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Partie 1 : Les enjeux du renouvellement des modalités de production d'espaces publics à

1.4. Les aspects superposés du pla Buits

Cette dernière partie reprend les trois aspects approfondis précédemment en se rapportant explicitement au pla Buits. Nous situerons le programme par rapport à l'évolution des pratiques d'aménagement d'espaces publics à Barcelone : est-ce que le pla Buits s'articule aux interventions d'aménagement et de requalification des espaces publics de périodes précédentes ? Ensuite, il s'agira de l'encadrer parmi les processus participatifs existants entrepris par la mairie actuellement : où se situe le programme par rapport aux expériences participatives menées par la municipalité de Barcelone ? Quels sont les objectifs recherchés avec le mécanisme participatif mis en œuvre ? Finalement, nous annoncerons les particularités qui se dégagent de l'incorporation du caractère temporaire à l'aménagement urbain : qu'introduit le caractère temporaire du pla Buits à la planification et l’aménagement d’espaces publics ?

1.4.1. Espace public et modèle de Barcelone

Nous nous intéressons au programme de redynamisation de friches du domaine public, mené par la municipalité barcelonaise, en tenant compte de l'évolution de l'intérêt porté sur les espaces publics en tant que catégorie de l'action urbaine. Dans la première étape, le traitement individualisé des espaces à usage collectif avait l'intention de transformer le tissu environnant avec des interventions localisées et à budget restreint. De nombreux auteurs (Capel) et acteurs de l'époque (Borja, Bohigas) affirment que les demandes des habitants furent prises en compte. En effet, certaines de ces interventions répondaient à des revendications résultat des déficits urbanistiques cumulés, entre eux le manque d'espaces à usage collectif.

Par la suite, la direction de l'urbanisme de Barcelone a tenté de systématiser les interventions sans arriver à publier un plan d'action sur les espaces publics. Le discours structurel s'intéresse aux relations entre les différents espaces, à la création de réseaux qui relient les espaces publics entre eux. Parallèlement au traitement systématique des espaces publics, nous avons aussi noté des approches complémentaires qui montrent des inquiétudes pour trouver des solutions à l'aménagement d'espaces qui présentent des difficultés pour s'articuler avec le reste. Dès 1993, l'attention envers ce que Farrando (1993) appelle les microurbanisations commence à affleurer. Cet architecte manifeste déjà l'intérêt pour l'expérimentation de nouvelles formes de production participative dans ces espaces et attire l'attention sur le rôle que les acteurs locaux peuvent avoir dans sa conception.

Avec le temps, l'administration municipale introduit des normes qui visent à la standardisation de l'aménagement, ainsi qu'à la régulation des usages des espaces publics. Depuis les années 2000, différentes publications situent l'aménagement des espaces publics au

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centre de leur discours. Ces guides animent à relier l'aménagement physique d'un espace urbain avec les besoins et les usages des citoyens en créant des espaces multifonctionnels. Il s'agit ici d'un tournant vers des espaces publics plus civiques qui, paradoxalement, s'accompagne d'une répression et d'une surveillance croissante de ces lieux avec l'introduction de nouvelles normatives (Ordonnance du Civisme 2006). Concomitamment aux approches institutionnelles, d'autres collectifs s'intéressent et agissent sur les espaces publics. Ces collectifs appellent à l'autogestion et les expériences sont motivées soit par un conflit avec les pouvoirs municipaux, soit par la volonté d'agir lorsque les revendications ne sont pas prises en compte.

Le pla Buits est présenté en 2012 à un moment où la crise économique et le manque d'investissements rendent difficile la poursuite des travaux d'urbanisation entrepris. Le manque de perspectives de nouvelles réformes urbaines, semble entraîner à un renouvellement des pratiques d'aménagement des espaces publics afin de réduire les dépenses propres des aménagements précédents. Ainsi le pla Buits pourrait se présenter comme une alternative qui rompt avec le discours structurel d'homogénéisation dans l'aménagement des espaces publics barcelonais. Désormais, les modes de production de ces lieux sont en train d'être révisés. Le changement de production s'appuie d'une part sur le renouvellement des méthodes d'action, de l'autre sur la diversification des acteurs impliqués. La municipalité évite les dépenses et le lien entre les habitants et l'espace public acquiert plus d'importance qu'auparavant. Cela relève d'un discours qui s'articule, d'une part, avec le contexte de crise économique et d'autre part avec un renouement de l'impulsion participative initiale, qui peut être interprétée comme une volonté d'approfondir dans le caractère civique de ces lieux urbains.

