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CHAPITRE IV : LES ANTICORPS THÉRAPEUTIQUES

E. LES LIMITES DE L’UTILISATION D’ANTICORPS MONOCLONAUX

I. LA VACCINATION CONTRE SALMONELLA TYPHIMURIUM ET SHIGELLA

4. Discussion et Perspectives

IN IpaD

MxiH / IpaD 11/15 9/14 0.044 0.02 27 36

OG IpaD

MxiH / IpaD

5/13

8/14

< 0.001

< 0.001

61.5

43

Contrôle PBS 15/15

Tableau 17 : Efficacité de protection des protéines, IpaD et MxiH/IpaD, dans un modèle murin d’infection avec S. flexneri 2a. Les souris sont infectées avec 5.1010 cfu/mL de S. flexneri 2a par voie intra-nasale (DL 50 = 5.108 cfu/mL). aLe taux de mortalité des groupes immunisés avec IpaD et MxiH/IpaD est comparé à celui des groupes contrôles en utilisant le test « logrank (Mantel-Cox) » et les astérisques indiquent la valeur de P : ***P< 0.001 et * P< 0.05.

4. Discussion et Perspectives

Le développement de vaccins contre Salmonella est très complexe et à la fois stimulant du fait de la multiplicité des sérotypes (plus de 2500 chez Salmonella enterica) et la capacité de ces bactéries à vivre extra- et intracellulairement. Il existe actuellement deux vaccins disponibles sur le marché (un vivant atténué : Ty21a et un à base de la capsule polysaccharidique Vi). Les deux protègent seulement contre la fièvre typhoïde sans couvrir les infections non-typhoïdales. De plus, Ty21a ne peut pas être administré aux adultes immunodéprimés (personnes âgées ou adultes atteints de maladies telles que le HIV ou la malaria, très présents en Afrique) ou aux enfants moins de deux ans pour qui les

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salmonelles invasives non typhoïdales (iNTS) et typhoïdales représentent un vrai problème sanitaire (255, 256). En outre, l’augmentation de la résistance aux antibiotiques des salmonelles iNTS menace aussi l’efficacité des traitements. Quant à la shigellose et malgré tous les progrès effectués, elle restel’une des maladies les plus importantes dans les pays en voie de développementavec également une augmentation des fréquences de la résistance aux antibiotiques. Tout cela souligne l’importance de produire un vaccin largement protecteur contreSalmonella, et également contreShigella.Etant donné que les réactions immunitaires sont fortement adressées contre l’antigène-O durant l’infection naturelle à shigelle (257),il est proposé que l’immunité dirigée contre Shigella soit sérotype limité et dépendant.Beaucoup de constructions vaccinales contenant plus d’un composant des différents sérotypes ont été réalisées (258, 259), mais aucun vaccin efficace n’est disponible sur le marché.

Avec ces paramètres à l’esprit, les critères d’un bon candidat pour un vaccin adéquat contre chacun des deux pathogènes sont les suivants: (i) un antigène essentiel à la virulence des bactéries, (ii) un antigène conservé parmi les différents sérotypes de Salmonellaet de Shigellapermettant une couverture à large spectre, (iii) un antigène soluble, plus facile et moins cher à produire que les protéines membranaires déjà en cours d’évaluation, (iv) un immunogène avec le moins de réactogénicité possible permettant à terme une protection chez les personnes à risque, et (v) de préférence un antigène ayant déjà montré une efficacité dans la littérature pour d’autres bactéries Gram (-).

Parmi les antigènes potentiels, nous avons choisi deux protéines relativement conservées de chacun des SST3 de Salmonella et de Shigella. Salmonella exprime deux SST3 nécessaires à sa virulence et qui semblent être impliqués dans deux étapes cruciales de sa pathogénicité : l’invasion des cellules épithéliales et la survie dans les macrophages (83). Jusque récemment, le rôle attribué à chacun des SST3 de Salmonella était séquentiel : le SST3-1 s’exprime d’abord et apparaît responsable de l’invasion des cellules non-phagocytaires menant à une inflammation intestinale et une diarrhée, tandis que le SST3-2 s’exprime secondairement et paraît essentiel pour la survie et la multiplication des bactéries dans les macrophages, jouant ainsi un rôle majeur dans la dissémination systémique des bactéries. Il apparaît maintenant que le SST3-2 pourrait être exprimé plus tôt, même avant la pénétration des bactéries dans les cellules épithéliales intestinales(260) et que le SST3-1 ne puisse être exprimé qu’à un stade ultérieur et que certains de ces effecteurs persistent longtemps dans les cellules hôtes(261).De plus, les deux systèmes pourraient coopérer dans la multiplication intracellulaire des bactéries et une étude a montré l’importance du rôle du SST3-1 dans l’infection systémique à long terme par mutation du gène SPI-1 (262).

