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Variations climatiques cénozoïques et âges des latérites

Partie I : Cadre thématique et contexte morpho-géologique

Chapitre 2. Contexte morpho-géologique

2. Les grands types de latérite et les formes associées en Afrique de l’Ouest

2.3 Variations climatiques cénozoïques et âges des latérites

La plus grande faiblesse du modèle morphogénétique de Michel (1973) réside dans l’âge qu’il propose pour les surfaces de la séquence morpho-climatique. La distinction que fait Michel (1973;

1978) entre les trois surfaces bauxitiques (Figure 2.15) est basée sur les différentes gammes d’altitude

auxquelles on peut les observer dans le Fouta-Djalon, en Guinée. P. Michel propose un âge éocène pour la surface de Fantofa, qui correspondrait à la Surface Africaine de King (1950), un âge crétacé pour la surface de Dongol Sigon et un âge jurassique pour la surface de Labé (Figure 3.10). Cette distinction est probablement abusive : la surface de Labé ne semble pas pouvoir remonter au-delà de l’Albien-Cénomanien (Chardon et al., 2006; voir en page 72). De plus, Michel (1973) n’a aucune contrainte stratigraphique sur l’âge des surfaces post-bauxitiques. Il reprend le calendrier des cycles glaciaires utilisé de manière quasi-systématique dans la littérature européenne pour dater des surfaces tropicales. L’âge de la Surface intermédiaire est attribué au Plio-pléistocène qui correspond au Villafranchien (surface préglaciaire) tandis que l’âge des glacis est attribué au quaternaire (cycles glaciaire/interglaciaire). Tardy et Roquin (1998) mettent en doute cette proposition, notamment pour la surface intermédiaire, arguant que le hiatus proposé entre elle et la bauxite (40 Ma) est anormalement long et qu’il est peu probable que le continent africain n’ait pas subit d’altération durant cet intervalle. De plus, les intervalles proposés par Michel (1973) sont trop courts pour expliquer la formation des cuirasses de l’épaisseur de celles de la séquence morpho-climatique (Tardy et Roquin, 1998; Figure 3.26).

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Figure 3.27 : Synthèse des datations effectuées sur le gisement manganésifère de Tambao au Burkina Faso (localisation Figure 3.3). (a) Coupe schématique du site montrant les différentes surfaces préservées ainsi que les profils d’altération associés. Cette coupe montre que les surfaces et les profils d’altération successifs sont reliés à des paléo-niveaux de base. Les âges en orange le long du forage représentent les âges d’abandon des profils d’altération successifs rencontrés. L’altitude de la surface bauxitique du site voisin d’Aribinda a été projetée sur la coupe pour rendre compte de l’ampleur du relief bauxitique. (b) Répartition de l’âge des échantillons de cryptomélane en fonction de leur altitude en surface et dans le forage. c) La courbe de variations du niveau de la mer () et la courbe de progradation du delta du Niger (Séranne, 1999) sont montrées à titre de comparaison. Les périodes d’altération sont indiquées en orange (Beauvais et Chardon, 2013).

Après les âges proposés par Tardy et Roquin (1998 ; voir section précédente) de nouveaux âges géochimiques sont publiés à partir de datations effectuées sur le gisement manganésifère du site de Tambao au Burkina Faso (Hénocque et al., 1998; Hénocque, 1999; Colin et al., 2005; Figure 3.3). A partir de ces données, Beauvais et al. (2008) proposent une datation de la séquence de latérites en accord avec la géomorphologie du site. Les âges qu’ils présentent sont obtenus par datation 39Ar-40Ar

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sur un minéral supergène appelé cryptomélane (K1-2Mn8O16, nH2O). Ce minéral est un produit très

avancé d’altération intense qui se forme en base de profil d’altération sur un protore manganésifère.

Figure 3.28 : Comparaison entre les âges obtenus par Beauvais et al. (2008) sur le site de Tambao (climat sahélien) et ceux de l’étude de Vasconscelos et al. (1994b) sur le site de Syama (climat guinéen). Les courbes de δ18O ( Zachos et al., 2001) et de variations du niveau marin (Haq et al., 1987) sont également présentées.

