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Les années 1970 : L’entrée du Pop’Art dans l’Histoire, processus d’historicisation

1 1968 – 1970 : premières reconnaissances institutionnelles

2. Les années 1970 : L’entrée du Pop’Art dans l’Histoire, processus d’historicisation

En 1970, une pensée conservatrice est encore présente chez la critique, comme le révèle l’exemple de Joseph-Emile Muller, qui consacre cette année un essai au Pop’Art et aux autres nouveaux réalismes486. Il définit dans ce cadre une stricte différence entre l’Art et le « non-art »,

c’est-à-dire une forme de création qui ne serait que décorative et ne serait soutenue par aucune recherche intellectuelle. Malgré tout, ces modes de pensée restent de plus en plus minoritaires et le Pop’Art semble en bonne voie pour une légitimation officielle.

En effet, après les premières expositions personnelles d’artistes de la génération Pop’Art au musée, il y a la volonté de véhiculer un discours officiel, homogénéisé, revenant sur les scandales passés pour pouvoir présenter la démarche des pop artists comme légitime dans un cadre institutionnel.

De fait, les expositions qui suivent celles de Rauschenberg et Warhol, au cours des années 1970, sont la suite directe de cette valorisation. Entre dix et vingt ans ont passé depuis la première exposition des artistes, ceux-ci ne sont désormais plus une avant-garde mais un mouvement presque daté. Ils sont les bouillonnantes années soixante, ce qui donne lieu à des présentations rétrospectives et une rhétorique qui consacre leur entrée dans l’histoire de l’art.

A. LES EXPOSITIONS DE ROY LICHTENSTEIN ET JASPER JOHNS : L’EMERGENCE

DE RETROSPECTIVES

Les expositions que nous allons désormais étudier sont les deux grandes rétrospectives : « Roy Lichtenstein : dessins sans bande » ayant eu lieu au CNAC du 7 janvier au 17 février 1975 et celle de Jasper Johns au MNAM de Paris, Centre Pompidou, du 19 avril au 4 juin 1978.

Pour l’exposition de Roy Lichtenstein, c’est Daniel Abadie – professeur d’histoire de l’art et commissaire d’exposition au Centre Pompidou – qui monta cette exposition avec Alfred Pacquement. Il s’agissait d’une rétrospective des dessins et études préparatoires effectuées par

Lichtenstein pour la réalisation de ses tableaux entre 1961 et 1974. Cette exposition fut accompagnée d’un catalogue d’exposition complet, regroupant un texte de présentation, une interview de Roy Lichtenstein, ainsi que tous les visuels en noir et blanc des œuvres.

Dans le dossier du projet d’exposition archivé à la Bibliothèque Kandinsky, le projet est introduit de cette façon :

Roy Lichtenstein est l’un des peintres américains les plus célèbres actuellement. Depuis le début des années soixante il s’est révélé comme le représentant le plus typique du Pop’art dont il est l’un des fondateurs. Son style s’apparente à celui des bandes dessinées américaines et a connu une très grande influence sur la nouvelle figuration.487

Cette façon de présenter Roy Lichtenstein dans la note d’intention montre que l’exposition a pour but de montrer au grand public l’œuvre de ce peintre si célébré aux Etats-Unis, dont « le monde entier connaît [l]es trames »488 mais encore méconnu en France. Celui qui a incarné une étape essentielle – la fondation – d’un courant qui semble avoir affirmé son importance : le Pop’Art.

Pour mettre le travail de cet artiste majeur en valeur Daniel Abadie, dans la rétrospective qu’il consacre à Lichtenstein, a recours au dessin : ceux-ci, selon lui « permettent de suivre le travail de l’artiste dans ses différents états »489

. La technique est ici au centre de la présentation puisqu’en montrant les étapes successives de dessins qui mènent à la magistrale toile finale, Daniel Abadie concentre l’exposition sur le processus de création de Lichtenstein. Ainsi, les croquis et esquisses « sont la marque de l’idée en train de jaillir », mais aussi « le répertoire du non-peint »490 : l’insistance est portée sur la démarche, la création picturale. En révélant le long mode d’élaboration des toiles à l’apparence industrielle de Lichtenstein, Daniel Abadie révèle le peintre mais aussi le créateur et ses idées.

