• Aucun résultat trouvé

VERS UNE DEFINITION DE CES SOIREES POLYMORPHES

DEUXIEME PARTIE

VERS UNE DEFINITION DE CES SOIREES POLYMORPHES

La radio est un peu tout à la fois : un art et un moyen de diffusion et bien d’autres choses

encore …278, affirme le poète et homme de radio Jean Tardieu en 1969. Dix ans plus tard, la radio a

évolué mais Nuits magnétiques incarne toujours cette position ambivalente d’une radio élaborée qui est à la fois un média (qui obéit donc à des contraintes de grille) mais également aussi une œuvre (dans sa singularité). Toute la difficulté est alors d’arriver à définir le genre de l’ensemble des Nuits magnétiques, malgré la diversité des démarches des producteurs. Il y a un bien pourtant un ton qui les rassemble toutes sous l’étiquette de Nuits magnétiques.

C'était des histoires assez compliquées, comment quelqu'un peut dire que ceci n'est pas le ton des Nuits magnétiques ? C'est quand même très bizarre.279

C'est compliqué, bizarre, surtout pour une émission dont les producteurs peuvent changer toutes les semaines. Pourtant, pour la commodité et la clarté du propos280, nous allons essayer de définir ce

qui détermine ce ton Nuits magnétiques. La définition que donne Christophe Deleu du documentaire semble assez générale pour comprendre l’émission :

Dispositif à caractère didactique, informatif et (ou) créatif, présentant des documents authentiques, qui suppose l‘enregistrement de sons, une sélection de ceux-ci opérée par un travail de montage, leur agencement selon une construction déterminée, leur mise en ondes définitive effectuée par un travail de mixage, selon une réalisation préétablie, dans des

conditions qui ne sont pas celles du direct ou du faux direct281.

Cependant, une telle définition élude la complexité de chacune d’entre elle. Il s’agit alors de définir ce qui fait l’unité de 5000 émissions réparties sur vingt-et-une années pour rendre intelligible ce qu’est une Nuits magnétiques sans pour autant nier la singularité de chaque œuvre. Nous relèverons tout au long de cette analyse ce qui rend Nuits magnétiques novateur au sein de la grille de France Culture.

                                                                                                                         

278 Jean Tardieu en 1969 cité par Anne-Marie Autissier, Emmanuel Laurentin, 50 ans de France Culture, Paris,

Flammarion, 2013, p. 143

279 Entretien avec Christophe Deleu, 2 mars 2015

280 On fait ici écho aux réflexions de Christophe Deleu sur la nécessité de définir et de classer pour un chercheur,

nécessaire à l’intelligibilité de l’objet. In Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Paris, L’Harmattan, INA Editions, 2013, pp. 9-38

7-1 Une hésitation originelle sur le genre

7-1.1 Par France Culture

Le documentaire radiophonique est un genre aux contours flous. C’est seulement en 1946 que le terme de « documentaire » est attribué à une œuvre radiophonique, avec le Club d’Essai282. Il est pour la première fois défini par Jean Cocteau283 et par Samy Simon284 en 1947 et emprunte aux terminologies héritées du cinéma. En 1953 est créée la section « documentaire » du prix Italia285, ce célèbre concours international qui a lieu en Italie et qui récompense la créativité et l’innovation des programmes radiophoniques et télévisuels. Pourtant, en 1978, ce terme reste imprécis quand il concerne la radio. Il est rarement défini de manière autonome et est sans cesse rapproché de genres radiophoniques préexistants, comme le radioreportage, l’entretien, la causerie, le débat, la lecture de textes, la diffusion de musique, la fiction et le hörspiel286.

A France Culture, le terme de « documentaire » entretient des rapports ambigus avec la notion de « création radiophonique ». En 1978, le terme existe pourtant au sein de France Culture. La chaîne dit comptabiliser 31 heures de documentaires par semaine287. Pourtant, Nuits magnétiques ne fait pas partie de ce module. Elle fait partie de la catégorie «création française », au même titre que l’Atelier de création radiophonique. En fait, le terme de documentaire comporte une dimension journalistique à la fin des années 70 et est principalement utilisé pour désigner le travail de la rédaction288. Le seul élément de continuité sur les 21 années qu’a duré Nuits magnétiques, c’est

d’appartenir au secteur des programmes de France Culture et non à celui de l’information.

