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1 1968 – 1970 : premières reconnaissances institutionnelles

D ’ UNE VERITE DES DISCOURS

Dans les expositions institutionnelles de Robert Rauschenberg et Andy Warhol, nous pouvons observer l’élaboration d’un discours de vérité qui a pour objet de fournir un point de vue institutionnel, intellectuel et spécialisé, notamment en réaction aux nombreuses interprétations des critiques lors des différentes expositions des artistes à Paris.

Lors de la rétrospective de Robert Rauschenberg à l’A.R.C., Pierre Gaudibert, posant les objectifs de l’exposition, déclare vouloir :

[…] permettre de rectifier des jugements hâtifs qui ont accompagné des réactions chauvines et une méconnaissance de l’essor artistique des Etats-Unis après la première guerre mondiale.463

La démarche s’inscrit dès lors directement en écho des réactions de Venise. Cependant, une réaction plus générale aux appréciations formulées par les critiques depuis 1961 est observable. Celle-ci est affirmée par Pierre Gaudibert dès le début de sa préface lorsqu’il affirme : « la démarche de Rauschenberg n’est en rien une rupture provocante avec les moyens du langage artistique de la première moitié du XXe siècle »464. Par l’utilisation des mots « en rien », le

461

François PLUCHART, « Les scandales de Rauschenberg », Combat, art. cité.

462 Robert Rauschenberg : œuvres de 1949 à 1968, Pierre G

AUDIBERT ed., op. cit.

463 Ibid. 464 Ibid.

commissaire de l’exposition fait part de sa volonté de répondre aux affirmations passées ou présentes. Bien que nous ayons vu que la référence à l’art abstrait et la rupture qui fut effectuée par Rauschenberg n’ait été finalement presque jamais évoquée par la critique, il est vrai qu’à partir de 1964, cette idée a pu croître dans les discours. En effet, la victoire de Rauschenberg à la Biennale de Venise symbolisa celle de la figuration américaine sur l’abstraction de l’Ecole de Paris, comme Pierre Mazars le résuma en cette formule : « le Pop’Art […] succède à l’Abstrait- Roi » 465 . Face à cette idée de réaction contre l’abstraction, Pierre Gaudibert replace Rauschenberg dans la continuité, expliquant qu’il « a assimilé [l]es recherches antérieures avant d’assurer, en compagnie de Jasper Johns, la liaison entre l’expressionnisme abstrait et ce qui devait prendre nom de « pop-art »466. Cette capacité d’assimilation de Rauschenberg ouvre la voie à une valorisation de l’artiste par ses qualités formelles : le commissaire explique que l’artiste, au travers de son œuvre, « accompli une transmutation esthétique de tous les éléments empruntés à l’environnement quotidien ». Ce faisant, Gaudibert n’insiste pas sur les qualités techniques de Rauschenberg qui furent pourtant largement reconnues à l’artiste dès 1961 par l’affirmation de son véritable caractère d’artiste, à la fois peintre, technicien et penseur. Encore une fois, Pierre Gaudibert semble répondre aux suites de la Biennale de Venise, lors de laquelle les critiques, assimilant Rauschenberg au Pop’Art, purent lui reprocher, de la même manière qu’il fut fait aux pop artists, le manque d’élaboration d’une œuvre construite à partir de sujets triviaux. Contre cette idée de vulgarité, le commissaire réinjecte une qualité poétique expliquant que Rauschenberg « multipli[e] le pouvoir d’évocation poétique d’éléments disparates »467 mais n’effectue en revanche aucune valorisation de l’œuvre de l’artiste au travers de l’idée de la subversion et la contestation, contrairement à ce qui fut depuis 1961 où Rauschenberg fut érigé en « misfit »468. Ainsi, l’habilitation de Rauschenberg passe par la mise en place d’un discours davantage plus muséal, concentré sur les qualités purement artistique, telles que la technique de l’artiste.

Dans le cas d’Andy Warhol, un procédé similaire peut-être observé. Deuxième artiste à bénéficier d’une grande exposition dans le cadre d’un musée parisien, Andy Warhol est lui aussi

465 Pierre M

AZARS, « Venise : les grandes manœuvres du "Pop’Art" », Le Figaro Littéraire, art. cité.

466 Robert Rauschenberg : œuvres de 1949 à 1968, Pierre G

AUDIBERT ed., op. cit.

