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PREMIÈRE PARTIE : CONSTRUIRE UN OBJET

CHAPITRE 1 : UN OBJET RÉGLEMENTÉ

III. LA RÉALITÉ DE LA PRATIQUE

Analyser tout écart à la règle comme un acte délibéré serait une interprétation forcée. Un examen des sources de la pratique nous livre un tout autre regard. Beaucoup d’églises ne peuvent tout simplement pas se conformer aux exigences croissantes des autorités ecclésiastiques. Il existe quatre couleurs liturgiques : le rouge, le blanc, le noir et le vert, auxquelles s’ajoute progressivement le violet. Il convient donc d’avoir un jeu de vêtements pour chaque couleur. Le costume du prêtre comprend six pièces : aube, amict, ceinture, étole, manipule, chasuble187. L’église doit également posséder au moins quatre chapes, pour la célébration des offices sans consécration. À cela s’ajoutent les habits du diacre et du sous-diacre. Le respect des règles impose donc un nombre important d’ornements. Charles Borromée porte ces exigences à leur maximum : il faut avoir des ornements en cinq exemplaires, voire davantage pour pouvoir les laver régulièrement188. Il recommande en outre que les vêtements d’un même officiant soit d’une même matière189. Ainsi, Borromée propose une gestion rationnelle du vestiaire, qui nécessite une véritable politique d’achat, hors de portée pour la plupart des églises.

186 S. Piccolo Paci, op. cit., p.215. L’auteur évoque la présence de plusieurs ornements de ce type, conservés dans des petites localités entre le XVIIIe et le XIXe siècle (note de bas de page 20 p.243).

187Rational, p.214-219.

188 Cf. C. Borromée, op. cit., p.197.

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3-1.Le prix des ornements

À la suite de Jacques Chiffoleau, qui appelle de ses vœux des études sur l'« économie du sacré », il nous paraît nécessaire de prendre en compte les aspects pécuniaires de la vie liturgique190. Malheureusement, nous ne disposons que de mentions éparses, glanées au gré des sources. Nous avons surtout des renseignements relatifs au prix des ornements les plus précieux qui atteignent des sommes importantes. En Angleterre, « […] le 11 février 1241, Edouard, fils de Odon, reçu […] £ 82 pour une mitre destinée au Vénérable Père Pierre, évêque de Hereford »191. Autre exemple, une chapelle comprenant trois chapes, une chasuble, deux tuniques pourvues d’orfrois en « bon or », est facturée par Pierre Yvyn, le 18 juin 1540, 200 livres tournois, le brodeur fournissant tous les matériaux192. Dans un registre intitulé « dépenses pour la chapelle de l’évêque et autres dépenses » de 1594, le record est détenu par une chasuble de toile d’or d’une valeur de « 644 lires et 8 sous »193. Pour comparaison, le total des entrées annuelles au Duomo Santa Maria del Fiore à Florence se situe entre 20 000 et 30 000 lires194.

Les broderies sont dispendieuses. Trois lires et trois sous pour un chaperon de chape à l’Annunziata de Florence195, trente florins pour des broderies d’un ornement, d'après le « livre de souvenirs » (ricordanze) de la Badia fiorentina (c'est-à-dire de l’église bénédictine Santa Maria Assuntella de Florence),…196. Généralement, le coût de la main d’œuvre est

190 J. Chiffoleau, « Pour une économie », op. cit., p.215.

191 O. Brel-Bordaz, op. cit., p.20.

192 A-M Privat Savigny, L’Église en broderie. Ornements liturgiques du musée national de la Renaissance, (Exposition, Écouen, musée national de la Renaissance, 6 avril 2003 – 6 mars 2004), Paris, éditions de la Réunion des musées nationaux, 2005, p.27.

193 P. Venturoli, « Carlo Bascapè commitente di tessili » in P. Venturoli (dir.), I tessili nell’età di Carlo Bascapè, vescovo di Novara (1593-1615), (Exposition, Novare, Palazzo dei vescovo, 19 novembre 1994-19 février 1995), Novare, Interlinea, 1994, p.13.

