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1. Introduction Générale

1.5 Moyens de lutte contre les tiques

1.5.5 Les vaccins anti-tiques

Depuis les années 1980, la recherche d’alternatives plus durables s’est de plus en plus développée, et notamment concernant les vaccins anti-tiques [51]. En ciblant le vecteur, ces vaccins présentent le double avantage de lutter à la fois contre les tiques elles-mêmes, et contre l’ensemble des agents pathogènes potentiellement transmis simultanément. Deux grands types de vaccins contre les tiques sont développés, ceux visant des antigènes non exposés au système immunitaire de l’hôte au cours du gorgement, c’est le cas des antigènes du tube digestif, et ceux au contraire qui sont exposés aux réponses immunes de l’hôte comme les antigènes salivaires [52]. En agissant sur le processus de gorgement, les vaccins dirigés contre ces derniers présentent l’avantage d’agir à la fois sur les populations de tiques mais aussi sur l’acquisition et la transmission d’agents pathogènes. Le volume de sang ingéré étant directement lié au nombre d’œufs pondus, en réduisant significativement l’efficacité du gorgement, les femelles pondront moins d’œufs, entrainant la réduction des populations de tiques. La transmission d’agents pathogènes n’étant pas immédiate pour beaucoup d’entre eux (bactéries et parasites), bloquer rapidement le gorgement permettrait ainsi d’éviter leur transmission. De plus, l’utilisation d’antigènes présents dans la salive de la tique injectée à l’hôte au cours du gorgement permettrait de générer des rappels naturels. Enfin, un certain nombre de molécules

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impliquées directement dans la transmission des agents pathogènes ou dans la modulation des réponses de l’hôte à la piqûre de la tique ont été identifiées [53] et pourraient représenter des candidats vaccin contre une telle transmission. L’étape cruciale dans le développement de vaccin anti-tiques est l’identification et la validation du caractère immunogéne et protecteur d’antigènes. Aujourd’hui, à l’heure de l’avènement des technologies de séquençage à haut débit, de plus en plus de données sont disponibles (banques d’ADNc, ESTs, transcriptomes, génomes) permettant l’identification d’antigènes d’intérêt.

Historiquement, ce sont Allen and Humpheys en 1979 qui ont démontré la faisabilité d’une vaccination pour lutter contre les tiques [54], en s’inspirant du phénomène de l’acquisition naturelle de résistance des cobayes après des piqures répétées de tique [55], phénomène également observé au laboratoire chez des lapins avec I. ricinus. L’immunisation de cobayes et de bovins avec des antigènes extraits d’organes de tiques femelles Dermacentor

andersoni pré-gorgées a montré une diminution significative du nombre d’œufs pondus et du

taux de gorgement des tiques [54]. De façon similaire, une protection a été également observée chez des bovins (Bos taurus, Bos indicus) à la suite de piqures de tiques R. microplus, suggérant tout comme chez D. andersoni, la possibilité d’identifier des antigènes protecteurs utilisables en lutte vaccinale [56].

Suite à la prometteuse réussite des immunisations réalisées avec des antigènes de tique

D. andersoni, les recherches se sont intensifiées chez la tique R. microplus, notamment en

Australie, avec la découverte d’un antigène protecteur exprimé à la surface de l’épithélium de l’intestin des tiques et nommé Bm86 [57]. Ces recherches ont abouti au développement de vaccins dirigés contre Bm86 au début des années 1990 [58]. S’en est suivit alors, la commercialisation en Amérique du sud et en Australie de deux vaccins ciblant cette même protéine, sous les noms de Gavac™ et Tick GARD™ [59, 60]. Ces deux vaccins sont dérivés de protéines recombinantes respectivement exprimées dans la levure Pischia pastoris et la bactérie Escherichia coli. Leur efficacité sur le gorgement et sur la fertilité des tiques est similaire [58, 61]. Néanmoins, ces vaccins présentent des contraintes importantes en termes de coût car nécessitent des rappels et sont surtout souche spécifique avec des taux de protection variables d’une région à une autre sur son espèce cible : R. microplus. Ces taux de protection vont de 0 à 80% selon les populations de tiques, ce qui a notamment entrainé l’arrêt de la commercialisation du vaccin Tick GARD™ en Australie il y a quelques années. Ces vaccins dirigés contre Bm86, constituent les seuls commercialisés à ce jour contre les tiques et ayant apporté des résultats concluant à travers le monde. Un homologue de Bm86, Bm95, a été

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identifiée comme ayant des effets protecteurs en réduisant le taux d’infestation, l’efficacité du gorgement, l’oviposition et l’éclosion, dans les régions où Bm86 n’était pas protecteur contre

R. microplus, mais aussi contre de nombreuses autres souches de cette tique à travers le monde,

représentant ainsi un antigène plus universel que Bm86 contre cette espèce [62]. Des essais de

vaccination menés avec Bm86 sur des espèces de tiques proches ou plus éloignées de

R. microplus ont montré des taux de protection très variables mais qui peuvent être très

importants dans certains cas contre R. annulatus [63-65].

