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Sous-Chapitre IB : Contexte paléoenvironnemental de l'Océan Atlantique intertropical

8. Variabilité climatique des derniers 45 000 ans à l’échelle de l’Afrique et de l’Océan Atlantique intertropical

8.1. Variabilité de la mousson africaine

Le principal facteur influant sur la dynamique atmosphérique de la bande intertropicale consiste en la migration latitudinale de la ceinture des pluies (ou « Tropical Rainbelt » ou TR) face à la variabilité climatique orbitale et infra-orbitale. Ces mouvements de fronts atmosphériques ont fait l'objet de reconstructions paléoclimatiques (Arbuszewski et al., 2013 ; McGee et al., 2014) dans le but, notamment, d'expliquer les régimes paléohydrologiques observés dans les études paléoenvironnementales en Afrique.

Les exercices de modélisation pour des extrêmes climatiques tels que le DMG et l'Optimum Climatique Holocène (OCH), aussi appelé « African Humid Period » dans le cas plus spécifique des études portant sur l'Afrique (deMenocal et al., 2000), mettent en évidence des variations latitudinales de la TR de l'ordre 5-7° au nord (Figure 28b, OCH) ou au sud (Figure 28c, DMG) de sa position actuelle. Des changements significatifs dans les précipitations ne sont pas observés au niveau de l'équateur (Figure 28), l'amplitude entre les différentes configurations n'excédant pas 5 %, tandis qu’ils sont nettement plus considérables dans les régions périphériques. Plus particulièrement, dans le Sahel, les précipitations chutent de près de 20 % à 21 ka BP par rapport à l’Actuel (Figure 28c), tandis qu'à 6 ka BP cette région enregistre une forte augmentation des précipitations, quadruplée par rapport aux valeurs actuelles (Figure 28b). Ainsi, dans les modèles de McGee et al. (2014), les anomalies pluviométriques induites par une migration de la TR affectent toutes les régions sur 15° de latitude de part et d'autre de la TR, mais les anomalies maximales s’observent vers 5-6° de distance par rapport à sa position moyenne (McGee et al., 2014). Dans l'hémisphère sud, le même phénomène est observé : un climat plus humide qu'à l'actuel sur l'Afrique du Sud durant le DMG à la suite d'une migration vers le sud du front de mousson (Figure 28c), tandis qu'à l'inverse, à 6 ka BP, cette région apparaît plus aride qu'aujourd'hui (Figure 28b).

L'indice de Martonne (voir 2.1.3.2) fournit des informations supplémentaires (Figure 28e). Tout d’abord, bien que l'équateur africain montre un déficit pluviométrique à 21 ka BP (Figure 28c), l'indice de Martonne met en évidence des conditions équatoriales plus prononcées et plus étendues entre 4° N et 11°S, par rapport à 2°N-2°S aujourd’hui (Figure 28e). De plus, le passage entre les différents seuils hygrométriques proposés par Martonne se décale de 1° vers le sud à 21 ka BP tandis qu’il se décale de 3° environ vers le nord à 6 ka BP (Figure 28e). Il est intéressant de noter que seules les régions où les précipitations augmentent

96 sont caractérisées par ce décalage des seuils, tandis que les régions où les précipitations diminuent ne sont pas caractérisées par des changements de l’indice d'aridité. Cependant, cette observation est propre au calcul de l'indice de Martonne qui reste stable dans le cas où les températures et les précipitations baissent de manière synchrone.

98 Figure 28 Evolution de la migration de la ceinture de pluies au cours de trois périodes de référence. a) Précipitations actuelles moyennes (mm/an ; données TRMM 1998-2014) avec la position moyenne annuelle de la ceinture de pluies (Tropical Rainbelt) en blanc tireté. b) Anomalies de précipitations (%) à 6 ka BP selon la moyenne des simulations effectuées par Hijmans et al. (2005). Position actuelle de la ceinture de pluies en vert et position hypothétique en rouge selon Arbuszewski et al. (2013) et McGee et al. (2014). c) Anomalies de précipitations (%) à 21 ka BP selon la moyenne des simulations effectuées par Hijmans et al. (2005). Position actuelle de la ceinture de pluies en vert et position hypothétique en rouge selon Arbuszewski et al. (2013) et McGee et al. (2014). d) Transect latitudinal des précipitations moyennes annuelles à 20° est (trait noir en a), b) et c) selon les 3 cas de figure présentés. e) Indice d’aridité (de Martonne, 1926) calculé pour les 3 périodes présentées. La grille de coordonnées géographiques a une maille de 10°.

