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CHAPITRE I – PROBLÉMATIQUE

1.3. Revue de la littérature scientifique portant sur les mouvements éducatifs

1.3.3. Portraits de jeunes personnes éduquées en dehors de l’école

Une étude canadienne s’est penchée sur les performances académiques d’un échantillon de 37 enfants de 5 à 10 ans éduqués en dehors de l’école, distinguant ceux qui vivent un enseignement structuré à la maison (25 enfants), de ceux qui vivent une éducation moins formelle (unstructured homeschoolers) (12 enfants), semblable à la non-scolarisation (9 mères s’autoproclamaient unschooler) (Martin-Chang, Gould et Meuse, 2011, p.197). Les données recueillies indiquent que les enfants du premier groupe obtiennent des résultats aux tests standardisés plus élevés que ceux qui fréquentent une école publique (Martin-Chang et al., 2011). Une analyse exploratoire (vu leur nombre restreint) des résultats des enfants vivant une éducation davantage informelle indique qu’ils obtiennent les plus faibles scores des trois groupes (Martin-Chang et al., 2011)17. Ces résultats corroborent ceux d’études

précédentes (Collom, 2005; Ray, 2010; Rudner, 1999), réalisées aux États-Unis, à Guam et à Puerto Rico, qui démontrent la supériorité des performances académiques des enfants éduqués en dehors de l’école18. L’étude de Ray (2010), menée auprès de 11 729 jeunes

17 Il serait intéressant de reproduire ce type d’étude avec un échantillon plus large d’enfants non-scolarisés

(unschoolers) et avec des adolescents, pour voir si leur retard est rattrapé ou si l’écart se creuse avec le temps.

18 Comme précisé dans la section 1.3.5., certains auteurs remettent en question l’effet de causalité suggéré

entre le mode éducatif et les bienfaits académiques et socioaffectifs, puisque ces derniers pourraient résulter d’autres facteurs tels que l’engagement des parents ou leur familiarité avec les études universitaires, dont les enfants pourraient également bénéficier en contexte scolaire (Lubienski, Puckett et Brewer, 2013).

homeschoolers, indique d’ailleurs que les jeunes qui obtiennent les résultats les plus élevés

viennent de familles ayant un revenu important, dont les parents ont étudié à l’université, et qui passent plus de temps engagés dans des activités éducatives plus formelles. Barwegen, Falciani, Putnam, Reamer et Stair (2004), quant à eux, se sont penchés sur l’impact de la perception du niveau d’implication parentale sur les résultats académiques de 127 adolescents, ne constatant aucune différence entre les scores des homeschoolers et ceux des jeunes percevant leurs parents comme très impliqués dans leur éducation. Ce constat est corroboré par Kunzman et Gaither (2013) qui concluent dans leur méta-analyse de 1400 études portant sur l’éducation à domicile que le bagage éducatif des parents est fortement corrélé aux performances scolaires des jeunes éduqués en dehors de l’école. Cette recension de la littérature indique aussi que les résultats d’études contrôlant les variables sociodémographiques (Frost et Morris, 1988; Ray and Wartes 1991; Belfield, 2005; Quaquish, 2007) tendent à démontrer que les homeschoolers ont des scores au-dessus de la moyenne dans toutes les matières scolaires sauf en mathématiques.

Une étude menée en Angleterre auprès de neuf jeunes âgés de 7 à 14 ans s’intéresse aux expériences et aux perceptions des enfants relativement à la home education, en leur permettant de les représenter via la prise de photographies, l’élaboration de récits (écrits ou oraux) et des entrevues semi-dirigées (Jones, 2013). Les résultats soulèvent le fait que la perception des enfants home educated de leur possibilité de choisir une partie de leurs activités a une influence positive sur leur engagement et leur enthousiasme face aux apprentissages (Jones, 2013). Ce constat supporte d’ailleurs la self-determination theory, qui affirme que l’autodétermination des activités augmente la motivation (Deci et Ryan, 2008; Deci, Vallerand, Pelletier et Ryan, 1991). Un autre aspect intéressant qui ressort de cette étude est le fait que les enfants mentionnent que leurs bonnes relations avec leur famille et leurs amis influencent leurs intérêts et leurs choix éducatifs, et que ces relations leur procurent un support et un encouragement favorisant leurs apprentissages (Jones, 2013). L’étude de Wray et Thomas (2013) se penche quant à elle sur le cas de 20 familles (elles ont rempli un questionnaire et des entrevues ont été réalisées avec 5 d’entre elles),