Afin d’évaluer le rôle du SST3-1 dans la virulence de Salmonella et dans le but de développer un vaccin sûr et efficace contre les iNTS, nous avons décidé d’examiner l’effet protecteur de deux

111 protéines conservées du SST3-1 qui pourraient fournir une protection à large spectre contre les multiples sérotypes de Salmonella. En se basant sur les données de la littérature sur IpaD, l’homologue de SipD chez Shigella, laquelle a présenté une efficacité de protection contre une infection pulmonaire à Shigelle (263), nous avons exploré la capacité protectrice de PrgI et de SipD en utilisant différentes routes d’immunisation avec des adjuvants adéquats dans un modèle murin d’infection orale avec Salmonella Typhimurium. De plus, nous avons aussi exploré la capacité protectrice de MxiH et d’IpaD contre une infection par voie pulmonaire avec Shigella flexneri 2a et avons comparé les efficacités de protection de ces différentes protéines injectées seules ou combinées.

PrgI et MxiH, constituant l’aiguille de l’injectisome, permettent le passage des protéines effectrices dans le cytoplasme des cellules hôtes alors que SipD et IpaD, localisés à l’extrémité de l’aiguille, contrôlent l’insertion du SST3 dans la membrane cytoplasmique de la cellule cible ainsi que la sécrétion des protéines effectrices (63).Pour la première fois, nous avons pu démontrer qu’un composant du SST3 de Salmonella peut assurer un niveau élevé de protection (71.5% avec SipD, par la voie orale) contre S. Typhimurium dans un modèle murin d’infection intestinale. En se concentrant sur la réponse humorale et la production des anticorps spécifiques, nous avons montré que les taux d’anticorps spécifiques dirigés contre SipD et IpaD étaient systématiquement supérieurs à ceux dirigés contre PrgI et MxiH, suggérant que SipD et IpaD étaient plus immunogènes que PrgI et MxiH. Malgré les taux très élevés d’Ig(G+M), spécifiques de PrgI ou de SipD,obtenus avec les immunisations par la voie SC, la protection assurée par cette route était plus faible que celle obtenue avec les autres voies d’immunisation pour les deux protéines, suggérant que les taux en IgA produits dans les muqueuses jouent un rôle important dans la protection induite chez les souris immunisées par voies IN et OG.En outre, les concentrations apparentes en anticorps Ig(G+M) spécifiques d’IpaD étaient 10 fois supérieures à celles spécifiques de SipD ce qui pourrait être lié aux standards utilisés dans les tests ELISA indirect qui reconnaissent peut-être mieux IpaD que SipD. Pour cela, l’affinité apparente des anticorps utilisés pour la quantification des Ig spécifiques de SipD et IpaD devrait être évaluée : une même affinité apparente pour SipD et IpaD des anticorps utilisés pour les gammes standards indiquerait que la quantité 10 fois supérieure en anticorps produits contre IpaD serait réelle, et non pas un biais lié à une meilleure affinité des anticorps « standards » contre cette protéine. De plus, il serait intéressant d’analyser les sites de reconnaissance des anticorps polyclonaux par « epitope mapping » pour voir si ils reconnaissent des régions impliquées dans l’association des différents multimères de l’aiguille (PrgI ou MxiH), de la coiffe (SipD ou IpaD) ou dans l’association de l’aiguille avec la coiffe (PrgI-SipD pour Salmonellaet MxiH-IpaD pour Shigella).

Pour la protéine de l’aiguille PrgIdu SST3 de Salmonella, la meilleure protection a été obtenue par la voie IN, qui a induitla plus grande quantité d’anticorps spécifiques de PrgI. Cependant, cette protection a atteint un maximum de 40% et l’équilibre de la balance TH1/TH2 suggère que cette

