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Chapitre 4 : La mémoire autobiographique

5. La récupération des souvenirs autobiographiques

Les résultats des études réalisées dans différents champs de recherche ont conduit les chercheurs à adopter une vision consensuelle du caractère reconstructif des souvenirs autobiographiques.

La récupération en mémoire d'un souvenir autobiographique nécessite au préalable qu'il ait été formé c'est-à-dire que les informations liées à l'événement aient été encodées puis stockées afin que le processus de récupération puisse ensuite se réaliser. Nous l'avons montré dans les parties précédentes, les souvenirs ne sont pas de simples copies d'un événement mais des reconstructions élaborées à partir ce qui a été vécu et des buts qui sont poursuivis. Ces reconstructions s'appuient sur le traitement que nous avons opéré lors de la mise en mémoire de l'expérience (encodage), sur la façon dont nous avons maintenu ces informations en mémoire (stockage) et enfin sur les informations accessibles lors la remémoration (récupération). Or, ces opérations sont réalisées sous le contrôle exécutif du soi de travail. Ce dernier contraint à la fois l'encodage et la construction des souvenirs (Piolino, 2007). Nous allons maintenant préciser les différents processus en jeu dans la récupération du souvenir d'un événement passé.

Norman et Bobrow (1979) ont mis en lumière un modèle cyclique de récupération des souvenirs organisé en trois phases : la spécification de la récupération, la mise en correspondance et l'évaluation. Pour être récupérée une information doit être particularisée. Cette caractérisation peut se réaliser en décrivant une ou plusieurs dimensions de l'élément ciblé : son objectif, des éléments contextuels lors de son encodage, des informations liées à cet élément, etc. Le but de cette spécification est, selon les auteurs, de produire une description de la cible et de déterminer un indicateur permettant la vérification ultérieure. La mise en correspondance consistera ensuite à retrouver en mémoire des traces mnésiques conformes à la description de l'élément recherché puis de déterminer celles qui sont les plus adaptées. Dans la dernière phase du processus, les représentations sélectionnées sont évaluées au regard du critère de vérification défini lors de la phase de spécification. Néanmoins il est possible que les informations retrouvées en mémoire ne coïncident pas exactement avec l'élément recherché. Une nouvelle recherche pourra alors être initiée sur la base d'informations supplémentaires récupérées au cours du premier cycle de recherche. Trois situations peuvent donner lieu à l'arrêt des cycles de recherche : lorsque l'objectif est atteint et que l'information en mémoire correspond à celle recherchée, lorsque l'individu juge que les informations recherchées ne sont pas en mémoire et lorsqu'il estime

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qu'entreprendre de nouveaux cycles de recherche deviendrait trop coûteux. La facilité d'accès aux représentations en mémoire est liée à la possibilité de générer une description adaptée au moment souhaité et au caractère plus ou moins discriminant de la description élaborée. Les travaux de Williams et Hollan (1981) confirment, pour une part, ceux des précédents chercheurs. S’appuyant sur un protocole dans lequel des sujets devaient rappeler le nom d'anciens camarades de classe en verbalisant à voix haute les pensées qui dirigeaient cette remémoration, Williams et Hollan (1981) ont déterminé une procédure de récupération cyclique et récursive passant par trois étapes relativement similaires à celles proposées par Norman et Bobrow (1979) à savoir la génération d'un contexte, la recherche en mémoire et la vérification de l'information récupérée.

Pour l’ensemble de ces auteurs, la récupération d'un souvenir est donc un processus reconstructif cyclique organisé autour de trois phases qui, en se répétant, conduisent à l'élaboration de descriptions de plus en plus précises afin d'atteindre l'objectif fixé. La modélisation proposée par Conway (2005) fournit un cadre clarifiant les contextes successifs sur lesquels se fondent les différents cycles de recherche et quelles sont les modalités qui président à la sélection de ces contextes.

Selon Conway, le processus de récupération est le plus souvent indirect et passe par les connaissances générales pour accéder aux connaissances spécifiques. Dans ce cas, c’est un rappel intentionnel entraînant une recherche active d’informations nécessaires à la construction du souvenir. Il est toutefois possible d'accéder directement et de manière involontaire au souvenir d'un événement particulier mais dans ce cas, point de recherche, le souvenir surgit à partir d'un indice particulier (odeur, mélodie, saveur par exemple). Cette récupération associative se produit lorsqu'un ou plusieurs indices perceptivo-sensoriels sont très proches de la situation d'encodage c'est-à-dire que l'information stockée en mémoire et les indices de récupération ont de nombreuses caractéristiques communes (le souvenir d’une séance de motricité particulièrement difficile à gérer jaillit quelques mois plus tard au travers de la couleur et l’odeur du tapis présent lors d’une visite à la médiathèque). Le caractère distinctif des indices est un facteur influant sur la probabilité d'accéder directement au souvenir. Autrement dit, si un indice correspond à peu de représentations en mémoire il aura toutes les chances de favoriser l’émergence du souvenir, au contraire, s'il est relié à un grand nombre de traces mnésiques il y a de fortes chances que le souvenir ne refasse pas surface (D’Argembeau, 2003). Par exemple, le tapis de la médiathèque représentera un faible indice de récupération directe du souvenir de la séance de motricité si un tapis du même genre est présent dans la classe, les éléments perceptifs (odeur et couleur) étant présents au quotidien. Conway et Pleydell-Pearce (2000) précisent par ailleurs que les récupérations directes de souvenirs autobiographiques sont le plus souvent inhibées. En effet, lors de la récupération d'un souvenir, l'attention se focalise sur cette représentation en mémoire et les processus cognitifs en cours sont temporairement perturbés. Si les souvenirs automatiquement générés accédaient régulièrement à notre conscience, la réalisation de nos buts pourrait être mise en cause. Ainsi l'instance de contrôle du soi agit de sorte à inhiber certaines de nos remémorations afin que nous

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puissions poursuivre nos buts actuels. La difficulté à trouver des indices recouvrant de manière importante les informations en mémoire liée à l'inhibition de certaines de ces récupérations automatiques favorisent l'accès indirect aux souvenirs.