Sur le site de Tambao, les cuirasses de la surface intermédiaire et des Haut, Moyen et Bas glacis sont préservées (Grandin, 1976; Figure 3.27). Des forages traversant les différents profils d’altération ont permis d’échantillonner des cryptomélanes (Hénocque et al., 1998; Colin et al., 2005;

Beauvais et al., 2008 ; Figure 3.27). La base des profils est reliée au niveau de base successif de

chaque surface (Figure 3.27). Beauvais et al. (2008) répartissent leurs âges plateau mesurés sur les cryptomélanes en différents intervalles de plus grande fréquence (59 - 45, 29 - 24, 18 -11,5, 7,2 -5,8, et 3,4 -2,9 Ma ; Figure 3.27). Les plus jeunes sont en position topographique basse et les plus vieux en position haute. Ces âges sont interprétés comme les âges des profils d’altération successifs du site de Tambao. L’intervalle 29-24 Ma est attribué à la période de formation du profil d’altération associé à la cuirasse intermédiaire, l’intervalle 18-11 Ma à celle du Haut glacis, l’intervalle 7-6 Ma à celle du Moyen glacis et l’intervalle 3,4 - 2,9 Ma à celle du Bas glacis (Beauvais et al., 2008; Beauvais et

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à une période d’altération plus faible et/ou à la déstabilisation des sols par érosion mécanique. La durée des périodes d’altération proposées explique mieux l’épaisseur des altérations observées notamment sous la Surface intermédiaire et le Haut glacis. La formation de cryptomélane pendant les périodes 29-24 Ma et 18-11 Ma coïncide avec le réchauffement fini oligocène et la période d’optimum climatique miocène (Zachos et al., 2001; Figure 2.8 et 3.28).

Sur le site de Tambao, on retrouve des âges de formation de cryptomélane durant la période Paléocène-Eocène (59 - 45 Ma ; Beauvais et al., 2008). Malgré l’absence de cuirasse bauxitique, cet intervalle est attribué à celui de la surface Africaine. L’âge paléocène-éocène de la surface Africaine est en effet reconnu depuis longtemps en Afrique de l’Ouest (Boulangé et Millot, 1988; Chardon et al.,

2006; Burke et Gunnell, 2008) car cette période est considéré comme la dernière période d’effet de

serre majeure susceptible de former des altérations de type bauxitique et elle est contrainte dans l’enregistrement stratigraphique (Valeton, 1994; Tardy et Roquin, 1998; Zachos et al., 2001 ; Figure 2.8). Cette période est synchrone avec la dernière grande transgression et le dépôt de carbonates en Afrique de l’Ouest (Lang et al., 1986; Séranne, 1999). La transition greenhouse-icehouse après l’Eocène a été accompagnée par l’installation de périodes climatiques plus sèches avec une saisonnalité plus marquée. Ces périodes, plus favorables à l’érosion, ont alterné avec des périodes climatiques humides favorables à l’altération (Séranne, 1999; Beauvais et Chardon, 2013). Les conditions climatiques nécessaires à la formation de bauxite à l’échelle globale ne seront plus réunies. La sédimentation devient détritique sur les marges ouest africaines (Séranne, 1999; Burke et al., 2003) et sur le continent avec le dépôt du Continental terminal dans le bassin des Iuellemmeden (Lang et al.,

1986). Dans ce bassin, la surface sommitale du Continental terminal est affectée par l’altération de

type intermédiaire. Les glacis de la séquence morpho-climatique ouest africaine emboités sous cette surface marquent son incision (Beauvais et al., 2008; Figure 3.16).

