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DES VÊTEMENTS CHRÉTIENS ? ÉVOLUTION DES STYLES ET DES DÉCORS

PREMIÈRE PARTIE : CONSTRUIRE UN OBJET

CHAPITRE 3 : LA FABRIQUE DU VÊTEMENT

II. DES VÊTEMENTS CHRÉTIENS ? ÉVOLUTION DES STYLES ET DES DÉCORS

Les autorités ecclésiastiques souhaitent rendre le costume immuable, imposer le respect de la tradition. De fait, comme nous l’avons constaté, cela fonctionne plutôt bien. Les variations enregistrées restent minimes et la coupe du vêtement ne change que lentement. La décoration demeure le lieu par excellence des variations chronologiques, que nous allons retracer à grands traits, en esquissant une histoire du goût.

3-1 . Les tissus entre Orient et Occident, étude d’un transfert culturel

Les premiers habits liturgiques sont unis ou simplement enrichis d'un orfroi de couleur, comme la chasuble dite de saint Bernard (1090-1153) actuellement conservée au musée Picornu au Luxembourg147. Les vêtements monochromes perdurent au moins jusqu’aux XIIIe - XIVe siècles et certainement beaucoup plus tard dans les églises les moins bien dotées148. Très tôt cependant, des décors particuliers se mettent en place. Il s’agit de retracer, ici, le passage des motifs orientaux à une iconographie chrétienne.

Dès le XIe siècle, les plus belles pièces des sacristies sont des tissus orientaux qui pénètrent en Occident via la Sicile et l’Espagne149 : tissus sassanides ou byzantins, dont les motifs de prédilection sont des animaux, oiseaux et quadrupèdes, souvent dans une attitude hiératique, affrontés ou adossés, dans une construction d’ensemble marquée par la symétrie. On peut noter la prégnance de motifs végétaux (tel l’arbre de vie, Hom, symbole de l’éternelle renaissance) ou géométriques, et la récurrence des scènes de chasse, parfois insérées dans des cercles. Le tissu de la chasuble rayée et ornée de motifs géométriques de l’Herzog-Anton

147 A. Dunant, « Textiles de l’église Saint-Donat d’Arlon » in L. Lejeune, A. Neuberg (dir.), Beaux Dimanches d’Autrefois… Orfèvrerie et ornements liturgiques dans la province de Luxembourg(Catalogue d’exposition), Bastogne, musée en Picornue, 1991, p.35-40.

148 A. Chagny, « Le costume liturgique au Moyen Age » in La soierie de Lyon,7, 1929, p.296.

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Ulrich-museum (notice n°36) est probablement copte150. L’orfroi du XVe siècle, qui décore ce vêtement, témoigne de la pérennité du goût pour les tissus orientaux. Le fragment dit « chape dite de saint Mexme », conservé au musée des État généraux de Chinon est généralement attribué à un atelier égyptien. Ce samit, datant du XIe siècle et orné de deux guépards affrontés a probablement été utilisé pour un vêtement ecclésiastique au XIIIe siècle (c'est du moins ce que semble suggérer le galon de la partie supérieure)151.

Ill.1 : Chape dite de Saint-Mexme, samit, Égypte ?, XIe siècle, Chinon, musée des États généraux.

De tels motifs peuvent s'expliquer par l’interdiction faite aux musulmans de figurer la divinité, ou, dans le cas byzantin, par les séquelles de l’épisode iconoclaste des VIIIe et IXe siècles152. Si la production occidentale s’impose progressivement, l’importation de tissus orientaux ne disparaîtra pas pour autant. La chape conservée à la Basilica di Santa Maria Gloriosa dei Frari de Venise, a été façonnée dans la cité de Venise à partir d’un tissu turque du XVe siècle153.

Les ateliers musulmans de l’Espagne méridionale, aux confins des terres chrétiennes, imitent les productions orientales. La chasuble dite de saint Exupère, datant du XIIe siècle, et

150 La notice de cette chasuble est reproduite dans la sélection des pièces du corpus. Vol.2, p.721-722.

151 J. Taralon, Le trésor de l’Église en France(Exposition, Paris, musée des arts décoratifs, 1965), 2e éd, Paris, Caisse nationale des monuments historiques, 1965, n°197.