1.4.2. Une modalité participative de production d'espaces publics

L'organisme municipal Hàbitat Urbà présente le pla Buits comme une opportunité temporaire « d'impliquer les agents sociaux dans la régénération et la redynamisation » des espaces vides proposés [Pla Buits 2012a]. Pour encourager l'implication de la société civile dans la « définition, aménagement et gestion des espaces vides » [Pla Buits 2012a], ce programme met en place la procédure du concours ouvert à travers lequel des organismes (entitats) sans but lucratif peuvent présenter des projets d'aménagement à titre individuel ou collectif. Les projets seront évalués et finalement sélectionnés par un jury (cf. 2.3.4) [Pla Buits 2012a].

Le pla Buits est rangé en tant que Processus participatif ouvert dans le site de la mairie. Les Processus participatifs sont, d'après la définition de la municipalité, des processus impulsés pour accompagner « des projets de spéciale transcendance ou des planifications sectorielles, thématiques et des dispositions importantes ». Ils doivent être recueillis dans des rapports et des mémoires. Dans le tableau 7, nous avons résumé et classifié selon leur typologie, les différents processus participatifs en cours au mois de mars 2013.

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Tableau 7 : Processus participatifs ouverts, mars 2013

Plan pour l'Adolescence et la Jeunesse

Commission de suivi des travaux de la Modification du Plan Spécial du Port Vell

Commission de suivi du Plan d'Amélioration et redynamisation de l'avenue Paral·lel Commission mixte sur « expulsion du logement » dans la ville de Barcelone37

Concours « Les Portes de Collserola » Pla Buits, mesure de gouvernement

Processus délibératif sur le MPGM de la montagne de Montjuïc. Processus délibératif sur la régulation d'accès au Park Güell Pla Cor, processus délibératif sur le futur de la Rambla

Processus sans spécifier autour de la nouvelle vision d'Hàbitat Urbà sur l'axe Pere IV

Elaboration personnelle à partir de http://www.bcnparticipa.net/processos/

D'après la classification d'objectifs de Blondiaux 2005, les objectifs du pla Buits sembleraient d'ordre social et politique car le mécanisme cherche à animer les liens sociaux en redynamisant des friches. Il cherche aussi l'implication citoyenne et la prise de conscience afin que les participants agissent en tant que « meilleurs citoyens » (Blondiaux 2005). Toutefois, les bases du pla Buits s'inspirent de la forme des concours de projets.

Les concours de projets sont réglementés en Espagne par la Loi de Contrats de l'Etat. D'après cette législation, il s'agit de procédures « orientées à l'obtention de plans ou de projets, principalement dans les domaines de l'architecture, l'urbanisme, l'ingénierie et le traitement de données, à travers une sélection qui, suite à sa correspondante licitation, est confiée à un jury » [Loi 30/2007]. Le but est de mettre plusieurs entités en concurrence pour fournir un service. Ce modèle permet à un commanditaire, dans ce cas-là la mairie de Barcelone, de faire le choix de l'organisation la plus à même de réaliser une prestation de travaux, fournitures ou services de caractère social. Dans le répertoire des processus participatifs ouverts, on détecte une procédure analogue dans le concours « Les portes de Collserola » convoqué en 2011. Dans ce cas-là, le projet compte avec une dotation économique, pour les initiatives d'aménagement périurbain retenues, et vise une participation technique, les documents parlent d'équipes38 et non pas d'entités sociales.

Après avoir révisé les différents dispositifs de participation des Normes Régulatrices de la Participation Citoyenne (NRPC), nous remarquons que la Gestion civique des équipements et services municipaux, contemple la modalité du concours public dans l'adjudication d'équipements ou de services, dans le cas où plusieurs entités, fondations, organisations et associations sans but lucratif veuillent exercer des compétences municipales.

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Ce processus n'apparaît cité que dans la version espagnole du site de la mairie : www.bcn.cat/participacio/es/oberts.html

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Dans ce sens, l'objectif de la procédure mise en place se rapproche d'avantage de ceux d'ordre managérial ou gestionnaire (Blondiaux 2005) à travers lesquels une compétence d'usage est reconnue aux entités, qui sont appelées à se responsabiliser de l'exécution, la gestion et le maintien. A différence de la Gestion civique, où la municipalité cède un équipement (une infrastructure déjà construite) ou un service, dans le cas du pla Buits il s'agit d'un espace vide. Par ailleurs, cette démarche inspirée du concours n'est pas un concours puisqu'elle n'accorde aucune dotation économique pour la gestion de l'espace. Toutefois elle accorde un minimum de facilités pour la viabilisation de l'espace et un droit d'usage aux entités gagnantes.

