• Aucun résultat trouvé

1.5. Les Substituts Vasculaires

1.5.3. Vaisseaux reconstruits par génie tissulaire

Le génie tissulaire est un domaine de recherche multidisciplinaire qui vise à fabriquer des tissus biologiques à partir de cellules et de biomatériaux [Langer et al., 1993]. Le paradigme du génie tissulaire consiste à combiner cellules et échafaudage de biomatériaux pour ensuite implanter cette construction chez le receveur (Fig. 1.9). Différentes méthodes ont été développées pour reconstruire des tissus comme l’épiderme [Green et al., 1979, Germain et al., 1993, Rouabhia et al., 1995], le tissu osseux [Caplan, 2005, McMahon et al., 2013] ou le tissu adipeux [Alhadlaq et al., 2005, Vermette et al., 2007] jusqu’aux organes (assemblage de tissus) complexes comme la peau endothélialisée [Black et al., 1998], les vaisseaux sanguins [L'Heureux et al., 1998] ou les reins [Guimaraes-Souza et al., 2012].

Au niveau vasculaire, les techniques de reconstruction de substituts artériels de petits calibres (<6 mm) sont nombreuses. Elles font varier les types cellulaires et les biomatériaux utilisés, ainsi que la technique de production de l’échafaudage [Naito et al., 2011, Cleary et al., 2012]. D’autres se distinguent par une absence de cellules [Song et al., 2010, Quint et al., 2011, Wu et al., 2012, Wystrychowski et al., 2013] ou une absence de biomatériaux exogènes [L'Heureux et al., 1998]. L’approche d’auto-assemblage fait partie de la dernière catégorie. La structure tridimensionnelle de la construction repose sur la production de MEC par les cellules in vitro. En effet, les cellules mésenchymateuses peuvent produire et assembler les principaux constituants de la MEC en présence d’acide ascorbique et de sérum dans le milieu de culture [L'Heureux et al., 1998].

Le développement d’un substitut artériel de petit calibre reconstruit par génie tissulaire représente une étape charnière en chirurgie cardiovasculaire afin de combler le manque de vaisseaux autologues valables pour les greffes coronaires et périphériques [Zhang et al., 2007, Seifu et al., 2013]. Avant de tenter une translation clinique du TEBV, différentes propriétés doivent être évaluées et les substituts doivent répondre à certaines caractéristiques minimales afin de résister à l’environnement vasculaire. La norme standard ANSI 7198 (ANSI/AAMI/ISO 7198) décrit la méthodologie pour valider les prothèses vasculaires. Les paramètres évalués comprennent les caractéristiques structurelles de la paroi (épaisseur, composition, porosité, perméabilité, diamètre), les propriétés mécaniques (contrainte à la rupture, rétention de suture, compliance, rayon de flexion) et la biocompatibilité. Cette norme a été établie pour les prothèses vasculaires synthétiques. Elle néglige cependant l’aspect immunologique et d’intégration du greffon chez l’hôte, particulièrement importante pour les tissus reconstruits par génie tissulaire et les prothèses biodégradables. Elle ne précise pas non plus les caractéristiques minimales pour chacun des paramètres en évaluation. Konig et al. proposent certains paramètres minimaux pour la validation de leurs prothèses. Ces propriétés incluent une résistance mécanique de 2000 mm Hg et une rétention de suture de 50 gmf [Konig et al., 2009]. Comme il s’agit d’une approche autologue, ces paramètres doivent être évalués pour chaque population de cellules [McAllister et al., 2009].

Figure 1.9 - Méthodes de reconstruction vasculaire par génie tissulaire

A) L’approche standard en génie tissulaire propose de combiner des cellules autologues avec des biomatériaux exogènes dans

l’optique de former un tissu reconstruit. Pour les substituts vasculaires, une étape de maturation dans un bioréacteur permet d’améliorer les propriétés mécaniques des vaisseaux par l’imposition d’une contrainte mécanique et de tester la construction dans des conditions partiellement physiologiques. (Adaptée de [Zhang et al., 2007]) B) L’approche d’auto-assemblage, développée au LOEX, ne fait pas appel aux biomatériaux. C’est plutôt les cellules qui produisent la matrice extracellulaire nécessaire à l’assemblage de la construction. Le feuillet ainsi formé est ensuite roulé autour d’un mandrin pour former une structure tubulaire. Des cellules endothéliales peuvent être ensemencées à l’intérieur à l’aide d’un bioréacteur. (Adaptée de Science et Vie, No 973, 1998)

1.5.3.1. Méthodes de reconstruction par génie tissulaire

De nombreuses méthodes de fabrication de TEBV ont été mises au point au cours des 20-30 dernières années [Nemeno-Guanzon et al., 2012]. La majorité de ces techniques peut être classée en quatre grandes catégories selon le type d’échafaudage utilisé ou l’absence de celui-ci (Tableau 1.1) [Zhang et al., 2007, Seifu et al., 2013].

