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Il existe peu d’outils d’évaluation de la communi-cation en général et encore moins d’outils éva-luant la communication sur le plan pragmatique en particulier. En France, les professionnels dis-posent principalement d’outils destinés à évaluer le langage (sur les plans phonologiques, sémanti-ques et syntaxisémanti-ques) et les capacités cognitives.

L’évaluation des capacités pragmatiques reste encore en marge. Par ailleurs, ces outils ont bien souvent pour cibles des patients ayant des lésions cérébrales focalisées, tels que les patients présen-tant une aphasie et ne sont pas suffisamment adaptés à la complexité des troubles présentés par des patients avec des lésions diffuses.

La plupart des outils disponibles et fiables, tels que le protocole pragmatique de Prutting et Kirchner [30], sont issus de la recherche expérimentale et ne sont pas commercialisés. Ils sont donc difficile-ment accessibles au clinicien. D’autre part, ces outils sont destinés à évaluer la communication dans différents types de population, et pas unique-ment dans les cas de démence de type Alzheimer.

Ainsi, aucun outil équivalent à la grille d’évalua-tion des capacités de communicad’évalua-tion des patients atteints de démence de type Alzheimer n’existe encore sur le marché. La validité empirique de cet outil ne peut donc être démontrée.

Nous avons également évalué la sensibilité et la fiabilité de cet outil.

Compte tenu de la taille restreinte de notre échan-tillon de population, il a été difficile de démontrer la fiabilité de l’outil. L’étude menée avec Delaroche et Rochard [14] est une étude purement descriptive, ne prouvant pas la significativité des différences obser-vées. Les résultats d’autres études [31] sont difficile-ment comparables à ceux de cette dernière étude

car ils portent sur la proportion de la durée des actes par rapport au temps global de l’interaction et non sur les fréquences absolues d’actes par minute, telles qu’elles ont été calculées dans cette recherche.

Selon Marcie et al. [32], le nombre d’unités d’infor-mation dans le discours des patients MA diminue-rait considérablement avec le temps. La diminution de l’appétence à communiquer n’a pas été mise en évidence par la grille dans notre étude. Que ce soit pour chaque situation ou pour la moyenne des trois situations, la différence inter-groupes obser-vée pour le nombre total d’actes utilisés par minute n’est pas significative dans notre étude. Nous n’avons donc pas pu démontrer que le degré d’at-teinte globale a une influence sur la communica-tion mesurée par la grille en termes quantitatifs.

Ces conclusions vont à l’encontre de celles de Delaroche et Rochard [14] qui ont montré une réduction globale du nombre d’actes émis en fonc-tion de la sévérité, sans pour autant en prouver la significativité. Dans l’étude initiale [6], nous trou-vions une réduction globale des actes de langage (adéquats + inadéquats) par rapport à une popula-tion témoin.

Ces dissociations dans les résultats sont proba-blement à mettre sur le compte de l’étayage par l’interlocuteur qui modifie la répartition des actes, notamment en posant préférentiellement des questions fermées plutôt que des questions ouvertes. Par ailleurs, notre échantillon de popu-lation comportait certes un nombre égal de patients au stade sévère que pour les autres sta-des, mais nous disposions de peu de patients qua-siment mutiques. La plupart disposaient encore du langage verbal, même si celui-ci était souvent inadéquat.

Plus l’atteinte est importante, plus la fréquence d’actes adéquats émis par minute diminue de façon significative lors de la situation 1 et pour l’ensemble des trois situations. En revanche, la différence n’est pas significative pour les situa-tions 2 et 3. La fréquence des actes adéquats sem-ble être une variasem-ble sensisem-ble à l’atteinte pour la situation d’entrevue dirigée et l’ensemble des trois situations, mais pas pour la situation d’échange d’informations, ni pour la discussion libre.

Delaroche et Rochard [14] et Rousseau [6] avaient également montré une diminution du nombre d’actes adéquats avec la sévérité quelle que soit la situation, cela sans en prouver la significativité.

Plus le degré d’atteinte cognitive augmente, plus la fréquence d’actes inadéquats émis par minute augmente de façon significative, quelle que soit la situation et pour l’ensemble des trois situations.

D’après nos résultats, la fréquence des actes inadé-quats semble être une variable très sensible à l’at-teinte cognitive.

Cet élément est corroboré par Delaroche et Rochard [14]. En revanche, dans la recherche de 1992, nous parlons plutôt d’une modification du type d’inadéquation que d’une augmentation de l’inadéquation en fonction de l’atteinte.

Concernant le type d’actes utilisés, seuls deux types d’actes semblent déterminants pour diffé-rencier les groupes de patients. La diminution des réponses et plus particulièrement des réponses à des questions ouvertes et l’augmentation des actes divers permettent de différencier significativement les groupes. Même si on ne trouve pas de résultats significatifs quant à l’augmentation du nombre total d’actes simples (tels que les réponses oui/non, les mécanismes conversationnels qui nécessitent une élaboration syntaxique et thématique moin-dre, selon Delaroche et Rochard [14]), ces résultats semblent aller dans le sens des conclusions des études précédentes qui démontrent qu’il existe une simplification des actes au fur et à mesure de l’at-teinte. Selon les conclusions de cette dernière étude menée avec Fargier et Dali [17], l’outil semble être modérément sensible à la simplification des actes utilisés avec l’avancée de la maladie.

