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PREMIÈRE PARTIE : CONSTRUIRE UN OBJET

CHAPITRE 1 : UN OBJET RÉGLEMENTÉ

II. LES RÉSISTANCES À LA NORME

L’écart à la règle peut-être volontaire et signifiant. Il peut être le fait d’une communauté, cherchant à affirmer ou du moins conserver une spécificité, ou d’une personne, dérogeant sciemment au costume prescrit.

2-1. Affirmer une spécificité locale

L’importance des usages locaux témoigne de la conscience de soi des communautés. Souvent, celles-ci se contentent d’investir les espaces de liberté délaissés par la norme sans forcément porter atteinte à l'unité de l'Église. Comme le signale Mgr Martimort, « selon les époques et les vicissitudes historiques, l’équilibre s’établira différemment entre deux exigences : d’une part l’enracinement local d’une communauté priante et d’autre part

81 G. Bedouelle, op. cit.,p.99.

82 Pour les aspects biographiques se reporter à F. A. Rossi, Carlo Borromeo : i tre volti della riforma cattolica, Milan, NED, 2000, 173 p. G. Bedouelle, op. cit., p.108. Cf. C. Borromée, op. cit., p.205 et 229.

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l’unanimité des églises à exprimer fidèlement l’unique voix de l’épouse du Christ. C’est pourquoi la liturgie a toujours obéi à des lois, mais son droit a toujours revêtu des formes très diverses selon les lieux et le temps »83.

Il s’agit de rompre l’unité de la vie chorale en hiérarchisant les fêtes, par le mobilier, la sonnerie des cloches, le luminaire, mais également par les ornements liturgiques84. L’exemple paradigmatique est celui de la fête du saint patron solennisée à l’égal de Pâques. Le Père Gy remarque que le coutumier du sacristain de Mende précise les vêtements qui doivent être portées en des occasions déterminées : la chasuble avec des petites croix, la chasuble avec des perroquets, celle qui a été donnée par l’évêque de Maguelone, ou celle offerte par le grand maître du Temple qui est Lorézien85. Ce qui importe c’est la possibilité de faire un choix, choix qui est souvent signifiant pour la communauté. Le vestiaire liturgique participe d’une esthétique du détail, de l'ornement.

Plus rarement, nous pouvons trouver mention de tenues particulières. Les clercs doivent parfois composer avec le climat. Ainsi la XVème session du concile de Bâle (1433) prescrit « Que ceux qui vont dire les heures canoniques pénètrent dans les églises avec une tunique descendant jusqu'aux talons et des houpelandes propres allant au-delà de la mi-jambe ou des capes, compte tenu de la différence des saisons et des pays »86. De fait, l’on observe, à Treguier en 1440, l’usage du gipon, sorte de camisole en toile rembourrée protégeant du froid, pour la messe87. Les variations régionales restent mineures, comme l’expriment les différentes possibilités pour la tenue au synode (aube, chape clause, surplis ou même simplement un vêtement « convenable » selon les endroits).

La forme même des ornements peut différer. Au XIIe siècle, deux types de mitres coexistent en France. Les mitres à pointes latérales sont toutes localisées dans le Midi, alors que le Nord affiche une préférence pour les mitres triangulaires. Au XIVe siècle, le clivage est moins visible mais la proportion de mitres à cornes reste toutefois plus élevée dans le Sud.

83 A-G Martimort, L’Église, op. cit., p.122-123.

84 A. G. Martimort, Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, Brepols, 1991, p.66.

85 P. M. Gy, « La cathédrale et la liturgie dans le Midi de la France » in La cathédrale (XIIe-XIVe siècle), Cahiers de Fanjeaux, 30, Toulouse, Privat, 1995, p.226.

86 G. Alberigo, op. cit., p.1005-1007.

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Cependant, comme nous le montrerons dans le troisièmes chapitre, c’est surtout la décoration qui imprime la marque locale aux ornements88 .

D’une manière générale le canon des couleurs semble relativement bien respecté. Pour une écrasante majorité, les couleurs qui apparaissent dans les inventaires sont les quatre couleurs liturgiques du canon romain : blanc, rouge, noir, vert, auxquelles nous pouvons ajouter le violet et le jaune, deux couleurs de substitution. L’examen des sources de la pratique révèle néanmoins, de temps à autres, des écarts à la règle.