I) Vaisseaux décellularisés : Un vaisseau sanguin prélevé chez un animal ou chez un humain post-mortem

est traité par différentes méthodes dans le but de tuer les cellules et d’éliminer les composantes antigéniques. Ces processus combinent des méthodes pouvant inclure une agitation mécanique, des détergents et une digestion enzymatique pour éliminer les protéines, lipides et nucléotides dérivés des cellules allogéniques ou xénogéniques [Tamura et al., 2003, Uchimura et al., 2003]. Ces vaisseaux peuvent ensuite être recellularisés in vitro avec des cellules autologues ou être greffés sans cellules. Dans les deux cas, la recellularisation de la construction reste problématique, car les cellules pénètrent difficilement dans la MEC native plutôt dense. Cette dernière confère certains avantages au niveau des propriétés mécaniques et de la biocompatibilité à ce substitut [Schmidt et al., 2000]. Cependant, la décellularisation peut affecter la compliance et la force à la rupture. Si le vaisseau est d’origine xénogénique, en plus du danger de rejet hyperaigu, les risques de thrombose, d’anévrisme et d’infection sont augmentés [Teebken et al., 2002]. Les vaisseaux reconstruits par génie tissulaire peuvent également être décellularisés pour permettre l’utilisation de cellules allogéniques sans risque de rejet [Dahl et al., 2003].

Tableau 1.1 - Méthodes de reconstruction de vaisseaux par génie tissulaire

Type Avantages Inconvénients Pression d’éclatement Étude clinique?

I) Vaisseaux

décellularisés  Architecture 3D, composition et propriétés mécaniques des vaisseaux natifs

 Rejet immunitaire si décellularisation non adéquate  Calcification  1 500 mmHg [Quint et al., 2011] Oui [Birchall et al., 2012, Olausson et al., 2012] II) Polymères naturels biodégradables  Facilement disponible  Non-immunogénique  Transmission de maladies possible  Propriétés mécaniques inférieures Collagène : 120 mmHg [L'Heureux et al., 1993] Fibrine : 1 500 mmHg

[Yao et al., 2005, Peng et al., 2011] Élastine : 900-2000 mmHg [Smith et al., 2008]

Oui

[Yao et al., 2005, Peng

et al., 2011, Marelli et al., 2012]

III) Biopolymères

synthétiques  Reproductible  Résistance mécanique élevée

 Faible perméabilité dans les vaisseaux de petits calibres  Réponse inflammatoire  Incompatibilité de compliance  2 000 mmHg [Shin'oka et al., 2001] Oui [Patterson et al., 2012] IV) Feuillet tissulaire produit par auto- assemblage  Résistance mécanique élevée  Non immunogénique  Temps de fabrication  Variabilité des propriétés

mécaniques en fonction de la population de cellules

 2 000 mmHg

[Black et al., 1998, L'Heureux et al., 2006]

Oui

[McAllister et al., 2009]

II) Échafaudage de polymères synthétiques biodégradables : Les cellules sont ensemencées dans une

matrice biodégradable permettant la croissance des cellules et le remodelage du tissu avant ou après l’implantation. Le biomatériau fournit une architecture tridimensionnelle pouvant adopter la géométrie souhaitée. L’avantage de cette méthode est que les paramètres de la microstructure, les propriétés mécaniques et la vitesse de dégradation peuvent théoriquement être finement régulés. La composition du polymère utilisé pour former la matrice ainsi que la taille des pores et les connexions entre eux modifient les caractéristiques du substitut final. L’acide polyglycolique (PGA, de l’anglais polyglycolic acid) est le polymère le plus largement utilisé pour ce type d’approche [Zund et al., 1998, Kim et al., 1999, Niklason et al., 1999]. Il est parfois couplé à d’autres copolymères tels que l’acide poly-L-lactique [Kim et al., 1999, Telemeco et al., 2005], le polyhydroxyalkanoate [Shum-Tim et al., 1999] ou lepolycaprolactone [Iwasaki et al., 2008].