Nos résultats montrent par ailleurs que l’aug-mentation de la fréquence de l’inadéquation des actes simples tels que les réponses oui/non, les affirmations, les mécanismes conversationnels, est significative, ce qui laisse sous-entendre que ces actes sont de plus en plus utilisés, même s’ils le sont de façon inadéquate. L’étude de Delaroche et Rochard [14] a montré que les prin-cipaux types d’actes inadéquats utilisés par les patients modérés et sévères étaient les réponses, les affirmations, les descriptions et les mécanis-mes conversationnels et pour les MA légers, les réponses, les descriptions et les affirmations.

Lors de la recherche de 1992 [6], l’ensemble des patients produisait surtout des affirmations ina-déquates, puis des réponses, des actes classés divers (ce que nous avons retrouvé pour ces trois types d’actes) et des descriptions (ce qui n’a pas été mis en évidence par nos résultats).

L’absence de résultats significatifs quant à l’utili-sation d’actes non verbaux mérite d’être souli-gnée. Nous n’avons pu prouver que cet outil était sensible au maintien des capacités non verbales jusqu’aux stades avancés de la maladie, même si cet état de fait est affirmé à de nombreuses repri-ses dans la littérature et notamment lors d’une de nos recherches menée avec Gobé et al. [29].

La diminution de la fréquence par minute des affirmations-évaluations avec l’atteinte lors de l’entrevue dirigée semble également être un fac-teur déterminant. La fréquence des descriptions-identifications qui augmente légèrement chez les patients au stade modéré, et qui diminue au stade sévère est également un facteur significatif lors de la tâche d’échange d’informations.

L’absence de feedback, qui augmente ici avec le degré de sévérité de la démence, semble être un fac-teur significativement stable pour différencier les groupes quelle que soit la situation d’interaction.

En revanche, la distinction « absence de feed back à l’interlocuteur » et « absence de feedback à la situa-tion » ne permet pas de tirer de conclusions quant à la différenciation des groupes, même si c’est la pro-portion d’absence de feedback à l’interlocuteur qui augmente le plus en fonction de l’atteinte.

L’analyse de variance révèle que les différences observées selon l’atteinte sont significatives pour l’absence de cohérence en général et l’absence de progression rhématique en particulier, lors des situations 1 et 2. La contradiction semble égale-ment être un facteur significatif, lors de la situa-tion 3. Ainsi, l’absence de cohérence se révèle être un indice sensible à la détérioration cognitive pour l’ensemble des trois situations. Pour chaque situation spécifique, les indices d’inadéquation les plus sensibles à l’atteinte sont la progression rhématique lors de l’entrevue dirigée et de l’échange d’information, et la contradiction lors de la discussion libre.

En revanche, les problèmes de cohésion, qui aug-mentent peu avec l’atteinte, ne sont selon nos résultats, pas suffisamment significatifs pour dif-férencier les groupes.

Nous avions précédemment montré [6] que l’ab-sence de cohérence était la principale cause de l’inadéquation, suivie par l’absence de cohésion puis l’absence de feedback. Nos résultats confir-ment le primat des troubles de la cohérence, quel que soit le degré de sévérité (46 % pour les MA

sévères, 56 % pour les MA modérés et 46 % pour les MA légers). En revanche, nos conclusions quant à l’absence de feedback et les problèmes de cohésion sont inversées par rapport aux conclu-sions de 1992. Ici, c’est l’absence de feedback qui prévaut sur les troubles de la cohésion, ce quelle que soit l’atteinte (44 % vs 10 % pour les MA sévè-res, 34 % vs 10 % pour les MA modérés et 36 % vs 28 % pour les MA légers).

Nos résultats montrent une forte corrélation entre le score global à la BEC 96 de Signoret [33] et le nombre total d’actes adéquats. Le score global obtenu à la SIB version abrégée du GRECO [34]

par les patients sévères montre également une corrélation à l’adéquation. Le degré d’atteinte cognitive aurait donc une influence sur l’adéqua-tion de la communical’adéqua-tion.

Les scores aux épreuves de fluence et de dénomi-nation de la BEC sont corrélés à l’adéquation. Par ailleurs, les épreuves impliquant l’administrateur central telles que les épreuves d’apprentissage, de manipulation et de résolution de problèmes sont corrélées dans une moindre mesure aux capacités de communication adéquate. De même, les capa-cités attentionnelles mesurées par la SIB sont corrélées à l’adéquation de la communication.

L’adéquation de la communication serait donc corrélée aux épreuves purement linguistiques et à l’intégrité de l’administrateur central.

L’inadéquation globale semble corrélée dans une moindre mesure aux capacités d’orientation des MA légers à modérés, ce qui se retrouve égale-ment lors des situations d’entrevue dirigée et de discussion libre. Selon notre étude, plus les MA présentent des troubles de l’orientation, plus la production d’actes inadéquats augmente.

