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La progressive entrée du Pop’Art dans la légitimité

PERMANENCES DANS LES DISCOURS

Dans un premier temps, s’observent non pas des bouleversements mais plutôt une certaine continuité par rapport au discours qui avait été amorcé avant la Biennale, au sujet du sens à accorder au Pop’Art. Nous avions vu que, face au contenu formel très prosaïque des œuvres d’art, il était fait recours à un mode de valorisation que le critique Bernard Marcadé appelle le « subterfuge du second degré »400, par l’invocation d’un discours sous-jacent, subversif et politique. Ce point majeur du discours de réception venait masquer les insuffisances esthétiques de la toile, mettant en exergue le contenu discursif de l’œuvre Pop’Art.

Lors de la nouvelle exposition d’Andy Warhol à la Galerie Sonnabend, en mai 1965, où sont exposées, un an et demi après les images morbides des « Death and Disaster », ses « Fleurs (Flowers) », nous retrouvons cette même rhétorique discursive. Pourtant les « Flowers », répétition par dizaines d’une image de magazine figurant des fleurs sérigraphiées et colorées (cf. Figure 30), possède en apparence un caractère bien moins sérieux et politisé que les

« Death and Disaster » dont, lors de l’exposition en 1964, une sérigraphie reprenant des images de presse sur les émeutes de Birmingham avait été présentée.

C’est par la technique de la sérigraphie, moyen mécanique de reproduire les images, qu’Otto Hahn, qui analyse la série pour le catalogue, fait le lien avec le monde moderne. Ainsi, selon le critique, les fleurs d’Andy Warhol, vidées par leur reproduction, devenues images mécaniques, sont la peinture « du contact déshumanisé, qu’à travers des images stéréotypées,

399 Jacques M

ICHEL, « A travers les galeries », Le Monde, n°6329, 21 mai 1965, p. 13.

400 Dans Il n’y a pas de second degré. Remarques sur la figure de l’artiste au XXe siècle, Nîmes, Editions Jacqueline

Chambon, 1999.

Figure 30. Vue générale de l’exposition de la série « Flowers » d’Andy Warhol à la Galerie Sonnabend en mai 1965. Photographie d’Harry Shunk © Shunk- Kender Roy Lichtenstein Foundation.

nous entretenons avec le monde »401 et dans Le Monde, Jacques Michel, qui décrit le procédé de Warhol avec force d’adjectifs issus du champ lexical de la mécanisation, voit en Warhol un « explorateur de la mythologie moderne »402.

En 1967, c’est François Pluchart qui parle du regard de Warhol comme d’une lecture « des inflexions de la civilisation en marche »403. Andy Warhol exposait alors à la Galerie Sonnabend sa nouvelle série des « Thirteen Most Wanted Men », d’une différence à nouveau radicale avec ses précédentes séries. Comme leur titre l’indique, il s’agit de sérigraphies reproduisant les portrait de face et de profil des « treize hommes les plus recherchés » par le gouvernement américain. Otto Hahn, qui écrit à nouveau pour le catalogue, conclut son texte intitulé « Rembrandt vide de Rembrandt » en disant que « Warhol parle de la beauté du monde, et de sa faillite en noir et blanc »404.

L’importance de l’image, la qualité d’objectivation de l’œuvre de Warhol, son aspect à la fois tragique et aseptisé et surtout la puissance de l’observation qu’il porte, sans en avoir l’air, sur la société, sont des thèmes récurrents au sein des discours critiques que l’on ne retrouve pour la plupart que dans les commentaires portés sur l’œuvre de Warhol. Ainsi, quel que soit le sujet traité par Warhol, la permanence de sa technique sérigraphique semble participer à la création d’une lecture qui s’inscrit dans l’axe discursif autour du Pop’Art tout en étant fondamentalement propre à l’artiste.

Chez Lichtenstein, un discours individuel est plus difficile à percevoir car les Sonnabend n’organisent qu’une nouvelle exposition de son travail, de juin à juillet 1965, où sont présentées ses nouvelles œuvres, inspirées de paysages. Comme Warhol et ses « Fleurs », la nouvelle exposition de Roy

401 Andy Warhol, Ileana S

ONNABEND ed., (cat. expo. Paris, Galerie Ileana Sonnabend, mai 1965), Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 1965, n.p.

