est pas prêt pour cela : la présence d'un ordinateur dans la classe n'est pas plus menaçante que la présence d'une encyclopédie ou d'un taille-crayon.

Une autre dimension qui affecte la nouvelle définition du siège de l'autorité est lié à l'apprentissage coopératif. La configuration des flux de communication légitime dans la classe n'est plus limitée au bidirectionnel (allant de l'enseignant aux élèves et des élèves à l'enseignant). De micro-équipes d'élèves sont créées autour de la résolution d'un problème et on encourage leur collaboration pour trouver des solutions communes. Parfois, il est vrai, ces dispositions peuvent être la conséquence d'un nombre insuffisant de machines. Cela a des implications au niveau de l'évaluation des enfants puisque leurs performances ne sont plus évaluées comme des performances individuelles.

Dans ces situations, on évaluera plutôt la manière dont les enfants établissent des rapports entre eux ainsi que leur capacité à affronter un problème dans une dynamique de groupe.

Nous avons observé qu'il était possible de diminuer l'anxiété liée aux performances à accomplir pour encourager l'épanouissement créatif des enfants. Dans certains cas, cette méthode a révélé des talents insoupçonnés. Le travail en équipe n'annihile pas l'individualité de chaque enfant. Au contraire, il peut stimuler la quête par chacun de son rôle et mettre en évidence les compétences uniques et personnelles. Mais l'enseignant doit gérer prudemment ces dynamiques. Il lui faut défendre les équilibres délicats générés par ce processus et décourager fermement toute tentative de domination ou de stigmatisation de ce qui pourrait être perçu comme un signe d'infériorité.

Le travail collectif demande également une plus grande tolérance de l'enseignant vis-à-vis de la circulation physique et du niveau sonore dans la classe. Cela veut aussi dire qu'il faut que les règles traditionnelles en la matière puissent également être remises en question et le cas échéant abandonnées. Au besoin, pour apaiser le bruit et le chaos apparent qui résultent de l'intensité des échanges et des interactions, il vaut mieux s'appuyer sur les capacités d'auto-organisation et de self-control des enfants.

Enfin, nous aimerions développer quelques considérations sur les injonctions et consignes implicitement changeantes qui sont données aux enfants et comment celles-ci affectent le siège de l'autorité. Dans certaines des écoles que nous avons observées, les règles traditionnelles semblent avoir été remplacées par d'autre visant à encourager tacitement les enfants à auto-réguler leur participation dans la classe, leurs mouvements dans l'espace et la gestion de leur temps.

"Silence !", "Arrêtez de bouger !", "Apprenez par cœur !", "Faites ce que je vous dis !", "Arrêtez de bavarder !", "Ne copiez pas sur votre voisin !", "Ne parlez que quand on vous y autorise !" : tous ces ordres nécessitaient l'acquisition par les enfants d'un certain comportement leur permettant d'être acceptés comme membres de la communauté scolaire. Ces ordres impliquaient aussi l'affirmation de certaines valeurs et de configurations précises de pouvoir.

On observe une nouvelle tendance qui pousse les enfants à trouver eux-mêmes les comportements adéquats en fonction de l'équilibre de la communauté, plutôt que de les soumettre à une règle formelle. Plutôt que d'obéir parce que le représentant de l'Autorité institutionnelle leur a donné l'ordre de le faire, on leur demande de prendre en considération les besoins du groupe dans lequel ils se trouvent.

Dans le document Socrates Mailbox - Rapport de Synthèse (Page 86-89)