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Chapitre 4 : La mémoire autobiographique

6. Les différentes fonctions de la mémoire autobiographique

6.3. Une fonction liée à la construction du soi

6.3.2. La valorisation de soi

Lorsque nous nous évaluons, nous avons tendance à entretenir une vision positive de nous- mêmes (Conway & Pleydell-Pearce, 2000; Demiray & Janssen, 2015; Wilson & Ross, 2003) et notamment celle d’une image actuelle positive. Autrement dit, nous avons de bien meilleures qualités actuellement que dans nos souvenirs. Ainsi, lorsqu'un individu se perçoit au travers de son passé, il a tendance à survaloriser le soi actuel par rapport au soi passé. La recherche de Karney et Frye (2002) exemplifie cette tendance en montrant que des personnes se remémorant les premières années de leur mariage se perçoivent beaucoup moins satisfaites qu'elles ne le sont actuellement. En dépréciant leur satisfaction antérieure, elles se créent l'illusion d'une amélioration même si tel n'est pas le cas. Cette propension à la valorisation du soi présent pourrait provenir du fait que le soi actuel participe du présent de l'individu et de son identité actuelle alors que les sois passés ne peuvent, en quelque sorte, plus atteindre l'identité présente ils peuvent alors être regardés avec bienveillance mais en étant dépréciés. Nous sourions facilement de l'adolescente maladroite et timide que nous étions valorisant ainsi la personne assurée que nous sommes devenue. Cette sous-évaluation de nos sois antérieurs nous permet par ailleurs de nous percevoir comme une personne ayant évolué positivement au cours du temps (Wilson & Ross, 2003). C'est par le biais du principe de cohérence, comme le souligne Conway (2005), que nous sommes conduits à reconstruire notre passé afin d'entretenir ce sentiment positif vis- à-vis de nous-mêmes.

Si nous nous valorisons au regard de nos sois passés, nous avons également tendance à mettre en valeur certaines caractéristiques personnelles pour maintenir une bonne image de nous-mêmes. Concrètement, nous avons tendance à ressentir nos souvenirs positifs et nos réussites passées plus en accord avec nous-mêmes que ne le sont nos souvenirs négatifs ou nos expériences d'échec. Cette motivation à se percevoir positivement serait pour Brunot et Sanitioso (2004) une des motivations les plus fortes dirigeant les conduites des individus. Dans une première recherche, Sanitioso, Kunda et Fong (1990) ont mis en évidence cette auto-valorisation en réalisant une expérimentation sur la perception que de jeunes universitaires avaient d'eux-mêmes. Dans la première partie de leur

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expérimentation, selon la condition expérimentale dans laquelle étaient placés les participants, les chercheurs avaient valorisé soit l’introversion soit l’extraversion. Dans une seconde partie, en faisant en sorte que les étudiants ne fassent pas de lien entre les deux temps de l’expérimentation, les individus rappelaient des souvenirs associés à différentes dimensions de la personnalité (dont l’introversion et l’extraversion). Il a été révélé que le processus de récupération était orienté et que les souvenirs évoqués par les étudiants étaient sélectionnés de façon biaisée afin de favoriser ceux qui illustraient le trait préalablement valorisé. Une étude ultérieure (Brunot & Sanitioso, 2004) complète ces résultats et montre que, de plus, les aspects qualitatifs des souvenirs sont affectés par la manipulation. En effet, en utilisant le même paradigme que dans l’étude précédente, il a été observé plus de souvenirs généraux d'introversion dans la condition où l'introversion était associée au succès et tendanciellement moins de souvenirs généraux d'extraversion que dans l'autre condition. Par contre, il n’a pas été révélé de différence entre les deux conditions sur le nombre de souvenirs spécifiques. Ainsi pour préserver une image positive de soi et présenter le trait de personnalité valorisé, le rappel des souvenirs était orienté vers des souvenirs représentatifs du soi souhaité. A l’inverse, le rappel de souvenirs spécifiques permettait d’éviter de se percevoir en possession du trait dévalorisé. En effet, les souvenirs spécifiques étaient associés à des événements atypiques et déviants par rapport à l’image que les étudiants avaient d’eux-mêmes. Ces résultats soulignent le caractère biaisé de la recherche en mémoire qui met en exergue et rend facilement accessible une certaine partie des éléments des souvenirs autobiographiques de façon à ce qu'ils correspondent à la perception de soi recherchée. Autrement dit, les souvenirs servent à conforter les traits de personnalité désirables. Par ailleurs, Webster et Cappeliez (1993), dans le cadre de la psychologie clinique, soulignent que les souvenirs autobiographiques en rappelant des réussites passées permettent de maintenir le niveau d'estime de soi. D’Argembeau et Van der Linden (2008), dans le but de tester l'hypothèse selon laquelle l'auto- valorisation joue un rôle dans le caractère plus ou moins détaillé des souvenirs, ont réalisé une étude dans laquelle il était demandé à une centaine de participants de rappeler des souvenirs spécifiques d'événements ayant suscité chez eux de la fierté (vs de la honte). Le sentiment de honte correspond dans ce cadre à une évaluation de soi négative et le sentiment de fierté à une évaluation positive. Il ressort de cette étude que les souvenirs positifs et impliquant le soi (liés à une expérience de fierté vécue par la personne) sont décrits avec plus de détails que les expériences négatives et concernant une autre personne. De plus, la diminution des aspects phénoménologiques dans les souvenirs dévalorisant le soi était plus importante pour les individus ayant une forte estime d'eux-mêmes. Les auteurs concluent alors que les biais de rappel phénoménologiques des souvenirs sont liés aux stratégies mises en œuvre pour préserver une image de soi positive. Plus l’écart est grand entre l’auto- évaluation de soi associée au souvenir et celle liée au soi actuel, plus le niveau de généralité du souvenir est important. Baumeister (1998) relève qu'un grand nombre d'études vont dans ce sens et qu’elles mettent en évidence la tendance des individus à prendre en compte de façon beaucoup plus

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approfondie les commentaires positifs les concernant et à examiner de façon bien moins détaillée les critiques et retours négatifs. La motivation à se percevoir positivement influence le rappel des souvenirs autobiographiques et selon le trait de personnalité souhaité l'individu rappellera plus facilement tel ou tel souvenir en lien avec ce trait (Sanitioso, Kunda, & Fong, 1990) ceci est possible grâce à une recherche motivée en mémoire (Kunda, 1990).

On le voit, la mémoire autobiographique, par le biais de souvenirs « choisis » permet aux individus de maintenir une image positive d'eux-mêmes. Processus de reconstruction orienté, la mémoire aide l'individu à diriger, confirmer, valoriser ses choix, ses buts et la vision positive qu'il a de lui-même et, dans cet objectif, lui procure les informations qui lui sont nécessaires. Les émotions accompagnant les expériences que nous vivons subissent elles aussi un traitement particulier dans notre mémoire.