402 Jacques M

ICHEL, « A travers les galeries », Le Monde, art. cité.

403 François P

LUCHART, « L’affrontement des jeunes turcs du pop’art », Combat, 22 mai 1967, n.p.

404 Andy Warhol, The Thirteen Most Wanted, Ileana S

ONNABEND ed., (cat. expo. Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 27 avril – mai 1967), Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 1967, n.p.

Figure 31. Roy Lichtenstein lors de son exposition à la Galerie Sonnabend du 10 juin au 10 juillet 1965. Photographie d’Harry Shunk © Shunk-Kender Roy Lichtenstein Foundation.

Lichtenstein présentait un caractère bien plus pictural que sociétal : y étaient représentés la mer, le soleil ou encore des temples grecs (cf. Figure 31).

La différence avec les toiles très américaines et anglophones de 1964 est ainsi totale cependant, on y retrouve, comme en 1964, la mise en valeur d’un caractère d’exégète de la civilisation américaine, bien qu’elle y soit moins développée. Dans la catalogue, afin de permettre la meilleure connaissance et la compréhension de la démarche de l’artiste mais aussi du Pop’Art, dont il se revendique, une interview de Roy Lichtenstein par le critique d’art Gene Swenson pour ArtNews est reproduite. Lichtenstein explique ainsi au critique que le Pop’Art – et par conséquent son travail – est un « engagement contre ce qu’il y a de plus menaçant et de plus détestable dans notre culture, mais qui est en même temps puissant et envahissant » et ajoute : « Dehors il y a le monde. Le Pop Art le regarde ; il semble accepter l’environnement qui n’est ni bon ni mauvais, mais différent »405. Ce faisant, il affirme clairement ne pas prendre partie ou porter de jugement dans son art.

La presse, peu prolixe au sujet de l’exposition de Lichtenstein, ne s’intéresse pas au lien noué par Lichtenstein entre le Pop’Art et le monde duquel il est issu mais se focalise avant tout sur sa technique. Celui-ci s’incarne seulement chez Jacques Michel, selon qui la démarche de Roy Lichtenstein « se place pour sa part d’emblée dans une position satirique ». Il conclue : « Eléments formels d’une part, mais aussi ironie : tel est le contenu du tableau »406. L’analyse que fournit Jacques Michel s’inscrit donc dans un sens différent de celle qu’explicitait Lichtenstein à Gene Swenson. L’artiste, qui précisait son objectivité, se voit attribuer une valeur subversive par le caractère ironique et satirique que Jacques Michel lit dans ses compositions.

Son rapport au monde moderne est ainsi situé sur un mode relativement différent de celui d’Andy Warhol, pour lequel était mis en valeur l’objectivité et la froideur de la démarche, ce qui corrobore notre hypothèse selon laquelle, à partir d’un même angle de lecture Pop’Art – ici, le mouvement comme éxégèse du monde moderne – des discours individuels se forment autour des artistes.

405 Roy Lichtenstein, Ileana S

ONNABEND ed., (cat. expo. Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 1 – 30 juin 1965), Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 1965, n.p.

406 Jacques M

La mise en avant d’une forme de contestation des pop artists contre l’ordre établi est particulièrement visible en 1966, lors de la première exposition de Tom Wesselmann en France, à la Galerie Sonnabend.

Tom Wesselmann, né à Cincinnati, dans l'Ohio, étudie la psychologie avant de s'intéresser à l'art. Il fait ses premiers dessins tardivement, en 1952, pendant son service militaire. Il décide alors de devenir dessinateur et part étudier à la Art Academy de Cincinnati. Diplômé, il créé la Judson Gallery avec Jim Dine et l’artiste Marc Ratliff et, parallèlement, enseigne l'art. C’est en 1961 qu’il expose seul pour la première

fois à la Tanager Gallery de New York, où il montre sa première série, celle des « Great American Nude ». Cette série, ainsi que ses « Still Life », sont l’objet principal de l’exposition chez Sonnabend, où est donné un aperçu exhaustif de la démarche et de l’œuvre de l’artiste. Wesselmann créé une peinture par aplats de couleur à laquelle il intègre, pour ses « Still Life », des objets du quotidien, créant des natures mortes en trois dimensions figurant des intérieurs américains. La série des « Great American Nude » représente quant à elle, dans un même style chromatique vif et épuré, des nus féminins en grand format (cf. Figure 32)407

.

