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TROISIEME PARTIE LA RADIO DU LANGAGE

LA RADIO COMME « JE »

Aujourd’hui, je demande à voir. J’ai les yeux grands ouverts, les oreilles qui traînent. C’est pour savoir où je vais que je marche. Qu’est-ce que je veux savoir ? Pourquoi quand un amour monte, tu n’es pas là ? C’est quoi la vraie vie ? Pourquoi les poissons meurent sur les arbres ? Où on met les rêves ? Si on n’a pas peur, on meurt ? L’amour qui n’a jamais existé, il est comment ? Pourquoi on n’est pas toujours dans la vraie vie ? Ça veut dire quoi humain ?C’est pour savoir où je vais que je marche. Et dans mon miroir ce matin, il était marqué « post scriptum : n’oublie pas d’être humain ».

Tels sont les mots de la productrice de l’émission des Nuits magnétiques « C’est pour savoir où je vais que je marche ». Elle traduit alors l’intimité au cœur de ce programme, elle s’exprime à la première personne, s’intéresse aux sentiments, aux sensations, à tout ce qui se cherche dans les mots du quotidien sans toujours se trouver. Si Nuits magnétiques est une radio du langage, c’est principalement en ce qu’elle explore l’infra-ordinaire dans le langage. C’est finalement dans ce traitement de l’intimité que Nuits magnétiques innove le plus et fait preuve d’avant-gardisme. Elle se libère de l’image de la radio d’Etat France Culture, perçue comme distinguée et distancée du réel, pour faire au contraire du réel son matériau et de l’anonyme sa matière. Nuits magnétiques, c’est principalement une nouvelle manière d’aller à l’écoute d’une sensibilité.

Quel est le statut de la parole anonyme dans les Nuits magnétiques ? En quoi ce traitement de l’intimité est-il novateur sur les ondes à la fin des années 70 ? Comment évolue-t-il alors que l’intime s’immisce dans tous les médias au fil des années ?

9-1 L’intimité du producteur

9-1.1 Radio et autobiographie : du « je » au « jeu »

Au XVIIeme siècle, Montaigne introduisait de manière novatrice le « je » dans ses Essais.

C’est moi que je peins, affirmait-il en préambule à son texte110. Il développait alors les notions de

transparence, de dévoilement et de vulnérabilité et le papier a été le premier support de cette parole intime et subjective. Il devenait l’objet de son livre, de la même manière que le producteur des Nuits

                                                                                                                         

magnétiques devient en cette fin des années 70 l’objet de son émission. Pourtant, la radio ne privilégie pas l’expression personnelle, surtout sur France Culture, peu à l’aise avec les récits à la première personne. Dans le bilan détaillé sur la situation de France Culture de 1983, des entretiens ont été organisés par le Centre des Etudes d'Opinion111 auprès des auditeurs avec pour consigne : J'aimerais que vous me parliez de votre écoute de la radio. Sur un échantillon de 2000 personnes, l'idée qui ressort est l'aspect vieillot de la station : C'est un peu vieillot, un peu triste … un peu désuet parfois. Un des souhaits principal serait d'avoir une radio plus humaine, avec des producteurs plus présents : On a l'impression qu'ils sont intouchables … trop neutres … que

pensent-ils ? On ne sent pas leur personnalité112. Nuits magnétiques apparaît ainsi en décalage avec

les principes de France Culture mais satisfait pourtant les souhaits de nombre de ces contemporains : elle fait entendre des producteurs plus jeunes, plus à même de faire sentir leur point de vue et leur vision sur le monde. Toute émission des Nuits magnétiques est en effet personnalisée. Si la présence du « je » n’est pas systématique au sein de l’émission, tout documentaire reste plus ou moins intime puisqu’il est fait par une personne avec son propre vécu et sa culture. Le choix des sujets, la façon de parler, le style et le rapport à l’autre sont autant d’éléments qui traduisent la vision du producteur. Celui-ci est le prisme qui déforme la réalité par lequel nous est donné à entendre le documentaire113.