Niklason et al., du laboratoire de Dr Langer, ont proposé l’utilisation de ce type de biomatériau biodégradable (PGA) pour la reconstruction d’un substitut vasculaire [Niklason et al., 1999]. Des CML porcines ensemencées dans un échafaudage de PGA à l’aide d’un bioréacteur sont cultivées in vitro durant plusieurs semaines. La construction résultante est contractile et possède une résistance mécanique de plus de 2000 mmHg. La présence de sérum et d’acide ascorbique dans le milieu permet aux CML de produire le collagène qui remplace graduellement le PGA [Niklason et al., 1999, Niklason et al., 2001]. Plus récemment, l’équipe de la Dre Niklason s’est tournée vers une approche allogénique, grâce à l’utilisation d’une technique de décellularisation [Dahl et al., 2003]. Un échafaudage de PGA ensemencé de CML porcines [Quint et al., 2011] ou humaines [Quint et al., 2012] est cultivé pour dix semaines en conditions dynamiques, toujours en présence de sérum et d’acide ascorbique. Ce vaisseau est ensuite décellularisé pour être utilisé dès que le besoin est présent, avec la même disponibilité que les prothèses synthétiques [Dahl et al., 2011a]. La compagnie Humacyte® a lancé trois études cliniques (NCT01744418, NCT01840956 et NCT01872208) avec

ce modèle. Les deux premières pour l’accès à l’hémodialyse chez les patients en insuffisance rénale au stade terminal et la troisième pour le remplacement de l’artère fémorale en haut du genou chez des patients présentant une MVP.

L’utilisation des matériaux biodégradables pose certains problèmes lorsque ces biomatériaux ne sont pas complètement dégradés in vitro. En effet, la dégradation du polymère par les cellules de l’hôte acidifie le milieu environnant. De plus, au niveau vasculaire, cette dégradation entraîne une fragilisation du greffon, augmentant les risques de rupture à moyen terme. Finalement, la distribution des cellules à travers la construction est souvent problématique, car les cellules doivent migrer à l’intérieur des pores du biomatériau.

III) Échafaudage en biopolymère : Cette catégorie se distingue de la précédente par l’utilisation de

polymères naturels, c’est-à-dire retrouvés in vivo, comme le collagène et la fibrine. Cependant, le collagène est généralement utilisé sous forme de gel plutôt que de fibre.

Tableau 1.2 - Contribution significative au génie tissulaire vasculaire

Cellule animale Cellule humaine

Approche Chercheur Principal In vitro (modèle animal) In vivo In vitro (modèle animal) In vivo Usage en clinique

CE ensemencées et cultivées sur un polymère synthétique

Zilla [Zilla et al., 1989] Après les essais cliniques

[Zilla et al., 1989] Après les essais cliniques

[Kadletz et al., 1987] Cellules adultes

Non [Zilla et al., 1987, Deutsch et al., 2009]

(Pontage périphérique au niveau des membres inférieurs, adultes)

Gel de collagène Bell/

Matsuda/ Auger

Ajout d'un treillis de Dacron [Weinberg et al., 1986] Cellules bovines

Ajout d'un treillis de Dacron [Hirai et al., 1994] Veine cave,

cellules bovines chez le lapin [Matsuda et al., 1995] 26 sem., carotide chien

[L'Heureux et al., 1993]

Cellules de nouveau-né Non Non

Échafaudage de biomatériaux résorbables (basse pression)

Shin'oka [Shin'oka et al., 1998]

24 sem., artère pulmonaire de mouton

Non [Mirensky et al., 2009]

Après les essais cliniques

[Shin'oka et al., 2001] [Hibino et al., 2010]

Artère pulmonaire (pédiatrique) Feuillet tissulaire produit

par auto-assemblage Auger/ L'Heureux Non Non [L'Heureux et al., 1998] Cellules adultes [L'Heureux et al., 2006] 7,5 mois, aorte de souris, 8 sem., aorte de primate

[L'Heureux et al., 2007, McAllister et al., 2009]

Accès à l'hémodialyse (Adultes) Échafaudage de

biomatériaux résorbables (haute pression)

Niklason [Niklason et al., 1999] 24 jours, artère saphène,

cellules bovines et de primate, chez le primate

[McKee et al., 2003] Cell. de nouveau-né [Poh et al., 2005] Cell. adultes [Dahl et al., 2011b] Décellularisé, 6 mois, court-circuit artério-veineux, primate

Étude clinique en cours

Vorp [Nieponice et al., 2008]