D’autres minéraux formés par altération (l’alunite et la jarosite) ont été datés au Mali sur le site de Syama (Vasconcelos et al., 1994b; Figure 3.3). Dans l’étude de Vasconscelos et al. (1994b), un seul âge sera jugé pertinent (~13 Ma ; correspondant à la période d’altération du Haut glacis). Sur la Figure 3.28, les âges de Vasconscelos et al. (1994b) pour lesquels la barre d’erreur est inférieure à 5 Ma ont été reportés. De nombreux âges sont répartis entre 11 et 18 Ma, ce qui confirme l’existence d’une période d’altération importante après la formation du Haut glacis (optimum miocène ; Zachos et

al., 2001). Un âge d’environ 3 Ma pourrait correspondre à l’altération post-Bas glacis. Deux âges sont

contemporains de l’altération bauxitique (~65 à 52 Ma). En revanche, entre 25 et 40 Ma, les âges sont disséminés, indiquant des reprises d’altération (Figure 3.28). Ces âges indiquent que le climat hydrolysant a pu être établit au moins par intermittence entre 45 et 29 Ma. Le site de l’étude de Vasconcelos et al. (1994b) se trouve aujourd’hui dans la zone guinéenne (Figure 3.3), plus proche de l’équateur que le site de l’étude de Beauvais et al. (2008). Il est probable que les climats propices à

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l’altération se soient plus longuement exprimés pendant l’Oligocène dans cette zone. L’existence de conditions hydrolysantes entre les périodes bauxitique et intermédiaire pourrait expliquer le lien génétique parfois observé entre profils d’altération et les cuirasses de ces derniers (voir en page 75). Cependant, les conditions d’altération nécessaires à la formation de la jarosite et l’alunite sont moins intenses que celles nécessaire à la formation de cryptomélane. Il est donc possible que ces minéraux ait simplement enregistré des périodes d’altérations indétectables par la cryptomélane.

3. Conclusion

Contrairement à ce que postulait King (1950), il n’y a pas de paléo-surface continuellement exposée depuis le Crétacé en Afrique de l’Ouest. L’existence de cette dernière reste même débattue. On ne peut donc pas retrouver de marqueurs topographiques précédant la rupture de Gondwana en Afrique de l’Ouest. En revanche, à l’instar de celle de l’Afrique, la topographie ouest africaine possède de nombreuses surfaces d’aplanissement comme la surface Africaine, d’âge éocène. La formation de cette surface date de l’optimum climatique paléocène-éocène lorsque le climat était de type équatorial (chaud et humide) en Afrique de l’Ouest. Le paysage ouest africain était recouvert par une végétation luxuriante propice à l’altération intense et la formation de bauxite. Le système hydrographique était très ramifié et le relief local était limité (Figure 3.29a). A la fin de l’Eocène, le climat a changé d’un régime greenhouse à un régime icehouse. Ce changement a été accompagné par l’alternance de périodes chaudes et humides, propices à l’altération, avec des périodes plus arides à saisonnalité marquée, limitant l’altération et provoquant l’érosion des paysages ouest africains. Ces alternances ont marqué l’arrêt de la formation régionale de bauxites en Afrique de l’Ouest et l’abandon de la surface Africaine vers 45 Ma.

Ces mêmes alternances climatiques ont permis la formation de la séquence morpho-climatique marquant la dénudation du continent ouest africain depuis 45 Ma. Chaque surface a des caractéristiques morphologiques et pétrologiques typiques. La Surface intermédiaire marque un enfoncement du réseau hydrographique pendant la fin de l’Eocène et l’Oligocène (Figure 3.29b). Elle est scellée par une cuirasse massive, marqueur d’une altération importante, qui est abandonnée vers 24 Ma. Cette cuirasse est extrêmement ferrugineuse, signalant des conditions d’altération (intensité, drainage) différentes de celle de l’intervalle paleocène-éocène. Au Néogène, les alternances climatiques propices à l’érosion mécanique puis au cuirassement sont plus marquées. Ainsi, trois générations de glacis vont se développer sur les versants puis être cuirassées (Figures 3.29c, 3.28d, 3.28e et 3.28f). Chaque type de glacis se développe pendant des périodes arides à saisonnalité plus marquée. Les glacis sont abandonnés lors du retour de conditions plus arides, à la fin d’une période d’altération intense, qui abouti à leur cuirassement. Les éléments transportés, pris dans leurs cuirasses, témoignent de l’érosion et de la redistribution des cuirasses de bauxite et d’intermédiaire. Ces clastes

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sont riches en fer et participent au cuirassement ferrugineux important des glacis. La cuirasse de Haut- glacis qui est la plus puissante et la mieux préservée est abandonnée vers 11 Ma. Le Moyen glacis est abandonné vers 6 Ma tandis que le Bas glacis est abandonné vers 3 Ma.