194 A. Girori, « L’opera di Santa Maria del Fiore in Età moderna » in T. Verdon, A. Innocenti (dir.), La cattedrale e la città : saggi sul Duomo di Firenze (Atti del convegno internazionale di studi, Florence, 16-21 juin 1997), Florence, Edifir, 2001, I, p.374.

195 E. Casalini, op. cit., p.419.

196 Contrat du 2 mars 1476, « promessa a ser Francesco Sini di firoini XXX larghi pe’ Covoni. Ricordanza come questo di XII dì marzo 1475 noi promettemo a ser Francesco di Domenico di Bartholo Sini fiorini trenta larghi per Piero et Benedetto di Giovanni Chovoni di qui a mesi sei paghati el dì del termine, i quali sono per uno fregio storiato per loro paramenti appiciolati rossi ». D. Liscia Bemporad, A. Guidotti (dir.), Un parato della Badia fiorentina, Florence, Nardini-Centro internazionale del libro, 1981, p.58.

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abordable197. Seuls les artisans renommés peuvent demander d’avantage pour leur prestation. C’est le cas de Gerolamo Delfione qui reçoit, en 1509, 200 scudi (écus ?) pour une chasuble, trois chapes et deux tuniques198. En général, ce sont les matières premières, souvent luxueuses (soie, velours, fils d’or ou de soie, pierreries,…) qui tirent vers le haut les prix des ornements. Christine Aribaud a pu constater qu'à Toulouse « […] la canne de velours correspond au salaire annuel d’un serviteur »199, sachant que selon les estimations de Michèle Beaulieu, il faut plus deux cannes de tissus pour faire un manteau d’homme, et que les chapes sont plus amples que la majorité des manteaux laïques200. Dans les registres de cathédrale Sainte Colombe de Rimini, on apprend qu'un brodeur reçoit quatorze lires pour l’achat des matières nécessaires à la confection d’un chaperon de chape (or, argent et soie)201. Le tissu reste une denrée chère, y compris pour les tissus de bas de gamme : « les tissus les moins chers sont entre neuf et trente sous la canne, c’est le cas de la fustaine et de la toile de laine ou du boucaran qui sert aux doublures »202. Il convient également de prendre en compte le prix des teintures (on sait notamment que la teinture rouge au kermès est particulièrement onéreuse). Enfin, vers la fin de notre période, le marchand devient un intermédiaire de plus en plus fréquent, et prend, bien entendu, une commission pour fournir des matières premières, des orfrois ou des ornements complets. Pour obtenir des ornements à moindre coût, il est également possible de se fournir dans les foires, voire d’avoir recours au marché de l’occasion (du moins pour les pièces les plus simples). En cas de besoin, les églises louent des ornements aux paroisses voisines. Cette pratique est notamment attestée à Rouen au XVIe siècle203.

Tout est fait pour utiliser au mieux les ornements. Les tissus rayés, comme nous avons eu l'occasion de le préciser, ont pu être employés pour plusieurs périodes du cycle liturgique.

197 K. Staniland, Les artisans du Moyen Age les brodeurs, Paris, Brepols, 1992, p.9. En 1271, une entrée de comptabilité pour le paiement d’un devant d’autel stipule : « pour les gages de quatre femmes ayant travaillé sur l’ouvrage ci-dessus pendant 3 années et 9 mois, 36 livres ».

198 M. Marubbi, « Un perduto parato di Gerolamo Delfione per i vescovi Trivulzio » in M. L. Casati, D. Pescarmona, Le Arti nella diocesi di Como durante i vescovi Trivulzio (Atti del convegno, Como, 26-27 settembre 1996), Côme, Musei Civici, 1998, p.20-22.

199 C. Aribaud, Enquête, op. cit., p.120.

200 « [...] il fallait, en 1447, un peu plus de deux cannes de drap pour faire un manteau d’homme ». F. Piponnier, Costume et vie sociale, op. cit., p.169

201 « Registre de la comptabilité de la sacristie (14 août 1489) » in O. Delucca, P.G. Pasini, Artisti a Rimini fra Gotico e Rinascimento : rassegna di fonte archivistiche, Rimini, S. Patacconi, 1997, p.620.