Tout d’abord, il convient de préciser le cas des demi-teintes. Dans l'inventaire du trésor de l'église Santa Maria della Steccata (Sainte-Marie de la Palissade) de Parme de 1539, le rédacteur distingue plusieurs nuances de rouge, tel le « cramoisy » et l’« incarnat » 89. « Comme en héraldique, [les couleurs] représentent des catégories pures : ce sont des couleurs abstraites conceptuelles, dont les nuances ne comptent pas. Comme les gueules du blason, par exemple, le rouge et la Pentecôte peut se traduire par du vermillon, du carmin, du pourpre, etc., cela n’a aucune importance ni aucune signification. C’est un rouge archétypal, le symbole de tous les rouges »90. Nous possédons également quelques mentions de couleurs plus fantaisistes, tel l’orange, couleur souvent mal perçue au Moyen Âge91. À Toulouse, au XVIe siècle, le rouge a une part écrasante92. Cela est probablement imputable aux aléas des dons.

En revanche, dans les régions sous l’influence de Milan, malgré les velléités d’alignement sur le canon romain, des particularismes demeurent, telle l’utilisation du rouge pour la fête du Saint Sacrement93. Ces espaces suivent le rite ambrosien qui, d’après la

88 Cf. chapitre 3, p.171 et seq.

89 « Inventarium de bonis sacristiae ecclesiae de Santae Mariae de la Steccata compositum de anno 1539 » in L. Fornari Schianchi (dir.), « Per uso del santificare et adornare » : gli arredi di Santa Maria della Steccata; argenti, tessuti, Parme, Artegrafica Silva, 1991, 273 p. En revanche d’après François Poponnier, l’ « écarlate » correspond à une qualité de tissu et non à une couleur. F; Piponnier, « À propos des textiles anciens, principalement médiévaux » in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1967, 22, 4, p.865.

90 M. Pastoureau, « Ordo colorum », op. cit., p.66.

91 L’inventaire du trésor de la cathédrale d’Embrun mentionne trois chapes « de damaz orange ». cf. M-E Gaillaud, « Inventaire du trésor de la cathédrale d’Embrun avant 1585 » in Histoire de Notre Dame d’Embrun, Gap, P. Jouglard, 1862, p.178. Dominique Rigaux a pu montré que Judas est parfois aussi associé au jaune.

92 C. Aribaud, Enquête, op. cit., p.122.

93 M. Magistretti, « Delle Vesti ecclesiastiche in Milano » in Ambrosiana : scritti varii pubblicati nel XV centenario dalla morte di S. Ambrogio, Milan, Cogliati, 83 p. D’autres particularismes apparaissent dans les liturgies gallicane et espagnole. S. Piccolo Paci, op. cit., p.226.

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définition du père Pierre-Marie Gy, présente « un cas intermédiaire entre la liturgie romaine et les liturgies occidentales non romaines, du double fait que, vraisemblablement depuis saint Ambroise, [il] emploie le canon romain, et que son euchologie est exactement de type romain et a reçu beaucoup des sacramentaires romains à l’époque carolingienne »94.

Autre cas, celui de l’Annuziata de Florence, église des Servites de Marie. Cette communauté de pénitents fondée au XIIIe siècle reçoit progressivement une reconnaissance institutionnelle et essaime d’abord en Italie centrale et au nord des Apennins puis en Allemagne. Associés aux ordres mendiants, sans pourtant en faire partie, les Servites s’imposent comme centres majeurs du culte marial95. L’« Inventarium rerum mobilium et immobilium Conventus Florentiae fratrum Servorum Sancte Marie, factum et revisum tempore prioratus fratis Jacobi Rossi de Florentia et fratris Ridulfi sacriste » de 1442 nous permet de retracer, du moins partiellement, l’usage des ornements liturgiques96. Premier fait remarquable, les aubes, normalement blanches, sont de diverses couleurs (les couleurs liturgiques essentiellement) et de diverses matières (lin et coton, comme ailleurs, mais aussi soie et velours)97. L’emploi des couleurs n’est pas toujours conforme à l’usage romain. Le rouge apparaît ainsi, à côté du noir, pour la liturgie des défunts, mais aussi pour le Carême, par emprunt au rite byzantin98. Quant à l’utilisation du rouge pour la nativité de saint Jean Baptiste, elle serait, d’après Eugenio Casalini, inspirée de la liturgie ambroisienne99.