152 A. Muthesius, « Silk in the medieval world » in D. T. Jenkins (éd.), The Cambridge history of western textiles, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 1, p.350.

153 S. Carboni (éd.), Venise et l’Orient, 828-1797 (Exposition, Paris, Institut du Monde Arabe, 2 octobre 2006 – 18 février 2007, New York, Metropolitan Museum of Art, 26 mars – 8 juillet 2007), Paris, Gallimard, Institut du monde arabe, 2006, cat. n°80. Cet objet est orné de motifs végétaux et de petites croix (sur le chaperon).

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issue d’une des grandes manufactures almoravides d’Espagne, porte une inscription en caractère coufique signifiant « bénédiction parfaite »154. Elle est ornée de paons, motif classique de l’art d’Islam. En revanche, l’inscription de la chasuble dite du bienheureux Thomas Hélye (conservée à l'église paroissiale Saint-Pierre de Biville), et située au bas du dos, n’est qu’un motif décoratif dérivant de l’écriture arabe angulaire, tel qu’on en retrouve parfois sur les émaux médiévaux155.

La Sicile constitue le second relais majeur entre terres d’Islam et monde chrétien. Les historiens d’art mettent en exergue le rôle de l’installation de tisseurs byzantins dans le royaume de Roger de Sicile dès 1147156. À partir de Palerme, les techniques de tissage se diffusent dans l’ensemble de la péninsule italienne. Or, c’est justement l’Italie septentrionale et centrale qui fournit l’essentiel des tissus dès la fin du XIIIe siècle. L’Italie compte plusieurs foyers spécialisés dans la production d’étoffe de qualité. La géographie des ateliers fluctue au gré de l’émigration des artisans (Venise est dynamisée par l’afflux de brodeurs lucquois157) et de l’évolution des goûts. Schématiquement, Lucques connaît un grand succès au moins jusqu’au XVe siècle158, période d’avènement de la soierie vénitienne159.

Longtemps, les ateliers chrétiens se sont contentés d’imiter les créations orientales160. Il faut donc se garder d’associer trop fortement motifs et milieux de production. La chasuble de la famille von Kessel conservée au Schnütgen museum de Cologne (notice n° 43), et dont le tissu est attribué à l’Italie (probablement à un atelier vénitien), est ornée d’oiseaux et de lions. L’influence des étoffes chinoises au début du XIVe siècle (notamment à Lucques) prolonge

154 Cette pièce est conservée à l’église Saint-Sernin de Toulouse. C. Aribaud, « « Chasuble dite de saint Exupère » in Toulouse sur les chemins de Saint-Jacques : de saint Saturnin au « Tour des Corps Saints » (Ve - XVIIIe siècles), (Catalogue d’exposition, Toulouse, ensemble conventuel des Jacobins, 8 novembre 1999 – 31 janvier 2000), Milan, Skira, 1999, cat.238, p.262. D'après certains spécialistes, ce tissu aurait été produit dans des ateliers andalous, d’autres ont proposés des interprétations divergentes.

155 I. Bédat, Rapport d’étude (de la chasuble du Bienheureux Thomas Helye), 1994, non paginé.

156 A. Muthesius, « Silk », op. cit., p.325.

157 A. Muthesius, op. cit., p.327.

158 À Notre-Dame de Paris, au XIVe-XVe siècle, toutes les soieries proviennent de Lucques. M. Beaulieu, « Les ornements liturgiques », op. cit., p.262.

159 Venise exporte ses tissus dans l’ensemble de l’Occident, mais aussi en Orient, en Afrique, en Égypte, en Syrie et en Asie mineure. A. Muthesius, op. cit., p.338.

160 M. Cuoghi Constantini, « Sulla via della seta. Testimonianze del Medioevo tra Oriente e Occidente » inM. Cuoghi Costantini, I. Silvestri (dir.), Il filo della storia : tessuti antichi in Emilia-Romagna, Bologne, CLUEB, 2005, p.56.

