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pharmacologique et clinique

6.3.1. Développement d’un échafaudage de MEC

Les chapitres 4 et 5 visaient l’optimisation du modèle de media humaine pour améliorer la résistance mécanique et la contractilité ainsi que pour permettre la reconstruction de vaisseaux avec les CML de n’importe quel patient. Pour ce faire, un échafaudage de MEC produit par auto-assemblage a été développé. La capacité des fibroblastes dermiques à sécréter beaucoup de MEC a été mise à contribution pour fournir un environnement tridimensionnel aux CML et pour permettre la manipulation du feuillet produit avec des populations de CML produisant peu de MEC. L’utilisation de cet échafaudage confère à la media reconstruite de nombreux avantages par rapport au modèle classique. Elle devient plus contractile, plus résistante, plus facilement manipulable et le temps de production à partir de l’extraction des cellules du patient est réduit. De plus, cet échafaudage permet de reconstruire des media avec des CML isolées de veines saphènes avec un taux de succès plus important (résultats non montrés).

La MEC produite par auto-assemblage qui constitue cet échafaudage est fondamentalement différente des autres biomatériaux utilisés en génie tissulaire. Les travaux présentés au chapitre 4 démontrent que cette matrice peut être utilisée de manière analogue à ces biomatériaux pour soutenir la croissance de cellules produisant peu de MEC. Malgré le faible recul sur cette nouvelle approche, l’échafaudage de MEC produit in vitro représente vraisemblablement le meilleur biomatériau possible au point de vue de sa composition et de sa structure. Il peut être produit à partir de fibroblastes allogéniques, pour une approche plus standardisée et plus commercialement viable, ou de fibroblastes autologues, pour un risque de rejet nul et une approbation plus facile de la part des organismes de réglementation.

La décellularisation d’une matrice fibroblastique a d’abord été proposée par L’Heureux et al. [L'Heureux et al., 1998]. Dans ces travaux, un vaisseau de fibroblastes dermiques est traité dans l’eau apyrogène stérile pour induire une lyse des cellules. La matrice est ensuite déshydratée, puis congelée avant d’être utilisée comme membrane interne entre les CE et les CML. Elle sert dans ce cas de barrière acellulaire réduisant potentiellement la resténose et supportant la croissance des CE à sa surface. Dans les chapitres 4 et 5, la matrice décellularisée est utilisée comme un échafaudage pour supporter la culture d’un autre type cellulaire, les CML, à l’intérieur de la matrice.

L’équipe de Dr Guérin au Centre universitaire d’ophtalmologie (CUO-recherche), en collaboration avec le Dr Germain, utilise l’échafaudage de MEC reconstruit par auto-assemblage pour des études fondamentales sur la cornée [Lake et al., 2013]. L’utilisation de la MEC produite par les fibroblastes de la cornée (kératocytes) a permis d’étudier le rôle de l’intégrine α5β1 dans la cicatrisation de ce tissu. La composition de la MEC a

également été déterminée par spectroscopie de masse dans cette étude. Dans l’équipe du Dr Auger, les travaux de maîtrise de Chanel Beaudoin-Cloutier ont repris l’utilisation du feuillet de matrice produit in vitro puis décellularisé pour la reconstruction de la peau. Ces travaux proposent de produire un échafaudage de MEC épais à partir d’un empilement de trois feuillets de fibroblastes dermiques allogéniques qui supportera l’ensemencement de fibroblastes, puis de kératinocytes autologues à sa surface, fournissant l’environnement nécessaire à la récapitulation partielle de la niche des cellules souches épidermiques. Il est ainsi possible de réduire de manière considérable le temps nécessaire entre le prélèvement de la biopsie et la disponibilité d’une peau reconstruite autologue pour la greffe chez les grands brûlés (travaux en cours).

Cet échafaudage de MEC offre donc de nombreuses possibilités pour plusieurs tissus. Nous avons voulu aller encore plus loin et améliorer sa structure dans l’optique de le rendre plus physiologique et plus résistant. L’induction d’un assemblage anisotropique de la MEC, en s’inspirant des tissus physiologiques, permet de recréer l’architecture circonférentielle de la media.