À côté des couleurs traditionnelles, apparaissent le jaune, notamment pour les confesseurs100, mais surtout le bleu. Eugenio Casalini ne recense pas moins de dix-neuf chasubles bleues (contre seulement sept chasubles noires)101. La présence d’ornements bleus en nombre non négligeable est attestée dans d’autres églises. Ainsi, l’inventaire de la cathédrale de Pise de 1394 mentionne plusieurs chapes bleues utilisées pour la fête de

94 P-M Gy, « La papauté et le droit liturgique aux XIIe et XIIIe siècles » in C. Ryan (éd.), TheReligious Roles of the Papacy : Ideals and Realities (1150-1300), Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1989, p.231.

95 F. Dal Pino, « Servites de Marie » in DEMA, 2, p.1427-28.

96 E. Casalini (dir.), Tesori d’arte dell’Annunziata di Firenze, Florence, Alinari, 1987, 566 p.

97 Dans l’usage romain, les aubes sont toujours blanches. E. Casalini (dir.), op. cit., p.158.

98Id., p.158-159.

99 Id., p.158.

100Id., p.157. On le rencontre, entre autres lieux, dans l’inventaire de la cathédrale de Pise de 1369. R. Barsoti, Gli antichi inventari della cattedrale di Pisa, Pise, Istituto di storia dell’arte, 1959, p.157. « Pleviale de purpura gialla venetica cum frigio auri ».

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l’Assomption102. Notre corpus comprend également des ornements bleus : la chasuble Schnütgen Museum (notice n°42) portant l’inscription « maria »103 ou celle du métropolitain museum de New York (notice n°289) mettant en scène le Couronnement de la Vierge104, indices laissant à penser qu’elles ont pu être affectées à une fête mariale. Le bleu, ignoré par Lothaire de Segni, connaît une véritable promotion à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, parallèlement à l’essor du culte marial (la Vierge Marie est souvent vêtue de bleu dans l’iconographie). Il est de « plus en plus fréquemment associé par les textes liturgiques à l’idée de joie, d’amour, de loyauté, de paix et de réconfort »105. À partir du XVe siècle, le bleu devient une couleur morale et bénéficie de la vogue du noir et des couleurs sombres.

Si les couleurs ont tendance à être de plus en plus codifiées à l’échelle de l’Occident, cette norme n’a rien d’impératif106. Il semblerait qu’elle soit surtout respectée dans les cathédrales. Le canon romain ne progresse donc que lentement. On peut prendre en compte le contexte institutionnel en suivant l’hypothèse de Michel Pastoureau, selon laquelle le Grand Schisme, crise sans précédent dans l’histoire de l’Église d’Occident, aurait considérablement freiné le mouvement de centralisation107. Les efforts tridentins, prolongés par Pie V (mort en 1572), puis la congrégation des rites ne suffissent pas. Des « irrégularités » persistent encore en plein XXe siècle108.

Si la norme est suffisamment souple pour permettre une adaptation à la situation locale, l’Église se montre en revanche intransigeante face aux libertés vestimentaires prises par certains clercs.

102 R. Barsoti, op. cit., p.85.

103 G. Sporbeck, Die liturgischen, op. cit., cat.17, p.105-106.

104 C. Mayer-Thurman, The Robert Lehman collection. XIV, European textiles, New York, Princeton university press, 2001, cat.46, p.106-109. Le fond a été apposé postérieurement à l'orfroi, probablement au XVIe siècle.

105 M. Pastoureau, Bleu : Histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2002, p.67.

106 Le Père Braun en conclut que le canon des couleurs tient davantage du modèle que de la loi. J. Braun, I paramenti,op. cit., p.43.

107 M. Pastoureau, « Ordo colorum » op. cit., p.65.

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2-2. Faiblesse et vanité des clercs

Au XIIIe siècle, le costume liturgique est fixé dans ses grandes lignes. Il ne semble pas indispensable de rappeler un modèle qui doit être connu de l’ensemble des clercs. L’enjeu est donc de maintenir le costume traditionnel. À de rares exceptions près109, conciles ou statuts synodaux préfèrent s’étendre sur les abus vestimentaires, plutôt que de définir le costume correct du célébrant. Les sources normatives nous offrent alors un précieux inventaire des pratiques considérées comme choquantes.

2-2-1. Petite anthologie des abus vestimentaires110

Dans les textes, les vêtements liturgiques sont souvent abordés avec les habits quotidiens du clerc, au point qu’il est difficile de distinguer les uns des autres. Cela est peut être une conséquence de l'indifférenciation initiale entre costume liturgique et costume habituel. Bien des décrets évoquent le costume « en public » sans plus de précisions. D’une manière générale, le costume en dehors de la messe accapare d’avantage l’attention des Pères conciliaires. Les règlements sont à la fois plus nombreux et plus précis.