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l’intérêt pour les motifs animaliers161. L’inventaire de la cathédrale Notre-Dame de Paris de 1431 fait apparaître une chapelle blanche « de drap nommé dyapré à oyseaux qui ont les testes et les pieds d’or »162. Toutefois le bestiaire tend à s’« occidentaliser », le phénix et autres faisans laissant place aux gazelles, chiens,…163.

On observe, dans un contexte concurrentiel, une forme de spécialisation : Lucques est renommée pour ses diaprés, Gênes pour ses damas, et Florence et Venise doivent leur succès aux « velluti operati »164. Progressivement, ces ateliers convergent vers une prédilection pour les motifs végétaux, aux premiers rangs desquels la grenade qui s’affiche sur les fonds de velours des XVe et XVIe siècles165. La grenade est empruntée au monde oriental, où elle signifie l’immortalité et la fertilité166, et est présente dans l’art perse ancien, l’architecture islamique167 puis dans le monde gréco romain, notamment dans le mythe de Proserpine (où elle est liée à l’idée de régénération). Elle est aussi mentionnée dans la Bible comme décoration des vêtements du Grand Prêtre168. Les chrétiens conservent peu ou prou la signification orientale. Les Pères de l’Église associent la grenade à la Résurrection, voire à la rédemption. Sa couleur évoque la Passion, et les cinq feuilles qui la composent peuvent rappeler les cinq plaies du Christ169. C’est pourquoi la Vierge à l’Enfant est parfois représentée avec une grenade. Il s’agit ici d’une forme de « réception active », caractéristique des processus d’acculturation170. Il

161 A. Muthesisus, op. cit., p.351.

162 M. Beaulieu, « Les ornements liturgiques à Notre-Dame de Paris aux XIVe et XVe siècles » in Le Bulletin monumental, 3, 1967, p.265.

163 A. C. Weibel, 2000 Years of Textiles: The Figured Textiles of Europe and the Near East (1952), New York, Hacker Art Book, 1972, p.60.

164 Nous ne mentionnons que rapidement les ateliers espagnols, ceux-ci étant principalement actifs à la fin du XVe et au XVIe siècles : Tolède Cordoba, Séville, Murcie et surtout Grenade et Valence. A. Muthesius, op. cit, p.340-341.

165 Nous n’entrons pas dans les détails des différents traitements stylistiques de ces motifs. Sur ce point cf. I. Silvestri, « Seta, oro e argento : lussuose vesti e magnifici apparati dal Rinascimento all’Impero » in M. Cuoghi Costantini, I. Silvestrini (dir.), op. cit., p.98. En revanche, nous reviendrons, dans ce chapitre, sur le symbolique de ce motif.

166 J. Harris, op. cit., p.16 et C. Pallavicino, Paramenti e arredi sacri nelle contrade di Siena, Florence, La Casa Usher, 1986, p.94.

167R. Bonito Fanelli, « The Pomegranite Motif in Italian Renaissance Silks : A Semiological Interpretation of Patters and Colours » in S. Cavaciocchi (éd.), La seta in Europea, sec. XIII-XX (Atti della Ventiquattresima Settimana di studi, 4-9 mai 1992, Prato, Instituto internazionale di storia economica “F. Datini”), Florence, Le Monnier, 1993, pp. 507-530.

168 Exod XXXIX 39.24 : « On mit sur la bordure de la robe des grenades de couleur bleue, pourpre et cramoisi, en fil retors ».

169 R. Orsi Landini, Seta, op. cit., p.52.

170 M. Werner, « Transferts culturels » in S. Mesure, P. Savidan (dir.), Dictionnaire des sciences humaines, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p.1190.

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faut néanmoins garder à l'esprit que les mêmes décors sont employés par les élites, tels les hauts fonctionnaires de la République de Venise171.

