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C 1959 1961 : PREMIERES EXPOSITIONS PERSONNELLES , AMORCE D ’ UNE DEFINITION FORMELLE PARTICULIERE

Chapitre I – Au tournant des années 60 : émergence du néo dadaïsme sur la scène artistique parisienne

C 1959 1961 : PREMIERES EXPOSITIONS PERSONNELLES , AMORCE D ’ UNE DEFINITION FORMELLE PARTICULIERE

Jasper Johns fut le premier de la nouvelle génération d’artistes américains à être exposé en Europe. Suite au grand succès qu’obtint Léo Castelli lors de l’exposition des œuvres de Jasper Johns qu’il organisa dans sa galerie new-yorkaise en 1958, le marchand choisit de faire voyager cette exposition vers l’Europe et notamment à Paris, où l’on retrouve en 1959, presque les mêmes toiles issues des séries Flags, Targets et

Numbers65 qu’à New York lors d’une exposition monographique à la Galerie Rive Droite de Jean Larcade. Target (cf. Figure 3), présentée à l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme, y est exposée à nouveau, faisant office de rappel mais aussi établissant le lien avec l’exposition surréaliste pour les critiques qui s’y étaient rendu. Cette première exposition enregistra un faible retentissement parmi la critique parisienne : seuls deux courts articles parus dans Arts et Lettres françaises ont pu être retrouvés et elle ne fut pas non plus un succès marchand66, donnant raison à

Kirk Varnedoe qui la décrit comme passée « virtuellement inaperçue »67.

Malgré cet accueil réservé, Jean Larcade organisa avec Leo Castelli une deuxième exposition personnelle de Jasper Johns à la Galerie Rive Droite, du 13 juin au 12 juillet 1961 intitulée « JASPER JOHNS peintures & sculptures & dessins & lithos ». Y furent présentés des

65 Constat fait à partir de Jasper Johns : a retrospective, Kirk V

ARNEDOE ed., op. cit. p. 164 et Georges BOUDAILLE, « JASPER JOHNS », Lettres françaises, n°759, 5 – 11 février 1959, p. 11.

66 Paris – New York, Pontus H

ULTEN ed., (cat. expo. Paris, Musée National d’Art Moderne, 1er juin – 19 septembre 1977), Paris, Centre Georges Pompidou, 1977, p. 177.

67 « virtually unnoticed except for a few short reviews » dans Jasper Johns : a retrospective, Kirk V

ARNEDOE ed.,

op. cit. p. 164.

Figure 3. Target, 1958.

Huile et collage sur toile. 91.44 x 91.44 cm Collection de l’artiste

tableaux de la série des Numbers ainsi que des sculptures en bronze d’objets usuels68 et selon le titre, il semble que la variété des supports et des prix eut cette fois la priorité. En faisant le choix de montrer les sculptures et les dessins de Jasper Johns, Jean Larcade et Léo Castelli mirent en exergue un nouvel aspect de l’œuvre du peintre, plus artiste dans le sens où on le montre toucher à la matière, que ce soit un crayon ou le bronze avec lequel il fit ses sculptures. Malgré cette présentation de l’artiste sous un nouveau jour, cette exposition fut accueillie de façon tout aussi confidentielle que la première ; seul un article succinct de Michel Ragon pour Arts a pu être relevé ainsi qu’un article de Pierre Restany dans Cimaise69.

Robert Rauschenberg quant à lui, suite à l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme, acquit progressivement une réputation dans le milieu artistique parisien, notoriété qui prend de l’ampleur suite à sa première exposition monographique à Paris, un an et demi plus tard, en avril-mai 1961, de nouveau à la Galerie Daniel Cordier. Comme les expositions de Jasper Johns, cette première présentation monographique fut organisée en partenariat avec Léo Castelli ; douze nouveaux combine-paintings sont alors présentés au public.