Cette peinture, aux sujets américanisants, permet aux critiques d’identifier dans l’art de Wesselmann le portrait de la société américaine. Jean-Louis Ferrier, professeur honoraire aux Arts Décoratifs et critique d’art à l’Express et au Point, fait ainsi mention de la « critique » portée par l’artiste à l’encontre de « l’environnement moderne »408, c’est-à-dire le monde

mécanisé, standardisé qui caractérise la société occidentale des années soixante. Il voit en Wesselmann « l’un des rares peintres de notre modernité ».409 Le professeur, selon le même processus discursif précédemment identifié dans les cas de Warhol et Lichtenstein, comprend

407

Voir Tableaux exposés, Annexes, Volume II, pp. 42 – 43. Scénographie, Annexes, Volume II, p. 23.

408 « L’artiste, toutefois, ne tardera pas à faire porter sa critique sur la totalité de notre environnement moderne et sur

l’homme lui-même », selon Jean-Louis Ferrier dans Tom Wesselmann, Ileana SONNABEND ed., (cat. expo. Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 4 novembre – 4 décembre 1966), Paris, Galerie Ileana Sonnabend, 1966, n.p.

409 Ibid.

Figure 32. Vue sur la deuxième salle de l‘exposition Tom Wesselmann ayant eu lieu du 4 novembre au 4 décembre 1966 à la Galerie Sonnabend. Photographie d’Harry Shunk © Shunk-Kender Roy Lichtenstein Foundation.

avant tout l’art de Wesselmann comme étant porteur d’un message politique. Le caractère plastique et esthétique de son œuvre est placé au second plan.

Ce mode discursif prévaut également dans la presse et, de fait, selon Jacques Michel et Gilbert Gatellier, Wesselmann « conteste » 410 et s’inscrit contre la civilisation « technique » et « moderne »411. En plus de ce caractère contestataire une insistance est portée sur l’ironie de l’artiste412

. Cette lecture du nouvel art figuratif de Wesselmann est héritière des commentaires faits dès 1963 au sujet de Robert Rauschenberg puisqu’en érigeant ses tableaux en une forme de moquerie à l’encontre de la société américaine de consommation il est fait écho au « rire » de ce dernier413.

La critique négative parue de Jardin des Arts vient appuyer cette idée : comprenant le « réalisme » de Wesselmann – il ne parle pas de Pop’Art – comme le reflet enthousiaste de l’American Way of Life, Jean-Dominique Rey en fait le motif principal de son désaveu414

. Warhol fut victime en 1965 d’une rhétorique similaire de la part de Jean Bouret qui le décrit, de façon dépréciative, comme le peintre de l’ « angoisse mécanisée » et du « cauchemar climatisé »415. Ainsi, même les critiques négatives insistent désormais sur l’écho fait par les œuvres des pop artists de leur société : le motif du discrédit vient du fait que, là où les critiques les plus enthousiastes voyaient dans les œuvres des critiques de la société, eux n’en perçoivent que sa promotion éhontée.

Deux années après l’exposition de Wesselmann, en 1968, Rosenquist revient à son tour à Paris présenter une nouvelle œuvre : Forest Ranger. Celle-ci, représentant un camion, une scie et un casse-croute, a pour sujet l’environnement ouvrier. Réalisée en trois dimensions, elle est conçue dans un matériau transparent ; le mylar. Dans la presse, le retour sur cette exposition est exclusivement chaleureux et si la nouvelle technique employée par Rosenquist est le centre de l’intérêt, le commentaire porte également sur le caractère de « peintre de la réalité moderne » et

410

Nous retrouvons le champ lexical de la contestation plusieurs fois dans les articles de Gilbert GATELLIER, « Trois expositions en coup de poing », Arts-Loisirs, n°59, 9 – 15 novembre 1966, p. 55 et Jacques MICHEL, « Images et modèles », Le Monde, Paris, n°6790, 11 novembre 1966, p. 13.

411

Ibid.

412 Ce terme revient à plusieurs reprises dans les articles pré-cités, Ibid. 413 Gérald G

ASSIOT-TALABOT, « Rauschenberg », Cimaise, art. cité.

