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La transition verre de superspins

2.3 Les transitions vitreuses des ferrofluides

2.3.2 La transition verre de superspins

L’engouement pour la recherche sur les nanoparticules magnétiques s’explique, nous l’avons vu, pour ses applications possibles en médecine et en science des matériaux. Une autre ap-plication prometteuse des ces nanoparticules concerne le stockage magnétique d’information à haute densité36 [167]. Une meilleure compréhension des comportements collectifs des mo-ments magnétiques à forte concentration et de leur effet sur la dynamique individuelle des moments, est nécessaire pour disposer de produits fiables. Sur un plan fondamental, les dis-persions gelées de nanoparticules magnétiques sont également largement étudiées depuis une dizaine d’année [127,168], dans le domaine du magnétisme pur (notamment l’étude des effets de surface et des effets de tailles) et dans le domaine de la physique statistique des systèmes désordonnés : nous verrons que ces dispersions sont, à forte concentration et à basse tempé-rature, des systèmes magnétiques désordonnés et frustrés qui présentent certaines analogies avec les verres de spins atomiques.

En effet, lorsque l’on gèle un ferrofluide en absence de champ magnétique extérieur, le

tème constitue une assemblée désordonnée de moments magnétiques géants (souvenons-nous queµ ∼ 104µB) en interaction : on parle de superspins. Une des premières différences entre ces systèmes et les verres de spins provient de la nature de l’interaction entre moments gnétiques. Dans le cas des nanoparticules dispersées dans un solvant gelé, les moments ma-gnétiques interagissent par l’interaction dipolaire magnétique, anisotrope et de longue portée. La distance caractéristique entre nanoparticules est de l’ordre de la dizaine de nanomètre et les interactions d’échange, de courte portée sont négligeables. Dans le cas des spins atomiques, nous avons vu au contraire que les interactions étaient des interactions d’échange. Les inter-actions dipolaires existent également dans le cas des verres de spins, mais sont généralement négligeables devant celles d’échange. Une seconde différence provient des échelles de temps mises en jeu : là où le temps individuel d’essaiτ0 d’un spin atomique est de l’ordre de10−12

s, ce temps est beaucoup plus long∼ 10−8s dans le cas de nos particules magnétiques, et peut être thermiquement activé. Ce décalage des échelles de temps a une conséquence : dans le cas des verres de spins, le rapport entre le temps accessible expérimentalementtexp et le temps d’essai est de l’ordre de108 à 1017. Dans le cas des simulations numériques ce rapport (texp

est alors le temps de simulation) varie de 1 à 105. Les systèmes de particules magnétiques possède une échelle de temps incluse entre ces deux extrêmes et se rapproche donc des temps accessibles aux simulations numériques.

Il existe d’autres avantages expérimentaux inhérents à ces systèmes : tout d’abord, la sélection de la taille des particules permet d’ajuster l’intensité des interactions dipolaires et également d’utiliser des superspins plus ou moins anisotropes. Par la suite, la fraction volumique de par-ticules, qui peut être variée facilement permet un second ajustement du niveau d’interaction entre moments.

En gelant le ferrofluide nous avons introduit deux types de désordre : le premier provient de la position aléatoire des particules les unes par rapport aux autres, le second du désordre d’orientation des axes d’anisotropie magnétiques, puisque le système a été gelé en absence de champ magnétique extérieur. A faibles fractions volumiques, les interactions dipolaires sont négligeables et le système est bien décrit par des modèles à particules indépendantes

(lois de Langevin, voir partie 2.2.1). En revanche, à fortes concentrations, les interactions dipolaires magnétiques ne sont plus négligeables et le désordre induit une frustration entre moments magnétiques qui ne peuvent pas toute à la fois minimiser leur énergie libre, une telle situation laissant présager de fortes analogies avec les verres de spins atomiques. Alors qu’à “haute température” (T > Tg) le système est superparamagnétique, la phase à basse température (T < Tg) est un état bloqué qui relaxe lentement et présente des dynamiques non-stationnaires. Néanmoins, il faut s’assurer expérimentalement que le système subit effec-tivement une transition à basse température vers un verre de superspins. Pour cela un certain nombre de protocoles expérimentaux standards aux verres de spins sont appliqués, afin de s’assurer notamment du ralentissement critique de la dynamique au voisinage deTg. Les ré-sultats expérimentaux présentés dans [169, 170] montrent qu’effectivement les dispersions concentrées de nanoparticules de maghémite forment une phase verre de superspins à basse température. Les scalings dynamiques montrent que ces systèmes sont plus proches des verres de spins Ising (anisotropes) que des verres de spins Heisenberg.

Nous avons vu dans la partie 1.2.1 que le ralentissement de la dynamique au cours du viellissement dans les verres de spins, pouvait s’interpréter comme la croissance au cours du temps d’une longueur de corrélation au voisinage deTg. Dans cette thèse, notre objectif sera d’étudier le vieillissement de la dynamique des superspins dans leur phase vitreuse à basse température. Plus précisémment, il s’agit d’extraire cette longueur de corrélation, en utilisant la méthode décrite dans la partie 1.2.1 et de mesurer son évolution (sa croissance) au cours du vieillissement et de comparer nos résultats à ceux obtenus dans les verres de spins d’Ising et d’Heisenberg.

