VI. Déterminants structuraux de la vulnérabilité à la cavitation
1) Déterminants à l’échelle inter -spécifique
La cavitation se répandant dans le xylème selon l’hypothèse du germe d’air, un xylème
résistant à la cavitation est un xylème qui bloque efficacement la diffusion de l’embolie. Ainsi,
deux hypothèses non-exclusives expliquent le lien entre anatomie et résistance à la cavitation
du xylème des angiospermes : la qualité et la quantité de ponctuations (Lens et al., 2013).
Concernant la qualité des ponctuations, la forme de la ponctuation a un impact sur la
résistance à la cavitation. Par exemple, plus la paroi est épaisse plus les bulles d’air auront des
difficultés à la franchir en se frayant un passage entre les microfibrilles de cellulose. Cela est
principalement la conséquence de la taille des pores : une corrélation négative a été observée
entre la taille maximale des pores et l’épaisseur de la paroi (Jansen et al., 2009). Également,
une paroi plus épaisse va moins se déformer qu’une paroi fine à pression constante, les
déformations pouvant provoquer une augmentation de la porosité (Tixier et al., 2014). Ces
mêmes auteurs montrent par la modélisation que la forme de la chambre de ponctuation permet
un déplacement plus ou moins grand de la paroi, ce qui permet ou limite les déformations de
celle-ci (Tixier et al., 2014). Lorsque l’on compare des espèces entre elles (Li et al., 2016) ou
au sein d’un même genre (Lens et al., 2011), l’épaisseur de la paroi de ponctuation est un trait
fortement corrélé à la résistance à la cavitation. L’ultrastructure des ponctuations a aussi été
montrée comme liée à la résistance à la cavitation à l’échelle inter-spécifique (Tixier et al.,
2014).
La qualité des ponctuations peut aussi être modifiée par la composition de la paroi, qui
peut jouer un rôle dans la résistance à la cavitation en changeant les propriétés biochimiques
des parois. Par exemple, la lignine est hydrophobe et renforce la rigidité des parois. Le
changement d’hydrophobie de la paroi modifie l’angle de contact air-eau et ainsi la différence
de pressions nécessaire pour rompre le ménisque (paramètre αde l’équation de Young-Laplace,
voir partie III.2. Diffusion de l’embolie dans le xylème). La rigidité de la paroi lui permet de
moins se déformer à pression constante par rapport à une paroi plus souple (soit un changement
de Module d’Young ; voir Tixier et al., 2014). Si certaines études ont mis en évidence des
Figure 39 : Illustration de la redondance. Un
ensemble de vaisseaux connectés subit de
l’embolie (cercles). A : Sans redondance, la
conductance est nulle. B : Des
interconnections entre vaisseaux permettent
d’assurerle transport del’eauavec un impact
réduit del’embolie sur la conductance (Tyree
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la composition biochimique des parois et à fortiori sa variabilité reste peu explorée. De plus, le
phénotypage des propriétés hydrauliques qui résultent d’un changement de composition reste
une barrière méthodologique (Herbette et al., 2015 ; Allario et al., 2018).
Quant à la quantité de ponctuations, leur influence sur la résistance à la cavitation a été
évoquée il y a quelques dizaines d’années par les auteurs (Tyree et al., 1994 ; Choat et al ;
2003) et a été formalisée récemment au travers de l’hypothèse de la ponctuation faible (ou rare
pit hypothesis) (Christman et al., 2009). D’après cette hypothèse, pour qu’un vaisseau soit
embolisé, il suffit que l’air passe à travers un seul pore, celui avec le plus grand diamètre. Ainsi,
le diamètre du plus gros pore est le seul qui compte pour expliquer la vulnérabilité à la cavitation
d’un vaisseau. Augmenter la surface en ponctuations d’un vaisseau augmente le risque que ce
vaisseau porte un pore de taille importante, donc augmente sa vulnérabilité. La résistance à la
cavitation passerait donc par une diminution de la surface en ponctuations par vaisseau. Selon
cette hypothèse, faire varier les paramètres qui régissent les dimensions des vaisseaux et
l’organisation du xylème dans un sens qui tend à diminuer la surface de ponctuations par
vaisseau permet de diminuer la vulnérabilité à la cavitation : longueur et diamètre des vaisseaux
plus petits, surface de connexions entre vaisseaux réduite etc. Les validations expérimentales
de cette hypothèse manquent. Si Christman et al. (2009) ont mesuré des diamètres de pores
compatibles avec l’hypothèse chez plusieurs espèces du genre Acer, Lens et al. (2011) ont
obtenu des résultats contredisant cette hypothèse lors de leurs mesures de résistance à la
cavitation chez plusieurs espèces de ce même genre. Les nouvelles méthodes d’imagerie à
rayons X permettraient une observation directe de la propagation de l’embolie dans le xylème
en tenant compte de sa structure tridimensionnelle, mais la méthode est encore en
développement (Ponomarenko et al., 2017).
