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CHAPITRE II ̶ CADRE CONCEPTUEL

2.2. Revue de la littérature scientifique décrivant la non-scolarisation

2.2.2. La non-scolarisation comme partie intégrante d’un mode de vie contre-

La non-scolarisation est présentée comme un mouvement de contre-culture au sein d’une ère néolibérale, dans laquelle les systèmes scolaires, sous l’emprise de la gestion axée sur les résultats, adoptent un curriculum plus étroitement défini, imposent un grand nombre de tests standardisés et entrainent toujours davantage d’heures, de jours et d’années vécus à l’école (Curtice, 2014; Gray et Riley, 2013; Grunzke, 2010; Kirschner, 2008). Ainsi, la plupart des principes et des pratiques des familles choisissant la non- scolarisation sont associés à une critique de la culture dominante (mainstream), notamment en ce qui a trait à l’éducation des enfants (Siconolfi, 2010), et ce, dès la périnatalité (Grunzke, 2010). En fait, les pratiques parentales alternatives liées au parentage de proximité (attachment parenting), telles que l’accouchement à la maison ou en maison de naissance avec une sage-femme, l’allaitement prolongé (jusqu’à deux, trois ou quatre ans) et à la demande, le portage des bébés (dans une élingue), le cododo (dans le même lit ou la même chambre que les parents ou la fratrie) et dans certains cas l’hygiène naturelle infantile (mettre l’enfant sur le pot quand il émet les signaux liés à l’envie de faire ses besoins, plutôt que de lui faire porter une couche) représentent un tremplin vers la non-scolarisation pour plusieurs familles (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; English, 2014; Grunzke, 2010; Kirschner, 2008)29. Dans sa thèse, Grunzke (2010) précise d’ailleurs que l’adoption de pratiques parentales alternatives (soit de proximité) est un trait commun aux familles unschoolers, tandis que les mœurs parentales des

29 L’essai intitulé Le concept du continuum : à la recherche du bonheur perdu, de Jean Liedloff

(1975/2006), qui dénonce les pratiques occidentales visant à séparer très tôt le nourrisson de sa mère, est une référence importante pour de nombreuses familles unschoolers (Kirschner, 2008).

familles vivant l’école à la maison ressemblent davantage à celles des familles dont les enfants sont scolarisés.

À l’inverse, des familles adoptant la non-scolarisation pour des motifs autres que la continuation d’un parentage de proximité, notamment en réaction à une situation scolaire pénible, en viennent à remettre en question d’autres dimensions de leur vie (Bertozzi, 2006; Grunzke, 2010). De manière générale, les valeurs que souhaitent transmettre les parents choisissant la non-scolarisation sont l’égalité des âges et des sexes, l’environnementalisme, l’anticonsumérisme et l’autoresponsabilité (Grunzke, 2010). Ainsi, les critiques des parents adoptant la non-scolarisation s’élargissent à d’autres pans de la culture dominante (mainstream), plusieurs modes de consommation alternatifs étant à l’honneur dans les familles unschoolers (Kirschner, 2008). En effet,

ces dernières tentent souvent de se soustraire aux habitudes de la société industrielle de consommation dirigée pour répondre à des convictions écologiques et prosanté, en se procurant des biens et des services de façons distinctes: participation à des coopératives alimentaires; achat de produits alimentaires entiers plutôt que transformés; achats biologiques et équitables; fréquentation de commerces vendant des articles usagés; fabrication et réparation d’objets soi-même (mouvement Do It Yourself); utilisation prioritaire de remèdes homéopathiques; etc. (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; Grunzke, 2010). Plusieurs familles vivent sans télévision, qui est souvent considérée comme abrutissante, bien que les nouvelles technologies et l’Internet se soient inscrits comme des ressources éducatives incontournables dans le mouvement de la non-scolarisation au cours des dernières décennies (Bertozzi, 2006; Curtice, 2014; Kirschner, 2008)30. Leurs pratiques distinctives en matière de consommation s’appliquent également aux jouets de leurs enfants: préférence pour ceux fabriqués à la maison ou trouvés et rares achats de nouveaux; questionnement quant aux conditions de leur production et à leurs impacts environnementaux, une préférence étant accordée aux jouets fabriqués à partir

de matériaux naturels; questionnement relatif aux types de jeux que les jouets encouragent (coopératifs et imaginatifs versus compétitifs, violents et à fonction unique), le credo de certains parents étant que plus complexe est le jouet, plus simple est le jeu (Kirschner, 2008). Les parents unschoolers encouragent d’ailleurs leur entourage à offrir des expériences plutôt que des jouets en cadeaux à leurs enfants et favorisent les vrais objets, parfois de plus petites tailles, plutôt que des imitations de plastique (Kirschner, 2008).

