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IV. Vulnérabilité à la cavitation des arbres

2) Variabilité intra-spécifique

extrêmement vulnérables à l’image du Populus deltoides (P50 = - 1,35 MPa) et d’autres à la

résistance plus marquée, comme le Populus nigra (P50 = - 2,95 MPa) (Cochard et al., 2005).

2) Variabilité intra-spécifique

Nous avons vu que les plantes fonctionnent en limite de potentiel hydrique, ce qui pose

la question de leur maintien sous un climat aux conditions hydriques plus contraintes (Aitken

et al., 2008 ; Allen et al., 2015). Nous avons également vu que la variabilité inter-spécifique

peut être grande pour la vulnérabilité à la cavitation. Dans le paragraphe précédent nous avons

considéré le P50comme un trait fixé pour l’espèce. Nous allons voir dans ce paragraphe que la

résistance à la cavitation est un trait également soumis à variation à l’échelle intra-spécifique et

verrons dans quel ordre de grandeur. Il a été montré dans une méta-analyse compilant 33 études

pour 46 espèces que la variabilité intra-spécifique de la résistance à la cavitation représente

33 % de la variabilité totale entre espèces à l’échelle d’un genre (Anderegg, 2015). Lorsque

l’on compare des populations, de la variabilité phénotypique est souvent observée sur la

résistance à la cavitation, mais cela n’est pas systématique. Par exemple, dans une étude menée

sur quatre espèces (deux conifères et deux angiospermes) échantillonnées le long de leur aire

de répartition en Europe, Gonzáles-Muñoz et al. (2018) concluent à l’absence de variabilité

phénotypique pour trois des quatre espèces considérées (Betula pendula, Picea abies, Pinus

sylvestris ; mais pas Populus tremula). De même, Sáenz-Romero et al.(2013) n’observent pas

de différences entre population le long d’un gradient altitudinal. Ainsi, selon certains auteurs le

P50 est un trait propre à chaque espèce et, en se basant sur le potentiel hydrique, il peut être

utilisé pour connaître l’embolie native en champ (Vitra et al., 2019) ou les marges de sécurité

hydrauliques (Benito-Garzón et al., 2018).

La variabilité phénotypique d’un trait à l’échelle intra-spécifique peut avoir deux composantes :

- Variabilité génétique : les différences de phénotypes exprimés entre individus au sein

d’une population (ou entre populations) viennent de différences de génotypes, par

sélection naturelle.

- Plasticité phénotypique : les changements de phénotypes exprimés viennent de

changements d’expression du génotype, en réponse à des changements de conditions

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a)Composante génétique

La recherche de variabilité génétiques de la résistance à la cavitation est récente et

facilitée par l’amélioration de l’efficacité des méthodes de phénotypage (notamment par la

méthode du Cavitron) (Lamy et al., 2011 ; Wortemann et al., 2011). Ces études montrent que

la diversité génétique est faible sur ce trait pour le hêtre et le pin maritime (Wortemann et al.,

2011 ; Lamy et al., 2014); ceci étant interprété comme le signe que le trait est canalisé du fait

de contraintes génétiques (Lamy et al., 2012). En d’autres termes, l’architecture génétique

pourrait réduire la variabilité d’un trait afin de préserver des phénotypes fonctionnels (S

áenz-Romero et al., 2013). Cela va dans le même sens que les résultats obtenus dix ans plus tôt par

Maherali et al. (2002), qui n’observaient pas de divergence évolutive ni de variabilité de P50

entre populations de Pinus ponderosa poussant dans des environnements contrastés. La

comparaison de cultivars pour les espèces cultivées, qu’il s’agisse de variétés de noyers ou

d’hévéas, a montré une absence de variabilité génétique du P50 pour ces deux espèces (Jinagool

et al., 2015 ; 2018). Plus récemment, des résultats similaires ont été obtenus sur chêne sessile,

où aucune différence dans le P50 n’a été montrée entre provenances plantées dans un jardin

commun (Lobo et al., 2018). Quelques études ont pu mettre en évidence de la différenciation

génétique associée à la vulnérabilité à la cavitation, par exemple chez Pinus canariensis et

Pinus halepensis, mais celle-ci reste faible (López et al., 2013 ; David-Schwartz et al., 2016).

