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Partie 3 : Analyse des résultats obtenus avec la procédure de production d'espaces

3.2.1. Germanetes : préexistence d'une demande

Les espaces à concours ont en commun le fait d'appartenir à l'administration. Alors que la plupart ne sont sujets à aucune revendication, l'espace de « Germanetes » se distingue de tous les autres, car il fait déjà l'objet d'une demande citoyenne avant l'approbation des bases du pla Buits (en juillet 2012) qui s'intensifie à partir de l'été 2012. La revendication s'exprime par les mobilisations du collectif Recreant Cruïlles55 et l'association de quartier (AAVV Esquerra de l'Eixample). Concrètement, ces groupements d'habitants organisés programment des manifestations ludiques, des ateliers et administrent un site web où des projets sont présentés en faveur d'un usage social de cette friche de domaine public.

A travers le pla Buits, la municipalité cède un tiers de la surface de la friche de « Germanetes » actuellement infranchissable. L'espace a reçu un seul projet, présenté par l'association de quartier de l'Esquerra de l'Eixample, qui agglutine les demandes d'autres collectifs et associations de proximité. Afin de contextualiser ces demandes, il faut préciser que le quartier où se situe l'espace à concours se caractérise par une densité de population très élevée, de 43.103 hab. /km2 alors que la moyenne barcelonaise est de 15.818 hab. /km2 [Aj BCN 2011]. Le tissu urbain y est compact, résultat de la maille orthogonale planifiée par Cerdà en 1859, postérieurement densifiée. Les riverains réclament plus d'équipements publics et bien que depuis les trente dernières années, une dizaine d'intérieurs d'îlots ont été récupérés, en contribuant à l'amélioration de la qualité environnementale du quartier, ce secteur de la ville se caractérise par une contamination atmosphérique et acoustique très élevée.

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Figure 14 et 15 : Revendications ludiques précédentes au pla Buits : (O.B.N.I) Occupation de quartier non invasive (07/2012) et projet 'Insideout', portraits et demandes des riverains (10/2012)

[Recreant Cruïlles 2013]

b. L'existence d'une friche fermée et délaissée depuis quelques années

L'ancien couvent des Germanetes dels Pobres, construit à la fin du XIXe siècle, accueillit jusqu'en 2000 une résidence pour personnes âgées. Suite à sa fermeture, l'Hospital Clinic de Barcelone acheta les terrains pour agrandir ses installations sanitaires. En mai de cette même année, la municipalité proposa un processus de participation citoyenne dans le cadre de la « VI Audience Publique pour jeunes ». Ce processus participatif (fig.16) invitait les élèves barcelonais à concevoir un espace vert pour leur district. Dans le cas de l'Eixample, l'espace choisi fut le jardin de la cour de l'ancien couvent, connu aussi sous le nom de Jardins d'Emma. Ce petit square inséré dans un îlot appartenait déjà à la Délégation des Parcs et Jardins de Barcelone.

En 2003 la municipalité développe une deuxième expérience participative connue sous le nom de « Camí Amic » (fig.17). Elle cherche l'amélioration des chemins scolaires et la promotion de la vie en commun à travers la collaboration de différents agents du quartier (écoles, associations, commerces, etc.). Un des objectifs poursuivis par cette expérience est l'aménagement « d'espaces agréables et en sécurité qui relient les zones vertes et les équipements ». Parallèlement, les écoles organisent des activités de sensibilisation et de respect des piétons. Par la suite, certaines demandes sont satisfaites par l'administration, notamment l'élargissement des trottoirs de la rue Comte Borrell.

L'ancien couvent fut démoli en 2004. En 2006, la mairie de Barcelone et le Patronat de l'Hospital Clínic arrivent à un accord de permutation selon lequel la municipalité devient propriétaire de la friche de 5.500 m2 et cède en échange un terrain municipal à l'Hospital Clínic. Cette acquisition permet la révision des usages de cet espace qui, en réponse aux demandes des riverains de l'Eixample, accueillera des services publics. Le Plan spécial urbanistique (PEU) de l'îlot de Germanetes est approuvé en 2006 ; il prévoit la construction d'un Centre de Jour et

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d'appartements pour personnes âgées, des logements sociaux pour jeunes, un lycée et une crèche, dans un délai de cinq ans.

Figure 16 et 17 : Projet des élèves pour les Jardins d'Emma (2000-2001) et brochure du programme « Camí Amic » (2003)

[Recreant Cruïlles 2013]

Au mois de novembre 2011, seulement les logements privés, prévus aussi, ont été construits. La stagnation des projets d'équipements et la persistance d'une grande friche inutilisée au sein d'un tissu urbain très compact mènent à la création de Recreant Cruïlles. Cette plateforme est issue de l'Assemblée de l'Esquerra de l'Eixample, née lors des occupations de l'espace public du mouvement 15-M des Indignés à Barcelone (Acampada de Plaça Catalunya). Elle compte avec le support de l'association de quartier officielle et se définit comme une initiative citoyenne de participation et régénération urbaine. Ce collectif défend que la friche de Germanetes peut « devenir un espace stratégique pour le développement social du quartier, compte tenu de sa centralité et de sa proximité à divers équipements scolaires ». Les membres du collectif soulignent que cet espace peut se transformer en un « excellent laboratoire d'action pour les habitants du quartier » et encouragent l'appropriation des espaces publics par les personnes qui les pratiquent. [Recreant Cruïlles 2013].

c. Analyse de la réponse du collectif Recreant Cruïlles au programme municipal.