Devant ces toiles, l’ampleur du travail de Rauschenberg, son sens matériel et sa teneur véritable ont pu être montrés au public. De très grande taille, elles incorporent toutes de façon plus ou moins spectaculaire des éléments du quotidien dans la toile : c’est notamment le cas de Allegory (1959-60) à laquelle un parapluie est inséré et surtout Pilgrim (1960), qui intègre une chaise (cf. Figure 4). En dehors du caractère dadaïste de ces toiles dont la composition repose sur l’assemblage, la présence de Trophy II (1960), une toile destinée au

68 Conclusions tirées d’après Michel R

AGON, « Plus vrai que nature », Arts, n°827, 21 – 27 juin 1961, p. 7 et appuyées par l’affiche de l’exposition et son titre.

69 Ibid. et Pierre R

ESTANY, « Jasper Johns et la métaphysique du lieu commun », Cimaise, n°55, juillet – août – septembre 1961, n.p.

Figure 4. Pilgrim, 1960. Huile, crayon, papier, papier imprimé et tissu sur toile avec chaise en bois peinte. 201,30 x 136,84, 47,31 cm.

couple Duchamp, figure un rappel du lien entre néo-dadaïsme et surréalisme. Ces toiles attirèrent la curiosité des artistes et des critiques français cependant, malgré les moyens mis en œuvre pour exposer ces douze toiles aux dimensions démesurées à Paris, l’exposition n’eut pas le succès escompté.

En effet, malgré quelques belles parutions – dont un grand article-interview dans Arts par son rédacteur en chef André Parinaud70 – l’impact au niveau de la presse fut limité. La raison principale de ce modeste intérêt fut le contexte de crise qui régnait alors à Paris : le jour du vernissage de l’exposition eut lieu seulement quelques jours après le Putsch des Généraux à Alger. La mobilisation et surtout la peur qu’un évènement similaire se produise dans la capitale, vida Paris de ses habitants71. Ainsi, si l’on en croit Daniel Cordier, cette exposition fit surtout forte impression aux jeunes artistes français et européens, mais pas aux collectionneurs car rien ne fut vendu72. Michel Ragon, dans Cinquante ans d’art vivant, parle ainsi d’un « succès de scandale »73.

Si l’exposition de Rauschenberg n’a pas engendré le choc souhaité, elle fut néanmoins érigée a posteriori par les acteurs du monde de l’art comme un marqueur essentiel de l’arrivée des nouveaux artistes américains en France. En témoigne cet extrait du catalogue de l’exposition Paris – New York, qui eut lieu Centre Pompidou en 1977 :

L’Hommage à New York de Jean Tinguely fut sans aucun doute pour l’Amérique l’évènement le plus spectaculaire venant d’Europe en ce début des années soixante. […] Si l’on cherche un moment comparable et parallèle à Paris, il faut le trouver chez Daniel Cordier en 1961 avec la première exposition parisienne de Robert Rauschenberg.74

Les articles retrouvés au sujet de cette exposition ne furent pourtant pas beaucoup plus nombreux ou longs que pour l’exposition de Jasper Johns. La différence majeure vient de la

70

André PARINAUD,« Un "misfit" de la peinture new-yorkaise se confesse », Arts, n°821, 10 – 16 mai 1961, p. 18.

71

PierreABRAMOVICI, Le putsch des généraux. De Gaulle contre l’armée 1958 – 1961, Paris, Fayard, 2011.

72 Alfred P

ACQUEMENT, « Leo Castelli, Daniel Cordier , Ileana Sonnabend: Le rôle des galeries » dans Paris – New

York, op. cit., pp.174 – 175.

73

MichelRAGON, Cinquante ans d’art vivant : chronique vécue de la peinture et de la sculpture 1950 – 2000, Paris, Fayard, 2001, p. 337.

74 Alfred P

ACQUEMENT, « La première exposition Rauschenberg à Paris : Galerie Daniel Cordier, mai 1961 » dans

Paris – New York, op. cit., p. 580. On retrouve encore cette idée dans les contributions de Pontus Hulten et Alfred

parution d’une interview faisant la Une d’Arts75, alors l’hebdomadaire spécialisé en arts et

culture le plus important avec Lettres françaises.