467 Ibid. 468 André P

célébré, du 16 décembre 1970 au 14 janvier 1971, dans la section A.R.C. du MaM. Il est ainsi le premier artiste ouvertement Pop’Art à entrer au musée et encore une fois il est assez logique que les institutions se soient intéressées à cet artiste qui bénéficia également d’une large présentation par Ileana Sonnabend. En effet, il fut, après Rauschenberg, le deuxième artiste le plus exposé par la galerie, ayant été intégré à sept expositions de 1963 à 1968, dont trois qui lui furent entièrement dédiées. Parallèlement à ces présentations, il fut également remarqué lors du Salon de Mai en 1964 mais a surtout acquis, depuis l’ouverture de la Factory à New York en 1964, une notoriété grandissante : le caractère total de son activité qui conjugue à la peinture le cinéma, la publicité et l’édition du magazine Interview, sa proximité du monde des célébrités et de l’avant- garde new-yorkaise et surtout la tentative d’assassinat qui a été perpétrée contre lui en 1968, en font l’artiste le plus médiatisé de la période.

Son exposition à l’A.R.C. ne se veut pas une rétrospective mais insiste encore sur l’actualité de la création de l’artiste ; sur la volonté de Warhol est mise en avant sa nouvelle série, « Elsie The Cow », à laquelle une salle entière a été dédiée au motif, répété le long des murs, à la manière d’un papier peint.

L’exposition entière fut basée sur le principe de la répétition inhérent à l’œuvre de l’artiste, à la manière de la présentation des « Flowers » à la Galerie Sonnabend en 1965 : les salles alignaient, successivement, les motifs de cinq thèmes : les « Brillo Boxes », les « Campbell’s Soup Cans », les « Death and Disaster », les « Flowers » et ses nombreux portraits et autoportraits.

Le catalogue est composé d’une préface par le commissaire Gilbert Brownstone, qui travaille aux côtés de Pierre Gaudibert à l’A.R.C., ainsi qu’un texte de l’historien de l’art Alfred Pacquement. Tout comme pour Rauschenberg, le catalogue démêle une ligne directrice des diverses interprétations fournies par les critiques d’art au sujet de Warhol. Celle-ci s’incarne dans une justification de la démarche de l’artiste par le recours au Pop’Art et notamment sur le plan formel. Selon Brownstone, la « puissance ironique d’une image banale et connue est fondamentale pour le pop-art »469 : le choix de l’image fait par Warhol est alors assumé comme un objet purement « pop ». Alfred Pacquement quant à lui met en exergue la volonté à l’œuvre derrière la trivialité de cette image, ainsi, bien que Warhol soit, « parmi les artistes qu’on a

469 ANDY WARHOL, Gilbert B

ROWNSTONE ed., (cat. expo. Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville, 16 décembre 1970 – 14 janvier 1971), Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1971, n.p.

dénommés "Pop", celui qui altère le moins l’objet »470, la confusion entre l’image de marque du

produit et le produit lui-même est voulue et désirée et fait partie intégrante de la démarche et de la réflexion que Warhol veut provoquer chez le spectateur.

Le commissaire reprend la comparaison que l’on a pu effectuer entre le Pop’Art et le dadaïsme de Duchamp pour en différencier Warhol :

Avec Warhol le contexte est entièrement différent : si sa démarche n’est pas sans rappeler, dans certains cas, celle de Duchamp, il s’y ajoute cette dimension de consommation massive d’un produit et de son image de marque. Le problème n’est pas de savoir si n’importe quel objet peut être objet d’art, mais de REVOIR des objets qui ont envahi, à un tel point, notre vie quotidienne, qu’on finit par ne plus les considérer, en dehors d’un certain contexte.471

La valorisation de la technique n’est pas perçue un point important de la compréhension de l’œuvre d’Andy Warhol mais comme le prétexte à une mise en exergue qui s’axe entièrement sur la volonté prêtée à l’artiste de proposer au public une œuvre qui reproduit les images de la société.

Ainsi, nous retrouvons une même rhétorique mettant en valeur le caractère sociétal de l’œuvre, présentée comme « une violente critique contre un certain type de société »472

. Bien qu’il est également précisé que Warhol « a toujours contesté » cela473, la volonté de l’artiste n’altère pas la qualité symbolique des objets présentés : ils sont l’incarnation d’un « quotidien qui nous concerne tous » 474. Il apparaît dès lors comme l’un des « artistes les plus lucides de sa génération »475 selon Brownstone : en plus de légitimer la démarche de Warhol par l’intérêt de sa réflexion sociétale, le procédé discursif à l’œuvre dans le catalogue permet également de le singulariser parmi le groupe des pop artists, distinguant parmi eux un maître, une avant-garde au singulier.

Malgré cela, cette exposition de Warhol, restaurant et insistant sur le lien entre l’artiste et le mouvement, contribue indirectement à une revalorisation discursive du Pop’Art. Elle est ainsi également l’occasion de redéfinir le mouvement.

470 Ibid. 471 Ibid. 472 Ibid. 473 Ibid. 474 Ibid. 475 Ibid.

C. « LE POP’ART EST ARRIVE A L’HEURE DES BILANS » : HABILITATION ET