8.1.1. Impact des cycles orbitaux

Bien que l'insolation varie peu dans les basses latitudes, les variations de l'obliquité et de la précession des équinoxes ont une influence significative sur les régimes d'humidité équatoriaux (Tuenter et al., 2003). Les latitudes tropicales, quant à elles, sont soumises aux oscillations glaciaires/interglaciaires. (deMenocal et al., 1993). Ceci se traduit notamment dans ces régions par des changements en termes de gradient thermique (Bosmans et al., 2015), permettant probablement à la TR d'augmenter ou de réduire son amplitude pluviométrique saisonnière. Aussi, la précession a un rôle majeur dans les basses latitudes en fonction de la configuration orbitale. En effet, le fait qu’un hémisphère soit au périhélie pendant l’été, i.e. durant les minima (/maxima) de précession pour l’hémisphère nord (/sud) (Berger et Loutre, 1991), influe directement sur la température et l'humidité qui gagnent en intensité (Merlis et al., 2012). Enfin, la combinaison obliquité/précession joue également un rôle important (Tuenter et al., 2003). Ainsi, l’impact climatique lié à la précession va être accentué ou atténué par l'obliquité. Dans le cas de l’Afrique, un maximum d’intensité du régime des moussons est caractérisé par une association « minimum de précession - maximum d'obliquité » (Tuenter et al., 2003; Caley et al., 2011), comme cela a été le cas notamment durant l'Holocène moyen (Berger et Loutre, 1991). A l'inverse, une combinaison de type « maximum de précession - minimum d'obliquité » correspond à une phase climatique tropicale aride, comme ce fut le cas entre 27 et 17 ka BP dans notre zone d'étude (Bonnefille et Chalié, 2000; Anhuf et al., 2006; Weldeab et al., 2007). Enfin, une combinaison orbitale de type « minimum d'obliquité - minimum de précession » correspond dans les tropiques à un régime de mousson intermédiaire par rapport aux deux configurations discutées précédemment, comme ce fut le cas à la fin du MIS 3, entre 40 et 27 ka BP.

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8.1.2. Impact des oscillations climatiques infra-orbitales

Compte tenu de la très forte dépendance de la TR vis-à-vis du gradient thermique océanique trans-équatorial, les événements climatiques rapides ayant affecté la circulation thermohaline, essentiellement durant le MIS3 et la dernière déglaciation, ont également eu un impact sur l’intensité de la mousson africaine. Les enregistrements sédimentaires dans le Bassin de Cariaco au large du Venezuela (González et al., 2008; Schneider et al., 2014), ainsi que les signaux isotopiques (Arbuszewski et al., 2013) et Baryum / Calcium (Weldeab et al., 2007) enregistrés dans les sédiments atlantiques, mettent en évidence une migration systématique vers le sud de la TR en réponse au ralentissement de l'AMOC durant les stadiaires et notamment les événements d'Heinrich (Chiang et al., 2008; Schmidt et Spero, 2011). Cette migration est d’une amplitude 1 à 2° supérieure à sa position moyenne atteinte durant le DMG (McGee et al., 2014). A l'inverse, durant les interstades, les reconstructions climatiques semblent indiquer une migration vers le nord de la TR atteignant alors des latitudes relativement similaires à sa position moyenne actuelle (Schneider et al., 2014). Il convient toutefois de noter que les reconstructions paléoenvironnementales issues du Bassin de Cariaco font partie des rares reconstructions de ce secteur géographique à disposer d’une résolution temporelle suffisante pour détecter clairement les contrastes entre stadiaires et interstadiaires. Sur la marge africaine et dans les latitudes tropicales, les études paléoenvironnementales ne permettent pas d'aborder cette problématique compte tenu des résolutions temporelles moyennes de l’ordre de plusieurs siècles à plusieurs milliers d’années pour le MIS3.

Enfin, la mousson est également sujette à des oscillations sur des échelles de temps beaucoup plus courtes, i.e. quelques décennies, notamment en lien avec les oscillations multidécadales de l'Océan Atlantique (AMO; Zhang et Delworth, 2006; Wang et Gillies, 2011) qui influent sur la puissance des courants jet AEJ et TEJ (Nicholson, 2009). Ceci conduit à un affaiblissement et à une légère migration de la zone de mousson vers le sud en cas d'AMO négative, ce qui explique en partie l'origine de la sécheresse du Sahel intervenue au cours des années 1980 et 1990. La configuration atmosphérique durant les phases AMO+ est à l'inverse favorable à des conditions plus humides.

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