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Vallcarca : l'opposition au programme pla Buits

Partie 3 : Analyse des résultats obtenus avec la procédure de production d'espaces

3.2.2. Vallcarca : l'opposition au programme pla Buits

En deuxième lieu, nous avons choisi un espace qui nous semble représentatif des limites du programme par sa localisation au sein d'une zone en transformation qui fait l'objet de désaccords entre certains riverains et la mairie. C'est le cas de l'espace du 19 rue Farigola dans le quartier de Vallcarca (district de Gràcia). Il s'agit d'un espace ouvert et déjà aménagé par la municipalité avec des bancs individuels et un coin clôturé pour chiens. Il se situe face à un potager communautaire autogéré sur des terrains de propriété privée. D'après la note de presse du mois de février, la municipalité n'aurait reçu aucun projet formel pour cet espace. Néanmoins, il semblerait, d'après la note de presse d'avril, que l'association Rebobinart avait présenté un

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projet d'art urbain, qui n'a finalement pas été retenu. L'intérêt pour cet espace résulte du fait que certains riverains et collectifs de la zone, organisés au sein de l'Assemblée de Vallcarca, ont présenté un « contre-projet » aux organisateurs du pla Buits.

a. Une transformation urbanistique lente et incertaine

Pendant la dernière décennie, Vallcarca a vécu de nombreux changements résultat de la démolition d'une grande partie du bâti existant. La transformation urbanistique se perpétue depuis le Plan Général Métropolitain (Plan local d'urbanisme) de 1976 qui prévoyait une rocade urbaine, « voie O », vers la montagne de Collserola. En 2002, la Modification du Plan Général Métropolitain (MPGM) accommode la planification précédente en transformant la rocade en une trame verte et une voie à double sens de circulation. Cette transformation implique d'une part, la démolition du bâti de part et d'autre de l'avenue de Vallcarca. De l'autre, elle comporte l'aménagement d'une deuxième voirie qui croise le cœur ancien du quartier, au sein duquel on prévoit aussi élargir une des rues principales, la rue Farigola. En 2008, un Plan d'Amélioration Urbaine (PMU) est approuvé. Ce dernier définit finalement deux trames vertes perpendiculaires qui relient d'un côté le parc du Putxet et le Park Güell et de l'autre la place Lesseps et la montagne de Collserola.

Les démolitions prévues aux alentours de l'avenue de Vallcarca démarrent en 2009 et une partie des riverains affectés est relogée à proximité [SCOT 2010]. Parallèlement, le quartier de Vallcarca vit entre la fin des 1990 et 2007 un essor de maisons squattés que certains auteurs qualifient de « printemps du squat ». Ce phénomène est souvent exposé comme un facteur ajouté de dégradation urbaine [Stanchieri s.d.]. Certains riverains dénoncent que l'incertitude et la lenteur de la transformation urbanistique ont provoqué la dégradation sociale, économique et environnementale de Vallcarca et emploient des expressions telles que « couloir de la mort » pour dénoncer la situation de leur quartier.

Au centre de cette transformation urbanistique se situe le 19, rue Farigola où actuellement se trouvent les ruines d'une maison entourées d'un jardin. Dans les années 1930, ce bâtiment accueillit une école. Son usage devint ensuite résidentiel jusqu'à son acquisition dans les années 1990 par une immobilière. Le bâtiment fut abandonné puis squatté jusqu'à son délogement. D'après le plan d'usages du sol, ce terrain se divise en deux, la zone centrale, qui correspond à l'espace mis a concours par le pla Buits, doit être transformée en « parc et jardin de nouvelle création ». Les deux parcelles qui la circonscrivent doivent accueillir la construction de logements de densification semi-intensive et à volumétrie spécifique.

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Figures 21 et 22 : Usages du sol prévus et aspect de l'espace à concours et l'immeuble abandonné

6b Parcs et jardins de nouvelle création ; 18.1 Zone sujette à une volumétrie spécifique ; 13. b Zone de densification semi-intensive

[Pla Buits 2012b] et photographie personnelle

L'espace englobé par le pla Buits avait eu des appropriations informelles préalables. Entre 2004 et 2008 il fut autogéré en tant que potager communautaire. Parallèlement, différentes activités ludiques, culturelles et revendicatives s'y sont développées. En mai 2008, la mairie entreprend la démolition des bâtiments prévus par la MPGM de 2002 à travers la société de capital municipal Barcelona Gestió Urbanística SA (BAGURSA) qui évince les pratiques informelles qui avaient lieu dans ce terrain. Certains riverains, contraires à la fermeture de cet espace et à la démolition de l'immeuble historique, entreprennent alors un processus participatif en faveur de son usage public. Un an plus tard, le district rouvre l'espace, cette fois-ci sous tutelle municipale et de forme temporaire. C'est à ce moment là qu'il est aménagé par l'administration. A nouveau les riverains y organisent des activités ludiques et culturelles. En automne 2011, se succèdent des débats sur la réutilisation des friches du quartier qui donnent lieu à des projets d'autogestion à la marge de l'administration municipale.