Cellules murines [Nieponice et al., 2010] 8 sem., cellules murine chez la souris

[He et al., 2010] 8 sem., cellules adultes,

aorte de souris, Non

Bioréacteur in vivo Campbell Non [Campbell et al., 1999]

4 mois, aorte murine 4 mois, carotide lapin

Non Non Non

Gel de fibrine + cellules

(haute pression) Tranquillo [Grassl et al., 2003] Cellules de rat chez le rat (en cours) [Syedain et al., 2011] Cellules de nouveau-né Chez le rat nu, (en cours) Non Gel de fibrine +cellules

(basse pression) Andreadis [Swartz et al., 2005] 15 sem., veine cave, mouton Non Non Non

Fibrine et biomatériaux Jokenhoevel [Tschoeke et al., 2009]

Cellules de mouton [Koch et al., 2010] 6 mois, carotide, mouton Non Non Non

Weinberg et Bell ont été les premiers à développer un vaisseau reconstruit par génie tissulaire [Weinberg et al., 1986]. Le modèle optimal proposé à l’époque comporte trois couches de gel de collagène contenant des CML ou des fibroblastes, séparées par deux treillis de Dacron. Le temps de maturation optimal in vitro était de 1 mois. Ce modèle présentait une pression d’éclatement de 323 ± 31 mmHg. Cette résistance est principalement due au support de Dacron car, sans celui-ci, le vaisseau reconstruit éclate à moins de 10 mmHg. Bien que légèrement supraphysiologique, cette faible résistance mécanique ne permet vraisemblablement pas de supporter l’implantation au niveau artériel. La pression d’éclatement du modèle est optimale à un mois in vitro, mais diminue graduellement par la suite, potentiellement dû à la production de collagénase par les cellules. Des CE ensemencées à l’intérieur du lumen forment un endothélium confluent. Cet endothélium produit du facteur Von Willebrand ainsi que de la prostacycline et il est imperméable aux grosses molécules comme l’albumine.

L’Heureux et al. proposent par la suite l’utilisation d’un mandrin central autour duquel le gel de collagène contenant des CML est polymérisé. Ce mandrin crée une contrainte mécanique qui entraîne l’alignement circonférentiel des cellules. Une deuxième couche de gel contenant des fibroblastes dermiques est ensuite ajoutée autour de la première. Ainsi, la résistance mécanique du gel de collagène (sans ajout de matériaux synthétiques) passe de 10 mmHg pour Dr Weinberg à 120 mmHg pour Dr Auger [L'Heureux et al., 1993]. D’autres équipes ont proposé diverses modifications pour améliorer la résistance mécanique de ce type de construction dont la stimulation mécanique [Seliktar et al., 2003] et le pontage aux ultraviolets [Rajan et al., 2008].

La fibrine est également utilisée comme protéine d’échafaudage [Ye et al., 2000, Grassl et al., 2003]. Les premiers modèles étaient cependant trop fragiles pour supporter la manipulation par les chirurgiens [Jockenhoevel et al., 2001]. L’utilisation d’un mandrin central et la culture in vitro pour plusieurs semaines permettent d’améliorer la résistance du modèle. Après ensemencement de CE, la construction a été greffée chez l’animal sur la veine jugulaire. Ce vaisseau est resté fonctionnel pour 15 semaines [Swartz et al., 2005]. La culture en condition dynamique, dans un bioréacteur créant une dilatation circonférentielle cyclique des vaisseaux, a également amélioré la résistance de ce type de construction [Syedain et al., 2011]. Récemment, l’effet de l’ajout d’insuline et de la culture en condition hypoxique sur l’assemblage du collagène et sur les propriétés mécaniques a été analysé. La combinaison de l’ajout de 2 µg/ml d’insuline et de 2% d’oxygène permet d’augmenter la force à la rupture de 100 à 550 kPa et la densité du collagène de 5 à 35 mg/ml [Bjork et al., 2012].

Dans les constructions cylindriques en biopolymère, il est possible d’aligner les cellules circonférentiellement en appliquant une compression longitudinale sur le gel [Girton et al., 2002] ou une contrainte circonférentielle [L'Heureux et al., 1993], ou encore, en utilisant un champ électromagnétique [Barocas et al., 1998] ou une

stimulation mécanique [Seliktar et al., 2000]. De plus, les cellules sont distribuées uniformément à l’intérieur de la construction, car elles sont présentes avant la polymérisation. Comme ces molécules sont naturelles, les cellules sont en mesure de s’étaler et de se lier facilement aux composantes de la matrice. Par contre, la faible résistance de ces modèles limite leur utilisation en clinique.

