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CHAPITRE III : L’ÉTAT DES LIEUX DES APPROCHES VACCINALES DÉVELOPPÉES

B. LES VACCINS CONTRE SHIGELLA

A l’heure actuelle, il n’existe aucun vaccin autorisé commercialisé pour Shigella. Pour cela, le développement d’un vaccin protecteur contre les Shigella devient de plus en plus une nécessité pour lutter contre ces infections et réduire ainsi la charge mondiale de la shigellose (155, 156). Ce vaccin devrait être efficace pour les enfants de moins de cinq ans et idéalement devrait être capable de fournir une couverture maximale pour les différentes espèces de Shigella généralement détectées : S. flexneri et S. sonnei d’une part et S. dysenteriae d’autre part, et pour les différents sérotypes/sous-types pour chaque espèce (157).

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Dans l’infection naturelle par Shigella, une immunité protectrice à courte durée pourrait se produire seulement dans le cas d’une ré-infection par le même sérotype responsable de l’infection initiale. Les réponses humorales induites suite à cette première infection sont sérotypes-spécifiques et dirigées principalement contre l’antigène O du LPS (157, 158) et donc ne peuvent pas être efficaces pour assurer une protection contre d’autres sérotypes de Shigella lors d’infections suivantes (159, 160). Ceci représente un problème majeur dans les pays en voie de développement où plusieurs épisodes d’infections avec différents sérotypes pourraient se produire chez le même individu. Dans l’optique de fabriquer un vaccin à large spectre contre les différents sérotypes de Shigella, plusieurs types de vaccins se basant surtout sur des antigènes conservés parmi les sérotypes de Shigella sont en cours de développement (Tableau 5).

1. Les vaccins vivants de virulence atténuée

Les vaccins vivants de virulence atténuée, administrées par voie orale,sont maintenant développés par manipulations génétiques sélectives afin d’être suffisamment immunogènes et peu réactogènes. Certaines constructions vaccinales, par exemple celles basées sur des mutants de guaBA (161) et virG (162,163), respectivement en phase I et II d’essais cliniques, semblent induire des réactions immunitaires robustes chez des volontaires et possèdent un profil de sécurité élevé (une tolérance plus importante et une faible réactogénicité) comparées aux constructions du passé(164). De nouvelles constructions, comme ShigETEC, à des phases de développement moins avancées (phase préclinique chez la souris) permettent une exposition accrue de protéines de la membrane externe largement conservées chez Shigella, ce qui pourrait induire une protection large spectre contre différentes espèces et sérotypes de Shigella (165). Un autre type de vaccins vivants atténués appelé SC602, en phase IIa d’essais cliniques, dérivé de S. flexneri 2a et présentant une mutation dans le gène d’invasion icsA,a montré une efficacité élevé chez des volontaires adultes mais une faible immunogénicité chez les enfants dans les pays en développement (166). La difficulté rencontrée avec les vaccins vivants atténués est que les réponses immunitaires induites chez des volontaires aux États-Unis ou en Europe sont différentes de celles obtenues chez desvolontaires dans des pays en voie de développement et donc le défi le plus important est de trouver un équilibre entre l’acceptabilité éthique des essais cliniques et l’immunogénicité chez des volontaires adultes dans les pays en développement (157, 167).

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Vaccins Description Statut

1- Vivants de virulence atténuée

Vivant atténué - guaBA

- Mutation dans l’opéron guaBA (gène impliqué dans la biosynthèse de la guanine) induisant une diminution de la

virulence et délétions des gènes codant les entéro-toxines. Phase clinique I

Vivant atténué - virG

- Mutation dans le gène virG empêchant la dissémination intercellulaire et délétions des gènes codant les entéro-toxines et le lipide A.

Phase clinique II

Vivant atténué - SC602 - Mutation dans le gène d’invasion icsA et de dissémination. Phase clinique IIa ShigETEC - Bactéries génétiquement modifiées n’exprimant pas les

antigènes O et LPS (délétion du gène rfbF).

- Expression hétérologue des antigènes d’invasion (Ipa) induisant la diarrhée permettant de fournir une immunité protectrice contre de multiples pathogènes.

Phase préclinique

Inactivés : chaleur ou formaldéhyde

Plusieurs souches de Shigella inactivées et combinées dans une seule construction vaccinale.

Phase clinique I et II respectivement 2- A base de sous-unités Glycoconjugués (sérotype-spécifique) Chimiques (O-SP-protein)

Polysaccharide O lié d’une façon covalente à une protéine porteuse.

Phase III

Recombinants Polysaccharides O spécifiques bi-conjugués à une protéine glycosylée : EPA-2a (exotoxine A de P. aeruginosa).