6.3.2. Alignement de l’échafaudage

Les travaux présentés au chapitre 5 ont montré que l’architecture d’un échafaudage produit par auto- assemblage peut être modulée en ensemençant les fibroblastes sur une surface de culture microstructurée. En effet, la culture sur une surface en créneaux et en sillons de l’ordre du micron permet l’alignement des cellules et l’assemblage anisotropique de la MEC [Guillemette et al., 2009]. Suite à sa décellularisation, l’utilisation de l’échafaudage anisotropique pour la reconstruction de la media avec un alignement circonférentiel permet d’accroître la contraction et la résistance mécanique. Il confère également une architecture plus physiologique au substitut vasculaire final.

D’autres méthodes ont été proposées pour aligner la matrice extracellulaire dans un vaisseau reconstruit par auto-assemblage. D’abord, les travaux de Dr Guillaume Grenier démontrent qu’une contrainte uniaxiale statique imposée sur un feuillet de CML ou de fibroblastes induit la réorganisation du tissu après 7 jours et permet une augmentation de la résistance mécanique du feuillet. La contraction de la media reconstruite avec ce feuillet est également augmentée [Grenier et al., 2005]. Ensuite, les travaux de Dr Robert Gauvin se sont intéressés à l’imposition d’une contrainte uniaxiale dynamique. Le feuillet de fibroblaste étiré à 10% de sa longueur de manière statique ou dynamique (1 Hz, 72 heures) devient plus résistant dans la direction d’imposition de la déformation, particulièrement en condition dynamique [Gauvin et al., 2011b]. Toutefois, le désavantage de ces deux méthodes est que la MEC est produite de manière aléatoire par les cellules avant d’être réarrangée en réponse à la contrainte imposée. De plus, ces méthodes complexifient la production de substituts, car elles nécessitent le détachement du feuillet de son support de culture, puis sa manipulation pour la mise sous tension ou sous contrainte. Enfin, dans ces deux études, la constriction uniaxiale du tissu se fait en fixant deux des quatre côtés du feuillet, entraînant une déformation non uniforme de celui-ci, qui adopte

alors une forme de sablier. Cette déformation intrinsèque à la réorganisation de la MEC entraîne une perte importante de la surface de tissu utilisable pour produire le substitut vasculaire. Malgré ces contraintes, ces travaux démontrent qu’il est possible d’améliorer les substituts reconstruits par auto-assemblage en les rendant anisotropiques. Les travaux de Dr Maxime Guillemette proposent une approche alternative pour aligner la MEC et les cellules dans les vaisseaux reconstruits par auto-assemblage. La culture des cellules sur une surface microstructurée permet d’aligner la matrice et les cellules dès le départ : la méthode est simple au point de vue de la culture des cellules, l’alignement est uniforme et toute la surface est utilisable [Guillemette et al., 2009]. Ces travaux ont montré une amélioration de la transparence des cornées reconstruites à partir de kératocytes ainsi qu’une augmentation de la résistance mécanique de la media reconstruite et du feuillet de fibroblastes dermiques après alignement. En collaboration avec Dr Guillemette, nous avons également démontré que la contraction de la media augmente suivant son alignement circonférentiel (résultats non publiés). Les travaux présentés au chapitre 5 se sont donc inspirés des résultats précédents pour développer un échafaudage de MEC produite in vitro par les fibroblastes dermiques selon une architecture déterminée pour la reconstruction de la media. La technique du Dr Guillemette a été choisie en raison de sa simplicité et de son efficacité. En effet, elle n’implique ni le détachement du feuillet, ni sa manipulation subséquente. De plus, la matrice est directement assemblée de manière orientée.

L’utilisation d’un échafaudage de MEC aligné pour la reconstruction de la media présente plusieurs avantages. L’alignement circonférentiel des cellules augmente la résistance mécanique et la contraction sans augmenter la rigidité de la construction. Cet alignement permet de minimiser la dépense d’énergie nécessaire à la contraction maximale, car les cellules contractent la matrice dans une orientation majoritairement circonférentielle.

