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Les utilisateurs de la monnaie de carte

Chapitre 3 : Usages et utilisateurs de la monnaie de carte

3.3 Les utilisateurs de la monnaie de carte

Après avoir déterminé à quoi sert la monnaie de carte, nous présenterons un portrait de ses utilisateurs en nous attardant à des variables comme l’âge, le sexe et l’état matrimonial. Pour des raisons de faisabilité, nous avons choisi de nous concentrer sur les individus qui

339 Corinne Beutler, « Le rôle des moulins banaux du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal entre la campagne et la ville, 1790-1840 », dans Joseph Goy et Jean-Pierre Wallot (dir.), Évolution et éclatement du monde rural. Structures, fonctionnement et évolution différentielle des sociétés rurales françaises et québécoises, XVIIe-XXe siècles, Paris/Montréal, Éditions de l’EHESS/Presses de l’Université de Montréal, 1986, p. 173.

340 On trouve d’ailleurs 900 l. d’ordonnances et 924 l. en cartes dans l’inventaire de Dufournel à sa mort en 1757. Pierre-Lionel Laberge, Messire Gaspard Dufournel et l’histoire véritable de L’Ange-Gardien, de ses curés, de ses églises, de son trésor, 1664-1760, L’Ange-Gardien, Bois-Lotinville, 1992, p. 413.

341 Louis Michel a réalisé une étude exhaustive de ces deux types de prêts à partir des traces laissées par un marchand de Varennes. Louis Michel, « Un marchand rural en Nouvelle-France : François-Augustin Bailly de Messein (1709-1771) », Revue d’histoire de l’Amérique française, 33 (2), 1979, p. 215-262.

342 BANQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, constitution de rente par Jean Blouin à Joseph Boucher, tuteur des mineurs Charest, 27 juillet 1707.

343 PRDH, fiche #1881 (union).

344 BANQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, constitution de rente par Nicolas Baillargeon à la fabrique de Saint-Pierre, 3 octobre 1708.

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effectuent un paiement345 ou un don en monnaie de carte, ou qui en possèdent en inventaire.

Pour plus de commodité, nous les désignerons comme des « payeurs ». Des 525 payeurs recensés346, nous avons réussi à déterminer l’état matrimonial de 491 d’entre eux, ainsi que

l’âge de 476347. Ces données ont été trouvées soit dans les actes eux-mêmes, soit, le cas

échéant, à partir de la banque de données du Programme de recherche en démographie historique (PRDH).

En ce qui concerne l’âge des payeurs, il reste relativement stable tout au long de la période étudiée, soit une moyenne de 37 ans :

Figure 25 : Moyenne d’âge des payeurs en monnaie de carte sur la Côte-de-Beaupré et la Côte-du-Sud (1696- 1743)

Sources : BANQ-Q, greffes d’Étienne Jacob, Barthélemy Verreau, Joseph Jacob, René Gaschet, Abel Michon, Étienne Jeanneau et Pierre Rousselot

345 En ce qui concerne les obligations, ce sont les prêteurs qui sont considérés comme payeurs, puisque ce sont eux qui remettent un montant en cartes devant notaire.

346 Le nombre de payeurs est supérieur au nombre de mentions (439) car certains actes en comprennent plus d’un.

347 Nous avons dû laisser de côté quelques cas où l’homonymie posait problème, par exemple lorsqu’un père et un fils ayant le même prénom sont tous les deux en vie et habitent dans la même paroisse au moment de la rédaction de l’acte. 0 10 20 30 40 50 60 16 96 16 98 17 00 17 02 17 04 17 06 17 08 17 10 17 12 17 14 17 16 17 18 17 20 17 22 17 24 17 26 17 28 17 30 17 32 17 34 17 36 17 38 17 40 17 42 Âg e lo rs d e la tr an sa ct io n

Moyenne d'âge des payeurs en monnaie de carte sur

la Côte-de-Beaupré et la Côte-du-Sud (1696-1743)