L’usage de la broderie à caractère religieux est déjà attesté dans l’Antiquité, y compris sur les vêtements des laïcs172. « L’écrivain ecclésiastique Théodore de Cyr (vers 396-458), rapporte qu’il n’est pas rare de rencontrer l’histoire entière du Christ tissée ou brodée sur la toge d’un sénateur chrétien et Astérius, évêque d’Amasée à la fin du IVe siècle […] s’indigne de voir retracées sur les tissus les scènes du Nouveau Testament et se scandalise des orgueilleux qui portent l’Évangile sur leur manteau au lieu de le porter dans leur cœur »173. Les vêtements religieux sont également ornés de broderies sur tout ou partie de la surface du vêtement dès le premier millénaire174. Souvent, un même motif, une croix par exemple, est répété175.

L’invasion de motifs chrétiens n’est significative qu’à partir du XIIe et XIIIe siècles, moment d'une intense diffusion des images, qui se développent sur tous les supports (murs des églises, manuscrits, objets de culte,...) et pénètrent même dans les plus riches des demeures profanes176. Elles ont certainement contribué à différencier les habits liturgiques des habits séculiers (généralement unis)177. Jean-Pierre Caillet pense d'ailleurs que l'iconographie a été, dès le haut Moyen Âge, un critère distinguant, au sein des trésors, les objets profanes des objets sacrés178.

La période qui s’étend entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle apparaît comme un véritable âge d’or des broderies historiées. La chape de la Passion, réalisée vers 1300 et probablement donnée à la Basilique Saint-Bertrand-de-Comminges à l’occasion du

171 R. Orsi Landini (dir.), Seta, op. cit., p.52-54.

172 S. Piccolo Paci, op. cit., p.192. Rappelons, en quelques mots, la situation particulière du christianisme des premiers siècles. Si l’Édit de Milan (313) de Constantin permet aux chrétiens de célébrer librement leur culte, l’empereur Julien (361-363) tente de favoriser le paganisme. Ce n’est qu’en 391, avec la fermeture officielle des temples païens, que le christianisme apparaît réellement comme la religion officielle de l’Empire romain.

173 M. Beaulieu, Les tissus d’art (1953), 2e éd., Paris, P.U.F., 1965, p.14.

174 J. Braun, op. cit., p.19.

175 Id., p.19.

176 J-C Schmitt, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Age, Paris, Gallimard, 2002, p.151.

177 Les trésors des églises contiennent des objets hétéroclites, notamment des objets profanes conservés pour leur valeur matérielle : pièces d’échec, armes, …

178 J.P. Caillet, « Les trésors de l’Antiquité à l’époque romane : bases de la recherche actuelle et éléments de problématique » in J.P. Caillet (éd.), op. cit., p.13.

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transfert des reliques de saint Bertrand le 15 janvier 1309, par le pape Clément V anciennement Bertrand de Goth (évêque de Comminges de 1295 à 1300), comprend dix-huit figures de prophètes et dix-sept scènes de la Passion, insérées dans un décor de mammifères, d’oiseaux et de feuilles de palmier bleues et roses179. Notre corpus ne compte que trois chasubles entièrement brodées, l'une réalisée par les nonnes du couvent de Göss au XIIIe siècle (notice n°2), une autre actuellement au trésor de la cathédrale de Francfort (notice n°122), exécutée au milieu du XIVe siècle, est entièrement ornée d’anges, iconographie qu'elle partage avec la chasuble du Schnütgne museum (notice n°128). L’image se concentre de plus en plus dans un espace circonscrit, l’orfroi, qui devient le type dominant d’ornementation des chasubles à la fin du Moyen Âge.