Ce statut du producteur évolue au fil des années. Le producteur s’assume de plus en plus comme producteur en se mettant de plus en plus en scène. En effet, ils sont très peu à dire « je » dans les premières années114 si ce n’est lors d’initiatives très ponctuelles comme celles de Franck Venaille ou d’Olivier Kaeppelin. Les producteurs expriment leur sensibilité autrement. Sous la direction de Colette Fellous en revanche, le producteur s’expose de plus en plus. Elle reconnaît chercher cet auto-dévoilement, avec un « je » de plus en plus assumé et revendiqué. Elle tire cet héritage de Roland Barthes. Concernant son écriture, c’était lui [Roland Barthes] qui m’avait poussée à écrire et à dire « je ». Je pouvais désormais dire je tout en me débarrassant de moi,

c’était magique115, affirme-t-elle. Elle transpose alors ces acquis littéraires à la radio et pousse les

producteurs à aller dans ce sens. Ce « je » devient même parfois le point névralgique autour duquel se construit toute l’émission avec des émissions revendiquées comme autobiographiques dans les années 90. C’est le cas notamment des quelques émissions produites par Robert Kramer116, et plus

régulièrement de Michel Pomarède et d’Alexandre Héraud qui introduisent alors quelque chose de

                                                                                                                         

111 Dossier « Analyse de l'auditoire 1978», dans les archives d'Yves Jaigu, Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. 112 Ibid.

113 Eléments répertoriés par Julie Roué, La question du « Je », Traiter de l’intime dans le documentaire radiophonique,

Mémoire sous la direction de Christian Canonville et Kaye Mortley, Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière, section son, 2008, pp. 34-36

114 Entretien avec Christophe Deleu, 2 mars 2015

115 Colette Fellous, La préparation de la vie, Paris, Gallimard, 2014, p. 38 116 Entretien avec Christophe Deleu, 2 mars 2015

complètement novateur, entre le « jeu » et le « je ». L’autobiographie radiophonique ou « documentaire subjectif »117 apparaît sur les ondes118.

Dans « Le faux-frère. Contre-attaque à Ithaque »119, Michel Pomarède par exemple, illustre parfaitement ce basculement vers un « je » omnipotent dans les années 90 ; Michel Pomarède n’est pas seulement l’auteur et le narrateur de l’émission, il en est aussi le personnage principal. L'auteur

a toujours une position au bord de la schizophrénie120, reconnaît-il. Il se met en scène et enquête

sur sa propre naissance, en interrogeant l’idée de la gémellité. Cette émission s’ouvre alors avec un appel qu’il passe à la mairie d’Orléans, où il est né, pour consulter l’Etat civil. Il a une sœur jumelle mais souhaite aller plus loin que cette gémellité et rencontrer d’autres personnes nées le même jour au même endroit. Il va même jusqu’à passer une petite annonce dans Libération. Personne ne correspond mais quelqu’un appelle pourtant. Il raconte qu’il sort avec une fille qui est née le même jour que lui, comme une sorte de gémellité amoureuse. Tout est tordu, sous la forme d'une espèce d'enquête fictionnelle, réelle, mélangée à l'Odyssée. […] Au bout de l'écoute, on peut se dire : «

C'est quoi ça ? Il nous raconte sa vie ? C'est une psychanalyse ? Qui sont ces gens ? »121.

Cependant, si ce « je » est omniprésent et joue à déjouer les attentes de l’auditeur, l’émission ne devient pas pour autant un délire narcissique qui exclut complètement l’auditeur. Il y a beaucoup de

moi, mais y a pas que de moi122, reconnaît Michel Pomarède. Le « je » reste surtout l’occasion de se

frotter à ce qu’il ne connaît pas et donc à créer une rencontre. Un documentaire, c'est quand on arrive à basculer de la situation où je pose les questions et vous me répondez à une conversation où

se livre quelque chose d'intime123, reconnaît Michel Pomarède. Le « je » ne se suffit jamais à lui-

même, c’est dans la rencontre de ce « je » avec l’autre, dans une véritable expérience, que le sens se fait et que le producteur réussit à faire cracher la vérité au réel124.