Malgré une longue tradition de distinction formelle du clergé et des laïcs, rien ne semble acquis. L’attrait de la mode est fort, notamment pour la mode orientale véhiculée par les croisés à partir des années 1140. Au quatrième concile du Latran (1215), on recommande que le vêtement des clercs ne soit « ni trop long ni trop court », formule qui aura une longue postérité, car elle permet de stigmatiser aussi bien l’influence orientale des longs vêtements traînant au sol que le costume de mode, court et ajusté, qui connaît un succès à partir des années 1340111.

L’interdiction du vêtement ouvert est également récurrente. Celle-ci est déjà prononcée lors du IVe concile du Latran (1215) et s’applique à tous les clercs évêques inclus112.

109 Lucques (1351), « Declaramus autem, quod quilibet sacerdos in missa debeat indui ad minus admictu, alba, cingulo, manipulo, stola, & planeta, quae omnia debent esse per episcopum benedicta » Mansi, op. cit., v.26, col.279.

110 Nous passerons rapidement sur ce point, car l’étude des statuts synodaux allemands et italiens confirment les analyses de Louis Trichet et d’Odette Pontal. Cf. O. Pontal, « Recherches », op. cit., p.768-796. L. Trichet, Le costume, op. cit., 245 p.

111 La vogue du costume court n’aura qu’un temps. En se diffusant dans l’ensemble de la société, le costume court perdra de son prestige initial et sera délaissé par les Grands.

112 Concile du Latran IV, 1215, in G. Alberigo, op. cit., p.521 Nous retrouvons cette formule dans la plupart des statuts synodaux.

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Elle est réitérée au concile de Vienne (can. 9), puis à Constance (1414-1418) où il est précisé que les habits ne doivent pas être ouverts sur les côtés ni à l’arrière. En effet, le vêtement laïc, d’abord ouvert sur le devant, est, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, pourvu de fentes latérales113. Cette évolution de la mode donne ainsi aux clercs la possibilité de contourner la législation synodale114. Les fentes déplaisent aux autorités ecclésiastiques, car elles introduisent un jeu de dévoilement du corps et permettent entre autres choses de montrer la superposition vestimentaire, gage de richesse115.

Apparus au XIIe siècle, sous l’influence de l’Orient, les habits à manches, souvent portés par les écuyers, sont considérés comme une tenue laïque. Dans certains diocèses, comme à Albi en 1254, ils sont même prescrits aux juifs116. Cela explique, en partie, pourquoi la chape à manches est condamnée dans la législation pontificale à partir de la lettre de 1187 envoyée par Grégoire VIII à tous les évêques. En 1215, les Pères conciliaires prescrivent que : « ceux qui sont prêtres ou revêtus d’une dignité ne porteront pas de manteaux pourvus de manches lors de l’office divin dans l’église ni ailleurs, sauf si une juste crainte n’exige qu’ils changent de vêtements »117. Au XVe siècle, les manches prennent une ampleur disproportionnée, aussi bien en longueur qu’en largeur (les sources évoquent alors une cappa alata par distinction avec la cappa manicata118). Cela inquiète les Pères conciliaires réunis à Constance entre 1414 et 1418 : « Nous décidons que doit être éliminé l’abus de plusieurs clercs et ecclésiastiques séculiers et réguliers de certaines régions, et même de prélats (ce que Nous réprouvons), qui portent d’amples manches pendantes et allongées, excessivement grandes et somptueuses […] et qui ne rougissent pas d’assister aux offices divins avec de tels vêtements dans les églises, avec les surplis et autres vêtements prévus pour le culte et les offices de l’Église, et cela, même dans les églises pour lesquels ils sont bénéficiers »119. Le vêtement

113 O. Pontal, « Recherches », op. cit., p.791. Pour un exemple d’interdiction des fentes latérales sur les vêtements, voir les statuts de Cologne de 1452. Concilia germaniae, V, p.414.

114 Bien entendu, les chapes portées lors des processions par les évêques peuvent être fendues. Il convient, en effet, de distinguer la chape de forme ronde avec un trou pour passer la tête qui est prescrite ici (notamment pour les assistants à la messe) des chapes ouvertes sur le devant : chapes épiscopales ou de cérémonie.

115 O. Blanc, Parades, op. cit., p.155.

116 Cf. O. Pontal, « Recherches », op. cit., p.790.

117 Concile de Latran IV, 1215 in G. Alberigo, op. cit., p.521.

118Les statuts I, p.61. Note de bas de page n°3.

