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4 ème PARTIE: Recommandations

1 Discussion d'ouverture

1.2 Vers de nouvelles pratiques

1.2.1 Approche globale, pluridisciplinaire et coopération

Par définition les PASS sont des dispositifs réglementairement «médico-sociaux». De même, dans le cadre de leur mission dans «la lutte contre l'exclusion sociale», l'activité doit se définir: «en relation avec les autres professions et institutions compétentes en ce domaine, ainsi que les associations qui œuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion, dans une dynamique de réseaux» (articles L.6112-1 et L.6112-2 du CSP).

Avec un peu de recul, D. Fassin reprend la distinction significative classique en langue anglaise entre les trois termes illness, disease et sickness (quand la langue française ne dispose que du seul mot maladie) [73]: illness renvoie ainsi à «l'expérience subjective» de la maladie, disease à une «réalité biomédicale» issue du diagnostic du médecin, et sickness à la «réalité socioculturelle de la "maladie"» [74].

Ainsi, avant d'être une stratégie pour l'intervention, l'approche globale relève d'abord d'une évidence pratique. D'une part la maladie au-delà de sa dimension biologique est aussi socialement définie, d'autre

I Pour reprendre la citation de M. Foucault, rendre «prisonnier du passage» [2:26].

part les rapports médecin-malade «sont inscrits dans les rapports structurels de la société globale» [4:75]. Elle relève ensuite des conséquences des déterminants sociaux de la santé.

Cette approche globale recommandée doit tendre à favoriser un accueil personnalisé, intégrant des dimensions psychologiques, culturelles et de représentations, sociales et administratives qui peuvent définir un individu. C'est par l'intégration de cet ensemble environnemental complexe et interactif, qui participe à la fois au développement de la maladie, à son vécu subjectif et aux possibilités de la soigner, que des interventions adaptées peuvent ensuite se développer.

En ce sens, c'est une approche par l'écologie humaine (c'est-à-dire des rapports interactifs et d'adaptation qui lient l'homme à son environnement biologique, social et culturel) qui doit être envisagée [75].

Mais la finalité de cette approche s'inscrit dans une démarche ni de recherche ni d'ailleurs réellement humaniste. Elle contribue plutôt à une stratégie d'optimisation de l'adhésion des patients, vers une meilleure observance. Dès lors que des limites éthiques sont posées, cela peut surtout favoriser une meilleure connaissance et une compréhension plus fine des logiques et des situations des personnes soignées. E. Goffman, par exemple, parle de presenting culture ("culture importée", propre à la personne malade) sur le modèle des presenting symptoms (symptômes présentés au regard médical) [13:55].

Ces modes de pratiques ne sont par ailleurs pas spécifiques des dispositifs de lutte contre l'exclusion. Dans la suite du soutien aux personnes vivant avec le VIH notamment, ils se sont développés dans le cadre du suivi d'autres maladies chroniques comme le diabète. On les retrouve aussi dans la prise en charge de la douleur, des soins palliatifs ou de la toxicomanie par exemple.

Les stratégies intersectorielles et pluridisciplinaires peuvent participer de cette approche écologique. Au-delà, ce sont de nouvelles formes d'interventions qui peuvent se développer, dans le sens de la coopération. La coopération est d'abord un travail en équipe. Celle-ci doit s'étendre selon les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) «au-delà des coopérations entre médecins et infirmiers, à l’ensemble des professions de santé, aux autres professions intervenant dans le domaine sanitaire (travailleurs sociaux notamment), jusqu’aux patients, acteurs de leur propre prise en charge» [76]. Cela nécessite des moyens professionnels, une disponibilité et surtout un décloisonnement des compétences et des légitimités de chaque professionnel, dans le respect des principes éthiques et règlementaires. Les nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé en particulier sont définies par l'HAS « comme une nouvelle répartition de tâches existantes ou la répartition de nouvelles tâches entre professionnels de santé», selon une double logique: «de substitution et de diversification des activités» [76].

A la PASS de Chambéry, les réunions de concertation entre les différents partenaires professionnels des secteurs médicaux, paramédicaux et sociaux ou les interventions conjointes médicales et sociales ou encore le partage des responsabilités para-médicales et médicales illustrent les potentialités de ces nouvelles stratégies de coopération.

1.2.2 Accompagnement socio-médical et "capacitation"

L'accompagnement se trouve au cœur de la pratique de la PASS. Entre accompagnement et assistance, nous l'avons souligné, les différences restent parfois mal définies, les frontières mal délimitées. Comme le présente le psychiatre JP. Martin: « "partager le pain" , origine étymologique du mot accompagnement, sert à grandir et devenir adulte et pas seulement subsister dans l’assistance».

L'accompagnement contient des notions complexes qui évoquent à la fois une rencontre, une relation, un échange et un don. Des dimensions philosophiques, sociologiques et subjectives s'associent.