L’absence de feedback est corrélée dans une moin-dre mesure aux capacités d’orientation mesurées par la BEC pour les MA légers et modérés. Elle est fortement corrélée aux capacités attentionnelles et, dans une moindre mesure, aux capacités visuo-constructives des MA sévères. Ainsi, d’après nos résultats, plus les MA sont désorientés et plus leurs capacités attentionnelles sont diminuées, moins ils sont capables de s’adapter au contexte d’interaction.

L’absence de cohérence est corrélée aux capacités de dénomination des MA légers et modérés, ce qui nous amène à formuler l’hypothèse que

l’ab-sence de cohérence serait liée aux troubles dans l’accès aux informations sémantiques.

Pour les patients atteints de démence sévère, la fréquence des descriptions, qui sont des actes éla-borés sur le plan syntaxique et sémantique, est fortement corrélée aux capacités de langage chez ces patients. De même, chez ces patients, la fré-quence des mécanismes conversationnels est for-tement corrélée aux capacités attentionnelles, ce qui peut aisément s’expliquer car le maintien de l’attention est nécessaire pour que la dynamique de la conversation soit respectée. La fréquence des actes non verbaux est fortement corrélée aux capacités d’orientation des sujets au stade sévère.

Plus les patients sont désorientés, moins ils sem-blent produire d’actes non verbaux.

La seule donnée clinique corrélée aux capacités de communication est la durée d’institutionnalisation, or celle-ci est elle-même corrélée au degré d’atteinte globale. Les limites de notre analyse ne permettent donc pas de prendre en compte ce facteur.

En conclusion, selon cette étude, la grille d’éva-luation des capacités de communication des patients atteints de démence de type Alzheimer semble être un outil principalement sensible et valide sur le plan de l’adéquation et de l’inadé-quation de la communication chez ces patients.

La grille semble également relativement sensible et valide sur le plan de la détermination de la cause de l’inadéquation. En revanche, nos résul-tats montrent que l’outil est moins sensible sur le plan de la simplification des actes utilisés avec l’avancée de la maladie. Nous n’avons pu prouver, notamment, la significativité du maintien des actes non verbaux au stade avancé de la maladie.

Les indices de communication mesurés par l’outil révèlent des corrélations fiables et cohérentes avec les résultats aux différentes épreuves neuro-psychologiques, notamment les activités lin-guistiques et celles impliquant l’administrateur central. Ceci va dans le sens des études menées dans le cadre de la recherche expérimentale [24].

La poursuite du travail de validation de cette grille (GECCO) a permis une standardisation sur une population de 152 malades selon le degré d’at-teinte [35], en fonction du lieu de vie [36], de l’âge, du sexe et du milieu socio-culturel [37].

Par ailleurs une recherche récente s’est intéressée à la communication sur une population saine et a

proposé une standardisation de la GECCO sur une population saine âgée de plus de 55 ans [38].

Ce travail étudie l’influence des facteurs « âge » et

« thème de la conversation » sur les compétences communicatives de 33 sujets âgés sains répartis en trois tranches d’âge : 55/69 ans, 70/84 ans et 85 ans et plus. Le protocole utilisé se compose des trois situations d’interlocution citées précédemment.

L’analyse des résultats montre que l’âge n’a pas d’influence sur les compétences communicatives contrairement au thème de la conversation. De plus, en comparant le profil communicationnel de la population de personnes âgées saines à celui d’une population Alzheimer, nous avons pu mon-trer qu’il existe des différences mais également quelques similitudes. Quel que soit le degré d’at-teinte, le discours des malades Alzheimer se carac-térise par une simplification des actes de langage utilisés qui n’est pas retrouvée dans le vieillisse-ment normal. Concernant les sous-types d’actes : quel que soit le degré d’atteinte, le profil commu-nicationnel des personnes Alzheimer et celui des personnes saines se distinguent au niveau de la production des sous-types de Réponses. En revan-che, ils se rapprochent au niveau de la production des sous-types de Questions et d’Affirmations.

D’autre part, plus on avance dans la maladie et plus le sous-type Descriptions se différencie de celui observé dans le vieillissement normal.

Ce travail a permis de montrer l’évolution de la communication des personnes vieillissantes qui se traduit par une certaine stabilité, l’âge n’ayant qu’un faible impact sur ces capacités. Les modifications liées à l’âge, essentiellement quali-tatives, ont cependant bien été mises en évidence.

La comparaison avec les résultats obtenus dans une popu lation Alzheimer montre des différences très significatives. On peut donc imaginer que l’évaluation de la communication soit un élément diagnostique : une altération progressive de l’uti-lisation de certains actes de langage au profit d’autres, de meilleures performances dans certai-nes situations de communication ou dans l’abord de certains thèmes de discussion, soient des signes qui alertent sur l’apparition d’une éventuelle maladie d’Alzheimer. La GECCO pourrait deve-nir ainsi un outil utilisable dans l’évaluation ini-tiale du patient Alzheimer.