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2 ème PARTIE : Problématique

2 Accès aux soins des personnes en situations de précarité

Même si cette thématique peut sembler marginale dans les champs médicaux ou de l’épidémiologie, les études produites et la littérature apportent cependant de nombreux éléments de connaissance et d’orientations. Nous relevons ici quelques travaux spécifiques qui construisent notre problématique, sous une forme de revue mais sans exhaustivité, et nous limitant aux données françaises.

L’Enquête Soins et protection sociale (ESPS) de l’IRDES apporte une analyse détaillée des déterminants individuels de la santé, de l’état de santé déclaré et des recours aux soins, à l’échelle exclusivement nationaleII [16]. Un sur-échantillon de patients bénéficiaires de la CMUC est enquêté

depuis 2006. Deux nouvelles problématiques sont analysées en 2008: l’accès aux soins des assurés CMU-C selon une approche par le renoncement aux soins, et un rapprochement avec les centres d’examen de santé pour une comparaison des résultats des échantillons ESPS et des centres techniques d’appui et de formation des centres d’examens de santé (CETAF) selon les scores Epices. Si ces éléments confortent une orientation descriptive en direction des personnes en situations de précarité, précisons que seuls les affiliés à un régime d’assurance maladie et disposant d’un logement personnel sont enquêtés, excluant les bénéficiaires de l’AME, les personnes en hébergement collectif ou sans domicile.

S’appuyant en partie sur ces données, la DRESS a analysé le recours aux soins pour les bénéficiaires de la CMUC, en 2006 [44]. Si les données confirment le moins bon état de santé (selon le mini module européenIII), l’étude rapporte que le renoncement déclaré aux soins (15% pour les hommes, 20% pour les femmes), essentiellement optiques et dentaires, n’est pas significativement différent de celui déclaré par les personnes bénéficiant d’une assurance complémentaire privée. Un recours moins fréquent au médecin spécialiste est cependant constaté, notamment de la part des femmes, ce recours au spécialiste se faisant plus fréquemment dans le cadre d’une consultation hospitalière (deux fois plus fréquent dans ce cadre que celui des personnes couvertes par une protection complémentaire privée).

I L'évaluation réaliste est un concept d'évaluation des interventions (en santé publique) dans des systèmes

complexes et auto-adaptatifs, basé sur des études de cas. La question centrale n'est pas "est-ce que ça marche?" mais plutôt "comment ça marche?"[43].

II Réalisée tous les deux ans, ESPS est effectuée auprès d’un échantillon d’assurés sociaux de 7 000 ménages,

correspondant à 20 000 personnes.

III Le mini-module européen est un indicateur de l'état de santé qui comprend les déclarations de l'état de santé

Une enquête sur les bénéficiaires de l’AME en contact avec le système de soins a aussi été menée par la DREES à Paris, en Seine-Saint-Denis et au Val-de-Marne en 2007, essentiellement dans des structures hospitalières ou associatives auprès de 1236 personnes consultantes ou hospitalisées et des médecins concernés [45]. Un bénéficiaire de l’AME sur quatre déclare avoir renoncé à des soins au cours des 12 derniers mois. Le renoncement pour raison financière concerne essentiellement des soins de premier recours : médecin, médicaments et examens médicaux. Plus d’un bénéficiaire de l’AME sur trois a expérimenté un refus de la part d’un professionnel de santé, le plus souvent un médecin ou un pharmacien (de nature donc différente des refus de soins des bénéficiaires de la CMUC). Un besoin de soins urgents en lien avec un retard dans l’accès aux soins (principalement engendré par les obstacles financiers et les refus de soins) est observé pour 15% des consultants, près de 50% des personnes hospitalisées. Les résultats de cette enquête ne sont pas représentatifs de la population bénéficiaire de l’AME dans son ensemble, mais seulement des bénéficiaires ayant un recours aux soins dans les structures enquêtées et ayant accepté de répondreI.

L’IRDES a mené entre 1999 et 2000, avant la mise en place de la CMU, une enquête dite Précalog auprès des consultants de 80 centres de soins gratuits en France, avec près de 600 patients, sur leur état de santé et leurs modes de recours aux soins [46]. Le recueil de 24 récits de vie qualitatifs a permis de réaliser une analyse sociologique de leurs rapports à la santé et au système de soins. Une appréhension et une méfiance à l’égard des médecins sont observées : une personne sur huit déclare avoir peur d’aller chez le médecin, plus une personne déclare de problèmes avant 18 ans et plus cette peur du médecin est présenteII. L’analyse multidimensionnelle des données a permis de construire une typologie des recours

aux soins, qui révèle trois logiques: « d’adhésion aux soins médicaux », « de résistance à la démarche de soins médicaux », « de refus des soins médicaux ou de renoncement ». Les logiques d’adhésion aux soins correspondent plus souvent à des conditions de vie moins dégradées. Le « cumul des facteurs exogènes et endogènes de la précarité » s’associe à un refus ou un renoncement, en particulier pour les individus ayant déclaré au moins deux problèmes juvéniles, ceux ressentant des sentiments de menace ou d’anxiété dans leurs relations avec les médecins. L’étude relève ainsi « une très forte concordance entre les difficultés à mobiliser les ressources de protection de soi et un état de détresse, d’isolement et de manque affectif fortement ancré ».