414 Jean-Dominique R

EY, « On a vu dans les galeries », Jardin des Arts, n°146, janvier 1967, p. 75.

415 Jean B

de la « civilisation » de Rosenquist : un « miroir » tendu à l’Amérique, une interprétation de son folklore moderne416.

L’omniprésence, de 1965 à 1968, du discours visant à promouvoir les pop artists en tant que peintres de la modernité et exégètes de leur société mécanisée témoigne d’une permanence, depuis 1963, de cette valorisation discursive. Pour justifier la démarche des pop artists, les critiques les insèrent dans l’actualité de leur société, leur conférant une qualité de réaction presque politique qui leur donne une couleur avant-gardiste. Si ce discours revêt une continuité, il est également possible qu’il ait été renforcé par la Biennale de Venise, moment où le Pop’Art et les artistes qui y furent affiliés sont apparus comme les objets de propagande de l’impérialisme américain. L’insistance a posteriori sur la distance critique qui existe dans leur approche, qui serait plutôt une observation de la société américaine que sa promotion a ainsi pu être un outil de légitimation important.

B. PROGRESSIVE SUBLIMATION PAR LA PEINTURE

Dans les discours critiques d’avant 1964, nous avions identifié une corrélation importante entre l’édification des pop artists en exégètes de la vie moderne et la faiblesse de leurs qualités picturales : la mise en avant du sens de leur toile permet en effet de justifier une valeur esthétique jugée médiocre en la rendant secondaire dans la démarche des artistes.

A partir de 1965 pourtant, malgré la permanence du discours sur la signification des œuvres, leur appréciation formelle évolue. Celle-ci semble aller de pair avec une présentation d’œuvres de plus en plus esthétiques à la Galerie Sonnabend.

Dès l’hiver 1964, Ileana Sonnabend présente dans sa galerie le dernier travail sérigraphique de Rauschenberg, une série sur l’Enfer de Dante qui met particulièrement en avant les capacités techniques de l’artiste et sa poésie, qui avait déjà été appréciée un première fois dans ses sérigraphies en 1963. Les expositions des paysages de Roy Lichtenstein et de la série

416 Raphaël S

« Flowers » d’Andy Warhol qui suivirent incarnèrent également un caractère plus esthétique, laissant davantage de place à une valorisation de l’artiste-peintre que celles de début 1964 où étaient présentés des hot-dog et des faits divers de journaux.

Cependant, lors de ces expositions, le discours demeure similaire à celui de 1964 et c’est à partir de l’exposition de Wesselmann, en 1966, que la question de la peinture fait son entrée et commence à incarner une dimension légitimante.

Jean Louis Ferrier, dans l’analyse qu’il livre dans le catalogue édité par Sonnabend, qualifie ainsi Wesselmann de « peintre » et insiste sur son classicisme en expliquant qu’il « donne le sentiment très vif d’une démarche – et d’une facture – d’inspiration classique » 417. Cette rhétorique, déjà identifiée en 1964 à l’occasion de l’exposition des « Death and Disasters » de Warhol, insère le peintre et son sujet dans le champ de la culture légitime.

Dans la presse, François Pluchart met en valeur les « leçons chromatiques » de Matisse apprises par Wesselmann et la « réalité quotidienne devenue œuvre d’art »418. Cette dernière remarque symbolise véritablement le pont qui est créé du fond vers la forme. En effet, l’idée de « réalité quotidienne » réfère au discours sur la signification des œuvres tel que nous l’avons précédemment identifié ; en expliquant que celle-ci devient œuvre d’art, le critique la fait basculer dans une dimension esthétique, dans l’Art.

Jacques Michel, dans son compte-rendu pour Le Monde, offre un contrepoint intéressant à la critique de François Pluchart en mettant bien davantage en valeur la puissance artistique de l’œuvre de Wesselmann, et les qualités de peintre de celui-ci. En effet, il explique que l’artiste « excelle », produit des affiches « soigneusement peintes » et est l’« un des rares qui pratiquent ce qu’on appelle la composition des formes et des couleurs »419

, qualités essentielles du peintre Beaux-arts traditionnel. Cependant, selon Jacques Michel, ce « métier solide » aux « canons quasi-académiques » nuit finalement davantage à l’œuvre de Wesselmann qu’il ne la valorise car sa « maîtrise peut-être trop grande […] dévalue la leçon » 420. Pour le critique, la maîtrise technique, qui n’a encore jamais figuré au rang des qualités attribuées aux pop artists, ne

417

Tom Wesselmann, Ileana SONNABEND ed., op. cit.