La synthèse des études précédemment citées montre que la composante génétique ne joue pas

de rôle important quant aux variations intra-spécifiques de la résistance à la cavitation, qui

auraient majoritairement pour origine la plasticité phénotypique.

b)Plasticité phénotypique

Les études ayant exploré les deux composantes de la variabilité intra-spécifique observent

généralement une variabilité par plasticité phénotypique supérieure à celle due à la composante

génétique (Corcuera et al., 2011 ; López et al., 2013 ; Aranda et al., 2015 ; Jinagool et al.,

2015). Une étude récente incluant des populations de hêtres en marge d’aire de répartition

montre des différences entre les populations en marge de l’aire de distribution, que les auteurs

attribuent à de la plasticité (Stojnićet al., 2018). De la même manière sur gymnospermes, une

étude comparant plusieurs jardins communs met en évidence une variabilité phénotypique en

lien avec la température des aires d’origines de différentes populations de Pinus canariensis

Figure 25 : Acclimatation du P

50

. A : Coefficient de variation du P

50

à l’échelle intra-spécifique selon le

groupe (Aderegg, 2015).B :Courbes de vulnérabilité en réponse à des conditions de croissance contrastées

pour le régime hydrique chez le peuplier. Cercles blancs, arrosés à capacité au champ ; cercles noirs, stress

hydrique modéré ; triangles, stress hydrique sévère (Awadet al., 2010).

CV

of

P

50

B

A

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commun avec les conditions climatiques les plus contraignantes (précipitations basses). Il est

possible que cette grande variabilité soit le fait des conditions très contraintes dans lesquelles

les individus ont poussé, qui auraient favorisé l’émergence de nouveaux phénotypes peu

communs (Schlichting, 2008).

En comparant les P50 de plusieurs populations de hêtres, Herbette et al. (2010) observent

des différences de résistance à la cavitation dues à la plasticité au sein d’un même individu : les

branches les plus exposées à l’ombre sont plus vulnérables que les branches en pleine lumière.

En comparant des populations, des différences de P50 sont rapportées sans qu’elles puissent être

liées à des variables climatiques (latitude, altitude, exposition Nord/Sud) (Herbette et al., 2010).

Cette dernière observation est similaire aux observations faites par d’autres auteurs un an plus

tôt en comparant des populations de pin sylvestre (Martínez-Vilalta et al., 2009). Herbette et

al. (2010) suggèrent que l’absence de lien entre les variables climatiques et les P50 mesurés

pourrait s’expliquer de deux manières : soit les populations les plus exposées à la sécheresse

s’acclimatent sur des paramètres de résistance à la sécheresse davantage que sur la tolérance à

la cavitation ; soit une acclimatation à la résistance à la cavitation est nécessaire chez de

nombreuses populations non exposée à la sécheresse, du fait, par exemple, d’une exposition à

la cavitation hivernale due au gel. De même, dans une étude utilisant un dispositif d’exclusion

de pluies sur le long terme (10 ans), Limousin et al. (2010) n’observent pas de changement de

résistance à la cavitation sur chêne vert malgré une diminution de potentiel hydrique, pourtant

signe d’un stress hydrique plus important.

L’acclimatation à certaines conditions environnementales a été identifiée comme

augmentant ou diminuant la résistance à la cavitation par plasticité phénotypique : un régime

hydrique contraint permet d’obtenir des individus plus résistants (Fig. 25.B) (Awad et al.,

2010 ; Fichot et al., 2010 ; Plavcová & Hacke, 2012), l’ombre est connue pour augmenter la

vulnérabilité à la cavitation (Barigah et al., 2006 ; Plavcová et al., 2011) et le même effet a été

obtenu par l’augmentation des apports azotés (Cooke et al., 2005 ; Plavcová & Hacke, 2012).

Dans une revue, Anderegg (2015) montre que la plasticité phénotypique sur la résistance à la

cavitation est bien plus faible chez les conifères que chez les angiospermes (Fig. 25.A).

Tantôt qualifiée de « faible » (Lamy et al., 2014), tantôt de « substantielle » (Anderegg,

2015), la variabilité de la résistance à la cavitation a donc bien été mise en évidence à l’échelle

intra-spécifique. Cette variabilité serait davantage due à la plasticité phénotypique plutôt qu’à

de la variabilité génétique (Corcuera et al., 2011 ; López et al., 2013). Cela soulève la question

de savoir si la plasticité phénotypique de la résistance à la cavitation peut être d’une amplitude

Figure 27 : Éléments conducteurs du xylème des

angiospermes (Taiz & Zeiger, 2010).

Figure 26 : Dépôts de paroi secondaire

organisés en couches.A: Couches S1 à S3

chez les angiospermes. B : Cas particulier

du bois de tension chez les angiospermes

(Badelet al., 2015).

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suffisamment importante pour permettre une acclimatation aux conditions climatiques futures.

Une étude récente va dans ce sens : dans des plantations en jardins communs en limites d’aires

de répartition, en comparant plusieurs populations de Douglas, il a été constaté une corrélation

entre P50 et survie (Chauvin et al., 2019).

La recherche des bases génétiques à l’origine de la variabilité phénotypique de la

vulnérabilité à la cavitation se heurte à la difficulté de l’identification de gènes candidats

(Allario et al., 2018). Comprendre les bases structurelles de la vulnérabilité à la cavitation à

l’échelle intra-spécifique est un préalable à la recherche de gènes candidats pour ce trait.