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CHAPITRE II ̶ CADRE CONCEPTUEL

2.2. Revue de la littérature scientifique décrivant la non-scolarisation

2.2.4. Utilisation des nouvelles technologies dans les foyers non scolarisés

Comme tout mouvement, la non-scolarisation évolue avec le temps et la présence exponentielle des nouvelles technologies d’information et de communication (ordinateurs, Internet, jeux vidéo, téléphones intelligents, tablettes, etc.) depuis une trentaine d’années est une réalité avec laquelle les parents choisissant ce mode éducatif pour leurs enfants doivent désormais composer (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; Kirschner, 2008; Siconolfi, 2010). En effet, certaines familles unschoolers choisissent de ne pas intégrer ces technologies dans leur vie, mais ce n’est pas le cas de la majorité (Bertozzi, 2006). Dans l’étude de Curtice (2014, p.ii et 154), menée auprès de dix familles unschoolers, les enfants s’y adonnent de 8 à 10 heures par jour (pour un total de 30 à 60 heures par semaine), de différentes façons41. Il arrive fréquemment que durant un déplacement en voiture ou un repas, un membre de la famille pose une question et qu’un appareil technologique soit mobilisé pour y répondre; parfois, une course s’établit pour savoir qui peut trouver l’information le plus rapidement (Curtice, 2014). La réponse à la question est souvent suivie d’une discussion sur le sujet abordé (Curtice, 2014). Ainsi, la recherche d’informations, c’est-à-dire la capacité de savoir où chercher et d’évaluer les résultats, est une aptitude jugée primordiale (et supérieure à la simple mémorisation) par les parents unschoolers (Curtice, 2014). De manière générale, les activités technologiques des jeunes non scolarisés incluent: la fréquentation des réseaux sociaux; la recherche sur Internet (visionnement de vidéos, lecture d’articles); la rédaction de blogues et la contribution à des forums; les jeux vidéo (et la modification/création de jeux vidéo); la lecture de livres électroniques; la participation à des webinaires; et l’écriture de fanfictions (récits écrits pour prolonger, amender ou transformer un produit culturel apprécié tel un roman, un manga, une série télévisée, un

41 Les données de son étude sont probablement influencées par le fait que dans chaque famille, au moins

un parent travaille comme expert dans le champ des technologies de l’information. Il est également intéressant de noter que dans tous les cas, au moins un membre de la famille a une expérience professionnelle ou de formation en éducation (ou un parent proche enseignant) et qu’aucune des dix familles interviewées ne fréquentent une église ni prennent part à une forme de religion organisée.

film, un jeu vidéo ou la vie d’une célébrité) (Curtice, 2014; Siconolfi, 2010). YouTube et Wikipédia sont les sites web les plus utilisés pour la collecte d’informations (Curtice, 2014). Cela dit, des sites à caractère plus « éducatif » sont également mis à contribution, à l’occasion, par les jeunes non scolarisés, tels que Khan Academy, qui propose des modules sur les mathématiques, les sciences, les arts et les sciences humaines, ainsi que

Coursera et d’autres Massive Open Online Courses (MOOCs), qui offrent diverses

formations gratuitement (Curtice, 2014)42. Dans le cadre de l’étude de Curtice (2014), ces activités plus traditionnellement éducatives sont principalement réalisées sur des tablettes ou sur le téléphone intelligent d’un parent; 90% de l’utilisation totale des ordinateurs sont dédiés aux jeux vidéo, notamment à League of Legends et World of

Warcraft, des jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (massively multiplayer online role-playing game (MMORPG)) (Curtice, 2014, p.i).

