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Partie I: De la fabrication des tapa en Océanie jusqu'à leur conservation au Musée cantonal

4.5 Valeurs patrimoniales

Appelbaum, dans son ouvrage Conservation Treatment Methodology191, établit une liste de 13 valeurs qui permet de déterminer les aspects immatériels importants ou non des objets. Ces valeurs sont généralement responsables de la présence des objets dans les collections patrimoniales et servent également à leur conservation future. Les valeurs pour l’institution propriétaire ne sont pas forcément identiques à celles que l’objet avait avant d’entrer dans les collections et elles peuvent varier au fil de sa vie si des informations les concernant sont découvertes ou perdues ou lorsque des objets sont altérés ou restaurés comme dans le cas présent.

De manière globale, la collection de tapa présente une certaine hétérogénéité de valeurs (Tableau 4). Plusieurs tapa ont une longue histoire patrimoniale qui permet de retracer leur parcours depuis leur arrivée dans les collections lausannoises au travers d’archives et d’inventaires : i/g-0238 et 0239, les objets du Musée industriel (numéros d’inventaire commençant par MI/) et des collections missionnaires (MIS/345). En revanche, il y a relativement peu d’informations concernent la période depuis leur création jusqu’à l’entrée dans les collections. La présence du nom du donateur ou du vendeur leur attribue une valeur associative intéressante, mais sans approfondissement, cette information n’est pas très pertinente, tout comme la seule mention d’un archipel comme provenance. Les seules exceptions sont les tapa africains II/A-045 dont la provenance ethnique et l’usage sont connus ainsi que les deux tapa des expéditions Cook (V/C-022 et 023).

189 Monnier et Pernet, 2017 [s.p.].

190 Claire Brizon, 24.02.2020, communication écrite. 191 Appelbaum, 2007.

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Bien que non documentée avec précision, la date de création des objets est estimée d’après leur entrée dans les collections : du premier tiers du 19ème siècle pour le tiputa et le kapa moe au milieu du

20ème siècle pour les pièces missionnaires (MIS/345). Les pièces les plus anciennes sont également les

plus rares en termes de typologie (tiputa et kapa moe) et d’appartenance (expéditions Cook). Les faibles correspondances typologiques du tapa MI/1611 le rende également intéressant de ce point de vue-là192.

Les tapa décorés n’étaient pas considérés comme artistiques par les polynésiens car il s’agissait de motifs à vocations rituelles ou spirituelles, tout comme la blancheur uniforme193. Dans le domaine de

l’ethnographie, ce n’est qu’en 1972 qu’une publication s’y intéresse de manière approfondie et 1997 pour un ouvrage en couleur194. La première exposition complètement dédiée à ce matériau est

Paperskin qui a eu lieu en 2009 en Nouvelle-Zélande195. Il est donc difficile de donner une valeur

artistique à cet ensemble de tapa, bien que les exemplaires décorés semblent plus attrayants du point de vue d’une institution patrimoniale occidentale, du moins pour l’exposition.

La seule valeur monétaire attribuée est celle du tapa MI/1611 qui dès son entrée faisait partie des objets dont la valeur était inscrite dans une ligne qui lui était dédiée sur la « copie de l'évaluation approximative des collections du musée, remise à la compagnie d'assurance sur la vie et contre l'incendie196 ».

Plusieurs valeurs sont considérées comme négligeables pour l’ensemble de la collection : usage, éducative, nouveauté, sentimentale et commémorative. Cela est dû au fait que selon les définitions d’Appelbaum, les tapa ne sont respectivement plus en usage, ne transmettent pas à eux seuls des informations ou des idées aux spectateurs, n’ont pas un aspect neuf, n’engendrent pas de sentiment et n’ont pas de fonction commémorative197. La notion de sentimentalité peut être nuancée par la

vision de ces pièces par un public d’origine océanienne pour qui cela peut être un moyen de se rapprocher de son passé198. Pour eux, la symbolique de l’objet peut prévaloir sur son usage199.

192 Correspondance avec les tapa de Rarotonga (Îles Cook) du National Museum of Australia de Canberra et

de Samoa du Peabody Museum of Archaeology and Ethnography de Cambridge (Annexe : 1.3 Correspondances du tapa MI/1611192).

193 Thomas, 2009, p. 9. Leclerc-Caffarel, 2011 [s.p.]. 194 Kooijman, 1972. Neich et Pendergrast, 1997. 195 Thomas, 2009, p. 8.

196 AVL : 329/8087, enveloppe n° 6. 197 Appelbaum, 2007.

198 Mallon, 2009, p. 28. 199 Mallon, 2009, p. 27.

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Artist

ique

Esthétique Histo

rique

Usage Scientifique Éducati

ve Ancienn eté No uv eau té Sentimenta le Associ ative Monétaire Commémorati ve Rareté ETH/0078 ETH/0079 ETH/0081 i/g-0137 i/g-0238 i/g-0239 i/g-0340 II/A-045 IV/C-001 MI/0513 MI/1480 MI/1481 MI/1482 MI/1483 MI/1484 MI/1485 MI/1611 MIS/345 V/C-022 V/C-023 Collection Très importante Moyenne à importante Faible à

moyenne Négligeable Inconnue

Tableau 4 : Valeurs patrimoniales associées aux tapa du MCAH.

L’ensemble de la collection a une valeur historique et associative importante, car elle permet de retracer l’histoire des institutions patrimoniales lausannoises presque depuis ses origines et lie des personnages importants de l’Histoire et la petite histoire à ces pièces. D’un point de vue scientifique, la collection regroupe un panel intéressant d’objets aux typologies, fonctions, technologies et provenances différentes ainsi qu’une pratique muséale révolue qu’est l’échantillonnage. À l’exception des tapa MIS/345, les objets datent d’avant le premier tiers du 20ème siècle, ce qui en fait un

ensemble relativement ancien. Les motifs présents sur quelques pièces rendent l’ensemble intéressant pour sa diversité sans pour autant former un ensemble cohérent. Malgré la présence de quelques pièces dont il existe relativement peu de correspondance, la collection de tapa contient une majorité de pièces qui se retrouvent facilement dans d’autres institutions, comme c’est les cas des tapa non décorés entre autres.

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5 « Curiosités » parmi les vaudoiseries

Petite collection, numériquement parlant, au sein d’un musée orienté, comme son nom l’indique, autour de l’archéologie et l’histoire étatique, les 3000 objets ethnographiques du MCAH ont été groupés de manière passive en un peu plus de 200 ans et ont peu fait l’objet d’études ou d’exposition jusqu’en 2015 et l’arrivée de Lionel Pernet à la direction du MCAH200.