9-1.2 Une expérience existentielle

Chaque émission étant née d’un désir du producteur, elle est nécessairement autobiographique et exprime l’intimité et la sensibilité profonde du producteur. Si elle s’inspire du vécu du producteur, elle s’inscrit aussi dans sa vie. Chaque émission est alors une expérience qui est comme une préparation à la vie si on reprend les mots de Colette Fellous125. La radio est créatrice

                                                                                                                         

117 Terme utilisé par Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin à propos du travail de Michel Pomarède, in 50 ans de France Culture, Paris, Flammarion, 2013, p. 231

118 Même si la présence du « je » heurte encore sur les ondes du service public français. Il est en revanche beaucoup

plus développé en Belgique, au sein de la RTBF.

119 Michel Pomarède, REA Vincent Decque, « Le faux-frère. Contre-attaque à Ithaque », 18-02-1999 120  Ibid, p. 22  

121 Entretien avec Michel Pomarède, 6 mai 2014 122 Ibid.

123 Ibid.

124 François Bon, REA Christine Robert, « La passion Rabelais : -1 : Pantagruel » P3, 06-12-1988 125  Colette Fellous, Op. Cit, 208 p.  

d’expériences et ces expériences contribuent à construire pour les producteurs un nouveau rapport au monde. Le producteur Jean Daive le reconnaît : On travaille pour savoir qui on est, je me suis

servi de la radio pour avancer126. Le producteur choisit alors son sujet en fonction de ses thèmes de

prédilection, il a une entière liberté pour explorer ce qui lui tient le plus à cœur. Le micro peut alors apparaître comme un prétexte pour explorer plus en avant ce qu’il n’avait pas l’occasion de rencontrer dans leur quotidien ou ce qu’il n’osait pas aller voir. Quand Jean-Pierre Milovanoff va par exemple rencontrer le dresseur de tigres Gilbert Houcke, il n’a pas à de lien particulier avec l’univers du cirque, seulement l’envie de rencontrer d’autres solitudes et d’entendre des histoires

de survie127. Il a toujours vu les gens comme des survivants, soit de leur propre enfance, soit de leur

propre vie, lui dont l’histoire de famille liée à la Russie a fait de son père exilé en France le seul survivant de sa famille. Gilbert Houcke semble éloigné au premier abord de sa propre histoire. Pourtant, lui-aussi est un survivant : il est sur un fauteuil roulant, suite à une attaque d’un de ses tigres. Cette rencontre a alors été selon lui l’une des rencontres les plus importantes de sa vie128. En plus d’une quête du réel, toute production pour les Nuits magnétiques est une quête de soi pour être le plus à même de retranscrire sa vision singulière du monde.

La radio peut prendre parfois chez les producteurs une dimension existentielle. Elle supplante même la vie. Alain Veinstein confie par exemple dans son autobiographie que la radio justifie son existence129. Seule la radio peut transformer [sa] vie en expérience de fond130. La radio est alors perçue comme une manière de vivre plus intensément131. En riant, Colette Fellous dit s’inspirer des mots de Marcel Proust et déclare : La vraie vie, c’est la radio132. La radio double la vie et elle aurait presque un usage thérapeutique. C'est ce qu'affirme également Julie Roué dans son mémoire sur l'intimité dans le documentaire radiophonique :

En parallèle à ce mouvement d'intégration de l'extérieur, à cette tentative de retenir entre ses doigts un temps friable, l'auteur fait un mouvement vers l'extérieur, il sort de lui-même en s'exprimant. {…] Ce cri est libérateur en soi : quelle jouissance d'oser hurler, vaincre ses barrières intérieures pour

échapper ce qui est au fond de lui !133

Par exemple, la productrice de « C’est pour savoir où je vais que je marche » se confronte à la réalité et à ce qui vient pour mieux la comprendre. Chacune de ces rencontres ponctue alors cette

                                                                                                                         

126 Propos de Jean Daive, pour l'émission Sur les docks, Op. Cit.

127 Propos de Jean-Pierre Milovanoff, pour l'émission Sur les docks, Op. Cit.

128Propos de Jean-Pierre Milovanoff lors de la journée d’étude organisée par l’ADDOR et l’INA du 18 mars 2016 : «

Territoires du documentaire sonore : Génération magnétiques, génération numérique »

