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Sous-Chapitre IB : Contexte paléoenvironnemental de l'Océan Atlantique intertropical

7. Variabilité climatique des derniers 45 000 ans à l’échelle globale

7.2. Oscillations climatiques suborbitales

Les fluctuations climatiques observées sur les derniers 45 000 ans BP ne sont pas toutes expliquées par les configurations orbitales décrites précédemment. En effet, les événements climatiques orbitaux s'échelonnent sur plusieurs milliers à dizaines, voire centaines, de milliers d'années, alors que les glaces et sédiments marins enregistrent des événements climatiques abrupts s'échelonnant sur plusieurs années à décennies, voire siècles à milliers d’années, détectés en fonction de l’extension temporelle et de la résolution d’étude atteintes par les archives paléoenvironnementales. Dans cette partie, nous nous consacrerons à la variabilité climatique présentant des signaux pseudo-périodiques de l’ordre du siècle au millier d’années, ce qui correspond à la résolution d’étude couverte par les carottes marines étudiées au cours de cette thèse.

7.2.1. Evénements de Dansgaard-Oeschger

Les périodes glaciaires, dont la dernière période glaciaire qui nous intéresse plus spécifiquement dans le cadre de ce travail, sont particulièrement instables du fait notamment de la présence des inlandsis dans des latitudes tempérées, comme l’ont mis en évidence les enregistrements marins et glaciologiques (Heinrich, 1988; Bond et al., 1992; Dansgaard et al.,

88 1993; Alley, 2000; Zhang et al., 2014). Plus précisément, des événements climatiques abrupts, essentiellement survenus au cours du MIS 3 (Figure 26), se caractérisent par des changements rapides et violents de températures dans l'hémisphère nord, regroupés sous la terminologie des événements de Dansgaard-Oeschger (DO).

Figure 26 Principaux événements climatiques ayant caractérisé les derniers 45 000 ans tels qu’enregistrés dans les données 18

O des glaces : Antarctique (bleu) et Arctique (rouge). La numérotation 1 à 10 pour l'Antarctique correspond aux Antarctic Isotopic Maximum (AIM ; Alberti et al., 2014), tandis que la numérotation 1 à 12 pour l'Arctique correspond aux Greenland Interstadials (GI ; rouge) et Greenland Stadials (GS ; bleu). Les GI et AIM sont surlignés en orange pâle. Les rectangles bleu clair replacent les événements de Heinrich (HEs) et les rectangles noirs situent le Younger Dryas (YD) et l'Antarctic Cold Reversal (ACR). Enfin l’Holocène est représenté par un encart vert et le Dernier Maximum Glaciaire (DMG) par un encart bleu. Les Stades Isotopiques Marins (MIS) sont délimités par des traits noirs en tiretés.

Les événements DO se caractérisent par des pics de 18O, avoisinant celles enregistrées pendant les périodes interglaciaires, appelés interstades (ou Greenland Interstadials, GI ; Figure 25), entrecoupés par des périodes de refroidissement nommées stadiaires (ou Greenland Stadials, GS ; Figure 26), selon une périodicité moyenne de 1 470 ans +/- 12 % de cette durée (Schulz, 2002). Ainsi, 25 GI et GS sont comptabilisés au total sur la dernière période glaciaire, et ces événements sont probablement survenus également lors des périodes glaciaires précédentes sur le dernier million d’années (Barker et al., 2011). Le mécanisme de ces événements implique une interaction entre la dynamique des calottes de glace alternant entre croissance et débâcles d'icebergs, et la dynamique océanique, notamment à travers les

89 changements périodiques dans l'intensité de l'AMOC. De plus, les changements en terme d'insolation sont susceptibles d'avoir influé sur l'occurrence de ces événements dans la mesure où ces derniers interviennent principalement durant le MIS 3 au moment où l'insolation estivale à 65°N était plus élevée (Figure 25).

7.2.2. Evénements d'Heinrich

Parmi les GS, des refroidissements de températures océaniques plus intenses correspondent à un démantèlement massif des inlandsis, et notamment de la Laurentide, regroupés sous l'appellation des événements d'Heinrich (HEs). Ces événements, correspondant à un afflux considérable d'icebergs équivalent à 3+/-1 m de niveau marin (Roche et al., 2004), soit environ 1/4 du volume actuel de l'inlandsis groenlandais (Houghton, 2001), ont été décrits pour la première fois dans les sédiments marins par des dépôts de sédiments détritiques terrigènes grossiers, ou « Ice Rafted Debris » (IRD ; Heinrich, 1988), au sein de la sédimentation fine hémipélagique. Ces séquences de dépôts ont été observées à 10 reprises au cours de la dernière période glaciaire, selon une pseudo-périodicité de 7 000-10 000 ans et sur une durée moyenne de 2 000 ans, et 4 sont dénombrées au cours des derniers 45 000 ans BP (Figure 26; Heinrich, 1988; Rasmussen et al., 2003).