Cette étude a été effectué en collaboration avec S. NAKAMAEet. al. de l’équipe “Magnétisme à basse température” du Service de Physique de l’Etat Condensé, au CEA et vient s’associer à une étude en cours de réalisation dans leur laboratoire, sur la fabrication de micro-sondes de Hall, afin de mesurer localement une longueur de corrélation dynamique dans un verre de superspins. Pour des raisons pratiques associées à cette “expérience-compagnon” nous avons

FIG. 2.28 – Susceptibilité statiques ZFC (symboles creux) et FC (symboles pleins), obtenus sur l’échnatillon D21 à la fraction volumiqueφ = 12%.

choisi d’utiliser des nanoparticules de maghémite (d0 ∼ 8.6 nm) dispersées dans du glycérol,

à la fraction volumiqueφ ≈ 12%. Nos résultats relatifs à la mesure d’une longueur de

corréla-tion dynamique seront présentés dans la partie 3.3.2. Nous présentons ici les caractéristiques magnétiques de notre échantillon, ainsi que les évidences expérimentales qui permettent d’af-firmer que le système est dans une phase verre de superspins à basse température. Les mesures ont été effectuées sur un SQUID commercial Cryogenic S600, qui permet de mesurer une ai-mantation avec une précision de l’ordre de10−9Am2. Une description de l’appareil est fournie dans [34].

Nous avons reporté figure 2.28 les mesures de susceptibilité statiques ZFC/FC37 en fonc-tion de la température. Alors que la susceptibilité χZF C présente un pic à la température

Tg = 67 K qui indique un blocage de la dynamique des moments , la susceptibilité χF C

est plate à basse température. La loi de CURIE-WEISS (qui prévoit un comportement en 1/T pour la susceptibilité dans les sytèmes paramagnétiques) est violée à basse température, ceci constituant un premier indice d’une transition de phase à basse température. Une autre indi-cation provient des phénomènes de vieillissement visible lors des expériences TRM39 à des température inférieures àTg. Nous avons représenté figure 1.3 les relaxations de l’aimantation, après différents temps d’attentetw (dans la gamme 1500-24000 s). La dynamique du système dépend detw et présente donc des phénomènes de vieillissement. Un rescalling des courbes, tel qu’il est fait dans les verres de spins (voir partie 1.2.1) ne permet pas de rassembler les courbes sur une courbes maîtresse. D’autre part, la forme des courbes TRM (relativement li-néaires en échelle semi-logarithmique) suggère la présence d’une composante logarithmique dans les relaxations. Dans [169, 170] les auteurs interprètent ces comportements comme la présence d’une composante superparamagnétique dans la relaxation, liée à une large distri-bution des constantes de couplage. Cette dispersion des constantes de couplages est due à la polydispersité de la distribution de taille des nanoparticules qui induit une dispersion de la distribution des moments magnétiques. Certains spins ont un comportement superparamagné-tique, à la température de travail et ne contribuent pas au vieillissement. L’introduction d’un terme prenant en compte cette composante superparamagnétique permet effectivement d’ob-tenir un rescalling satisfaisant des coubes de relaxation (voir [169, 170]).

Une véritable preuve que l’état à basse température est un verre de superspins est fournie par les mesures de susceptibilités alternatives. A chaque température (dans la gamme 5-200 K), la réponse du système à un champ oscillant (de fréquencef =0.04 Hz–8 Hz, d’intensité 1 Oe)

est mesurée. La réponse en phaseχ est représentée figure 2.30 en fonction de la température,

38Ce résultat n’est cependant pas suffisant pour affirmer qu’il s’agit d’un état verre de superspins, le même comportement étant observé pour des systèmes superparamagnétiques bloqués par une barrière d’anisotropie, comme nous le discutions dans la partie 1.2.1.

39TRM=Thermo Remanent Magnetization : l’échantillon est refroidi à la températureT = 0.7Tg= 47 K en présence d’un champ magnétiqueH = 1 G puis évolue pendant le temps twen présence de ce champ. Le champ est alors coupé, et la relaxation de l’aimantation rémanente est enregistrée au cours du temps.

FIG. 2.29 – Relaxations thermorémanentes de l’aimantation (normalisée par l’aimantation “Field Cooled” MF C) obtenues sur l’échnatillon D21 à la fraction volumiqueφ = 12%, pour différents temps d’attente tw. pour les différentes fréquences employées. Pour chaque fréquence,χ présente un pic à une température de blocageTb(ω). Si la dynamique lente du système était due à un blocage

pa-ramagnétique, liée à l’existence de barrière d’anisotropieEa, la dépendance en fréquence de

Tb(ω) devrait suivre un comportement de type Arrhenius : log(1

ω) = log(τ0) − Ea

kBT (2.66)

Nous avons représenté figure 2.30 l’évolution de ω1 en fonction de l’inverse de la température de blocageTb(ω) . L’extrapolation de nos données conduit à une valeur de τ0 ≈ 10−18s, soit une valeur non physique qui invalide l’hypothèse d’un blocage superparamagnétique pour ex-pliquer le ralentissement dynamique à basse température.

L’ensemble de nos résultats montrent donc que notre échantillon subit une transition vers un état verre de superspins à basse température. Le vieillissement de la dynamique et le lien avec la croissance d’une longueur de corrélation sera traité dans la partie 3.3.2.

FIG. 2.30 –A gauche, partie réelleχ′de la susceptibilité alternative en fonction de la température, à différentes fréquences. A droite, tracé d’Ahrrenius et ajustement par l’équation (2.66)

Dynamique lente et vieillissement

3.1 La dynamique de translation