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ecclésiastique doit rester simple. Ainsi, les cols trop grands, boutons, plis et autres nœuds sont également proscrits.

Les accessoires du costume sont loin d’être irréprochables. Les chaussures sont le lieu de toutes les fantaisies. Le concile de Latran IV interdit « les souliers brodés » et « les chaussures à la poulaine »120. Dès le XIIe siècle, la mode est aux souliers à pointe, pointe qui s’allonge et se recourbe au cours des siècles suivants. Ils s’enrichissent également de broderies. Hormis les sandalia des évêques considérées comme éléments du costume liturgique à part entière, les inventaires ne mentionnent pas de chaussures. Nous pouvons donc penser que les clercs célébraient avec leurs chaussures personnelles, celles qu’ils utilisaient tous les jours. Les couvre-chefs font l’objet de quelques lignes dans le concile de Vienne (1311-1312), qui interdit bandeaux et bonnets de lin121.

Concernant les matières, les autorités ecclésiastiques prescrivent le port du lin pour les vêtements du dessus des évêques, à l’église ou en public122, et interdisent, en dehors du lieu de culte, les tissus luxueux et les fourrures. Ces dernières ont longtemps eu une signification religieuse. Elles matérialisaient le retrait du monde des ermites123. Elles ne sont désormais qu’une manifestation du luxe laïque124. C’est également en ce sens qu’il convient d’interpréter l’interdiction de certaines couleurs (le rouge et le vert principalement) qui ne sont tolérées que dans le cadre strictement liturgique125.

Les prescriptions des statuts synodaux expriment d’abord une volonté de résistance au changement. La continuité revêt une importance particulière pour l’homme religieux, particulièrement pour le chrétien. Pourtant, comme l’a démontré Karl Morrison, le respect de

120 Concile du Latran IV can. 16, ibid., p.521. Les chaussures à la poulaine sont des chaussures recourbées.

121 Concile de Vienne (1311-1312), can.9 in G. Alberigo, op. cit., p.757.

122 Pour la fourrure, cf. Concile de Constance (1414-1418) ibid., p.925 et concile de Vienne (1311-1312) can.9 ibid., p.757. Pour le port du vêtement de lin, cf. concile du Latran IV can. 16, ibid, p.521.

123 D. Lavergne, « Usages religieux du vêtement de fourrure dans l’Antiquité » in F. Audouin-Rouzeau, S. Beyries (éd.), Le travail du cuir de la préhistoire à nos jours (Actes des XXIIe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 18-20 octobre 2001), Antibes, éd. APDCA, 2002, p.226. Nous pouvons renvoyer ici à l’iconographie de saint Jean Baptiste.

124 O. Pontal, « Recherches », op. cit., p.793.

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la tradition, loin d’être unanimement partagé dans les premiers temps du christianisme126, a surtout été porté par le mouvement grégorien accordant la prééminence aux décisions pontificales. Dans le cas du vêtement, passé et tradition apparaissent comme des forces d’inertie127. L’innovation est ressentie comme subversion de l’ordre social, par opposition à la tradition, facteur de cohésion.

La distinction entre clercs et laïcs s'enracine dans l’idéal pastoral, développé très tôt, puisqu’on en trouve trace dans le Regulae Pastoralis Liber de Grégoire le Grand (vers 540-604)128. À l’époque carolingienne, des mesures sont prises pour séparer prêtre et fidèles : interdiction de fréquenter des tavernes, de porter des armes,...129. La Réforme Grégorienne poursuit cet effort en luttant contre le nicolaïsme et la simonie130. Les historiens considèrent cependant le XIIIe siècle comme le moment d’une véritable « offensive pastorale »131. Certes, cette « révolution » est préparée par la réflexion des théologiens du XIIe siècle dans les domaines sacramentel et moral, et certes la réforme du clergé ne s’est pas réalisée au même rythme en tout point de l’Occident132, mais c’est seulement à partir de la fin du XIIe et du XIIIe siècle que les autorités ecclésiastiques disposent d’un instrument efficace, les statuts synodaux133. Comme l’a bien formulé Raymonde Foreville, ils « [...] reflètent, mais d’abord conditionnent la rénovation pastorale »134. Ils font figure de textes de référence pour les prêtres, tenus d’en posséder une copie, de s’y référer en cas de doute et de les lire

126 K. F. Morrison, Tradition and authority in the Western Church, 300-1140, Princeton, N.J., Princeton University press, 1969, p.15.

127 Cela n’est pas toujours le cas. Nous verrons, dans notre second chapitre, comment la tradition peut intégrer de

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