Les recherches se sont donc tournées vers l’identification d’orthologues de Bm86 chez d’autres espèces de tiques afin d’évaluer leur pouvoir vaccinal. Pour R. annulatus, la vaccination contre Ba86 a montré un fort impact sur le taux d’infestation des bovins, le gorgement, l’oviposition, et l’éclosion des œufs avec 83% d’efficacité mais ici aussi de façon

souche-dépendante [66]. Chez H. anatolicum, un autre orthologue de Bm86, Haa86,a montré

une protection de 82,3% sur cette espèce et permis la réduction de la transmission de

T. annulata chez les bovins [67]. Plus récemment, ATAQ, une protéine paralogue à Bm86, a

été identifiée comme étant exprimée dans l’intestin et les tubules de Malpighi de l’ensemble

des métastriata (genres Rhipicephalus, Amblyomma, Hyalomma, Dermacentor,

Haemaphysalys, Bothriocrotinae) [68]. Bien qu’aucun essai de vaccination n’ait été encore

réalisé, ATAQ apparait comme une protéine prometteuse en raison de son homologie avec Bm86 et de sa conservation au sein de plusieurs genres.

D’autres molécules vaccinales, à même de diminuer l’infestation et les populations de tiques ont été identifiées. La vaccination contre la ferritine, protéine essentielle au transport de l’hème de l’hémoglobine de l’intestin à travers l’hémolymphe, a ainsi montré un impact sur le gorgement, l’oviposition et la fertilité des tiques I. ricinus, R. microplus et R. annulatus [69, 70].

Outre la recherche d’antigènes à même d’impacter la biologie et donc les populations de tiques comme Bm86, des recherches s’orientent aussi sur des antigènes impliqués directement ou indirectement dans la transmission des agents pathogènes afin de bloquer celle-ci. La Subolesin, homologue de l’Akirin des mammifères et des insectes [71], s’est révélée être un antigène protecteur contre I. scapularis, A. americanum, R. microplus, R. annulatus, et D.

variabilis [72]. Elle semble être impliquée dans de nombreuses voies métaboliques dont celle

de l’immunité innée des tiques, et son importance dans la biologie et le développement de la

tique [50, 71, 73], ainsi que dans la transmission d’agents pathogènes tels que

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un candidat vaccin idéal. De récents essais dans lesquels sont combinés la vaccination avec la subolesin et l’extinction du gène ont montré des résultats encourageants chez R. microplus [75, 77].

Des essais de vaccination utilisant la molécule du cément 64TRP de R. appendiculatus ont montré une efficacité croisée contre plusieurs espèces de tiques [78, 79], et contre la transmission du Virus de l’Encéphalite à Tique (TBEv) par I. ricinus [80]. Les serpines, protéines essentielles à la biologie des tiques car impliquées dans un nombre important de processus comme la modulation de la coagulation sanguine, la digestion du sang, la régulation de l’inflammation, ou l’immunité des tiques constituent elles aussi d’intéressants candidats vaccinaux [81]. Des essais chez Haemaphysalis sp. et Rhipicephalus sp. combinant plusieurs serpines ont montré une réduction du taux de gorgement et une augmentation de la mortalité chez ces tiques [82, 83], ainsi qu’une augmentation de la mortalité des tiques infestées par

Theileria parva [84].

Chez I. scapularis, l’inhibition de TROSPA, récepteur intestinal du ligand bactérien OspA de B. burgdorferi [85], par des anticorps ou via ARNi a montré une diminution de l’adhérence des bactéries à la paroi intestinale des tiques, réduisant leur infection et potentiellement la transmission [85]. Chez cette même espèce de tique, des anticorps dirigés contre le récepteur salivaire de la bactérie, Salp15, ont aussi montré un effet protecteur pour des souris [86]. L’immunisation de souris contre Salp25D a montré une diminution de la capacité des tiques I. scapularis à acquérir la bactérie B. burgdorferi sur des souris infectées [87]. A l’inverse, une immunisation contre des tHRF a montré une diminution de la transmission de cette bactérie par ces tiques à des souris saines [88]. Un résultat similaire a été récemment obtenu suite à une immunisation de souris avec TSLPI (Tick Salivary Lectin Pathway Inhibitor) en protégeant notamment les bactéries contre l’action du complément [89]. Ces essais vaccinaux qui ont démontré que la transmission n’était pas complétement inhibée suggèrent l’utilisation d’une combinaison de molécules dans l’élaboration de vaccins afin de bloquer totalement la transmission de cette bactérie à l’hôte [90].

Enfin, les tiques hébergent elles aussi un microbiote qui leur est essentiel et qui participe à l’infection et à la transmission d’agents pathogènes par ces vecteurs [91-93]. La manipulation de ce microenvironnement bactérien par le biais d’une vaccination, pourrait ainsi affecter la

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compétence vectorielle des tiques et réduire les risques de transmission d’agents pathogènes tout en diminuant leur capacité de gorgement.

A l’exception de Bm86 (pour certaines populations de tiques), aucun antigène de tique n’a, à ce jour, démontré une efficacité totale contre le gorgement des tiques ou la transmission d’agents pathogènes. Ainsi, la mise en place d’une vaccination efficace nécessiterait probablement l’utilisation de plusieurs antigènes responsables d’un blocage partiel du gorgement et/ou de la transmission d’agents pathogènes dans un vaccin « cocktail ». En effet, les protéines de tiques ont des fonctions très souvent redondantes, comme démontré pour la modulation de la coagulation sanguine par exemple [94], et l’utilisation d’un vaccin combinant plusieures protéines pourrait palier à ce phénomène. De plus, de tels vaccins, en utilisant plusieurs antigènes, diminueraient la possibilité de sélectionner des souches de tiques résistantes.