1.4.3. L'intégration du caractère temporaire dans la production d'espaces publics

Le pla Buits n'aurait pas pu être mis en place si la municipalité ne s'était pas basée sur le principe de temporalité. L'usage temporaire d'un espace devient ainsi une phase intentionnelle explicitée (Bishop 2012). Sans l'incorporation du caractère temporaire, la municipalité aurait commis une infraction en développant ce programme, car elle n'aurait pas pu céder des terrains qui sont affectés par une normative d'usage antérieure. Grâce au marge de manœuvre fournit par le principe de temporalité, ce programme applique une procédure pensée pour garantir la transparence et l'équité dans l'adjudication de la gestion de services et équipements ou d'autres compétences municipales, dans le domaine de la participation citoyenne.

D'accord avec la législation patrimoniale, les licences d'occupation temporaire et les contrats de cession d'usage temporaire du terrain, que les entités juridiques gagnantes obtiendront, comportent une situation de « possession précaire » soumise à révocation par la mairie pour des raisons d'intérêt public. La situation de « possession précaire » se dégage de l'acceptation de part des propriétaires provisoires de cesser toute occupation et de démonter les installations lorsque la mairie l'estimera, sans droit à indemnisation (article 54, Chap V TRUC). L'usager précaire (precarista [RPEL 1988]) recevra une mise en demeure, un mois à l'avance, si l'espace est réclamé par la collectivité locale et la cession s'annulera automatiquement lorsque le bien sera affecté à un autre usage (art. 76 RPEL 1988).

Cette formalité légitimera une série d'appropriations formelles d'espaces du domaine public à statut jusqu'ici ambigu, puisque la plupart ne sont pas encore aménagés ni ouverts au public (cf. 2.1). La limitation temporaire est définie par l'administration municipale qui établit que les activités peuvent être prorogées jusqu'à trois ans. Elle est donc fixée indépendamment des prévisions de transformation de ces espaces.

Kamleither (2006) différencie deux intentions qui déterminent la mise en place de projets temporaires : l'objectif économique et l'expérimentation de nouveaux usages. Les entités

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gagnantes ne peuvent pas obtenir des bénéfices économiques, mais leur présence redynamise un espace urbain délaissé qui aurait difficilement pu s'intégrer autrement au fonctionnement urbain. La municipalité restreint le type d'usagers à travers la sélection qui s'opère dans la procédure du concours. Ainsi les « citoyens à statut marginal », susceptibles d'entreprendre des usages temporaires, peuvent être exclus (Urban Catalyst 2003). En revanche, la présence d'usagers dits « volontaires et sans but lucratif » qui cherchent à renforcer leur image, leur économie et leur mode de vie (Blumner 2006) peut être encouragée.

Dans un contexte urbain conditionné par les difficultés budgétaires et le manque d'investissements privés, la stagnation des projets de transformation urbaine mène à envisager d'autres solutions qui jusqu'à ce moment-là étaient peu habituelles. Ainsi, le pla Buits sert à la fois d'essai à travers lequel les autorités municipales n'ont rien à perdre, car leur investissement économique est infime en comparaison avec les dépenses d'aménagement conventionnelles. La municipalité crée aussi la possibilité de trouver des collaborateurs privés à but non lucratif qui prennent en charge un espace. Parallèlement elle sonde quel type d'activités les habitants voudraient voir prospérer dans l'espace public.

Toutefois, les études de cas d'usages urbains temporaires consultés préviennent que l'institutionnalisation des usages temporaires peut être contre-productive, car la municipalité cherche à susciter les usages temporaires en décidant quels espaces et quelles entités sont le plus à même de développer des activités. Finalement, l'incitation et l'appui des usages temporaires sont liés à un entourage peu régulé où les pouvoirs municipaux ne s'érigent plus en tant que direction compétente unique. Le développement de ses pratiques est soutenu par des modalités de gouvernance à travers la communauté. Ainsi, l'institutionnalisation des usages temporaires signifierait, dans le cas du pla Buits, l'externalisation d'un service d'aménagement et de gestion d'un espace à usage collectif.

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