L' évolution des politiques publiques, notamment en santé publique et dans le domaine socio-médical, recycle par ailleurs cette notion d' accompagnement à tous les niveaux.

Or l'accompagnement ne peut pas se transformer en un cheminement imposé vers une insertion normative et en partie illusoire. En ce sens, JP. Martin souligne : «Accompagner n’est donc pas une prescription mais une relation humaine [...] une possibilité de destin personnel dont la rencontre avec le collectif n’est pas soumission» [77].

A travers l'accompagnement, deux éléments essentiels doivent alors se développer: le lien social et l'autonomisation.

A la fois le recours aux soins peut favoriser la création de lien social, et dans le même temps, le lien social apparaît tel un élément constitutif du soin. Nous l'avons observé dans notre enquête à travers les discours rapportés, dans les pratiques développées à la PASS comme dans la littérature.

L'idée d'autonomisation ensuite peut se rapprocher des concepts de capacitation ou d'empowerment. L’empowerment est un processus ou une approche qui vise à favoriser le pouvoir d’action, de décision d’influence des personnes (mais aussi des groupes de personnes) sur leur environnement et leur vie, «c’est ce phénomène qui confère à chaque individu une capacité de revendication» [78]. En ce sens, cela ne se limite pas à la reconnaissance ou au recouvrement des droits. Cela renvoie à la justice autant qu'à la liberté de choix.

En pratique, pour reprendre des cadres fonctionnels identifiés, il nous apparaît que ces différentes notions peuvent se rejoindre autour des stratégies développées autour des approches palliatives et de la réduction des risques.

Pour les soins palliatifs, nous reprenons là une partie de la définition qu'en donne la Haute autorité de santé: «soins [...] évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe pluriprofessionnelle. Ils ont pour objectif, dans une approche globale et individualisée, de prévenir ou soulager [...] d’anticiper les risques de complications et de prendre en compte les besoins psychologiques, sociaux et spirituels dans le respect de la dignité de la personne soignée» [41]. Il ne s'agit évidemment pas d'un renoncement aux soins ou d'un accompagnement vers la mort, mais au contraire d'ouvrir des possibilité de soins. Peut s'y associer aussi la locution hippocratique primum non nocere.

Le principe de réduction des risques s'est développée dans le cadre des interventions auprès des "usagers de drogue" dans le contexte de l'épidémie de sida, il est inscrit dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique du code de santé publique, mais peut s'étendre à d'autres publics et d'autres contextes dans le cadre général de la promotion de la santé. La réduction des risques ou des méfaitsI désigne une approche pragmatique, participative et de proximité, s'opposant à un idéalisme

moralisateur [79].

C'est ainsi par une combinaison de ces différentes approches (capacitation, approche palliative et réduction des risques) que pourrait se redéfinir, selon nous, une forme subtile d'accompagnement socio- médical et d'intervention des soignants auprès des personnes en situations de précarité, et peut-être plus généralement.

1.2.3 Ethique de l'intervention

Le pouvoir médical en général, les liens entre le médical, le social et le "champ politique" (essentiels dans notre problématique) imposent des règles éthiques à la conduite des interventions des soignants. L'approche globale et la coopération les requièrent également.

Nous évoquons là seulement quelques éléments généraux en relais des préoccupations quotidiennes, en partie soulevées dans ce travail.

I Selon une définition initiale large: «une démarche de santé collective visant, plutôt que l'élimination de l'usage

des psychotropes (ou d'autres comportements à risque ou «addictifs»), à ce que les principaux intéressés puissent développer des moyens de réduire les conséquences négatives liées à leurs comportements» [79].

Nous l'avons redit, une approche écologique est une nécessité pour favoriser un accueil et des propositions de soins adaptés aux personnes. Mais elle ne doit pas se transformer en une ingérence. Elargir l'observation médicale à une connaissance et une compréhension des dimensions plus globales des individus ne signifie pas s'immiscer par la contrainte et un regard normatif.

Les éléments sociaux ou politiques, voire judiciaires, qui peuvent influencer les démarches de santé peuvent être intégrées aux actions de santé, mais sans les déterminer. Des frontières entre ces différents pouvoirs et ces différentes logiques doivent être préservées.

Le respect des volontés individuelles, dans les cadres du soin, doit rester l'élément fondamental qui guide nos actions. En ce sens, l'acte thérapeutique en particulier, la relation intime soignant-soigné ne peuvent être "corrompus" par des impératifs relevant d'ordres sociaux ou politiques. Dans l'action sanitaire, en matière de promotion de la santé notamment, des limites s'interposent aussi à ce niveau. Enfin, dans ces liaisons parfois dangereuses mais également dans le cadre de la coopération et du travail pluridisciplinaire [80], le respect de la confidentialité et du secret médical apparaissent comme un impératif. Il est à la fois une obligation pour favoriser la confiance des personnes et une garantie pour limiter les risques de collusion entre les différents pouvoirs.