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1.2 Phénomènologie des systèmes vitreux

1.2.1 Les verres de spin

Les verres de spins sont des systèmes désordonnés et frustrés constitués d’un ensemble de spins sur un réseau. Pour les théoriciens, ce sont des systèmes modèles, dont le désordre est introduit par une constante de couplageJij aléatoire dans hamiltonien :

H ({Si}) = −X

i,j

JijSiSj − HX

i

Si (1.37)

Le signe desJi,j étant aléatoirement réparti sur le réseau, les spins subissent des interactions compétitives (ferromagnétiques - antiferromagnétiques) qui engendrent une frustration : tous les spins ne peuvent pas minimiser leur énergie libre simultanément.

Expérimentalement, une des manières15d’obtenir un verre de spin est la dilution d’ions gnétiques (par exemple Mn) sur un réseau non magnétique (par exemple Cu). Les ions ma-gnétiques occupent des sites aléatoires de la matrice et sont donc séparés par des distances aléatoires. Du fait du caractère oscillant des interactions RKKY [27], les spins interagissent avec une constante de couplageJ, de signe et de norme aléatoire, qui introduit la frustration.

Notons également qu’expérimentalement, le désordre est fixé par la configuration unique des ions magnétiques et n’évoluera pas dans le temps : on parle de désordre gelé.

A haute température, le système possède une aimantation nulle, l’orientation des spins étant désordonnée par l’agitation thermique : c’est la phase paramagnétique. Si l’on abaisse la tem-pérature en absence de champ magnétique, le système de spins semble se bloquer, au voisinage d’une températureTg, dans une configuration aléatoire, qui relaxe très lentement. L’aimanta-tion globale du système étant également nulle à basse température, l’aimantaL’aimanta-tion n’est pas un bon paramètre d’ordre de la transition. En revanche, l’existence d’irréversibilités magnétiques est observée : la susceptibilité en fonction de la température est différente lorsque l’on refroi-dit l’échantillon en absence de champ magnétique (ZFC)16 ou lorsque l’on refroidit l’échan-tillon dans un champ magnétique (FC) (voir par exemple [28]). Ce phénomène ne traduit pas nécéssairement l’existence de phénomènes collectifs et pourrait exister pour un système para-magnétique ou chaque spin est bloqué par une barrière d’anisotropie individuelleEa. Dans un tel cas, tous les moments sont indépendants et la relaxation correspond à un franchissement individuel de la barrière d’anisotropie avec un temps caractéristiqueτ :

τ = τ0eEa/kBT (1.38)

oùτ0 est un temps de relaxation individuel d’un spin, de l’ordre de 10−12s. Lorsque la tem-pérature diminue, le temps caractéristique τ augmente fortement et peut atteindre le temps

expérimentaltexp caractéristique du changement du taux de refroidissement. A partir d’une températureTb(la température de blocage), les spins n’ont alors “plus le temps” de relaxer, et le système quitte l’équilibre thermodynamique pour atteindre un régime bloqué.

Les expériences amenées à prouver que la transition vers un verre de spin est une véritable transition de phase statique se sont multipliées dans les années 1980. La capacité calorifique d’un verre de spin est mesurée en fonction de la température dans [29]. Au lieu d’une diver-gence de la chaleur spécifique (témoin d’une transition de phase du second ordre), les auteurs rapportent un pic étalé à une température supérieure àTg. La susceptibilité non-linéaire suit

16ZFC=Zero Field Cooled : le système est refroidi à 5K en abscence de champ magnétique extérieur. Un champ magnétique est alors appliqué et l’aimantation est mesurée en réchauffant progressivement le système. FC= Field Cooled : le système est refroidi en présence d’un champ magnétique. Les deux mesures ZFC/FC peuvent être réalisée à la suite l’une de l’autre

par contre un comportement en loi d’échelle au voisinage deTg [30] comme cela est attendu pour une transition de phase statique.

Des arguments supplémentaires en faveur d’une transition de phase sont apportées par les mesures de susceptibilité dynamiques alternatives, en mesurant la réponse du système à un champ magnétique oscillant à la pulsationω. Si le système est un système paramagnétique

bloqué par une barrière d’ anisotropie, il existe pour une pulsationω donnée (définissant un

temps expérimentaltexp = 1/ω) une température Tb(ω) pour laquelle le système se bloque.