b. Analyse de la contre-réponse de l'Assamblea de Vallcarca

Afin de connaître les raisons qui ont suscité le refus de certains riverains à participer au programme lancé par la municipalité, nous avons analysé la contre-réponse envoyée à la mairie et assisté à l'assemblée du mois d'avril 2013. Cette réunion avait pour but la définition du projet d'espace public, à la marge du pla Buits. Majoritairement les participants à cette assemblée ainsi que les signataires de la contre-réponse n'appartiennent pas aux associations de quartier « officielles ». La chef de participation d'Habitat Urbà les qualifie de « mouvements alternatifs », bien que depuis 2012 une nouvelle entité citoyenne (Association Ecos) a été créée avec l'objectif de « donner un peu de vie à un quartier qui est en train de périr, petit à petit, dans tous les aspects (social, culturel et artistique) » [AnticForn 2012].

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Figures 23 et 24 : Affiche et assemblée du mois d'avril 2013

[Assamblea Vallcarca 2013]

Les émetteurs de la contre-réponse exposent trois arguments contraires au pla Buits. Le premier fait référence au raisonnement suivi par l'administration pour inclure cet espace dans le programme. Les deux restants se rapportent à la procédure adoptée par l'administration.

Tout d'abord, ils dénoncent le manque de connaissances de la municipalité sur l'historique d'appropriations et d’activités de cet espace. Ensuite, ils désapprouvent la décision de l'inclure « en le cataloguant de 'vide' », quand il s'agit « d'un des espaces publics et identitaires de Vallcarca, où se développent différentes activités de quartier depuis longtemps ». A différence de beaucoup d'autres friches englobées par le pla Buits, cet espace est déjà « ouvert à tout le monde sans aucune discrimination d'accès, il peut être transité librement, nous y développons notre vie de quartier et il s'agit aussi d'un espace symbolique et historique ».

Ils expriment leur désagrément avec la démarche entreprise pour choisir les espaces à concours : « Nous n'avons pas été consultés, nous considérons que cet espace n'est pas n'importe quel terrain-vague qui puisse être cédé à une entité du quartier ou même externe ». Ainsi, les signataires de la contre-réponse raisonnent en termes d'appropriation et de légitimation. En suivant leur raisonnement, l'espace de la rue Farigola doit être exclu du programme parce qu'il existe déjà une appropriation qui fait de cet espace un point de rencontre.

Toutefois, leurs pratiques ne sont pas légitimées par les pouvoirs municipaux. L'espace est incorporé au pla Buits, programme qui a pour objectif « 'normaliser' ces espaces et les insérer dans le tissu urbain » afin d'enrayer « les problématiques sociales que l'autorité municipale considère nécessaire aborder » [Pla Buits 2a]. Cet « urbanisme préventif » cherche, dans le cas où une appropriation préalable a déjà lieu, à instituer une activité, légitimée car elle résulte d'un concours de projets et de la sélection par un jury. Ainsi, dans ce cas d'étude où il existe une appropriation préalable, le pla Buits est au service de la régulation urbaine (Jacquot 2009) car il est à même de valider une nouvelle appropriation face à une de préalable qui est considérée inappropriée.

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La deuxième et la troisième critiques sont liées à la procédure du concours. Le concours affronterait les membres du tissu associatif. Les participants à l'Assamblée se méfient des initiatives municipales et appréhendent le pla Buits comme une façon d'affaiblir les mouvements contestataires. Toutefois, nous avons vu que certains des projets présentés associent différents collectifs. Le jury insiste aussi sur la collaboration entre organisations pour mener en avant les projets.

Fig. 25 : Usages informels de l'espace avant et après l'aménagement de la mairie

[Assamblea Vallcarca2013]

Par ailleurs, le pla Buits qui légitime l'appropriation d'un espace par une organisation avec l'aval de la municipalité pourrait mener à la « privatisation » ou à la restriction d'usage du jardin de la rue Farigola. Cet espace, à forte dimension symbolique, est ouvert et accessible, c'est pour cela que les interrogés considèrent qu'il ne peut pas être cédé à une organisation à travers un accord d'occupation temporaire. Les participants à l'Assemblée se légitiment comme les plus à même de mener un projet sur cet espace, en tant que riverains ils connaissent « parfaitement les problématiques qui se donnent dans le quartier, une grande partie desquelles ont été causées par la mairie ». Parallèlement, ils prévoient des actions afin de sauvegarder la maison qui n'est pas classé en tant que patrimoine à conserver.

A travers cette étude de cas nous constatons que le pla Buits permet à la municipalité de mettre en place un « urbanisme préventif » qui valide certains usages et organisations sur d'autres. Lorsqu'un collectif s'approprie d'un espace à statut ambigu, la municipalité peut recourir au pla Buits en faisant appel à son statut de garante de l'intérêt collectif. Moyennant une procédure participative, ouverte aux organisations recensées et dont la participation est sujette à un certain degré d'adhésion préalable aux orientations générales des pouvoirs publics (Jacquot

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2007), elle peut dissoudre certaines appropriations considérées inappropriées et en légitimer d'autres.