IV) Feuillets tissulaires ou auto-assemblage : Cette approche permet la production d’un vaisseau

complètement biologique, où la MEC est produite et organisée par les cellules [L'Heureux et al., 1998]. Le vaisseau reconstruit avec cette technique possède des propriétés mécaniques (résistance circonférentielle et compliance) et contractiles (contraction et relaxation) impressionnantes. Le vaisseau reconstruit par auto- assemblage a été utilisé comme modèle d’étude pharmacologique et physiologique [L'Heureux et al., 2001, Diebolt et al., 2005, Laflamme et al., 2006a, Laflamme et al., 2006b, Diebolt et al., 2007]. Ce type de vaisseau est actuellement en étude clinique [McAllister et al., 2009].

1.5.3.2. L’auto-assemblage

L’approche d’auto-assemblage, aussi appelée ingénierie de feuillet cellulaire ou tissulaire, tire avantage de la capacité intrinsèque des cellules mésenchymateuses à sécréter, assembler et organiser une MEC en présence du milieu de culture approprié contenant du sérum et de l’acide ascorbique (vitamine C). Cette vitamine essentielle est un cofacteur des enzymes proline et lysine hydroxylase [Cardinale et al., 1974]. L’hydroxylation de ces acides aminés pour former les hydroxyprolines et hydroxylysines, retrouvées uniquement dans le collagène, est essentielle à la fibrillogenèse [Pinnell, 1985]. Lorsque les fibroblastes sont cultivés en présence d’acide ascorbique pour quelques semaines, le collagène produit est déposé par les cellules et les unit entre elles, formant un feuillet tissulaire. Ce feuillet devient résistant et peut être empilé pour former des tissus plans comme le stroma cornéen [Carrier et al., 2009] (Fig. 1.10 A), la portion dermique de la peau [Michel et al., 1999] (Fig. 1.10 A), le tissu adipeux [Vermette et al., 2007] (Fig. 1.10 B) ou être roulé autour d’un mandrin pour former une structure tubulaire pouvant devenir un substitut vasculaire [L'Heureux et al., 1998] (Fig. 1.10 C) ou urétral [Ouellet et al., 2011].

Cette technique est également utilisée dans le laboratoire du Dr Okano au Japon. Son laboratoire a mis au point une surface de culture recouverte d’un polymère thermosensible, le poly (N-iso-propylacrylamide) (PIPAAm) [Okano et al., 1995] permettant de faire décoller le feuillet cellulaire spontanément lorsque la température diminue [Kwon et al., 2000, Okano, 2006]. Ainsi, il devient possible de fabriquer des feuillets à partir de nombreux types cellulaires. Ils ont exploité le potentiel des CML [Hobo et al., 2008], des cardiomyocytes [Shimizu et al., 2003, Masuda et al., 2008], des cellules épithéliales cornéenne [Yang et al., 2006], du tissu parodontal [Flores et al., 2008] ainsi que des cellules de la glande thyroïde [Arauchi et al., 2009].

Figure 1.10 - Exemples de tissus reconstruits par la technique d’auto-assemblage

A) La production de stroma cornéen reconstruit à partir des cellules fibroblastiques et épithéliales de la cornée est comparée avec un

substitut reconstruit à partir de fibroblastes dermiques et de kératinocytes. Le substitut de cornée antérieur est plus transparent que la peau reconstruite. La coloration trichrome de Masson permet de voir que les cellules épithéliales de cornée et de peau ensemencées sur ces tissus conjonctifs récapitulent les différentes couches de différenciation épithéliale propre à leur tissu d’origine. La jonction dermo-épidermique permet de maintenir la couche de cellules basales et de récapituler la niche des cellules souches épithéliales, ce qui assure le renouvellement de l’épithélium post-greffe. (Adaptée de [Carrier et al., 2009]) B) Les cellules souches mésenchymateuses isolées du tissu adipeux peuvent être utilisées pour reconstruire des tissus conjonctifs. Elles peuvent ensuite être différenciées en tissu adipeux par l’utilisation du cocktail approprié. La coupe histologique colorée au trichrome de Masson montre les vacuoles des adipocytes dans le tissu adipeux reconstruit. (Adaptée de [Vermette et al., 2007]) C) Les différentes tuniques d’une artère peuvent être reproduites avec cette technique. Sur la coloration trichrome de Masson, on remarque que la media (M) reconstruite à partir des CML, donne un tissu beaucoup moins dense en matrice extracellulaire que l’adventice (A) reconstruite à partir des fibroblastes dermiques. (Adaptée de [L'Heureux et al., 1998])