Au fil des années, France Culture ne classe plus ses émissions en termes de format mais en termes de contenu. Ainsi, Nuits magnétiques est classée en 1986 dans la catégorie « société » et en 1996 dans la catégorie « Société et notre époque » et non plus en « fiction et création radiophonique », comme elle a pu l’être dans les années 80289. Nuits magnétiques échappe en fait en partie aux catégorisations de France Culture. Comprendre Nuits magnétiques comme un programme sur la société élude une grande partie de la richesse de l’émission, puisqu’elle se caractérise avant tout par son format, sans cesse réinventé. Finalement, si la chaîne parle aujourd’hui plus facilement

                                                                                                                         

282 Anne-Marie Autissier, Emmanuel Laurentin, 50 ans de France Culture, Paris, Flammarion, 2013, p. 226 283 Jean Cocteau, Le foyer des artistes, Paris, Plon, 1947, p.62, cité par Christophe Deleu, Op. Cit, p.45

284 Jean Tardieu; Jean Cocteau ; Pierre Renoir ; Paul Gilson, Samy, Simon (et alii), La chambre d'écho ; Paris, Cahiers

du Club d'Essai de la radiodiffusion française, 1947, p. 54

285 Christophe Deleu, Op . Cit, p. 49 286 Christophe Deleu, Op. Cit, p.9

287 Grilles de programme consultées aux Archives Nationales de Pierrefitte-sur-Seine – Carton 940737-7 288 Entretien avec Alexandre Héraud, 29 février 2016

de documentaire290, c’est que la définition de ce genre s’est construit en partie avec les Nuits magnétiques et y a gagné en légitimité. Le documentaire devient au fil des années un terme qui désigne de plus en plus une radio élaborée. C’est seulement maintenant que France Culture se rappelle de Nuits magnétiques comme d’un programme documentaire. Nuits magnétiques assure la transition entre la notion de documentaire héritée de l’ORTF, défini comme formaliste et didactique291, et la tradition documentaire à Radio France initiée depuis les années 70 privilégiant

au contraire la recherche formelle et le ressenti.

7-1.2 Par les professionnels de la radio

 

Si France Culture a du mal à mettre des termes génériques sur les Nuits magnétiques, ceux qui les produisent ont tout autant de difficultés à définir leur travail. Quand j’ai interrogé certains des acteurs de Nuits magnétiques, tous mettent l’accent sur des aspects différents de l’émission. Pour Christophe Deleu, c’est avant tout l’émergence de la parole intime292. Pour Colette Fellous, c’est  un espace de liberté, de composition radiophonique. Ce n’était pas seulement un thème ou une envie de traiter un sujet de société. C’était un lieu où on pouvait composer, un peu comme un roman293.  Chaque producteur attribue en fait à Nuits magnétiques sa propre définition et il faut souvent connaître la personnalité du producteur pour savoir quel type de message va être délivré. Ils se retrouvent tous en revanche pour parler de « radio élaborée », terme très utilisé par les professionnels de la radio294, mais qui désigne également les fictions radiophoniques.

Ils sont nombreux à préférer définir l’émission par ce qu’elle n’est pas plutôt que par ce qu’elle est. Aucun n’utilise finalement le terme de documentaire. Alain Veinstein réfute même complètement ce terme :  

Je n’aime pas le terme car il me semble qu’il implique un travail journalistique. Or, je défends une radio de création, une radio-non

journalistique aujourd’hui de plus en plus rare295.

Sa conception du genre documentaire illustre bien cette ambivalence épistémologique du terme « documentaire ». Chacun choisit sa propre définition de ce qu’est un documentaire mais aucun ne l’utilise pour définir les Nuits magnétiques. Cette indécision vient également du nom de leur statut : ils sont désignés par la chaîne comme des producteurs, non comme des documentaristes. Rien ne distingue les producteurs délégués des Nuits magnétiques des autres producteurs de la chaîne.

                                                                                                                         

290 Il a été créé en 2016 un portail documentaire sur le site internet de France Culture, permettant de donner une vraie

unité et une vraie visibilité à tous les documentaires produits par France Culture.