La croix porteuse d'image est un modèle daté. Les monuments antiques de Rome et de Ravenne témoignent déjà d’un orfroi vertical, placé sur le devant du vêtement, vraisemblablement pour masquer la couture principale180. Le motif de la croix, croix en fourche très étroite, est perceptible dès cette époque sur certaines pièces et devient de plus en plus fréquent à partir du XIe siècle. Ce galon servirait surtout à prévenir la déformation du vêtement181. Cependant, d’après le Père Joseph Braun, la croix n’est reconnue comme telle qu’au XIIIe siècle182. Il convient donc de distinguer l’apparition d’un motif, dès les premiers temps du christianisme, de celle d’un signe, à partir du XIIIe siècle. Joseph Braun distingue deux types d’ornementation183 : les croix en fourche, sont surtout présentes au Nord alors que le « type romain », fait d’une simple bande de tissu sur le devant du vêtement, et qui évolue ensuite en une croix en tau se rencontre de manière privilégiée en Italie. En Allemagne, c’est la forme latine qui domine184. Ces variations régionales n’ont pas de caractère normatif et des contre-exemples existent. Demay recense des croix en tau sur les chasubles de Gui de Mello (évêque d’Auxerre en 1248), de Guillaume de Pontoise (évêque d’Agen en 1249) d’Itier de

179 O. Brel-Bordaz, « Broderies d’opus anglicanum à Saint-Bertrand-de-Comminges » in Monuments Historiques, 115, 1981, p.65-67, et O. Brel-Bordaz, Broderies, op. cit., p.178-180.

180 J. Braun, I paramenti, op. cit., p.105.

181 S. Piccolo Paci, op. cit. p.316.

182 J. Braun, I paramenti, op. cit., p.105-106.

183 Bien sûr, il s’agit ici des types les plus fréquents et les exceptions sont légions, mais il existe effectivement une préférence en fonction des territoires.

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Mauny (evêque de Laon en 1254), de Guillaume (abbé de Cluny en 1256),…185. Au regard de notre corpus, la répartition géographique des différents types semble toutefois être bien respectée à notre époque. De même, les sources narratives relatent qu’à Londres, une croix de chasuble en fourche a été détruite car elle n’était pas conforme au modèle habituel186.

On peut lire l’apparition de l'orfroi comme un processus d’autonomisation de l’image. Particulièrement marqué pour les chasubles, il est plus discret pour les autres vêtements de culte. Les orfrois de chape sont encore largement déterminés par la forme du vêtement. La bande brodée n’est qu’une bordure très ouvragée187. Le chaperon serait un avatar de l’ancienne capuche présente sur le vêtement, à l’époque où la chape, alors nommée pluviale, servait à abriter l’officiant lors des processions. De même, les claves des dalmatiques répondraient initialement à des questions pratiques188. Les croix de chasuble, au centre du vêtement, semblent affranchies de considérations techniques et les ornements liturgiques apparaissent comme des objets composites, assemblages d’un fond de chasuble (souvent orné de motifs animaliers ou végétaux) et d’un orfroi historié, produits dans des ateliers spécialisés.

2-2. La production des vêtements historiés

L’attribution des orfrois à un milieu de production précis n’est pas des plus aisée. Elle nécessite de croiser des critères techniques (types de points utilisés, matières,…) et stylistiques (analogie des broderies avec les arts dit « majeurs »), le tout avec prudence, car, à rebours du topos d’un monde médiéval immobile, nous constatons une importante circulation aussi bien des orfrois que des patrons189. La diffusion de gravures et l’élaboration de recueils de modèles

185 G. Demay, Le costume, op. cit., p.284-285.

186 P. Johnstone, High fashion in the church : the place of church vestments in the history of art, from the ninth to the nineteenth century, Leeds, Maney, 2002, p.72.

187 Sur le rôle des bordures dans le système vestimentaire, cf. F. Cousin, S. Desrosiers, D. Geirnaert, et al., op. cit. et « Bords, fentes et superposition » in O. Blanc, Parades, op. cit., p.155-190.