202 C. Aribaud, Enquête, op. cit., p.124.

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C’est le cas également des vêtements dorés. L’or, assimilé à un « super blanc », a tendance, dans les faits, à remplacer n’importe quelle couleur sauf le noir. Dans l’inventaire de Carpentras de 1332, est mentionnée une chasuble dorée avec laquelle, « ainsi qu’il est dit, [la messe] est célébrée tous les jours »204. Dans le corpus, quelques chasubles sont dorées (notices n°33, 263, 361,...), sans que l'on puisse déterminer si des raisons liturgiques ou esthétiques ont prévalu à ce choix. Des procédés ingénieux voient le jour. Certaines églises optent pour des ornements réversibles, ainsi à Châlons-sur-Marne où l'inventaire de 1413 mentionne : « une autre chasuble de toile noire d’un côté et blanche de l’autre »205. Nous pensons également que des manches amovibles étaient utilisées. Cela expliquerait que des tuniques sans manches apparaissent dans l’inventaire de l’Annunziata de Florence de 1442206. Enfin, à Cattlar, en 1589, les responsables de la fabrique commandent une chape munie de deux chaperons amovibles se fixant grâce à des boutons207.

3-2. « Photographies » des sacristies

Toute généralité sur le contenu des sacristies ne serait pas pertinente. S’il l’on peut penser que les cathédrales sont mieux pourvues que les petites églises paroissiales, différentes situations restent envisageables208. Ainsi, nous chercherons surtout à refléter la diversité des situations par quelques exemples, des instantanés, qui, nous l’aurons compris ne prétendent pas être représentatifs. Il convient, en outre, de garder à l'esprit le fait que les inventaires

204 « qua, ut dicitur, quasi omni die celebratur ». M-C Léonelli, « Le trésor des cathédrales de la vallée du Rhône aux XIVe et XVe siècles » in La cathédrale (XIIe-XIVe siècle) Cahiers de Fanjeaux, 30, Toulouse, Privat, 1995, p.373.

205 « Alia casula di tela nigra, dupplex de tela alba ». Cité in X. Brabier de Montault, Le costume op. cit., p.24. On ne peut pas être certain qu’il s’agisse d’un vêtement réversible et non pas d’un vêtement mi-parti. Le cas des ornements réversibles fait l’objet d’une recherche approfondie de la part de Christine Aribaud.

206 E. Casalini (dir.), op. cit., p.67. « Tunicas duas de panno nigro sine manicis que possunt vendi ». Louis Trichet précise que les « manicas consutitias » souvent interprétées comme des manches amovibles, sont en fait des manches brodées. L. Trichet, Le costume, op. cit., p.68.

207 Contrat de restauration de la chasuble de Cattlar et de commande d’une chape ADPO 6. 913. Texte n°2, Annexes p. 782.

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peuvent être lacunaires ou ambigus et que l’opacité de la terminologie reste un écueil majeur209.

Il est rare de pouvoir évaluer la valeur des ornements liturgiques d’une église. C’est le cas à Santa Maria all’Impruneta (en 1538), où les chapes oscillent entre trois et dix-neuf florins, à l’exception d’une pièce plus précieuse estimée à quarante florins210. Les matières restent un des plus sûrs indicateurs de la qualité des objets. Dans les sources de la pratique, nous rencontrons un vaste spectre de tissus. La soie semble dominer211, sous ses différentes formes : le samit (ayant l’aspect du satin moderne) et le damas (drap de soie façonné), le sergé et le lampas. Le velours est également fréquent212. Le satin, étoffe de soie fine, est recherché pour son aspect brillant. Les étoffes sont agrémentées de broderies de fils d’argent, d’or et de soie, et parfois même de perles. Ces objets très luxueux sont attestés jusque dans les couvents franciscains213. Enfin, nous ne pouvons passer sous silence quelques habits plus surprenants, comme la mitre en plume issue du nouveau monde et portée vers 1540 à la cathédrale de Milan214, ou la chasuble en cuir offerte à Saint Antoine de Padoue215.