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protéine induit non seulement une réponse humorale mais aussi une réponse cellulaire. L’immunisation par la voie OG était défavorable pour PrgI avec un taux de protection de 21% et l’augmentation du nombre d’immunisations n’a eu aucun impact sur l’efficacité de protection. L’immunogénicité et l’efficacité de protection de la protéine de l’aiguille MxiH du SST3 de Shigella n’a été testée qu’en combinaison avec la protéine de la coiffe IpaD mais l’analyse des réponses en anticorps spécifiques de MxiH dans la combinaison montre que MxiH est capable d’induire les deux types de réponses immunitaires TH1 et TH2 comme dans le cas de son homologue PrgI. Bien que PrgI et MxiHmultimérisent naturellement, ces sous-unités de petite taille (8-9 kDa) sont probablement sensibles à la dégradation gastrique et leur oligomérisation pourrait modifier leur prise en charge par le système immunitaire des poumons.Cette orientation vers une réponse de type TH1 pour les protéines de l’aiguille (PrgI et MxiH) pourrait être due à la nature de leurs séquences protéiques et à la voie empruntée dans la présentation d’antigènes par les CPA (voie cytosolique ou endocytaire). Ces résultats devraient être vérifiés en faisant des dosages de cytokines sécrétées par les cellules immunitaires du sang périphérique ou de la rate et en analysant de façon approfondie la réponse cellulaire pour avoir une idée plus sûre sur l’orientation de la balance TH1/TH2.

La protéine de la coiffe de l’aiguille SipD du SST3 de Salmonellainduit quant à elle une réponse humorale importante, comme suggère le ratio TH1/TH2 en faveur de la réponse TH2, ainsi qu’une forte réponse mucosale par la voie OG et une protection relativement efficace (de 71.5% par voie OG 4I et 43% pour 3I) contre une infection intestinale. De même, pour son homologue IpaD de Shigella, une protection de 61.5% a été obtenue après les immunisations par voie OG 3I. Tous ces résultats mettent en évidence l’importance de l’immunité au niveau des muqueuses, dans la protection contre l’infection à Salmonella et à Shigella(254,264). Les résultats que nous avons obtenus avec IpaD de Shigella confirment ce qui a été décrit sur cette protéine dans la littérature (265). Pour compléter, il serait utile d’analyser davantage les résultats moins bons obtenus par la voie IN par rapport à la voie OG et, alors qu’elle est la voie d’infection à Shigella. Un élément de réponse pourrait être apporté par des dosages des IgA sécrétoires dans les fèces, les lavages broncho-alvéolaires et intestinaux des souris immunisées par les deux voies. Bien que de nombreuses études aient déjà démontré l’importance de la réponse cellulaire dans la défense contre les infections intracellulaires avec Salmonella(104), on ne peut pas négliger l’importance de l’immunité humorale dans la défensecontre ces mêmes infections(266-268). De plus, il a été montré que les IgA sécrétoires permettent une neutralisation de Shigella flexnerichez les lapins in vivo et qu’ils empêchent la destruction du tissu intestinal en inhibant les voies de signalisation responsables de l’inflammation au niveau de l’intestin (269).

Malgré tous les efforts réalisés dans le développement de vaccins vivants atténués ou inactivés contre la fièvre typhoïde et les iNTS, peu d’études décrivent les effets protecteurs de vaccins protéiques et elles se sont principalement concentrées sur des porines et des flagellines

113 (150,270,271).A notre connaissance, nos résultats sont les premiers à décrire un effet protecteur de composants du SST3-1 de Salmonella, mettant en évidence le rôle important du SST3-1 dans la virulence de Salmonella et son utilisation potentielle comme une cible, pouvant être associée à d’autres dans le développement de nouveaux vaccins.

Le rôle clé de SipD et d’IpaD dans la virulence de Salmonella et Shigella respectivement, leur bonne conservation dans différentes espèces (environ 40% d’identité et 50% dans la région C-terminale, impliquées dans les interactions avec la protéine de l’aiguille), en font de bonnes cibles pour une couverture à large spectre contre différents sérotypes d’une même espèce, ou éventuellement contre les deux genres bactériens Salmonella et Shigella. De nouvelles études sont nécessaires afin d’évaluer cette protection à large spectre ainsi que l’efficacité d’associer d’autres cibles à SipD, ayant montré leur pouvoir vaccinant, comme des porines, SSeB (une protéine du SST3-2 (272)) ou encore des translocons (SipB/SipC ou IpaB/IpaC) qui peuvent être aussi associés à SipD ou IpaD afin d’augmenter l’immunogénicité et l’efficacité de protection contre ces pathogènes. Des études montrent l’intérêt de cette approche pour Shigella avec IpaB, un vaccin combinant les deux protéines (IpaB et IpaD) est d’ailleurs en cours de développement (en phase préclinique)(273,274).