L’auto-assemblage est utilisé par la compagnie Cytograft® pour produire des vaisseaux autologues destinés à

permettre l’accès à l’hémodialyse pour les patients en insuffisance rénale au stade terminal [L'Heureux et al., 1998, L'Heureux et al., 2006]. Cette compagnie termine actuellement le premier essai clinique avec cette prothèse (Lifeline®) [McAllister et al., 2009] (numéro sur ClinicalTrial.gov NCT00850252). Il est intéressant de

noter que le substitut à l’étude ne contient pas de media, ce qui limite la capacité vasoréactive de ces prothèses.

Cette technique présente plusieurs avantages sur les autres techniques de reconstruction par génie tissulaire. D’abord, la matrice qui est produite par les cellules est très similaire à celle du tissu normal. Cette matrice pourra donc vraisemblablement être intégrée à l’hôte plutôt que dégradée, remplacée ou calcifiée. La MEC produite par les fibroblastes présente une composition [Lake et al., 2013], des propriétés mécaniques (résistance, compliance) [Gauvin et al., 2011a] et l’expression de certains récepteurs [Laflamme et al., 2006b] comparable à leur tissu d’origine. Dans ce modèle, les cellules sont distribuées uniformément à travers la construction. Finalement, cette technique peut également servir à assembler des tissus non conjonctifs, comme le muscle lisse vasculaire, pour former une media reconstruite vasoréactive [L'Heureux et al., 2001].

Toutefois, l’auto-assemblage n’est pas dénué d’inconvénients ou de limitations. Le temps de production des feuillets tissulaires est généralement supérieur à celui des approches utilisant des échafaudages de biomatériaux. Comme il n’y a pas de matériaux de remplissage, le feuillet est plutôt mince, ce qui peut être un problème pour certaines applications. Cet inconvénient peut être contourné en empilant plusieurs feuillets, mais les coûts de production augmentent proportionnellement au nombre de feuillets empilés. Pour reconstruire la media, l’utilisation des CML présente plusieurs limitations inhérentes à leur faible niveau de sécrétion de collagène [Thie et al., 1991, Redecker-Beuke et al., 1993]. Le feuillet produit avec ce type cellulaire possède une faible résistance mécanique, est difficile à manipuler et a tendance à se contracter spontanément avant d’être manipulable. De plus, certaines populations de CML sont réfractaires à la formation de feuillet, ce qui rend la technique actuelle avec ce type cellulaire difficilement applicable cliniquement pour tous les patients. En effet, il sera difficile de prédire le comportement des cellules autologues utilisées.

1.5.3.3. Importance des CML dans les vaisseaux reconstruits

L’ajout d’une media dans un vaisseau reconstruit destiné à la greffe est préférable pour plusieurs raisons. D’abord, les CML partiellement contractées absorbent les variations de pression sans endommager ou fatiguer le tissu conjonctif. Cette caractéristique est très importante pour une perméabilité à long terme du greffon. Cette vasoréactivité peut également intervenir pour dilater la lumière du vaisseau si un caillot vient obstruer partiellement la lumière; cette capacité se nomme la dilatation au flux. La plasticité phénotypique des CML et leur capacité contractile leur permettent de réparer les blessures éventuelles à la paroi du vaisseau

plus rapidement et plus efficacement que les fibroblastes [Wang et al., 2010a]. Finalement, à long terme, plusieurs complications liées à l’utilisation de la veine saphène comme substitut artériel sont potentiellement causées par la faible abondance de la media [Sabik et al., 2005].

Dans la mise au point d’un modèle pharmacologique vasculaire in vitro, il est essentiel de recréer la media, car cette tunique est le siège de la principale pathologie vasculaire : l’athérosclérose. De plus, l’étude de l’architecture et de la fonctionnalité de la media est possible dans un modèle reconstruit par génie tissulaire. Cette architecture est particulièrement importante in vivo, car elle participe à potentialiser les dépenses énergétiques pour le bon fonctionnement et le maintien de l’intégrité du système vasculaire.

1.5.3.4. La media reconstruite comme modèle pharmacologique

Les méthodes actuelles de développement de nouvelles cibles pharmacologiques pour le traitement de l’athérosclérose utilisent principalement des segments de vaisseaux placés en bains d’organes isolés et leur capacité contractile est ainsi évaluée dans différentes conditions. Les vaisseaux qui sont utilisés proviennent