De plus, l’utilisation de ce nouveau modèle de media permettra de faciliter l’étude des MP sur la fonction de cette tunique. En effet, des niveaux de contraction plus grands et plus constants permettent de constater plus facilement les variations métaboliques dues au traitement. Bien que la capacité contractile de différentes populations de CML soit variable même avec un échafaudage, l’utilisation de celui-ci permet de reconstruire des media facilement manipulables avec toutes les populations de CML testées (résultats non montrés) et ainsi de pouvoir analyser en vasoconstriction des populations qui produisent peu de MEC.

6.3.3. Directions futures pour la recherche sur les échafaudages alignés

La suite de ces travaux pourrait comporter deux volets principaux : l’utilisation du modèle de vaisseau reconstruit avec échafaudage pour effectuer des études pharmacologiques et la production d’un substitut artériel autologue de manière standardisée et répétable.

Toutefois, plusieurs améliorations pourraient encore être apportées au modèle pour diminuer le temps de production et augmenter la sécurité pour le receveur. D’abord, le temps entre l’ensemencement des CML et le roulage a été arbitrairement fixé à une semaine pour permettre une certaine prolifération et migration cellulaire. Les expériences de microscopie en temps réel démontrent que les CML s’alignent au moment de l’adhésion au dMS. Ainsi, il serait possible de réduire cette maturation jusqu’à aussi peu que 24 heures en ensemençant une quantité plus grande de CML. Le nombre de cellules a également été fixé de manière arbitraire et pourrait être optimisé afin de favoriser le développement d’une media contenant une plus grande quantité de CML.

Ensuite, au niveau du processus de décellularisation, les tests de viabilité du tissu se sont limités à une observation de l’absence d’activité mitochondriale par un test au sel de tétrazolium MTT (bromure de 3-(4,5- dimethylthiazol-2-yl)-2,5-diphenyl tetrazolium) (non montré), à l’absence de noyau et d’actine filamenteuse dans les dMS en immunofluorescence et à l’absence de cellules GFP positives suite à la décellularisation d’un feuillet produit par des fibroblastes transgéniques exprimant la GFP (non montré). Bien que les résultats obtenus soient clairs, une analyse plus approfondie de la possibilité qu’une cellule survive au processus de décellularisation sera nécessaire préalablement à l’implantation chez le patient. De plus, la présence de débris cellulaires produits lors de la lyse des fibroblastes dans les dMS pourrait engendrer une réaction immunitaire ou inflammatoire. Une évaluation de l’ADN résiduel grâce au PicoGreen®, un composé fluorescent qui se lie à

l’ADN double brin, permettrait de quantifier le niveau de cet élément potentiellement immunogène. Une optimisation de la technique de décellularisation pour retirer la majorité des débris cellulaires et de l’ADN génomique retenus dans la MEC serait donc appropriée. Par exemple, l’ajout d’un traitement à la DNase pourrait diminuer la quantité d’ADN restant dans l’échafaudage. L’utilisation de détergents non ioniques comme le désoxycholate de sodium aiderait également à l’élimination des débris, mais risque d’endommager les composantes plus fragiles de la MEC. Finalement, l’utilisation d’une approche dynamique serait une méthode à privilégier afin d’améliorer l’efficacité de la décellularisation sans modifier les produits utilisés. En effet, placer les tissus sur une plaque agitatrice permettrait de créer une circulation du liquide afin de déloger les débris cellulaires accrochés à la matrice. D’un autre côté, la colonisation du dMS par les CML autologues pour une période de quatre semaines avant l’implantation pourrait réduire l’impact de la présence des débris cellulaires. En effet, ces débris seront potentiellement dégradés par les protéases, RNases et autres enzymes sécrétées par les CML avant l’implantation. Cet effet est difficile à évaluer puisque ces débris sont difficilement discernables de ceux dérivés d’une potentielle apoptose des CML autologues. De plus, le modèle n’a pas encore été testé chez l’animal. L’approche pour ces tests serait d’isoler des CML de rats pour les ensemencer dans un dMS humain avant d’implanter le modèle chez un rat syngénique. Cependant, les CML de rats ensemencées dans une matrice d’origine cellulaire humaine pourraient avoir tendance à dégrader cette matrice et à diminuer la résistance mécanique de la construction. L’utilisation de dMS d’origine animale