Conway (2005) s'appuie sur le cycle itératif de récupération développé initialement par Norman et Bobrow (1979). Selon lui, le processus de récupération associative (directe) et celui de la récupération générative (indirecte) sont étroitement liés et toute récupération indirecte se termine en définitive par une récupération directe. La distinction principale entre les deux formes de récupération réside dans le fait que la récupération directe ne comporte pas de recherches successives dans la base de connaissances autobiographiques. La récupération générative procède, elle, par cycles de recherche itérés (pouvant aller jusqu'à cinq) en passant successivement des représentations les plus abstraites en mémoire jusqu'aux éléments les plus spécifiques et récupérant ainsi un souvenir de nature épisodique. Certaines recherches n'y accèdent jamais et d'autres s'arrêtent à des niveaux de connaissances conceptuelles formant ainsi un souvenir générique. Une étude conduite par Haque et Conway (2001) dans le but de comprendre le processus de récupération indirecte a montré une diversité des souvenirs rappelés par des sujets à la suite de mots indices dans un délai de 2, 5 ou 30 secondes. La classification réalisée par les chercheurs répartit le rappel autour de trois catégories : génération de souvenirs spécifiques, de souvenirs appartenant à la base de connaissances autobiographiques (événements généraux et périodes de vie) et aucun rappel de souvenir. Les résultats de cette recherche montrent que les souvenirs spécifiques apparaissent très rapidement (44% des souvenirs étaient spécifiques au bout de deux secondes contre 38% pour les souvenirs plus généraux et au terme des 30 secondes les souvenirs étaient pratiquement tous des souvenirs spécifiques). Cette rapidité de rappel des souvenirs spécifiques correspond, selon les auteurs, soit à une récupération directe soit à un très faible nombre de cycles de recherche. En outre, il est possible que la surgénéralisation des souvenirs, repérée chez les patients déprimés, puisse s’expliquer par une forme de déficience de la recherche générative et qu'ainsi l'accès aux souvenirs soit stoppé à des niveaux plus abstraits en mémoire. Ceci pourrait sans doute provenir d'une difficulté à élaborer des descriptions appropriées mais aussi d'un échec du processus d'évaluation (Conway, 2005).

La récupération est de plus dépendante du soi de travail défini précédemment dans la présentation de la modélisation de Conway (2005). Ce système de mémoire du soi, comme nous l’avons dit plus haut, facilite ou au contraire détourne, empêche l'accès aux représentations en mémoire selon qu'elles sont en accord ou pas avec le soi et les buts du sujet. De même, et en retour, les souvenirs auxquels un individu accède agissent et confortent les conceptions de soi. Ainsi les individus ayant une propension à se mésestimer auront tendance, pour rester en cohérence avec leur soi, à récupérer des souvenirs négatifs qui par retour conforteront leur vision dégradée d'eux-mêmes.

En résumé, la récupération de représentations stockées en mémoire peut donc se faire de deux manières différentes selon les indices dont l'individu dispose. Si l'indice est très proche d'un souvenir

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en mémoire l'accès se fera de manière directe mais si l'indice n'est pas assez spécifié la récupération devra se faire de manière stratégique et indirecte en passant par des cycles de recherche successifs spécifiant de plus en plus les indices de récupération en partant des connaissances les plus générales (schémas de vie, périodes de vie) pour aboutir progressivement aux représentations les plus spécifiques. Le soi de travail contraint l'accès à certaines représentations en fonction des connaissances conceptuelles déjà présentes et en fonction des buts actifs. Toutefois, la récupération des traces des événements est également dépendante de la manière dont nous avons mis en mémoire les informations attachées à ces événements (leur stockage) mais aussi de la qualité de leur stockage.

Le rôle assumé par le soi de travail nous conduit à percevoir une des fonctions des souvenirs autobiographiques. En effet, ces représentations liées au soi nous permettent, comme nous le soulignions au début de ce chapitre, de construire notre identité en percevant une continuité dans ce que nous sommes, avons été et serons dans le futur et ceci tout en restant en cohérence avec ce que nous connaissons de nous-mêmes. En d’autres termes, les souvenirs autobiographiques assument une fonction de construction identitaire. Est-ce la seule ? Dans quelles circonstances et dans quels buts faisons-nous appel aux souvenirs de nos expériences passées ?

Un ensemble de recherches s'est intéressé à cet aspect fonctionnel de la mémoire. Certaines cliniques parlent de réminiscences, d'autres plus cognitives parlent de souvenirs autobiographiques. Dans ce cadre, comme le propose Cappeliez (2009, p. 171) nous ferons « chevaucher » les deux termes et les emploierons de façon synonymique. Ancrés dans une perspective écologique de la recherche, ces travaux visent à comprendre quelles sont les utilisations de la mémoire autobiographique dans la vie quotidienne. Ainsi après avoir spécifié les contenus et l'organisation de ce système mnésique nous allons déterminer quelles en sont les fonctions.