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Si on excepte le pic de 1699, année où 2 mentions sur 4 proviennent d’inventaires après décès (donc de détenteurs plus âgés), on remarque néanmoins une légère tendance à la hausse tout au long de la période étudiée. Après le creux de 30 ans en 1701, la courbe se situe sous la moyenne jusqu’en 1713, avant de passer au-dessus de celle-ci pour les 20 autres années d’émission, à l’exception de 6 années inégalement réparties. Cela est plutôt étonnant, étant donné que le nombre d’inventaires contenant de la monnaie de carte baisse après 1731. La hausse est plutôt attribuable à la normalisation des achats de terre effectués par des quinquagénaires ou, plus rarement, des sexagénaires. Des 29 paiements faits par des individus de 50 ans et plus (tous des hommes), 19 ont ainsi été réalisés dans les 14 premières années de la seconde période d’émission (1,36 par année), contre seulement 9 pour les 25 années entre 1696 et 1719 (0,36 par année), soit une augmentation de 378 % entre les deux périodes. Il s’agit probablement d’un signe que, la terre se faisant de plus en plus rare à mesure que la colonisation avance, les pères de famille doivent acheter des terres pour leurs enfants plutôt que de compter sur des concessions. C’est le cas de Joseph Simard, âgé de 64 ans, qui, le 30 mars 1737, achète une terre à Sainte-Anne-de-Beaupré pour son neveu Jean, dont il est le tuteur, avec 42 l. en monnaie de carte (pour un prix total de 142 l.)348.

La répartition des payeurs selon l’âge et le sexe se distribue comme suit :

348 BANQ-Q, CN301, S144, greffe de Joseph Jacob, vente de Pierre Blais et Élisabeth Mercier à Jean Simard, via son tuteur Joseph Simard, 30 mars 1737.

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Figure 26 : Répartition des payeurs en monnaie de carte de la Côte-de-Beaupré et de la Côte-du-Sud selon la tranche d’âge et le sexe (1694-1743)

Sources : BANQ-Q, greffes d’Étienne Jacob, Barthélemy Verreau, Joseph Jacob, René Gaschet, Abel Michon, Étienne Jeanneau et Pierre Rousselot

Le détenteur le plus jeune que nous avons rencontré est Marie Gagnon, âgée de 15 ans, qui, le 14 mai 1705, donne un montant de 300 l. en monnaie de carte et en louis d’or pour compléter l’achat d’une petite parcelle de terre d’une valeur totale de 500 l. située dans la seigneurie de Beaupré. Une telle précocité peut surprendre, mais il faut dire que la jeune femme a effectué la transaction solidairement avec son époux Alexis Bélanger, âgé de 24 ans, avec qui elle s’était mariée quelques mois plus tôt et qui acquérait ainsi de sa propre sœur une terre ayant appartenu à leurs parents349. Le montant venait peut-être d’un héritage

reçu par le jeune homme. À l’autre extrême, Charles Garnier, de la seigneurie de Beaupré,

349 BANQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, vente de Claude Bouchard et Marie-Madeleine Bélanger à Alexis Bélanger et Marie Gagnon, 14 mai 1705. PRDH, fiche #6003 (individu) et #6004 (individu).

0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200

15-25 ans 26-35 ans 36-45 ans 46-55 ans 56-65 ans 66 ans et +

N om br e d' in di vi du s Tranche d'âge

Payeurs en monnaie de carte selon l'âge et le sexe sur la Côte-de-Beaupré et la Côte-du-Sud (1694-1743)

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alors âgé d’environ 79 ans350, se retrouve avec un montant de 107 l. 5 s. en cartes à la mort

de sa femme Louise Vézina, survenue le 1er décembre 1714351.

Si on ne prend en compte que les ventes, la moyenne d’âge est de 34 ans. Comme la grande majorité des acheteurs sont des hommes et que l’âge au mariage est de 27 ans pour ceux-ci au XVIIIe siècle sous le Régime français352, on peut estimer que la majorité des ventes

étaient faites à de jeunes hommes déjà mariés qui, ne pouvant recevoir de terres en héritage ou par concession, utilisent l’argent obtenu en héritage ou en travaillant comme journalier pour s’installer après avoir peut-être passé quelques années avec leur épouse et un ou deux enfants chez les parents ou les beaux-parents. Notons que les 8,1 % de ventes faites à des femmes le sont principalement à des femmes mariées agissant de concert avec leur mari. L’âge moyen des payeurs inclus dans les quittances est supérieur de 3 ans à celui des ventes, ce qui assez normal, étant donné le délai pour effectuer l’entièreté des versements consécutifs à un achat.