Les tissus plus modestes sont également employés. Fabrice Ryckebusch, qui a étudié le décor du culte en terre audoise, donne l’exemple d’un inventaire des livres et objets de culte de

209 Sur ces problèmes, cf. O. Blanc, « Histoire du costume : l’objet introuvable », op. cit., p.68-73. G. Cantini Guidotti, « I tessili, nomi, problemi e methodi » in Centro di elaborazione automatica di dati e documenti storico artistici. Bolletino d’Informazione, IV, 1983, 2, p.63-91. Il faut aussi prendre en compte le fait que les hommes médiévaux ont une perception différente des textiles. Pour Thomas de Cîteaux, il convient de prendre en compte le parfum des étoffes pour les évaluer. Cf. G. Bartholeyns, Naissance, op. cit., p.238. Pour le vocabulaire cf. F. Gérard-Marchant, « Compter et nommer l’étoffe à Florence au Trecento (1343) » in Médiévales, L’étoffe et le vêtement, 29, 1995, p.87-104. Il est possible également de s’appuyer sur le lexique technique du CIETA : CIETA, Vocabulaire français : français, allemand, anglais, espagnol, portugais, suédois, Lyon, Centre international d’étude des textiles anciens, 1997, 53 f.

210 M. Ciatti, « I paramenti e i mantellini della Chiesa di Santa Maria all’Impruneta : note storiche » in C.R. Protopisani, Il Museo di Santa Maria all’Impruneta, Florence, Conti Tipocolor Arti Grafiche, 1996, p.172.

211 G. Baldissin Molli, La sagrestia del Santo e il suo tesoro nell’inventario del 1396, Padoue, Il Prato, 2002, p.94-108. C’est également le cas dans notre corpus.

212 « Inventaire de la Basilique San Lorenzo (1432) » cité in P. Paolo, « Paramenti liturgici in San Lorenzo » in San Lorenzo : i documenti e i tesori nascosti (Exposition, Florence, Complesso di San Lorenzo, 25 septembre – 12 décembre 1993), Venise, Marsilio, 1993, p.113.

213 Pour un exemple, cf. l’inventaire du couvent franciscain de Hanovre de 1534 in R. Kroos, Niedersächsische Bildstickerein des Mittelalters, Berlin, Deutscher Verlag für Kunstwissenscheft, 1970, n°53 p.166. Ces objets sont sûrement donnés par les laïcs. L. Bourdua, « The 13th and 14th century Italian mendicant orders and art » in S. Cavaciocchi (dir.), Economia e arte secc. XIII-XVIII (Atti della Trentatreesima settimana di studi, 30 avril – 4 mai 2000, Prato, Istituto internazionale di storia economica « F. Datini »), Florence, Le Monnier, 2002, p.486.

214 A. Russo, « Image-plume, temps reliquaire. Tangibilités d’une histoire esthétique (Nouvelle Espagne XVIe – XVIIe siècles » in G. Lissargue, J-C Schmitt, C. Severi (dir.), Traditions et temporalités des images, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2009, p.162.

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l’église de Mazières, dressé lors de la prise de fonction de Pierre Viaia, curé, lequel ne mentionne que deux chapes : une de soie, une de futaine (matière grossière)216. Les sources italiennes font état d’ornements « de sindone », c'est-à-dire de toile légère217. Nous retrouvons également des vêtements liturgiques de laine, notamment dans les églises des ordres mendiants218.

Certains édifices sont très mal pourvus. Au XVe siècle, l’évêque Benozzo Federighi constate que l’autel majeur de l’église paroissiale de Sainte-Marie de Falgano ne compte que deux chasubles219. Encore au XVIe siècle, l’église Sainte-Marie de Casignano ne possède pas d’habit liturgique220. Cependant, la plupart des lieux de culte comprend suffisamment d’ornements pour assurer le culte. L’église paroissiale Sainte-Catherine de Lille compte cinq chapes, huit chasubles, quatre « abis de noir » et deux « paires de parures »221, l’église Sainte-Marie de Wismar sept chasubles en 1349222, l’église conventuelle Wimmelburg dix chasubles en 1526223. Les vestiaires des cathédrales regorgent d’ornements : dix-neuf chapelles complètes à Auxerre en 1531224, dix-huit chasubles à Embrun au XVIe siècle225.Un siècle et demi plus tôt, à Notre-Dame de Paris, le vestiaire est encore plus riche : « L’inventaire de 1416, le plus

216 F. Ryckebusch, « Décorer l’église : hiérarchie et fidèles en terre audoise au XVe siècle » in Le décor des églises en France méridionale, Cahiers de Fanjeaux, 28, Toulouse, Privat, 1993, p.39-86.