Dans ce casTb(ω) doit vérifier :

1 ω = τ0e

Ea/kBTb(ω)

(1.39)

Pour les verres de spins, l’équation précédente n’est pas vérifiée pour des valeurs réalistes deτ0. Le ralentissement dynamique ne peut pas s’expliquer par un blocage parmagnétique. En revanche, un scaling ressemblant à celui observé dans les transitions de phases (ralentis-sement critique, que nous avons développé précédemment) est compatible avec les données expérimentales [31] :

1

ω = τ0(1 − T/Tg(ω))−zν (1.40)

Il y a donc dans le cas des verres de spin des indices forts d’une transition de phase classique au sens de la thermodynamique, puisqu’il y a un comportement critique de certaines gran-deurs thermodynamiques. Mais le système est hors de l’équilibre thermodynamique dans la phase verre de spin et possède de ce fait des propriétés qui ne sont pas décrites par la physique statistique usuelle, à l’équilibre thermodynamique.

Les verres de spins présentent, pour des températures inférieures à Tg des dynamiques lentes. Si par exemple le système est trempé sous la température Tg puis que l’on applique un champ magnétique pendant une duréetw avant de le couper, la relaxation de l’aimantation thermorémanente (TRM) est lente, de forme logarithmique et dépend fortement du tempstw

(voir figure 1.3). Ceci traduit l’existence d’une large distribution de temps caractéristiques et d’une dynamique non-stationnaire. Une estimation de la distribution de temps caractéristiques

peut être obtenue en écrivant :

M(t, tw) = Z

dτ g(τ, tw)e−t/τ (1.41)

puis en prenant la dérivée logarithmique de M, on montre que :

dM

dlnt(t, tw) ≈ g(t, tw) (1.42)

Suivant cette méthode (que nous utiliserons par la suite), on obtient des distributions de temps expérimentalesg(t, tw) qui ont un pic élargi autours de t = tw. En dessous de la température

Tg, le système évolue lentement hors de l’équilibre : il vieillit. On constate expérimentalement que les courbes de relaxation à différentstwpeuvent grossièrement se rejoindre sur une courbe maîtresse si l’on trace les relaxations en fonctions det/tw. Un véritable scaling [32] est obtenu en introduisant une échelle de temps effectiveλ sur laquelle le système a un âge constant :

dλ tµw

= dt

(t + tw)µ (1.43)

où le paramètreµ est un exposant proche et inférieur à 1 utilisé pour le rescaling : on parle de

sous-vieillissement. On parvient effectivement de cette manière17 à rassembler les courbes à différentstw (voir figure 1.3).

Lorsqu’un stress est appliqué dans un verre de spin au cours de sa relaxation - comme par exemple l’application d’un champ magnétique constant [15] pendant une mesure de re-laxation de susceptibilité alternative, un effet de “rajeunissement” du système est rapporté expérimentalement : tout se passe comme si le système avait un âge inférieur. Nous verrons que des phénomènes analogues sont observés dans des verres colloidaux sous cisaillement pour lesquels une contrainte mécanique facilite la dynamique du système [33].

Le vieillissement d’un verre de spin est très peu dépendant du taux de refroidissement avec lequel la transition vitreuse est franchie (contrairement, nous le verrons au cas des verres moléculaires). En revanche, les expériences concernant les effets d’une variation de la tem-pérature (T → T − ∆T , pendant un temps t2) durant le vieillissement [34] montrent que les

17Il faut également retirer aux relaxations d’aimantation une composante d’équilibre, qui s’écritMeq = At−α, voir [25, 32].

FIG. 1.3 –A gauche : relaxations thermorémanentes de l’aimantation d’un verre de spin pour différents temps d’attentetw. A droite, rescaling des courbes sur une courbe maîtresse. Extrait de [32]

phénomènes de vieillissement à deux températures voisines ne sont pas trivialement reliés. Un modèle théorique proposé par BOUCHAUD considère que le système explore des vallées d’états métastables au cours de son vieillissement. Lorsque la température est abaissé de∆T

l’activation thermique diminue et la dynamique du système est controlée par de nouvelles barrières d’énergies plus basse : c’est “l’effet microscope” de la température [35]. Ce modèle permet de comprendre comment le système garde une mémoire de son histoire thermique au cours du vieillissement, comme cela est observé expérimentalement dans [34, 35]. Des pro-priétés semblables sont observées par des mesures de relaxation diélectrique dans un verre de polymère (le PMMA) [36].

La description rigoureuse des phénomènes physiques responsables du vieillissement dans les verres de spins n’est pas encore achevée. Cependant, des simulations numériques [37] montrent qu’un ordre local d’orientation des spins croit lentement au cours du vieillissement (voir figure 1.4). Plus le système est vieux, plus les domaines corrélés de spins sont grands et plus leurs relaxations s’en trouvent ralenties. Expérimentalement, une méthode est proposée dans [15, 38] pour extraire cette longueur de corrélation en utilisant le couplage Zeeman entre les spins et un champ magnétique.