Comme on peut s’y attendre, la moyenne d’âge des détenteurs de monnaie de carte dans les inventaires est nettement plus élevée, soit 45 ans353. Il n’y a guère de surprise ici,

étant donné que l’espérance de vie à 20 ans était à cette époque de 34 ans (soit un décès à 54 ans)354. Quant à la moyenne d’âge de ceux donnant des montants en cartes dans les contrats

de mariage, il est de 36 ans. On aurait pu s’attendre à une moyenne plus élevée, mais ce ne sont pas que les parents ou les tuteurs qui donnent, mais également des frères aînés ou même parfois l’époux. Pour ce qui est des obligations, la moyenne d’âge est supérieure de 2 ans à la moyenne, ce qui peut s’expliquer par le fait que les ruraux doivent attendre un certain temps avant de faire partie de la classe des prêteurs, le temps de dégager quelques arpents supplémentaires permettant de produire des surplus. Si on regarde, enfin, la moyenne d’âge

350 Le PRDH estime qu’il est né vers 1635. PRDH, fiche #32894 (individu).

351 BANQ-Q, CN301, S280, greffe de Barthélemy Verreau, inventaire après décès de Louise Vézina, épouse de Charles Garnier, 10 décembre 1714. PRDH, fiche #1804 (union).

352 Courville, Population et territoire, p. 37.

353 Étant donné la coutume de la communauté de biens, nous avons séparé les montants d’argent également entre les deux époux. Voir : Yves Zoltvany, « Esquisse de la Coutume de Paris », Revue d’histoire de l’Amérique française, 25, 3 (1971), p. 368.

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selon le sexe pour tous les types d’actes, elle est de 36 ans pour les hommes et de 39 ans pour les femmes. Cela signifie que les femmes doivent patienter plus longtemps (souvent à la mort de l’époux) pour être parties prenantes dans des transactions.

Il ne suffit pas de considérer l’âge des payeurs sous l’angle des seules mentions de monnaie de carte. Il faut aussi examiner l’ampleur des montants. La distribution des montants selon l’âge se présente de cette manière :

Figure 27 : Répartition des payeurs en monnaie de carte de la Côte-de-Beaupré et de la Côte-du-Sud selon le groupe d’âge et les montants (1694-1743)

Sources : BANQ-Q, greffes d’Étienne Jacob, Barthélemy Verreau, Joseph Jacob, René Gaschet, Abel Michon, Étienne Jeanneau et Pierre Rousselot

Ces données sont bien en phase avec les conclusions des historiens s’étant penchés sur le niveau de vie de la paysannerie canadienne à l’époque préindustrielle. Il est assez normal que les enfants, considérés comme mineurs jusqu’à l’âge de 25 ans — sauf en cas de mariage — , aient moins de ressources alors qu’ils sont encore sous la tutelle parentale. Pour John Dickinson, on assiste ensuite à « une certaine accumulation pendant les vingt premières

0 50 100 150 200 250 300 350 400 15-25 26-35 36-45 46-55 56-65 66 et + M on ta nt m oy en e n liv re s

Groupe d'âge du détenteur

Moyenne des montants de monnaie de carte selon le groupe d'âge du payeur sur la Côte-de-Beaupré et la

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années de l’union. Une fois atteint ce plafond, la fortune varie peu355 ». Louis Lavallée

constate pour sa part un plafond entre la 20e et la 29e année de l’union, avant un lent déclin356,

baisse qui, d’après Christian Dessureault, s’accentuerait après la 40e année d’union357.

Comme la grande majorité (83 %) des détenteurs sont des hommes et que l’âge moyen du mariage pour ces derniers est de 27 ans, l’accumulation devrait atteindre son sommet entre 47 et 57 ans, pour ensuite décliner, ce qui se vérifie facilement dans notre graphique. L’accentuation du déclin noté par Christian Dessureault après 40 ans de mariage, donc vers l’âge de 67 ans, est également ici non équivoque. Malgré la relative diversité des actes (ventes, inventaires, obligations, etc.), le montant moyen de monnaie de carte possédé par les détenteurs est donc clairement lié aux différentes phases du cycle de vie, phénomène qui n’est toutefois pas le seul vecteur d’inégalités358.