Le consensus actuel consiste à considérer une déstabilisation des inlandsis suite à l’instabilité des plateformes de glace de mer, ou « ice-shelves », qui assurent le maintien de la glace continentale en amont (Bond et al., 1992). La fonte des icebergs perturbe la stratification des masses d'eau de l'Atlantique Nord et les zones de plongement, se traduisant notamment par un ralentissement significatif de la circulation thermohaline. Cependant, le ralentissement de la circulation thermohaline, antérieur de plusieurs siècles aux dépôts des IRD, laisserait à penser que les HEs pourraient être la conséquence et non le moteur d’une perturbation de la circulation océanique (Álvarez-Solas et al., 2011). Les auteurs proposent en effet un réchauffement des eaux de subsurface dans la Mer du Labrador consécutif au ralentissement de l'AMOC, via le retrait de l'influence de la NADW, ce qui induirait une « érosion thermique » accrue de la Laurentide, entrainant par conséquent une déstabilisation de cette dernière (Álvarez-Solas et al., 2011). Dans tous les cas, les débâcles d'icebergs font partie d'une boucle de rétroaction positive, puisqu’elles réduisent d'avantage l'intensité de l'AMOC, accentuant ainsi le réchauffement subsurface, etc...

90 En termes de conséquence climatique, les HEs se traduisent par la quasi disparition de la zone climatique tempérée avec la migration du front polaire jusqu’à environ 40° N, i.e. jusqu’à des latitudes subtropicales (McIntyre et al., 1976; Eynaud et al., 2009; Harland et al., 2016). Il convient cependant de noter qu'aucun HE n’est semblable à un autre d’un point de vue des conséquences paléoenvironnementales étant donné que chacun de ces événements est survenu dans des contextes climatiques très différents, avec des volumes de glace (niveaux marins) et une insolation différents.

7.2.3. Bas ule li ati ue ipolai e ou Bipolar seesaw

Un déphasage de la variabilité climatique millénaire haute fréquence a été mis en évidence entre les deux hémisphères. Ainsi, les oscillations rapides de la dernière période glaciaire ne sont ni synchrones, ni identiques en terme d’amplitude thermique, et ce découplage inter-hémisphérique complexe est aussi nommé « bipolar seesaw » en référence au modèle de réchauffement-refroidissement des DO comparable à un schéma en dent de scie (Stocker, 1998). Le décalage temporel entre les données isotopiques glaciologiques antarctiques et groenlandaises est cependant complexe puisqu’il est possible d’observer : i) soit une antiphase parfaite, i.e. un interstade Antarctique, ou Antarctic Isotopic Maximum (AIM ; Figure 26; Blunier et Brook, 2001; Bigler et al., 2010; Caballero-Gill et al., 2012; Alberti et al., 2014), synchrone avec un GS (e.g. AIM 4, 5, 9 et 10 avec GS 4, 5-HE3, 10 et 11 ; Figure 26), ii) soit un décalage temporel lié à une différence dans la durée de l'amorce du réchauffement. En effet, l’initiation des GI se fait en quelques décennies dans l'hémisphère nord tandis que l'amorce des AIM prend plusieurs siècles dans l’hémisphère sud. Un AIM peut ainsi démarrer en avance par rapport à un GI (e.g. AIM 1 et 8 débutant 1 000 à 2 000 ans avant GI 1 et 8 ; Figure 26), ou inversement (e.g. AIM 10 et GI 11 ; Figure 26). Enfin, iii) il arrive que les deux pôles soient synchrones (e.g. AIM 6 et 7 avec GI 5 et 7).

La différence de comportement entre les deux hémisphères peut s'expliquer, d'une part, via la répartition des continents. En effet, l'hémisphère sud est essentiellement océanique et les oscillations climatiques vont à la fois être atténuées en amplitude et présenter des transitions plus progressives. D'autre part, l'hémisphère sud n'a pas développé d’inlandsis aussi importants au cours des périodes glaciaires que l’hémisphère nord, en dehors des inlandsis de l'Antarctique et la calotte glaciaire du sud de la Patagonie (cf. Figure 21), et n’a pas été affecté

91 par des régimes d’instabilités aussi importants que ceux connus pour l’Atlantique Nord. Les mécanismes à l'origine du déphasage des événements chauds et froids dans les deux hémisphères seraient liés au fonctionnement même de la circulation thermohaline. Ainsi, le ralentissement de la circulation océanique profonde dans l'Atlantique Nord se traduit classiquement par une diminution du transfert de chaleur vers les hautes latitudes nord, celle-ci s'accumulant alors dans les latitudes australes et entrainant un réchauffement des températures dans l'hémisphère sud (Severinghaus, 2009; Chylek et al., 2010; Jung et al., 2010). Les événements climatiques abrupts de l'Atlantique Nord constitueraient ainsi le moteur de la bascule bipolaire de chaleur, d'où l'expression « North leads, South lags ». Toutefois, chaque hémisphère influe l'autre. Il a été récemment suggéré qu’un réchauffement des températures en Antarctique entraînerait une excitation de l'AMOC, se répercutant 3 600 ans plus tard en moyenne par un pic de chaleur dans l’hémisphère nord comme c’est le cas pendant les GI (Alberti et al., 2014), et entraînant par la suite des décharges massives d'eau douce dans l'Atlantique Nord, à la base d’un nouveau GS, lui-même impliquant un réchauffement de l'hémisphère sud, etc...