Le désir d’éviter la course de la routine scolaire et les horaires surchargés de manière générale, afin d’être en mesure de respecter les besoins, les intérêts et les opinions des enfants, c’est-à-dire de les « prendre au sérieux », est inhérent au choix des familles pratiquant la non-scolarisation (Grunzke, 2010; Kirschner, 2008, p.36). Le respect des cycles de sommeil naturels de l’enfant est d’ailleurs considéré comme l’un des avantages extrêmement précieux de ce mode éducatif par plusieurs parents unschoolers (Curtice, 2014; Grunzke, 2010). Ces derniers souhaitent offrir le temps en cadeau à leurs enfants via leur mode de vie, soit le temps de penser, le temps de jouer, le temps de s’asseoir pour regarder les nuages, le temps de voir un projet être mené à terme, le temps d’expérimenter un véritable ennui, le temps de faire des erreurs, le temps d’apprendre à coopérer, le temps d’apprendre à se connaitre (ainsi que leur famille et leur communauté), le temps de vivre à leur propre rythme, le temps de devenir compétent, etc. (Kirschner, 2008, p.192). Pour les familles unschoolers, la cloche scolaire est un symbole témoignant du rapport au temps nocif pour le développement des enfants dans la culture dominante, entrainant l’inattention, le ressentiment, l’ennui profond et l’aliénation de son propre travail (Kirschner, 2008). Pour témoigner du lien entre le mode de vie et de consommation alternatif des familles unschoolers et le type d’éducation qu’elles préconisent, l’expression « enfant élevé en liberté » (free-range

kid) est utilisée au sein du mouvement, faisant écho à la façon de nommer le bétail ou

Bien qu’il n’existe pas de portrait démographique systématique des familles pratiquant la non-scolarisation, les discours et les évènements (colloques, rassemblements) liés à ce mode éducatif suggèrent une population largement issue de la classe moyenne caucasienne, bénéficiant d’un niveau d’instruction relativement plus élevé que celui de la population générale (Curtice, 2014; Kirschner, 2008). Cette observation n’est pas sans intérêt puisque, pour être en mesure de répondre aux nombreuses exigences inhérentes à l’adoption de la non-scolarisation31 et plus largement d’un mode de vie contre-culturel, notamment en ce qui a trait au rapport flexible au temps et au travail de planification des courses et des repas (généralement maternel) (Curtice, 2014), une importante mobilisation de ressources éducatives, sociales et économiques (pas dans tous les cas) est nécessaire (Kirschner, 2008). Paradoxalement, la posture socioéconomique des parents informe leur sensibilité face aux enjeux éducatifs et leur permet d’affirmer que les enfants devraient poser leurs propres questions et expérimenter le monde de la manière la plus libre possible, une conception très individualiste de l’éducation, qui résonne comme une valeur occidentale (notamment américaine) bien ancrée dans les mœurs des classes moyennes et supérieures, disposant d’un vaste capital éducatif (Kirschner, 2008). En effet, les parents de la classe moyenne tendent de façon générale à considérer le projet parental comme l’assistance de l’enfant pour qu’émergent, se déploient et fleurissent ses uniques qualités, pensées et sentiments (Kusserow, 2004, cité dans Kirshner, 2008, p.15). Un autre indice de la posture socialement et « éducationnellement » favorisée des parents vivant la non-scolarisation avec leurs enfants est leur confiance en la capacité de ces derniers à entrer dans des institutions d’études postsecondaires s’ils le souhaitent, par des avenues alternatives telles que le portfolio et l’entrevue (Curtice, 2014; Kirschner, 2008). De plus, dans un contexte où le monde du travail est extrêmement imprévisible, les parents unschoolers croient que de permettre à leurs enfants de poursuivre leurs rêves, leur curiosité et leurs intérêts est la meilleure façon de favoriser leur développement des aptitudes en recherche, de l’esprit

critique et de l’esprit d’analyse nécessaires pour trouver un emploi qui leur convienne (Curtice, 2014). Enfin, la confiance et l’aptitude dont font preuve ces parents pour justifier leurs différentes pratiques contre-culturelles, en défiant l’avis de certains experts, en trouvant des études appuyant leurs convictions et en cherchant à modifier leur rapport aux institutions pour en tirer des avantages à leur mesure, reflètent également une certaine posture privilégiée dans la société (Kirschner, 2008).