217 Cf., par exemple, l’inventaire de la cathédrale de Pise. R. Barsoti, op. cit., p.53.

218 C’est le cas à Annunziata (église des Servites de Marie de Florence) : E. Casalini, op. cit., p.414-418, à la basilique Saint Antoine de Padoue : G. Baldissin Molli, op. cit., p.106-108.

219 P. Prillo, « La visita pastorale di Benozzo Federighi d il territorio della diocesi fiesolana nel Basso Medioevo » in M. Borgiolo, Un Archivio, una diocesi: Fiesole nel medioevo e nell’étà moderna, Florence, Olschki, p.26.

220 G. Raspini, La visita pastorale alla diocesi di Fiesole fatta dal vescovo Pietro Camaiani, 1564-1565, Florence, G. Pagini, 1998, p.7. « Interrogata ubi sint calix, vestes et alia necessaria ad celebrandum sacrificium missae, respondit quod non sunt in dicta ecclesia, sed quando in ea celebratur afferentur ab ecclesia de Moriano, quod dictus reverendissimus dominus episcopus non satis credidit cum in eadem ecclesia de Moriano non invenerit ».

221 C. Dessaint, « Le plus ancien compte d’une église de Lille : Sainte-Catherine, 1385-1387 » in Revue du Nord, La paroisse depuis 1000 ans, 340, n°194-199, 2001, p.290.

222 R. Kroos, op. cit., n°26a, p.163.

223Id., n°50 p.166.

224 M. Quentin, Inventaire du trésor de la cathédrale d’Auxerre en 1531, Auxerre, imprimerie et lithographie de Georges Rouillé, 1887, p.4. Une « chapelle » est un ensemble de vêtements liturgiques assortis. En général, elle se compose d’une chasuble, d’une chape, et de deux dalmatiques (ou une dalmatique et une tunique). Mais elle peut également inclure des insignes (manipule, étole) et même du linge d’autel. V. Gay, Glossaire archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance, Nendeln, Liechtenstein, Kraus reprint, 1967, 1, p.329.

225 M-E Gaillaud, « Inventaire du trésor de la cathédrale d’Embrun avant 1585 » in Histoire de Notre Dame d’Embrun, Gap, P. Jouglard, 1862, p.168-180.

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étendu, mentionne douze chapelles et trente-cinq « vestements », ensembles plus modestes composés d’une seule chasuble, dalmatique et tunique, dont beaucoup sont incomplets. En dehors de ces ensembles, on ne compte pas moins de cent cinq chapes, treize aubes brodées, cinquante six autres aubes dont douze sont spécialement affectées à des chapelles déterminées »226. La cathédrale de Trèves n'est pas en reste, comme l'illustre le tableau ci-dessous recensant les ornements par type et par couleur.

Tab.1 : Répartition des ornements liturgiques dans le trésor de la cathédrale de Trèves (1238)227.

chasuble chape dalmatique aube Couleur non mentionnée 20 33 9 38 Noir 2 Rouge 1 Vert 1 1 Blanc 1 Jaune 1 1 Rayés 1 2 1 Total 26 33 14 39

Cette profusion, que l’on retrouve aux cathédrales de Pise et de Francfort228, est en partie liée à la multiplication d’autels secondaires et à la prolifération du personnel chargé des messes votives. D’après Max Quentin, la cathédrale d’Auxerre réquisitionnerait une soixantaine de grands chanoines229. Il s’agit surtout d’un signe d’opulence. Certaines pièces sont affectées à une fête particulière et ne sont portées qu’une fois l’an. Les chapelles peuvent être également bien dotées. C’est le cas de la chapelle des papes, de la Sainte Chapelle à la fin

226 M. Beaulieu, « Les ornements liturgiques à Notre Dame de Paris aux XIVe et XVe siècles » in Le Bulletin monumental, 3, 1967, p.274.