→ Nous utiliserons cette méthode dans la partie 3.3.2 pour extraire la longueur de

corrélation dans un verre de superspins, consititué de nanoparticules magnétiques dispersées dans un solvant gelé. Rappelons donc brièvement cette méthode :

Supposons que la dynamique est thermiquement activée et que la relaxation du système dans un champ magnétiqueH0 faible, avec un temps caractéristiqueτ ≈ tw, peut se représenter comme le franchissement d’une barrière d’énergie libre∆ :

∆(H0) = kBT ln(tw0) (1.44)

Imaginons maintenant que l’on reproduit la même expérience avec un champ magnétique

H > H0. Expérimentalement la relaxation de l’aimantation est plus rapide et la distribution de temps caractéristique est piquée autours d’un âge effectif (qui dépend de la valeur deH), tef f

w < tw. Cet effet peut s’expliquer si l’on suppose que cette accélération est liée à un cou-plage Zeeman entre les domaines de spins corrélés (Ns(tw) spins) et le champ magnétique

extérieur qui diminue la barrière d’énergie que doit franchir le système pour relaxer en pré-sence d’un champ magnétique :

EZ(H) = ∆(H0) − ∆(H) (1.45)

EZ(H) = kBT ln(tw/tef fw ) (1.46)

Nous avons introduit l’énergie ZeemanEZ = − ~M . ~H, où ~M est l’aimantation caractéristique

desNsspins corrélés à l’âgetw. Reste alors à écrire explicitement la relation entreM et Ns. Plaçons nous à l’échelle d’un domaine de spins corrélés. La direction des spins étant aléatoire, l’aimantationM dans une direction (Oz) est proportionnelle à la variance de la distribution

d’orientation des spins et croit commeNs1/2. L’énergie Zeeman s’écrit alors :

EZ = Ns1/2µH (1.47)

oùµ est le moment magnétique d’un spin.

Si l’on se place en revanche à l’échelle macroscopique, l’aimantation du système est une grandeur extensive, donc d’une part proportionnelle au nombre de spins et donc àNset d’autre

part proportionnelle au champ magnétiqueH : M = NsχH, χ étant la suceptibilité d’un spin.

Dans ce cas, l’énergie Zeeman s’écrit :

EZ = NsχH2 (1.48)

Expérimentalement, suivant l’équation 1.46, il est difficile de trancher quant à un comporte-ment enH ou en H2 de l’énergie Zeeman, mais l’ordre de grandeur de Ns est comparable dans les deux situations. Nous avons représenté sur la droite de la figure 1.4 les résultats obtenus dans [38] pour différents verres de spins de type Heisenberg. Les données expéri-mentales montrent que le nombre de spins corrélés croit en fonction de l’âge du système et que sa variation est bien ajustée par une loi de puissance en fonction de l’âge du système :

Ns ∼ (tw0)0.45T /Tg, un résultat en bon accord avec les calculs de longueur de corréla-tions (issus de corrélateurs à quatre points) par simulation numérique [39] en considérant que

Ns ∼ L3 (système compact). Dans les verres de spin d’Heisenberg, le comportement semble universel et la longueur de corrélation varie, aux âges mesurés, de 10 à 100 unités du réseau. Pour les verres de types Ising, la longueur de corrélation obtenue est plus faible (∼ un

fac-teur 10), en accord avec [37], mais augmente plus vite avec l’âge du système [10]. Autrement dit, le vieillissement est différent pour les verres de spins d’Heisenberg et d’Ising et un com-portement critiquet ∼ Lz ne parvient pas à décrire l’ensemble des résultats. Une approche phénoménologique dans le cadre du modèle “Droplet” [40, 41] conduit à un comportement mixte entre un régime critique (décrit précédemment) et un régime “super-activé” pour lequel les barrière d’énergie croissent en(1 − T/Tg)ψν lorsque la température est baissée. Le temps

t nécéssaire à un réarrangement des spins à l’échelle spatiale s’écrit alors [10] :

t = τ0LzexpΥ0(1 − T/Tg)ψνLψ

FIG. 1.4 –A gauche : Images 3D issues de la simulation numérique [37]. Orientation relativeθi des spins Si pour deux copies identiques(a, b) d’un verre de spin d’Heisenberg. L’échelle de gris représente la valeur decosθi = Sa

i(tw).Sb

i(tw) pour des valeurs croissantes (de gauche à droite) de l’âge tw. A droite, nombre de spins corrélés dans différents verres de spin d’Heisenberg, en fonction de la variable réduiteT /Tgln(tw/τ0) extrait de mesures par effet Zeeman [38]. La ligne correspond à un ajustement par une loi de puissanceNs (tw/τ0)0.45T /Tg.