représentant 24 enfants home educated (expression retenue par les auteurs), qui ont décidé de retirer leur enfant de l’école suite au refus scolaire récurrent de ce dernier. Le refus scolaire peut se manifester par une résistance dans la préparation pour l’école et des demandes explicites pour ne pas y retourner, accompagnées de différents symptômes physiques et psychologiques: l’anxiété, les terreurs nocturnes, les crises de colère, l’insomnie, l’incontinence nocturne, la dépression, l’automutilation, les menaces et les tentatives de suicide (Wray et Thomas, 2013). Diverses raisons motivant le refus scolaire des enfants ont été identifiées dans l’étude, dont l’intimidation, le manque de conformité de l’enfant aux exigences scolaires, la peur et l’incompréhension suscitées par les interactions de l’enfant avec le personnel scolaire, le manque de réponse aux besoins particuliers de l’enfant et le manque de relations amicales (Wray et Thomas, 2013). Les parents participant à l’étude rapportent tous que les symptômes physiques et psychologiques associés au refus scolaire de leur enfant ont diminué ou disparu suite au début de la home education (Wray et Thomas, 2013). De plus, bien qu’ils se soient tournés vers l’éducation extrascolaire comme dernier recours face à la détresse de leur enfant, certaines familles ont décidé de poursuivre dans cette voie après avoir constaté ses progrès académiques et sociaux; d’autres enfants ont réintégré l’école (Wray et Thomas, 2013). Les auteurs concluent que les intervenants scolaires devraient informer les parents dont l’enfant refuse de se présenter à l’école quant à la possibilité qui leur est offerte de pratiquer l’éducation à domicile (Wray et Thomas, 2013).

S’appuyant sur de nombreuses études portant sur les activités extrafamiliales des enfants éduqués en dehors de l’école, ainsi que sur leur santé émotionnelle, leur estime de soi, leur sentiment de valeur personnelle, l’équilibre de leur environnement familial, leurs interactions en situation de groupe, leur aptitude au leadership, l’activité civique de leur famille et le développement personnel des jeunes filles, Ray (2000) conclut que ces enfants sont sains sur les plans psychologique et social. Les conclusions de la récente revue de la littérature portant sur la socialisation des enfants (et des adultes) homeschooled de Medlin (2013) indiquent également que ces derniers sont heureux, optimistes, satisfaits de leur vie, qu’ils vivent des relations amicales de grande qualité, qu’ils ont de bonnes relations avec

les adultes et que leur raisonnement moral est aussi avancé que celui des autres enfants (Medlin, 2013). À l’adolescence, ils seraient d’ailleurs moins enclins que leurs pairs scolarisés à vivre des tourments émotionnels et à avoir des problèmes de comportement (Medlin, 2013). Ces conclusions corroborent celles de la récente étude de Gray et Riley (2013) qui évoquent une association entre la non-scolarisation (unschooling) comme mode éducatif et l’amélioration du bien-être psychologique et social des enfants, ainsi que l’augmentation de la proximité, de l’harmonie et de la liberté au sein des familles19. Enfin,

Murphy (2014) affirme que les enfants éduqués en dehors de l’école ne sont pas isolés. Il précise que leur socialisation est davantage de type multiâge que celle des enfants scolarisés, qu’elle est basée sur des intérêts communs plutôt que sur la proximité et qu’elle inclut une diversité ethnique, religieuse et socioéconomique (Murphy, 2014). Ce dernier constat est dû au fait que les enfants vivant une éducation extrascolaire sont engagés dans autant (et souvent plus) d’activités socioculturelles que les jeunes scolarisés (Gray et Riley, 2015a; Murphy, 2014). Les groupes de soutien sont également une source majeure de relations amicales pour plusieurs enfants éduqués en dehors de l’école (Gray et Riley, 2015a). La méta-analyse de Kunzman et Gaither (2013) vient toutefois nuancer ces propos en rappelant que certaines études affirment qu’occasionnellement, des jeunes éduqués à la maison expriment un plus grand sentiment d’isolement et apparaissent moins orientés vers leurs pairs que ceux scolarisés à l’école (Delahooke, 1986; Seo, 2009; Shirkey, 1987). Cela dit, d’autres études soulevées dans cette recension avancent qu’une moins grande dépendance aux relations avec les pairs pourrait avoir des effets positifs tels qu’une moins grande préoccupation quant aux fluctuations de leur statut social (Medlin, 2000; Reavis et Zakriski, 2005).

19 Il est intéressant de noter que le plus grand défi que rencontrent ces familles est de passer outre les

critiques et la pression sociale provenant des personnes qui désapprouvent leur choix éducatif (Gray et Riley, 2013).