Sociologue, I. Parizot a étudié les rapports qui lient les patients de centres de soins gratuits avec leur prise en charge et le personnel de ces centres, les identités et les liens sociaux associés. Dans l’ouvrage « Soigner les exclus » [47], elle analyse « l’influence des cadres de l’assistance socio-médicale sur la carrière morale des patients démunis », cherche à comprendre les « processus de construction

I Les maladies infectieuses graves (hépatites virales, infection au VIH, tuberculose) constituent par ailleurs 9 %

des diagnostics, alors même que l’incidence de ces pathologies est très faible en population générale.

II L’analyse détaillée des réponses indique que des logiques de défiance semblent plus ancrées parmi les

populations précarisées. Les entretiens suggèrent néanmoins que cette méfiance, souvent reliée à l’histoire personnelle, reste en général circonscrite à un groupe de soignants (médecins libéraux et psychiatres notamment).

identitaire » et les « rapports de sens », sous l’angle de l’institution de soins. Une typologie dynamique des expériences vécues par les patients se dégage en fonction du mode de fréquentation:

- à la fréquentation ponctuelle s’associe des expériences d’humiliation ou de pragmatisme,

- à la fréquentation régulière s’associe des modes d’adaptation avec une expérience d’apprentissage, puis d’installation, puis (et/ou) une phase de revendication de la prise en charge,

- à la fréquentation instable, signe d’une distance des institutions, peuvent enfin s’associer une instrumentalisation des services ou à l’inverse une crise dans la marginalité liée à la stigmatisation et la répétition d’expériences d’échec.

Initialement 3 centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) de Médecins du Monde et un « dispositif précarité » de l’AP-HP, entre 1995 et 1998, ont constitué le terrain de l’enquête ; celle-ci s’est par la suite étendue, et associée à une étude socio épidémiologique: le projet Précar, mené entre autres par P. Chauvin et l’INSERM [48].

Ces équipes élargies, regroupées au sein du programme de recherche « Santé, inégalités et ruptures sociales », ont constitué la cohorte SIRSI, sur-représentant les personnes des quartiers en difficulté et recueillant des données approfondies sociales, sanitaires et territoriales, objectives et subjectives, en particulier sur le recours aux soins (assurance, préventif, curatif). Les dimensions à la fois transversales et longitudinales sont ainsi explorées, et des facteurs territoriaux et d’intégration sociale mis en lumière. Enfin, l’Observatoire de l’accès aux soins de la mission France de Médecins du Monde présente un rapport annuel issu du recueil de données relatives aux conditions de vie, aux difficultés sanitaires, d’accès aux droits et aux soins des personnes accueillies dans 21 CASO. En 2009, 25863 personnes (dont 90% étrangères) ont bénéficié de 40341 consultations médicales et dentaires ; 62 % des patients n’ont vu le médecin qu’une seule fois. Un accompagnement social est aussi proposé, orienté principalement sur le droit à l’assurance-maladie. Selon le rapport 2009 de l’observatoire [49], pour près de la moitié des diagnostics posés, les patients nécessitent une prise en charge d’une durée d’au moins 6 mois. Plus de 84 % des patients n’ont aucune couverture maladie lorsqu’ils sont reçus la première fois dans les CASO et 81 % des personnes qui ont droit à une couverture maladie n’en ont aucune. Les problèmes de domiciliation (29%), la barrière linguistique (26 %), la méconnaissance de leurs droits et des structures délivrant des soins (26 %), les difficultés administratives (24 %) sont les obstacles principaux d’accès aux droits et aux soins relevés par les personnes consultantes, traduisant selon les rapporteurs « une complexité grandissante pour accéder aux droits ». En plus des difficultés

I Cette cohorte constitue un échantillon représentatif de l’agglomération parisienne (départements 75, 92, 93 et 94)

qui compte 3 000 individus interrogés dans cinquante Iris différents. Pour l’étude des déterminants sociaux de la santé et du recours aux soins, l’objectif est de comparer des caractéristiques socio-sanitaires en fonction du type d’îlots de résidence des individus : zone urbaine sensible (Zus), quartier de type « ouvrier » (et non situé en Zus) ou quartier de type « moyen ou supérieur » (et non classé en Zus), au cours de questionnaires menés en face à face. Ces questionnaires ont déjà été réalisés en 2005, 2007 puis 2009.

financièresI et des refus de soins persistants évoqués, le rapport souligne aussi que «le contexte répressif

et législatif a indéniablement pour effet l’éloignement des personnes des structures de santé et du recours à la prévention et aux soins ».