129 Alain Veinstein, Radio Sauvage, Paris, Seuil, Coll. Fiction et Cie, 2010, p. 94 130 Ibid, p. 36

131 Entretien avec Colette Fellous, 19 novembre 2015, joint en annexe 132 Ibid.

trajectoire intérieure qui se traduit par une longue fuite en avant, comme une éternelle préparation. Alain Veinstein conlut :

Je revendique l’extraterritorialité pour une radio considérée comme un moteur d’expériences émotionnelles de toute sorte en nous liant à l’existence et en nous donnant l’impression de vivre davantage de vie. Comme un lieu de rencontre de présences irréfutables. Il s’agit de faire émerger quelque chose du tumulte, du chaos ambiant. De faire passer des

intensités, des beautés et des vérités journalières134.

Finalement, ce programme nocturne traduit l’intimité la plus viscérale du producteur en ce qu’il est un espace librement dédié à l’aventure d’être en vie135.

9-2 L’anonyme et le cadeau de la parole

9-2.1 Vers une revalorisation de l’anonyme dans les années 70

En 1976, Michel Foucault déclarait : L’homme en Occident est devenu une bête d’aveu136. Ce n’est plus nécessairement l’homme de l’élite qui est amené à se confier mais l’homme dans son acception la plus large. L’anonyme envahit alors les sciences humaines, les arts et de plus en plus à la radio. Nuits magnétiques est l’incarnation de ce bouleversement sociétal des années 70 qui donne la parole à l’anonyme.

Les années 70 voient en effet une revalorisation de l’anonyme sous l’effet du développement et de la popularité grandissante de l’ethnographie et de la sociologie. Oscar Lewis par exemple en 1963 enregistre ses entretiens au magnétophone pour ensuite les retranscrire à l’écrit pour son ouvrage Les enfants de Sanchez137. La parole de l’anonyme s’invite dans une nouvelle méthode

d’investigation en sciences humaines fondée sur des récits de vie. Ils sont de plus en plus nombreux, ethnologues ou journalistes, à vouloir faire voir ce qui échappe à la vue, à saisir l’insaisissable, à constituer comme objet de connaissance une sorte d’autre absolu, vers ce qui est en deçà de

l’écriture, à la recherche d’une mythique sincérité138 . La photographie par exemple s’intéresse de

plus en plus à la vie quotidienne et voit l’anonyme prendre de plus en plus de place sur les clichés139. Ce n’est plus la dignité du sujet qui commande la valeur de l’œuvre d’art. L’art

                                                                                                                         

134 Alain Veinstein, Op. Cit, p.131

135 Propos prononcés par Alain Veinstein lors de la dernière émission de Surpris par la nuit en 2009, repris dans son

autobiographie Radio Sauvage, Op. Cit, p. 31

136 Michel Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, 1976, p. 78 sqq.

137 Cité par Philippe Lejeune, Je est un autre, L’autobiographie de la littérature aux médias, Paris, Seuil, 1980, p. 229 138 Ibid.

139 On pourrait dater cette revendication de l’anonyme en photographie de 1955 avec l’exposition « The family of

man » d’Edward Steichen pour le MoMa de New-York : celui-ci fait appel à des gens du monde entier pour envoyer leurs photos et ainsi s’exposer dans une exposition de très grande envergure. Cette exposition visait à témoigner des valeurs de l’humanité et de leur caractère universel.

photographique va jusqu’à revendiquer une certaine « assomption du quelconque »140. Le cinéma aussi est symptomatique de cette évolution du statut de l’anonyme dans les mentalités. Avec le développement du cinéma documentaire, caractérisé comme « cinéma-vérité » dans les années 60, des personnes comme Jean Rouch et Edgar Morin vont révolutionner la manière de s’adresser à l’anonyme. Dans Chronique d’un été, quand ils posent les questions à des personnes lambda « Etes- vous heureux ? Comment vous débrouillez-vous avec la vie ? », on est alors très proche de la démarche de Nicole-Lise Bernheim au sein des Nuits magnétiques pour « L’espace des hommes » en 1979. Elle interroge en effet dans la gare du Nord ou dans des bistros des hommes au hasard avec cette question apparemment simple : « qu’est-ce qu’un homme ? ». Le cinéma-vérité devient radio-vérité aux Nuits magnétiques.