À ces hypothèses concernant la résistance à la cavitation il est important d’ajouter une
considération supplémentaire : de nombreuses études mesurent la PLC (pourcentage de perte
de conductance) en réponse à une diminution de potentiel hydrique. Ainsi, il est possible que
les vaisseaux ne soient pas davantage résistants à la cavitation mais simplement que les
évènements de cavitation aient moins d’impact sur la diminution de conductance du xylème
(Lens et al., 2013). Par exemple, une plus forte interconnexion permet une redondance du
système hydraulique et le flux pourra se maintenir en empruntant des voies alternatives (Fig.
39). Mais en contrepartie cela offre également davantage de voies d’accès à l’air pour envahir
les tissus fonctionnels. Ce dilemme a été énoncé très tôt mais le tester expérimentalement est
complexe (Tyree et al., 1994). Il faut attendre des études récentes pour que les questions de
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Des travaux en modélisation permettent d’observer l’effet de la connectivité des vaisseaux sur
la résistance du xylème à la cavitation, avec des résultats parfois contradictoires (Ewers et al.,
2007 ; Loepfe et al., 2007 ; Martínez-Vilalta et al., 2012). Un modèle publié récemment (Mrad
et al., 2018) tient compte des avancées de ces dernières années concernant le rôle de l’anatomie
dans la propagation de l’embolie (Jansen et al., 2009 ; Christman et al., 2009 ; Lens et al.,
2011 ; Tixier et al., 2014). Toutefois, dans ce dernier modèle le xylème représenté est modélisé
sur un plan et ne tient donc pas compte de l’agencement tridimensionnel des vaisseaux.
Les déterminants évoqués jusqu’à présent peuvent servir d’hypothèse dans l’étude de la
plasticité de la résistance à la cavitation du xylème de peuplier. Certains déterminants
structuraux, pourtant évoqués par des auteurs, n’ont pas été détaillés dans le paragraphe ci
-dessus. Par exemple, les chambres de ponctuations peuvent arborer des ornementations qui
empêchent les déformations trop importantes de la paroi et donc augmentent la résistance à la
cavitation (Jansen et al., 2004 ; Lens et al., 2013). Mais les travaux portant sur les
ornementations comparent les espèces en les classant selon deux catégories (présence/absence
d’ornementations) (Jansen et al., 2004 ; Medeiros et al., 2019), ce qui n’est pas compatible avec
une étude à l’échelle intra-spécifique. Mais surtout, les ponctuations du peuplier ne sont pas
concernées car non ornementées (Metcalfe & Chalk, 1950). De même, la surface intérieure des
vaisseaux peut être sculptée et une étude a montré que la profondeur ou densité de ces sculptures
étaient corrélées avec la résistance à la cavitation (Lens et al., 2011). Cependant, comme pour
les ornementations des ponctuations, les vaisseaux du peuplier ne présentent pas de telles
structures (Metcalfe & Chalk, 1950). Enfin, des théories supplémentaires sont souvent
évoquées mais du fait de l’absence de consensus scientifique les concernant, nous n’avons pas
axé notre analyse de manière à les prendre en compte. Il s’agit de la résistance à l’implosion
des vaisseaux (que nous avons déjà évoqué, voir partie III.3. Formation de l’embolie : le
premier évènement de cavitation) (Hacke et al., 2001b) et de la fatigue du xylème, ce qui
nécessite qu’un premier évènement de cavitation ait eu lieu et ait été réparé (pour les
controverses concernant la réparation de la cavitation, voir partie III.5. Irréversibilité de
l’embolie ?) (Hacke et al., 2001a).
Dans le document
Etude structurelle et fonctionelle de la plasticité de la vulnérabilité à l'embolie chez le peuplier
(Page 94-98)