Au mois de mars 2013, nous avons contacté un membre du collectif Recreant Cruïlles qui nous a informée sur le projet présenté au pla Buits par l'association du quartier de l'Esquerra de l'Eixample pour la friche de Germanetes. Ce projet, qui était le seul présenté pour ce terrain, a emporté la cession de l'espace.

L'interviewé provient du mouvement 15M (en mai 2011) qui avait organisé des ateliers où s'effectuaient des cartographies sur les friches et les bâtiments sans usage de la ville. Ces

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ateliers ont déterminé la position centrale de la friche de « Germanetes ». Le collectif Recreant Cruïlles naît en octobre 2011, découle du mouvement 15-M mais existe « 'à partir de' et 'pour' agir directement sur la friche de Germanetes ». La formalisation de la revendication d'ouverture de cet espace est donc antérieure à la mise en place du programme de la municipalité.

Recreant Cruïlles est un groupement sans dirigeants qui pour l'instant ne veut pas devenir une organisation registrée dans le Fichier de la municipalité. De ce fait, pour pouvoir participer au pla Buits, ce collectif a présenté son projet à travers l'association de quartier de l'Esquerra de l'Eixample qui leur sert de « parapluie légal » et s'offre garante. Recreant Cruïlles et l'association de quartier partagent les mêmes demandes : d'une part, que les équipements prévus soient finalement construits et d'autre, que l'espace ne reste pas fermé si l'administration n'a pas les moyens pour exécuter les travaux56. L'interviewé exprime ses doutes et ses craintes par rapport à l'administration municipale : « une fois que nous serons à l’intérieur, nous ferons un suivi pour voir comment les projets d'équipements évoluent. Nous ne voulons pas que l'administration nous donne 'un petit bonbon' puis nous oublie ». Le projet présenté au pla Buits se divise en cinq espaces : un potager, un mur d'escalade, un espace de rencontre, des salles de cours et un espace polyvalent. L'intention est de transformer la friche en un espace de réflexion pour penser et discuter sur le devenir du quartier et sur le modèle de ville.

Tout en ayant décidé de participer au programme, le pla Buits ne répond pas aux attentes de Recreant Cruïlles qui revendiquait la cession de l'ensemble de la friche de 5.500 m2 ; le Pla Buits n'en cède que 500 m2. Mise à part la surface limitée, le membre de Recreant Cruïlles attire aussi l'attention sur la complexité de la démarche bureaucratique du concours. Les organisations participantes doivent livrer à la mairie de nombreux documents. Notamment, il juge d'illusoire et d'exagéré l'obligation de présenter un calendrier exact avec les activités programmées pendant les trois ans de projet qui doit, en même temps, spécifier les dépenses et le financement prévu. Contrairement à la conception de la municipalité, qui imagine un programme temporaire d'une durée d'un à trois ans complètement planifié, l'interviewé exprime une autre conception de la temporalité. Il estime qu'un projet avec ces caractéristiques ne commence pas d'un seul coup mais se crée petit à petit, il faut motiver dès le début des personnes pour avoir de la main d'œuvre, ce qui empêche la réalisation de pronostics exacts.

Le pla Buits serait pensé pour des associations bien organisées avec une infrastructure derrière suffisamment puissante pour élaborer des propositions accompagnées d'un budget. Cette base participative laisserait de côté beaucoup de projets qui, par manque de financement, ne pourront pas être développés. L'interviewé considère que la priorisation d'une base

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« Nous avons commencé à protester pour que les équipements promis soient faits, ce qui nous a mené à dire, 'maintenant qu'on est en crise, vous n'allez pas faire ces équipements, alors au moins ouvrez cet espace' »

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participative associative avec des ressources économiques favorise les organisations qui travaillent selon une « logique privée », comme les fondations. Ce choix frustrerait des projets basés sur une « logique collaborative » qui, par manque de financement, doivent compter sur l'infrastructure des réseaux préexistants, sans chercher à s'imposer au territoire.

Figures 18, 19 et 20 : Projet de Recreant Cruïlles pour l'espace de Germanetes : levé du projet et simulations

[Recreant Cruïlles 2013]

La municipalité leur propose une opportunité qui représente, à la fois, une solution pour leurs propres problèmes de prolifération d'espaces abandonnés, et les invite « à se débrouiller ». Ainsi, l'autofinancement est perçu comme une inhibition de la municipalité dans l'exécution de tâches qui lui étaient propres.

L'interviewé décrit à travers une analogie la participation de Recreant Cruïlles au programme municipal : le pla Buits serait comme un cheval de Troie pour entrer dans la friche et revendiquer les 5.000 m2 restants. Nous en extrayons que Recreant Cruïlles, ou du moins le membre que nous avons interrogé, ne partage pas les intentions de la municipalité, qu'il considère comme « l'ennemi ». Toutefois, et malgré ses critiques aux limites du programme, le pla Buits confirme leur légitimité vis-à-vis de la société civile et de la municipalité.