291 Entretien avec Olivier Beurotte, 15 mars 2016 292 Entretien avec Christophe Deleu, 2 mars 2015

293 Entretien avec Colette Fellous, 19 novembre 2015, joint en annexe 294 Entretien avec Alexandre Héraud, 29 février 2016

295 Julie Birmant, Le documentaire à Radio France, mémoire sous la direction de Sylvie Schirm, Bruxelles, INSAS,

Alexandre Héraud reconnaît avoir compris qu’il faisait du documentaire a posteriori : Ce qui est

intéressant, c’est que pour nous, on ne savait même pas qu’on faisait du documentaire !296 Les

acteurs des Nuits magnétiques cherchent avant tout en fait à présenter l’émission comme une émission « hors-catégorie »:    

On n’était pas dans une catégorie, où on nous dirait « vous faites du documentaire de création » […] non je ne mettrai pas Nuits magnétiques dans la catégorie du documentaire, je ne sais pas, j’ai pas envie de la

catégoriser puisque chaque émission était un prototype297

Ainsi, le concept de « documentaire » a évolué depuis une vingtaine d’années et c’est donc avec la définition que ce terme revêt aujourd’hui298 que nous définissons ici le travail des Nuits magnétiques. Le documentaire passe d’une définition d’un contenu à celui d’une forme mais sans nécessairement caractériser une forme définie et définitive. Le documentaire en tant que terme générique recoupe en fait toute œuvre élaborée faisant de sa forme l’instrument de son contenu299.

7-1.3 Un programme non formaté

Nuits magnétiques se définit justement par sa forme qui s’interroge sur elle-même. Sa non- catégorisation est un élément de définition puisque cette recherche est le fondement de l’émission300. Elle sort des carcans de la radio pour se libérer de toute définition. Si Nuits magnétiques se rapproche de prime abord d’une radio élaborée privilégiant le montage et le mixage, certaines Nuits magnétiques introduisent une sorte d’instantanéité et de magie du direct, sans pour autant contredire leur visée première. En effet, au début de l’émission, par manque de moyens, le mixage pouvait s’effectuer en direct, avec toutefois quelques prémixs préparés en amont. C’était du

sport !301 reconnaît l’ingénieur du son François Caunac. Certaines émissions contredisent alors

l’idée-même d’un documentaire car elles mêlent une fabrication élaborée et le direct. Nuits

                                                                                                                         

296 Entretien avec Alexandre Héraud, 29 février 2016

297 Propos de Mehdi el Hadj, pour l'émission de Christophe Deleu, REA Anna Szmuc, « France Culture a 50 ans ! 2/4

Nuits Magnétiques bonsoir ... », Sur les docks, France Culture, émission du 03-09-2013. Disponible en ligne sur le site de France Culture avec les entretiens effectués par Christophe Deleu dans toute leur durée. Consulté le 29-10-2014.

298 Le débat fait encore cours sur la définition du documentaire radiophonique. Voir le chapitre « Le documentaire

radiophonique existe-t-il ? » dans l’ouvrage de Christophe Deleu, Op. Cit, pp. 43-59. La création de l’Association pour le développement du documentaire radiophonique (ADDOR) est également symptomatique ce cette indétermination du genre encore aujourd’hui puisqu’il s’agit toujours de le développer

299 Christophe Deleu, Op. Cit, p. 79

300 C’est ce qu’affirme Laure Adler quand Bénédicte Grison pour son mémoire lui demande s’il y a un découpage

commun dans toutes les émissions, ce à quoi, elle répond « Non, aucun, et heureusement ! ». In Bénédicte Grison,

Analyse d’une émission radiophonique : Les Nuits magnétiques sur France Culture, mémoire sous la direction de

Maurice Mouillaud, Université Paris II en information et communication de l’IFP, 1988, annexe 3 « Questions pour Laure Adler »

magnétiques, c’est alors du documentaire qui laisse place à l’imprévu et à la vie. C’est un événement et non exclusivement un prêt à diffuser. Colette Fellous se souvient par exemple :

J’ai fait beaucoup [de Nuits magnétiques] en direct, on préparait tout le conducteur, on lançait le mixage en direct, parfois même on invitait des musiciens ; je me souviens d’une émission où j’avais fait venir Nacer Khémir pour lire des petits contes des Mille et une nuits et il venait vraiment

tard la nuit. Ca faisait partie de la beauté du moment. 302

Mixage et lecture en direct dans la Maison de la radio qui s’endort contribuent à l’effet de présence de l’émission et à l’atmosphère qui lui est si caractéristique.

