III. Dysfonctionnement hydraulique
1) Cavitation d’un liquide sous tension
plantes des mangroves puisent leur eau directement de l’eau de mer, qui a un potentiel
osmotique de - 2 MPa. Cela implique que leur potentiel hydrique soit encore plus bas afin de
compenser les forces de frottement et l’action de Ψ
g(Milburn, 1996). De même, le potentiel
dépend de l’aridité du sol. Par exemple, dans les déserts, les plantes luttent contre des potentiels
hydriques du sol qui peuvent être inférieurs à - 5 MPa (Sperry, 2011). Enfin, à cause des forces
de frottement et de la gravité, plus on s’éloigne de la base d’un arbre plus les potentiels
hydriques diminuent. C’est une des limites à la hauteur des grands arbres (Koch et al., 2004 ;
Domec et al., 2008).
III. Dysfonctionnement hydraulique
En cas de sécheresse intense, les potentiels diminuent de façon plus importante que ce
que nous avons vu jusqu’ici. La colonne d’eau est soumise à de telles forces de tension que son
intégrité même est menacée, et avec elle tout le transport en eau de la plante. Dans ce
paragraphe, nous proposons d’étudier en détail comment la cavitation se forme et comment elle
affecte le xylème. Nous passerons également en revue les controverses qui existent
actuellement au sein de la communauté sur le sujet.
1) Cavitation d’un liquide sous tension
Lorsqu’un liquide est sous tension, il est dans un état dit métastable. Si les forces de
tension dans le liquide surpassent les forces de cohésion entre les molécules, une bulle de vapeur
peut apparaître spontanément. Ce phénomène s’appelle la cavitation. Si une bulle d’air apparaît
dans le système vasculaire des plantes, du fait des forces de tension la bulle d’air augmente de
volume jusqu’à occuper tout le vaisseau concerné (Fig. 13). L’embolie qui en résulte empêche
l’eau de passer; le vaisseau n’est plus fonctionnel. Les modèles prédisent que l’eau à
température ambiante cavite à des pressions comprises entre - 30 et - 180 MPa (Temperley,
1947 ; Fisher, 1948 ; Kwak & Panton, 1985), et des études expérimentales sur des inclusions
de quartz montrent qu’effectivement l’eau peut atteindre des tensions extrêmes sans caviter,
avec des tensions atteignant - 140 MPa (Green et al., 1990 ; Zheng et al., 1991). Du fait que les
potentiels hydriques mesurées in planta sont dix fois plus faibles que ces valeurs, certains ont
considéré que la cavitation n’était pas envisageable dans les tissus des plantes (Oertli, 1971).
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rupture spontanée en un endroit aléatoire de la colonne d’eau (nucléation homogène) mais la
cavitation s’organise autour d’un point de nucléation, qui peut être une impureté, la perte
d’adhésion des molécules d’eau à la paroi du vaisseau, une cavité remplie d’air, etc. (cavitation
hétérogène) (Fisher, 1948 ; Tyree et al., 1994). Cochard et al. (1992b) ont comparé la résistance
à la cavitation d’échantillons de tiges suivant deux méthodes de mesure, l’une exposant le
xylème des échantillons à des tensions, l’autre exposant le xylème à des pressions positives.
C’est à dire dans le second cas, des conditions où l’eau est dans un état stable et de ce fait où il
ne peut y avoir de nucléation. La résistance à la cavitation similaire observée dans les deux
modalités montre que la nucléation homogène n’est pas nécessaire pour expliquer la cavitation
chez les plantes.
De même, les valeurs de tensions extrêmes atteintes par Green et al. (1990) et Zheng et
al. (1991)) sur quartz posent question (Davitt et al., 2010). Les résultats en eux-mêmes ne sont
pas remis en cause car l’expérience a été reproduite par d’autres équipes (Shmulovich et al.,
2009). Certains auteurs se demandent si ce ne serait pas la technique utilisée pour produire les
inclusions de quartz qui –soit en produisant un matériau exceptionnellement dénué d’impureté
soit au contraire en produisant des « impuretés stabilisatrices » (stabilisant les liaisons
hydrogènes entre molécules d’eau) –permettrait d’atteindre des pressions aussi basses (Davitt
et al., 2010). Pour toutes les autres méthodes expérimentées à l’heure actuelle l’eau cavite entre
-20 et - 30 MPa pour les pressions les plus basses (Hiro et al., 2003 ; Wheeler & Stroock, 2008 ;
Davitt et al., 2010). Cela pourrait s’expliquer par de la nucléation hétérogène autour
d’impuretés présentes de la même manière dans chacune de ces expérimentations. Un bon
candidat serait l’ion hydronium, présent de façon spontanée dans l’eau du fait de son
autoprotolyse (Davitt et al., 2010). Cette dernière valeur est à rapprocher des mesures de
résistance à la cavitation récemment mesurées pour l’espèce la plus résistante, un conifère
australien du genre Callitris, chez lequel le xylème perd la moitié seulement de sa conductance
du fait de la cavitation à une pression de - 18 MPa (Larter et al., 2015).
La première détection expérimentale chez les végétaux d’évènements de cavitation a été
faite par Milburn & Johnson (1966). Si la présence dans le xylème d’évènements de cavitation
dus à des forces de tension a été débattue (Milburn & McLaughlin, 1974 ; Tyree & Dixon,
1983), ce n’est que relativement récemment que le mécanisme de cavitation dans les conditions
de sécheresse a été définitivement mis en évidence (Sperry, 1986). Puis les auteurs ont identifié
l’effet mortel de la cavitation par dysfonctionnement hydraulique lorsqu’une proportion
significative du xylème est embolisé (Tyree et al., 2002) et ce n’est que récemment que des
A B C D
Figure 15 : Diffusion del’emboliedans le xylème.A: Fonctionnement normald’unxylème ; les ponctuations
permettent le passage del’eau.B :Un vaisseau est embolisé, les ponctuations ne permettent pas le passage
de l’air. C : Des ménisques se forment entre les microfibrilles de cellulose à l’interface eau-air. D : Si la
différence de pression n’est pas suffisante entre les deux compartiments, l’embolie est contenue dans un
vaisseau.E : Si la différence de pression permet la ruptured’undes ménisques, des bullesd’airenvahissent
le vaisseau remplid’eau(A-C :Venturasetal., 2017 ;D, E :Tyreeet al., 1994).
E
Figure 14 : Lien entre survie et embolie pour deux angiospermes. Courbe en tiret, perte de conductance
de segments de tiges due à l’embolie ; barres, suivi de mortalité. Trait rouge horizontal, temps à partir
duquel le transport de l’eau est réduit de 90 % du fait de l’embolie. Nous remarquons que cette limite
correspond àl’augmentationde la mortalité (Barigahet al., 2013).
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embolisé pour les conifères (Brodribb & Cochard, 2009 ; Brodribb et al., 2010), 88 % pour les
angiospermes (Fig. 14) (Barigah et al., 2013 ; Urli et al., 2013).
Dans le document
Etude structurelle et fonctionelle de la plasticité de la vulnérabilité à l'embolie chez le peuplier
(Page 38-42)