Cette réalité technologique récente amène une remise en question du principe d’autodirection de l’enfant dans ses activités et du type de balises que les parents doivent imposer (ou non) pour assurer son bien-être; il n’y a pas de consensus sur la posture à adopter au sein des parents pratiquant la non-scolarisation (Bertozzi, 2006). Ainsi, plusieurs parents interviennent lorsqu’ils constatent que leur enfant a passé plusieurs heures devant un écran au cours d’une journée, de façon ouverte ou plus subtile, leur demandant de trouver d’autres occupations durant les jours qui suivent, proposant le défi d’une journée sans électricité ou un séjour de camping impromptu, ou déplorant une panne de modem qui peut durer plusieurs jours… (Curtice, 2014); des parents interviennent également pour réguler le nombre d’heures passées devant la télévision dans les foyers où il y en a une (Kirschner, 2008). L’ensemble des mères de l’étude de Curtice (2014) ont d’ailleurs banni les jeux vidéo violents en trois dimensions, tel que

Call of Duty, à cause de leur profonde aversion pour la violence gratuite. Certaines

mères ayant des enfants de dix à douze ans particulièrement fervents de jeux vidéo

partagent leur crainte qu’ils ne développent pas d’intérêt pour d’autres dimensions de la vie; un souci partagé à un moindre degré par les pères participants, qualifiés de « gamer

dads », travaillant dans le domaine des technologies de l’information et n’étant pas à la

maison toute la journée (Curtice, 2014, p.59)43. Cela dit, le commentaire suivant d’une des mères faisant partie de l’étude résume, selon l’auteur, ceux des autres mères participantes en ce qui a trait à la consommation de technologies par leurs enfants :

S’ils étaient à l’école, ils feraient comme leurs copains scolarisés: ils s’assoiraient pendant sept heures à l’école, ensuite ils reviendraient à la maison et feraient leurs devoirs durant deux heures, pour enfin jouer aux jeux vidéo pendant quatre heures. Donc, au final, je crois qu’être assis huit heures c’est mieux que treize (Curtice, 2014, p.107, traduction libre)44!

Plusieurs détracteurs de ce mode éducatif soulèvent de nouveau l’argument de la socialisation mise à mal par une éducation en grande partie virtuelle, mais comme il en a été question précédemment, les jeunes non scolarisés ont généralement une vie sociale aussi active, sinon plus, que celle des enfants scolarisés, via les nombreuses activités auxquelles ils s’adonnent, telles que les journées de regroupement de familles au parc ou au théâtre, les cours qu’ils suivent dans les centres communautaires, etc. (Curtice, 2014). Aussi, certains parents de l’étude de Curtice (2014) émettent des craintes relativement au manque d’activité physique potentiel de leurs enfants, bien que la plupart des jeunes s’adonnent à des sports tels que l’aviron, le baseball, les arts martiaux ou le tir à l’arc durant les heures où ils n’utilisent pas les nouvelles technologies (Curtice, 2014). D’ailleurs, plusieurs parents pratiquent eux-mêmes des activités sportives en plein air et discutent régulièrement de randonnées pédestres, d’escalade, de natation et de sports tels que le football avec leurs enfants (Curtice, 2014). Il est à noter également

43 Des parents de jeunes adultes non scolarisés, dont Laricchia (2007) et Rolstad et Kesson (2013), tentent

de rassurer ceux qui ont des enfants plus jeunes relativement aux jeux vidéo et à leurs apports éducatifs, via leur témoignage et en s’appuyant sur certaines données scientifiques.

44 Citation originale: “If they were in school they would be like my schooled friends sitting for 7 hours at

school, then coming home and doing homework for another 2 hours, then playing video games for another 4 hours so I think sitting only 8 hours is better than 13 (Curtice, 2014, p.107)!”

que les parents unschoolers utilisent les nouvelles technologies pour créer des communautés virtuelles dans lesquelles ils peuvent se supporter mutuellement, partager de l’information, s’offrir des conseils et s’exprimer quant aux problèmes et aux solutions qu’ils perçoivent relativement aux institutions sociales en place dans la société (Bertozzi, 2006; Grunzke, 2010).

Un lien est proposé entre l’augmentation récente du nombre de familles pratiquant la non-scolarisation (et plus généralement l’éducation à domicile) en Amérique du Nord et le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication; la quantité d’informations à laquelle les générations actuelles ont accès, et ce de façon instantanée, étant inégalée dans l’histoire de l’humanité (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; Siconolfi, 2010). En effet, bien que l’utilisation des nouvelles technologies implique des défis, dont la possibilité d’une certaine dépendance, l’accès facilité à des notions spécialisées, à des tutoriels et à des formations de toutes sortes fait d’elles des ressources précieuses pour les familles unschoolers (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; Siconolfi, 2010).