Rétrospectivement, de par l’importance des œuvres qui y ont été montrées, l’exposition de 1961 apparaît comme un moment-clé décisif, exceptionnel, qui a dû être un vrai choc et une grande surprise pour le public parisien. C’est ainsi que Pontus Hultén, dans sa préface du catalogue de l’exposition Robert Rauschenberg Combines, qui eut lieu au Centre Pompidou en 2006 se rappelle :

Lorsque les œuvres de Rauschenberg furent présentées pour la première fois en Europe, ce fut stupéfiant pour beaucoup de gens. J’ai vu la première exposition à Paris en 1961. C’était quelque chose de fort et de puissant. Je ne peux pas dire que ce fut une surprise pour moi. Je me disait plutôt : « Ah, quelqu’un a enfin fait ce qu’il fallait faire ».76

Ce souvenir est repris plus loin dans le catalogue par Alfred Pacquement qui déjà en 1977, à l’occasion de Paris – New York, avait rappelé l’importance capitale de cette première exposition de Rauschenberg à Paris77. Hiroko Ikegami, dans l’analyse qu’elle tente de faire du succès croissant de Rauschenberg à l’échelle mondiale, décrit elle-même cette exposition comme ayant eu un « succès immédiat et décisif »78.

Cette arrivée discrète des nouveaux artistes de l’art américain est contraire à l’histoire habituelle de l’arrivée retentissante, choquante, de nouveaux artistes à Paris. D’autant plus que ces artistes commençaient à jouir d’une certaine notoriété aux Etats-Unis, surtout Jasper Johns, qui est finalement celui dont la réception de l’œuvre se fait la plus discrète. Après cette exposition, le peintre doit attendre seize ans avant de présenter à nouveau ses œuvres au public français dans le cadre d’une exposition monographique. C’est Rauschenberg, dont l’exposition suit celle de Johns à la Galerie Sonnabend, qui devient la figure de proue de la nouvelle génération d’artistes américains destinée à séduire l’Europe, le « nouveau Pollock »79

.

75 André P

ARINAUD,« Un "misfit" de la peinture new-yorkaise se confesse », Arts, art. cité.

76 Robert Rauschenberg Combines, Jean Paul A

MELINE ed., op. cit., p. 285.

77

Alfred PACQUEMENT,« La première exposition Rauschenberg à Paris : Galerie Daniel Cordier, mai 1961 », art. cité.

78 HirokoI

KEGAMI, The great Migrator : Robert Rauschenberg and the global rise of american art, Cambridge, The MIT Press, 2010, p.29

79 Alfred P

Ces premières expositions, qui ne sont plus axées sur le surréalisme mais bien sur l’art de l’assemblage et une nouvelle figuration née de l’abstraction, en dépit de leur impact modéré permettent d’introduire le « néo-dadaïsme » à Paris et auprès de la critique. Jasper Johns et Robert Rauschenberg qui, après 1963, sont considérés comme les pionniers du « Pop’Art » en tant que premiers artistes de la nouvelle génération, sont le socle sur lequel s’érige progressivement, au fil des années soixante, exposition après exposition, la réception du nouvel art « pop » à Paris.

Ainsi, ce terreau surréaliste que nous avons identifié, auquel Jasper Johns et Robert Rauschenberg furent rattachés et dans lequel ils débutèrent leur parcours parisien, possède une valeur d’importance. Cette insertion dans la culture européenne peut avoir constitué un élément d’appréciation comme, à l’exemple des Etats-Unis, participer au mépris de la critique pour un art qui prétend sortir du carcan de l’abstraction pour finalement tomber dans la reproduction d’un art d’avant-garde vieux d’un demi-siècle.

C’est pourquoi nous allons désormais nous attarder sur la réception critique de ces artistes, voir quelles lignes d’appréciation et de lecture commencent à se dessiner en ces premiers temps de la réception de la nouvelle génération d’art américain, qui ne possède pas encore le nom de « Pop’Art ». Au moment où commence à se construire un discours autour des artistes, leur technique, leurs qualités et leur personnalité, nous verrons quelle importance put prendre le lien dadaïste.

2. « Allier à un esprit dadaïste un grand savoir pictural classique »

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enjeux autour de l’arrivée du néo-dadaïsme dans la réception