Les radios pirates, la libre-antenne qui se développe sur la radio d’Etat et les radios périphériques traduisent également ce basculement. On entend par exemple les auditeurs appeler le jeune écrivain Gonzague Saint-Bris sur Europe 1 pour l’émission Ligne ouverte en 1975141 ou les habitants cévenols s’exprimer au micro de Radio Solitude en 1976142. France Inter aussi donne la parole au quidam : notons la création de l’émission mythique de libre-antenne de France Inter Allô Macha (1977-2006) ainsi que l’OVNI radiophonique de Jean-Charles Aschero Les choses de la nuit (1976-1996). Cette parole se développe principalement la nuit. Des dizaines d’anonymes prennent la parole sur les ondes nocturnes. Nuits magnétiques s’empare de cette nouvelle figure qu’est l’anonyme au sein de France Culture et replace cette parole dans un format long et monté. L’anonyme n’est plus seulement présent à travers des émissions forum ou des émissions divans143 mais il s’incarne à travers une parole documentaire, qui prend le temps de se développer dans toute sa longueur144. Que la personne soit célèbre ou non, qui parle n’était pas important145, reconnaît Mehdi el Hadj. Par une sorte d’intégrité, seul prime l’intérêt de la parole, non son statut. Le respect pour cette parole est alors le principal moteur de l’émission. Il ne s’agit pas du tout de piéger les

gens146, affirme Alain Veinstein, mais de rendre service à leur parole. Nuits magnétiques incarne ce

basculement des années 70 qui donne une nouvelle visibilité à la figure de l’anonyme.

                                                                                                                         

140 Jacques Rancière, « Le partage du sensible », Mediapart, 15-09-2015. Consulté le 01-11-2015. 141 Marine Beccarelli, Les nuits du bout des ondes, Paris, INA Editions, 2014, p. 29

142 Christophe Deleu, Les anonymes à la radio, Usages, fonctions et portée de leur parole, De Boeck Supérieur, Coll.

Médias recherche, 2006, p. 44

143 Classification effectuée par Christophe Deleu, in Les anonymes à la radio, Op. Cit, p. 56-162

144 La parole documentaire radiophonique s’inscrit dans le prolongement de la parole documentaire cinématographique.

Gardons seulement en tête qu’elle reste marginale et ne s’est développée qu’au sein de la radio du service public ainsi que sur des radios associatives.

145 Propos de Mehdi el Had, pour l'émission Sur les docks, Op. Cit. 146 Ibid.

9-2.2 La radio comme épopée de l’intime

Philippe le Jeune, spécialiste de l’autobiographie, écrit en 1978, alors que Nuits magnétiques apparaît sur les ondes :

Dans quel sens l’évolution des médias est-elle en train de métamorphoser la manière dont chacun se vit comme sujet et vit ses relations avec les autres sujets ? Les Essais de Montaigne sont fils de l’imprimerie : qu’engendrera

l’ère du magnétoscope ?147

Nuits magnétiques est fille des évolutions techniques de la radio. Les nouveaux Nagra148 des années

70 permettent d’enregistrer des plages de plus en plus longues, ils sont de plus en plus maniables et permettent d’aller beaucoup plus facilement sur le terrain pour recueillir une parole authentique, prise sur le vif. Nuits magnétiques révèle le tournant de la société vers une intimité de plus en plus publique et médiatique. C’est la fin des Trentes Glorieuses et la France subit plusieurs crises. Les auditeurs nocturnes veulent de moins en moins entendre des émissions de vedettes et de fête. C’est la fin des paillettes et le micro se tourne de plus en plus vers l’anonyme149. La parole de l’anonyme se développe à la radio dans une logique citoyenne, dans le but d’élargir l’espace démocratique et de favoriser la connaissance et la compréhension du monde150. Alors que l’imprimerie a favorisé la diffusion de la parole intime d’une élite, le magnétophone donne la parole à tout un chacun.

La radio devient le média le plus à même à retranscrire l’intimité. En effet, la radio non seulement essaie toujours de créer un effet d’intimité, comme si elle ne s’adressait qu’à une seule