227 B. Bischoff (éd.), Mittelalterliche Schatzverzeichnisse. Erster Teil; Von der Zeit Karls des Grossen bis zur Mitte des 13. Jahrhunderts, Munich, Prestel, 1967, p.96-97.

228 R. Barsoti, op. cit. et K. Stolleis, Der Frankfurter Domschatz, 3, Inventare und Verzeichnisse, Francfort, W. Kramer, 1992, p.27-66.

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du XIIIe siècle230 ou encore de la chapelle de Bonifacii de Lupis à la basilique Saint-Antoine de Padoue qui comporte huit chasubles231.

Il semblerait, mais cette hypothèse reste à confirmer, qu'en général, l’accent soit mis sur la chasuble, vêtement du prêtre officiant. Sur l’ensemble du diocèse de Toulouse, au XVIe siècle, Christine Aribaud recense en moyenne 3,61 chasubles par église contre 1,6 dalmatiques et 0,9 chapes232. De même, l’inventaire de la cathédrale de saint Nicolas de Fribourg de 1499 répertorie 50 chasubles contre 14 chapes et 10 dalmatiques233.

Le rythme de renouvellement des ornements semble relativement lent. Christine Aribaud estime qu’à l’époque moderne le contenu des sacristies se renouvelle tous les 80 ans234. L'on cherche vraisemblablement à conserver les ornements le plus longtemps possible. Dans l’inventaire de chapelle des papes réalisé durant le pontificat de Paul III en 1547 figurent une tunique et une dalmatique données environ trois siècles auparavant par Innocent IV (1243-1254)235. Les rédacteurs des inventaires n’hésitent pas à qualifier certains ornements de « vétustes ».

Dessiner une chronologie de l’état des sacristies s’avère délicat. Il convient de prendre en compte le poids de la conjoncture. N’oublions pas qu’« un trésor d’église au Moyen Âge n’était, toute dimension sacrée mise à part, qu’une immobilisation de capitaux sous forme d’objets d’art. Quand ils le jugeaient nécessaire, les détenteurs de ce fond n’hésitaient pas un seul instant à puiser dans celui-ci la quantité d’or et d’argent correspondant à leurs besoins en liquidités »236. Les ornements, moins facilement monnayables qu’un calice, ont cependant été relativement épargnés lors des périodes de récession. En outre, comme le rappelle Hervé Martin, « il serait un peu simpliste de penser que les investissements dans « l’art sacré »

230 A. Vidier, « Le trésor de la Sainte Chapelle » in Mémoire de la société de Paris et de L’Ile de France, XXIV, 1907, p.199-324 et XXXV,1908, p.189-339 et B. de Montault, « Inventaire de la chapelle papale sous Paul III, en 1547 » in Bulletin Monumental, V, 1878, p.421-461.

231 G. Baldissin Molli, op. cit., p.106-108.

232 C. Aribaud, Enquête, op. cit., p.100.

233 H. Schöpfer, « Le trésor de la cathédrale » in Y. Lehnhett, H. Schöpfer, Trésor de la Cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg (Musée d’art et d’histoire de Fribourg, 22 juin – 9 octobre 1983), Fribourg, Le Musée, 1983, p.35.

234 C. Aribaud, Enquête, op. cit.,

235 B. de Montault, « Inventaire de la chapelle », op. cit., p.421-461.

236 J. Lemaho, « Le trésor de la cathédrale de Rouen de l’époque mérovingienne aux premières années du XIIIe siècle » in J-P Caillet (éd.), Les trésors des sanctuaires, de l’Antiquité à l’époque romane, université de Paris X Nanterre, Picard diffusion, 1996, p.128.

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suivaient une courbe identique à celle de l’activité économique. L’inverse pouvait se produire, les grandes calamités incitant à des gestes d’oblation pour apaiser le courroux divin »237. En revanche, les ornements sont sensibles aux incendies qui, à l’époque médiévale, étaient fréquents238. À l’échelle de l’Occident, il convient d’évoquer certaines périodes noires, à commencer par la Guerre de Cent Ans (1337-1453) où les églises sont plongées dans un état d’abandon dans lequel les fidèles ont leur part de responsabilité239, ou les crises iconoclastes du

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