Pour l’exposition de Jasper Johns, ce fut Alfred Pacquement qui prit le commissariat de l’exposition. De la même façon que Daniel Abadie, il présenta « une très importante rétrospective »491 de l’art de Jasper Johns au travers de ses dessins.

487

Daniel Abadie, Note d’intention pour l’exposition « Roy Lichtenstein : dessins sans bande » au CNAC du 7 janvier au 17 février 1975. BV AP Lichtenstein, Dossier 2, Centre Pompidou-Mnam Cci-Bibliothèque Kandinsky.

488 Ibid. 489

Ibid.

490 Ibid.

491 Alfred Pacquement, Note d’intention pour l’exposition « Jasper Johns » au MNAM du 19 avril au 4 juin 1978.

Cette exposition fut organisée par le Whitney Museum de New York et a pour but de voyager tout au long de l’année 1978. Ainsi, en plus de Paris, elle est également présentée à Cologne, Londres, Tokyo, et San Francisco. Cette première grande rétrospective de Jasper Johns en France, environ seize ans après sa dernière exposition qui eu lieu en 1962 à la Galerie Sonnabend, réunit 168 œuvres réalisées entre 1955 et 1976. Des œuvres créées pendant les années cinquante ont aussi été rassemblées afin de témoigner de « l’apport décisif de Johns à la peinture américaine »492. Sont présentées également des sculptures mais surtout de nombreux dessins et d’estampes, « soulignant la brillante innovation que JOHNS a apporté à l’art de la lithographie depuis 1960 »493.

Cette œuvre majeure, présentée en Europe pour la première fois, fut accompagnée d’un imposant catalogue comprenant 61 planches couleur, 111 en noir et blanc et des textes inédits d’Alain Robbe-Grillet et Pierre Restany.

Ce ne furent pas les seules expositions monographiques importantes d’artistes de la génération Pop’Art au cours de cette période. Ainsi, en 1974, une exposition de Robert Rauschenberg eu lieu au Musée d’Art et d’Industrie de Saint Etienne tandis qu’à Paris, les Mao d’Andy Warhol étaient célébrés au musée Galliera. L’année suivante, se sont Jim Dine et ses cœurs qui sont exposés au CAPC de Bordeaux. Ayant fait le choix de circonscrire notre analyse à Paris, nous ne livreront pas ici d’étude approfondie de ces expositions, mais il convient cependant de les mentionner afin de souligner la progressive extension régionale de l’institutionalisation des artistes du Pop’Art. En ce qui concerne l’exposition du Musée Galliera, si nous avons des informations sur son existence, malheureusement la fermeture de celui-ci pour travaux rend difficile l’accès à ses archives, aussi nous n’avons pu réunir d’informations signifiantes. Malgré tout, cela ne constitue pas une entrave à notre recherche qui, pour cette période, ne se veut pas exhaustive mais a pour ambition de saisir les grands axes discursifs de l’habilitation des pop artists.

L’existence de ces expositions témoigne par ailleurs du succès grandissant du Pop’Art qui, au travers de ses acteurs, se régionalise et surtout s’historicise. Présentés par le biais de

492 Ibid.

493 Jasper Johns, Alfred P

ACQUEMENT ed., (cat. expo. Paris, 19 avril – 4 juin, Centre Georges Pompidou), Paris, Centre Georges Pompidou, 1978.

rétrospectives, les pop artists sont progressivement insérés dans la continuité de l’histoire de l’art; un déplacement qui s’incarne dans les discours.

B. L’ENTREE DANS L’HISTOIRE DE L’ART : LES HERITIERS DE L’EXPRESSIONNISME