Il n’y a donc pas de format type aux Nuits magnétiques. Finalement, l’émission questionne plutôt qu’elle n’apporte des réponses, comme l’affirme Kristel le Pollotec :

C’était en fait une œuvre. Au lieu que ce soit une radio qui serve à laisser croire en la vérité, elle se met elle-même du côté du doute et elle se place du côté de la création. C’est-à-dire, elle est questionneuse au lieu de donner des réponses303.

L’équipe des Nuits magnétiques fuit la doxa et la vérité toute faite. Toute vérité est un leurre304. Pour Colette Fellous, s’inspirant de Friedrich Nietzsche, il faut seulement trouver le fil d’Ariane pour atteindre cette vérité. Nuits magnétiques est cet homme labyrinthe305 qui cherche son fil d’Ariane. Elle cherche, elle s’égare, mais elle est guidée par l’idée même de la recherche. Nuits magnétiques est une préparation en quête de sa préparation. Sa seule recherche est la quête de la beauté de l’instant :

Et je pense du bien de la beauté. Il ne faut pas penser la beauté comme quelque chose qui peut être ridicule. Il y aussi une grande rigueur dans la beauté. Et j’aime beaucoup la rigueur. Je ne veux pas que la beauté soit un fourre-tout, même si elle donne l’impression d’être jetée comme ça l’air de rien. Même dans la composition de l’émission, je m’amusais à faire des théories sur le nombre de musiques pour trouver le rythme, l’équilibre, un peu comme une recette de cuisine. Si vous mettez un peu trop de sucre ou de farine, ça ne va pas et c’est pas équilibré. Il faut trouver cet équilibre, avec des choses sous-terraines qui ne se voient pas et qui ne doivent pas se voir.

Ce qui peut rendre compliqué le travail d’analyse de l’émission ! 306

Pour rendre intelligible notre sujet, nous allons distinguer les grandes catégories formelles que peuvent recouper les Nuits magnétiques à partir de concepts pensés a posteriori307. Cette catégorisation vise plus à montrer la diversité de l’émission qu’à l’enfermer dans un cadre rigide. Finalement, étudier les Nuits magnétiques, c’est étudier le documentaire radiophonique dans toute

                                                                                                                         

302 Entretien avec Colette Fellous, 19 novembre 2015, joint en annexe

303 Andrew Orr, Monique Veaute, REA Jacques Taroni, « Ne tirez pas sur la radio : quelques auditeurs » P2, 15-08-

1981

304 Colette Fellous, La préparation de la vie, Paris, Gallimard, 2014, p.88

305 Colette Fellous citant Friedrich Nietzche : Un homme labyrinthe ne cherche jamais la vérité mais uniquement son Ariane. In Colette Fellous, Op. Cit, p.88

306 Entretien avec Colette Fellous, 19 novembre 2015, joint en annexe

sa diversité et également dans ses limites. Si cette typologie permet de classer les différentes formes que peuvent endosser les Nuits magnétiques, chaque format n’est pas pour autant cloisonné à une seule émission.

7-2 Une typologie à partir de quelques études de cas

7-2.1 Documentaire d’interaction – Renaud Dély et Stéphane Bou, « Le Front National, 25 ans après », 1997

Le documentaire d’interaction désigne la forme radiophonique la plus journalistique du documentaire. Elle est héritée du radioreportage des années 20 et connaît son âge d’or dans les années d’après-guerre308. Elle est un dispositif parfaitement défini qui se sert de toutes les conventions de la radio : le producteur assume ici pleinement son rôle de journaliste. Dans les premières années du genre, le reporter décrit ce qu’il voit. Ensuite, les sons d’ambiance viennent compléter son propos309. L’auditeur perçoit le monde qu’on lui propose exclusivement par la médiation du journaliste. Aux Nuits magnétiques, ce type de dispositif existe peu à sa création mais se développe de plus en plus sous l’effet de la multiplication des journalistes à France Culture310. A ce titre, on peut citer l’arrivée de producteurs comme Arnaud Laporte ou Eric Favereau311.