pourrait potentiellement donner de meilleurs résultats, mais le substitut produit deviendrait alors peu représentatif du produit final. C’est pourquoi le modèle idéal serait un dMS humain ensemencé de CML humaines, puis roulé autour d’un mandrin. Ce modèle pourrait être greffé sur l’aorte de rats athymiques en position infrarénale.

D’autre part, la population de fibroblastes dermiques utilisée pour la fabrication des dMS était une population cellulaire commune du laboratoire isolée d’une femme de 38 ans suite à une réduction mammaire. Les résultats préliminaires du laboratoire de Dre Germain montrent que les substituts reconstruits à partir de fibroblastes de nouveau-nés (prépuce) sont plus épais que ceux reconstruits à partir de fibroblastes adultes. Il sera donc facile d’optimiser l’échafaudage en testant différentes populations pour comparer leur résistance mécanique. L’utilisation de cellules allogéniques permet de choisir la meilleure population, d'en faire une banque de cellules et de l’utiliser pour un grand nombre de patients.

Au niveau fondamental, le mécanisme de pivotement des cellules de la deuxième couche reste toujours indéterminé. Ce phénomène intriguant a été rapporté par Dr Guillemette et concerne le comportement des cellules à la surface d’un feuillet composé de cellules vivantes et de MEC [Guillemette et al., 2009]. Plutôt que de s’orienter dans la direction de la MEC du feuillet, ces cellules ont tendance à s’aligner en respectant un certain angle par rapport à la direction de celles présentes dans la couche sous-jacente. Cet angle est différent en fonction du type cellulaire étudié. Par contre, les mécanismes cellulaires impliqués n’ont pas été identifiés. Dans le but d’élucider ce phénomène, certaines expériences ont été entamées au cours de mon doctorat, particulièrement au niveau de la cornée. Les transcriptomes des kératocytes et des fibroblastes dermiques cultivés sur des substrats microstructurés ou contrôles ont été comparés. L’analyse des résultats des puces à ADN est en cours. Pour déterminer si le pivotement est induit par la matrice ou par les cellules, nous avons produit des feuillets à partir de fibroblastes dermiques, de kératocytes ou de CML. Ces feuillets ont été décellularisés ou non, à différents temps (7, 15 ou 21 jours), puis des CML-DsRed ont été ensemencées sur le dessus. Les résultats préliminaires obtenus suggèrent que la matrice seule est capable d’induire un pivotement des cellules. Ce résultat concorde avec ce qui a été observé au chapitre 5.

La portée de ces travaux est substantielle au niveau du développement de prothèses vasculaires par génie tissulaire, elle permettra de produire des vaisseaux de remplacement pour tous les patients et ce, de manière plus standardisée et plus rapide que la technique d’auto-assemblage standard. Ces prothèses seront de plus en plus en demande car, malgré la régression de la mortalité associée aux MCV, le vieillissement de la population risque d’amener une demande importante pour ce type de technologie dans un avenir rapproché. De plus, l’utilisation de cet échafaudage permettra de mettre au point un modèle de media pathologique pour la réalisation d’étude pharmacologique visant le développement de médicaments pour contrer l’initiation et la

progression de l’athérosclérose. Enfin, des architectures plus complexes pourraient également être produites pour recréer des tissus comme les feuillets de valves cardiaques, par exemple.

En terminant, l’échafaudage acellulaire développé au cours de ces travaux possède une valeur commerciale non-négligeable. En effet, étant donné que cette nouvelle approche permettrait une utilisation allogénique de cette matrice produite in vitro par auto-assemblage, d’une manière qui peut être entièrement contrôlée et standardisée, sa rentabilité serait plus intéressante qu’une approche entièrement autologue. Cet échafaudage serait, par conséquent, un produit commercialisable au même titre que d’autres biomatériaux.