Phase II

Synthétiques Oligosaccharide synthétique jouant le rôle d’haptène et mimant la structure antigénique des O-SP.

Phase préclinique

Protéines seules ou mélangées (protection croisée)

Invaplex Complexe composé du LPS et des protéines du SST3 de Shigella (IpaB, IpaC et IpaD).

Phase I

GMMA Particules contenant des protéines de la membrane externe et du périplasme de Shigella.

Phase I

OMV Vésicules de la membrane externe de Shigella encapsulées dans des nanoparticules.

Phase préclinique

DB fusion Protéine de fusion de deux antigènes du SST3 de Shigella IpaD et IpaB (antigènes d’invasion).

Phase préclinique

34 kDa OmpA Protéine conservée de la membrane externe de S. flexneri 2a (MOMP).

Phase préclinique

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2. Les vaccins à base de sous-unités

Des laboratoires de recherche ont proposé des vaccins glycoconjugués, qui consistent à coupler un polysaccharide O spécifique de Shigella à des protéines porteuses, pour des injections intramusculaires (Tableau 5). Ce type de vaccins préparés chimiquement (nommé O-SP-protein) permettraitl’induction d’une réponse cellulaire T-dépendante plus forte et plus durable que les vaccins cellulaires(169). Récemment, un groupe de recherche à l’Institut Pasteur a développé un vaccin consistant à produire synthétiquement un oligosaccharide de S. flexneri 2a conjugué à une protéine porteuse. Ce dernier offre une approche vaccinale plus sûre et induit une immunité systémique suite à une administration intramusculaire(170). Enfin, un vaccin recombinant couplé à une protéine glycosylée (EPA-2a) a permis d’induire une immunité systémique chez des volontaires suite à une administration musculaire (171). Cependant, il reste à déterminer si les avantages apportés par ces conjugués sont dus à l’augmentation de l’exposition des antigènes aux muqueuses ou à l’initiation d’une réponse IgG (172). Depuis 2011, une équipe travaille sur le développement d’un vaccin complexe appelé Invaplex 50, qui est constitué de protéines recombinantes purifiées du SST3 (IpaB, IpaC et IpaD) de Shigella et de LPS purifié(173). Cette construction pourrait présenter une meilleure immunogénicité par rapport aux précédentes préparations du même vaccin (174). D’autre part, des essais en phase préclinique ont montré que trois immunisations par voie intranasale utilisant la technique GMMA (Generalized Modules for Membrane Antigens), utilisant un dérivé de S. sonnei sans l’antigène O ou le lipide A, étaient protectrices contre S. sonnei et S. flexneri dans un modèle murin d’infection intranasale(175). Enfin un vaccin acellulaire nommé OMV constitué de 40% de LPS et de protéines de la membrane externe comme OmpA(176), OmpC/OmpF, IpaB, IpaC et IpaD a été développé. Les études précliniques, utilisant OMV, ont montré que des souris étaient protégées contre une infection intranasale par S. flexneri 2a après une seule immunisation par l’une des voies suivantes : intranasale, oculaire ou orale(168).

Deux vaccins à base de sous-unités protéiques : « DB fusion » (177) et « 34 kDa OmpA » (178) (Tableau 5), testés dans des modèles animaux, seraient capables d’assurer une large protection contre tous les sérotypes majeurs de Shigella. La construction « DB fusion » pourrait bientôt entrer en phase clinique où elle sera administrée, par voie intradermique, avec un adjuvant (dmLT) afin d’induire une réponse systémique et mucosale (179).

Comme décrit ci-dessus, la recherche ces dernières années est très active pour le développement de nouveaux candidats pour un vaccin contre Shigella. Les candidats constitués de protéines de surface bien conservées parmi les sérotypes de Shigella, sont en début de développement et leur capacité à induire des réponses immunitaires suffisantes pour être protecteurs et efficaces chez l’Homme reste inconnue. Il en est de même, pour les vaccins cellulaires inactivés qui bien qu’ayant montré leur

53 pouvoir immunogène, doivent encore montrer qu’ils sont assez protecteurs chez l’Homme. Un vaccin idéal devrait être (i) facile à administrer, de préférence oralement, qui est la voie la plus efficace pour induire une réponse mucosale ; (ii) bien toléré par les patients ; (iii) capable d’assurer une protection à long terme avec une grande efficacité ; (iv) administré à une dose unique ; (v) polyvalent c’est-à-dire dirigé contre la grande majorité des sérotypes de Shigella responsables d’infections endémiques et épidémiques ; et enfin (vi) facile à produire.