418 François P

LUCHART, « Le Parc, Wesselmann et Bellmer à l’assaut du romantisme pictural », Combat, n°6959, 7 novembre 1966, p. 8.

419 Jacques M

ICHEL, « Images et modèles », Le Monde, art. cité.

constitue pas ici un motif supplémentaire à la valorisation de Tom Wesselmann. Au contraire, elle le dessert en se positionnant à l’écart de la grille de lecture qui a été bâtie au fil des ans et focalisée sur la valeur discursive du Pop’Art et par laquelle des critiques comme Jacques Michel ont appris à l’apprécier. Ainsi, la reconnaissance d’une qualité aussi valorisante que la maîtrise technique et esthétique, n’est pas appréciée car elle sort du cadre de reconnaissance habituel. Il semblerait également que cette question de la technique intègre un autre aspect dévalorisant : la question du classicisme de Wesselmann. En évoquant les « canons quasi-académiques » de sa peinture, Jacques Michel pointe une maîtrise qui entre en contradiction avec cet art « pop », nuisant aux visées subversives que l’on prête au Pop’Art et à son avant-gardisme contestataire. Le recours à la notion de classique revêt cependant un sens équivoque car, si il met en avant une qualité technique picturale et un sens de la composition digne des grands maîtres, il injecte également dans ces toiles nouvelles un caractère traditionnel, voire académique, contrant toute idée d’avant-gardisme.

Cette idée chez Jacques Michel selon laquelle la maîtrise technique dessert la valeur discursive du Pop’Art n’est pas sans rappeler la critique émise par Michel Conil-Lacoste en janvier 1964, lorsque, au moment de l’exposition d’Andy Warhol, il déplorait l’éloignement de celui-ci du Pop’Art par le choix d’une thématique individuelle dans le cadre d’un art qui, selon lui, suppose une approche collective de la société.

Ainsi, en parallèle du discours formel habituel des vitupérateurs tels que Jean Bouret qui, s’exclamant « De la peinture en aucun cas ! »421

, concentre dans une présupposée pauvreté picturale la quasi-totalité de ses motifs de dépréciation, un rapport à la forme émerge également au sein de la critique la plus positive. Celle-ci devient pour certains un motif supplémentaire de mise en valeur, pouvant restaurer la légitimité d’un art ayant longtemps été conspué pour son manque de qualités esthétiques. Pour les critiques ayant adhéré à l’idée d’un Pop’Art dont l’intérêt réside avant tout, comme Dada, dans le discours sociétal tel qu’il a été originellement valorisé, la maîtrise technique devient cependant presque un danger car elle efface toutes velléités contestataires derrière une forme d’académisme, rompant toute valeur d’avant-garde.

421 Jean B

Malgré cela, la valeur picturale prend de l’ampleur dans les discours de valorisation du Pop’Art. Au printemps 1967, lorsqu’Andy Warhol est à nouveau exposé, avec sa série des « Thirteen Most Wanted Men », les qualités plastiques du pop artist ne sont pas mises en avant dans le catalogue. L’argumentation y est construite autour de la volonté d’objectivité de l’artiste par rapport à l’œuvre, son retrait dans le processus artistique : « voulant intervenir le moins possible, Warhol abandonne les fantaisies de la main et recourt aux procédés mécaniques car la machine, elle, ne ment pas »422. Comme toujours pour Andy Warhol et Roy Lichtenstein, qui utilisent tout particulièrement des moyens picturaux mécanique, la pratique artistique est placée au second plan et ceci est justifié par le souci de l’artiste de restituer une vision empreinte de vérité, un discours social vrai. Malgré cela, nous trouvons pour la première fois dans l’article de François Pluchart pour Combat la notion de « métier », de « bien-faire » au sujet de Warhol, conférant au pop artist, si ce n’est qualités artistiques, du moins un savoir-faire technique.