Renaud Dély et Stéphane Boue312 sont tous deux journalistes de profession et ils produisent

ensemble en 1996 une Nuits magnétiques sur l’évolution du Front National en France : « Le Front National, 25 ans après, l’enracinement d’un parti : Diversité et radicalisation»313. Un tel sujet de société inscrit presque obligatoirement cette Nuits dans la catégorie du documentaire journalistique, autrement dit du documentaire d’interaction. Les deux journalistes sont omniprésents dans le documentaire. Ils ponctuent le récit et commentent les propos des invités. L’émission s’ouvre alors sur ces questions qui apparaissent comme la problématique de cette dissertation très linéaire : Le Front National est-il un parti vierge de toutes références comme le prétend Bruno Mégret ou au contraire l’héritier de toute une filiation de mouvements d’extrême droite ? […] Mais qu’est-il exactement ? Multiple ? Traversé de courants différents, de sensibilités qui parfois se contredisent,

composé d’hommes qui souvent s’affrontent ?314 Il explique également les faits et la création

                                                                                                                         

308 Christophe Deleu, Op. Cit, p. 127 309 Christophe Deleu, Op. Cit, p. 131 310 Voir partie 1 chapitre 4

311 Voir en annexe les dix producteurs les plus actifs par année

312 Stéphane Boue est journaliste à France Culture et Renaud Dély est spécialiste du Front National à Libération. In

« Plongée en Lepénie », Le Monde, 22/09/1997

313 Renaud Dély, Stéphane Boue, REA Vincent Decque, « Le Front National, 25 ans après, l’enracinement d’un parti :

Diversité et radicalisation», 26/09/1997

détaillée du FN le 5 octobre 1972 à travers une démarche explicative et didactique315. La parole du producteur ponctue le propos toutes les dix minutes et accompagne l’auditeur dans son propre cheminement intellectuel. Les personnes interrogées sont soit des spécialistes – Michel Winock, historien, par exemple– soit des acteurs du Front National - comme par exemple Bruno Mégret, membre du FN. On n’y entend pas la parole d’anonymes.

Cette émission se présente en fait comme une analyse sous forme de rétrospective d’un phénomène de société. Le journal Le Monde parle de cette émission dans sa rubrique « Enquête »316

et s’intéresse exclusivement au contenu de l’émission, non à sa forme qui est d’une certaine manière assez figée. La radio est ici le support d’une pensée, non un outil.

7-2.2 Documentaire d’observation - « Portraits : Une vie à l’envers », Catherine Soullard, 1997

 

  Le documentaire d’observation est difficile à caractériser à la radio. Comment observer si l’on ne voit pas ? Au cinéma, ce genre est très lié au cinéma-vérité développé par Edgar Morin et Jean Rouch317. Dans Chronique d’un été, le spectateur voit Paris en 1960 et y découvre des Parisiens qui se dévoilent comme on l’a encore rarement vu à l’écran. La seule question et la seule intrigue qui importe est celle-ci : comment vis-tu ? Le but est de faire coïncider le cinéma et la vie telle qu’elle est vécue, dans la recherche de la plus grande objectivité.

A la radio, comment alors faire parler le réel quand le son du réel n’est pas toujours assez éloquent ? L’Atelier de création radiophonique est vraisemblablement l’un des premiers programmes sur France Culture a utilisé ce mode de narration du réel318, dans la lignée d’expérimentations radiophoniques de l’après-guerre. Nuits magnétiques s’empare par la suite du genre du documentaire d’observation mais ne cherche pas être aussi puriste qu’a pu l’être sa version cinématographique du cinéma-vérité. Cependant, on y retrouve des éléments de similitude : l’autonomie du monde diégétique avec une temporalité qui correspond presque à la réalité, l’absence d’intrigue et de péripéties, l’effacement de l’interview au profit de la conversation319.

L’émission doit être conçue comme un fragment de réel donné de manière brute à l’interprétation de l’auditeur.  

                                                                                                                         

315 Ibid.

316 « Plongée en Lepénie », Loc. Cit. 317 Christophe Deleu, Op. Cit, p. 199

318 Christophe Deleu cite à ce propos le documentaire de George Perec, Tentative de description de choses vues au