Figure 3.29 : Modèle d'évolution d'un interfluve ouest africain depuis 45 Ma basé sur la chronologie de Beauvais et al. (2008).

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Conclusion de la partie I : L’Afrique de l’Ouest, un objet géomorphologique

exceptionnel

L’Afrique est une zone privilégiée pour étudier l’influence du climat et de l’épirogénèse sur le développement de la topographie et la dynamique de l’érosion. L’Afrique australe notamment forme un superswell qui suggère l’influence de processus épirogéniques de grande longueur d’onde, d’origine présumée mantellique. L’Afrique est également caractérisée par une topographie de type « basins and swells » qui est interprétée comme résultante de forçages épirogéniques (mantelliques, flexuraux,..). Le développement de cette topographie est considéré par certains comme le facteur majeur responsable de la dynamique de surface et du remplissage des bassins sédimentaires des marges passives africaines. D’autres modèles invoquent le contrôle important de l’évolution du climat au Cénozoïque sur ce remplissage.

L’Afrique de l’Ouest est restée tectoniquement stable au cours du Cénozoïque. L’hypsométrie ouest africaine est élevée et interprétée comme marqueur du soulèvement en masse de l’Afrique de l’Ouest après la transgression éocène. Des changements topographiques majeurs sont donc suggérés durant le Cénozoïque. Cependant, le timing de ces changements et les mécanismes à leur origine restent débattus. L’enregistrement géologique ouest africain, principalement les dépôts sédimentaires sur les marges, est insuffisant pour caractériser cette évolution. Par exemple, les modifications potentielles de cet enregistrement par l’évolution climatique long-terme restent mal connues. Il manque en effet des informations permettant de caractériser la dynamique de la surface ouest africaine à l’échelle des temps géologiques pour faire le lien avec les bassins sédimentaires.

Depuis les incursions marines au Crétacé-Eocène, l’Afrique de l’Ouest est un domaine exclusivement continental. Sa position intertropicale pendant le Cénozoïque a permis la formation de latérites sous l’effet du climat hydrolysant. Entre les périodes dominées par l’altération, l’incision des rivières a provoqué la mise en relief des surfaces d’altération formées auparavant. Cinq surfaces cuirassées ont ainsi été formées et abandonnées sur les interfluves ouest africains. Les formes et altérations de ces surfaces sont distinctes, caractéristiques et se sont développées de manière quasi- synchrone sur le craton. On peut donc les regrouper en une séquence morpho-climatique. La première, la surface Africaine, est identifiée sur l’ensemble du continent et résulte de l’altération intense durant la période paléocène-éocène. Les autres surfaces sont essentiellement ferrugineuses. Elles marquent la dissection de la surface Africaine par le réseau hydrographique. Les âges d’abandon des latérites sont approximativement 45, 24, 11, 6 et 3 Ma.. Cette séquence est donc caractéristique de l’évolution morphologique de l’Afrique de l’Ouest au cours du Cénozoïque. Elle contient des marqueurs topographiques qui permettront d’étudier la dissection et la déformation de la surface Africaine. Elle

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est également influencée par les variations climatiques cénozoïques au même titre que l’enregistrement des bassins sédimentaires. Elle constitue alors un outil géomorphologique exceptionnel pour caractériser l’évolution du relief ouest africain au Cénozoïque et améliorer notre compréhension de la dynamique du continent africain.

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Partie II: Répartition spatiale des reliques de paléo-surfaces et évolution du