188 S. Piccolo Paci, op. cit., p.396.

189 Cela a été prouvé par Marie-Françoise Tilliet-Haulot. Cf. M-A Tilliet-Haulot, « Broderies liturgiques » in Le patrimoine, op. cit., p.337. Ce phénomène est également attesté dans le domaine de la tapisserie. F. Joubert, « Les tapisseries de la fin du Moyen Âge : commandes, destination, circulation » in Europe médiévale. Revue de l’Art, 120, 1998, p.93 « D’autres textes montrent de la même manière l’envoi de dessins initiaux (« disegni ») réalisés par un artiste italien, et la confection des

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à la fin du Moyen Âge accélèrent ce phénomène. D’autre part, la figure de l’artiste itinérant reste prédominante. Nous savons par exemple que la papauté d’Avignon a attiré les meilleurs artistes du temps, lesquels ont ensuite diffusé leurs œuvres dans la vallée du Rhône. Les brodeurs n’échappent pas à ce schéma190. Enfin, il ne faut pas négliger la mobilité des commanditaires. Dans sa chronique, le pape Pie II se fait promoteur des broderies de Bohême qu’il avait contemplées lors de sa visite de la région en 1451191. Les phénomènes de circulation restent difficiles à appréhender, particulièrement dans le cas des orfrois de chasuble. Nous ignorons souvent tout du lieu où ils ont servi. Même les objets conservés aujourd’hui dans les sacristies ont pu être acquis plusieurs siècles après leur confection192. Il convient alors de se fonder sur les milieux de production.

Le début de notre période est marqué par l’hégémonie de l’opus anglicanum, des broderies fabriquées en Angleterre, principalement dans les ateliers londoniens, entre le XIIe et le XVIe siècle193. Ces dernières suscitent l’engouement des papes qui achètent ces ornements pour leur usage personnel ou pour les offrir à des établissements religieux qu’ils affectionnent194. L'opus anglicanum connaît un apogée entre le XIIIe et le premier quart du XIVe siècle195.

La production anglaise se caractérise par une hypertrophie des têtes et mains des personnages et par la récurrence de certains motifs : chardons, fleurs de lis, anges196. Parmi les

cartons (« padroni ») en Flandre : les termes employés ne laissant aucun doute sur la nature et l’origine des modèles utilisés successivement pour la réalisation du tissage ».

190 Cf. K. Staniland, op. cit., p.5.

191 Pie II réalise ce voyage avant son accession au pontificat. Z. Drobna, B. Lifka, Les trésors de la broderie religieuse en Tchécoslovaquie, Prague, Sfnix, 1950, p.15

192 C’est le cas, par exemple, de la chasuble offerte à l’église de Viry-Châtillon (notice n°411) au XXe siècle par une paroissienne. Elle était auparavant conservée dans la chapelle du château d’Altoz en Westphalie. Cf. L. Marsaux, « La chasuble de Viry-Chatillon » in Bulletin de la société historique et archéologique de Corbeil, Etampes et du Hurepoix, 1896, p.52-54.

193 B. Young, « Opus anglicanum » in The metropolitain museum of art Bulletin, 99, 1971, p.291.

194Cent treize mentions d’opus anglicanum dans l’inventaire du Saint-Siège de 1295, quatre-vingt-quinze pour celui de la Cour des papes à Avignon en 1311 (sous Clément V). Le pape Clément V a offert notamment les chapes dites de la Vierge et de la Passion à la basilique Saint-Bertrand-de-Comminges. Cf. O. Brel-Bordaz, Broderies, op. cit., p.16; O. Brel-Bordaz, « Broderies d’opus anglicanum à Saint-Bertrand-de-Comminges » in Monuments Historiques, 115, 1981, p.65-67 ; B. Young, op. cit., p.291.

195 J. Braun, op. cit., p.20 et O.Brel Bordaz, Broderies d’ornements, op. cit., p.15.

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exemples les plus célèbres, nous pouvons évoquer la « chasuble Clare » (datant du XIIIe siècle) du Victoria and Albert Museum de Londres. Le fond présente des griffons entourés d’arabesques et l’orfroi des scènes de la vie du Christ dans des quadrilobes.

À la fin du Moyen Âge, l’opus anglicanum connaît une période de déclin manifeste. Comme le souligne Marie-Françoise Tilliet-Haulot, « l’« industrialisation » des orfrois brodés aux XVe et XVIe siècles a été poussée à un niveau extrême en Angleterre. On y a produit un

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