En ce qui concerne l’état matrimonial, on compte 82 % de détenteurs mariés, 14 % de célibataires et 4 % de veufs :

355 John Dickinson, « Destins familiaux dans le gouvernement de Montréal sous le Régime français : les Brunet », Gérard Bouchard et al. (dir.), Les exclus de la terre en France et au Québec, XVIIe-XXe siècles : La reproduction familiale dans la différence, Sillery, Septentrion, 1998, p. 177.

356 Louis Lavallée, La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760. Étude d’histoire sociale, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1992, p. 251.

357 Christian Dessurreault, « L’égalitarisme paysan dans l’ancienne société rurale de la vallée du Saint-Laurent : éléments pour une ré-interprétation », Revue d’histoire de l’Amérique française, 40, 3 (1987), p. 399.

358 Certains auteurs ont montré que le cycle de vie n’est pas le seul facteur à influencer le niveau d’accumulation. L’accès à des ressources comme la terre et la force de trait est un des enjeux évoqués. Pour un résumé des débats à ce sujet : Catherine Desbarats, « Agriculture within the Seigneurial Régime of Eighteenth-Century Canada: Some Thoughts on the Recent Literature », Canadian Historical Review, 73, 1 (1992), p. 1-29; Louis Michel, « L’économie et la société rurale dans la vallée du Saint-Laurent », Sylvie Dépatie et al. (dir.), Vingt ans après Habitants et marchands : lectures de l’histoire des XVIIe et XVIIIe siècles canadiens, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 69-80.

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Figure 28 : Répartition des payeurs en monnaie de carte de la Côte-de-Beaupré et de la Côte-du-Sud selon le sexe et l’état matrimonial (1694-1743)

Sources : BANQ-Q, greffes d’Étienne Jacob, Barthélemy Verreau, Joseph Jacob, René Gaschet, Abel Michon, Étienne Jeanneau et Pierre Rousselot

Le mariage étant la norme dans la société canadienne sous le Régime français, le célibat et la viduité se terminaient, par un mariage dans le premier cas, et par un fréquent remariage dans le second cas (50 % des hommes et 36 % pour les femmes au XVIIIe siècle359), d’où le

grand nombre de détenteurs mariés. Les célibataires payant en cartes — masculins à 97 % — sont pour leur part âgés en moyenne de 27 ans, ce qui signifie qu’ils tendent à acquérir des terres tout juste avant le mariage, qui survient précisément à cet âge au XVIIIe siècle360.

Notons que 6 de ces célibataires sont des prêtres, pour qui cet état de vie est par définition perpétuel. Quant aux 16 % de femmes mariées, elles agissent dans la très grande majorité des cas en solidarité avec leur mari. Les 2 cas de payeuses célibataires sont assez anecdotiques361.

Dans un cas, il s’agit d’un achat fait conjointement par Magdeleine Poulin, âgée de 36 ans, avec son frère Joseph, également célibataire (une terre de 5 perches et 13 pieds de front à

359 Courville, Population et territoire, p. 37. 360 Ibid.

361 Courville évalue que le célibat définitif à 50 ans touche environ 1 personne sur 20 au XVIIIe siècle dans la vallée du Saint-Laurent. Ibid., p. 36.

66% 16%

14%

Répartition des détenteurs de monnaie de carte de la

Côte-de-Beaupré et de la Côte-du-Sud selon le sexe

et l'état matrimonial (1694-1743)

Hommes mariés Femmes mariées Célibataires masculins Veufs Veuves Célibataires féminins

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Sainte-Anne-de-Beaupré362), alors que dans l’autre cas, l’achat est fait par une célibataire

seule, Marie Cadrin, âgée de 45 ans, qui acquiert une terre de 3 par 40 arpents à La Durantaye de sa sœur Marguerite (épouse de Robert Vermette)363.

Nous avons aussi trouvé 20 payeurs veufs364 — 11 hommes et 9 femmes — qui ont

en moyenne 50 ans, ce qui correspond à l’âge moyen du veuvage à cette époque365. Ceux de

moins de 50 ans sont tous impliqués dans des ventes, alors que ceux plus âgés se retrouvent dans des actes plus diversifiés, mais majoritairement des inventaires après décès, ce qui est logique vu leur âge. Les veuves ont en moyenne 53 ans, alors que les veufs ont en moyenne 47 ans, ce qui n’est pas surprenant étant donné que les femmes vivaient généralement plus longtemps que les hommes366.

Si on examine les payeurs sous le seul angle du sexe, les femmes sont nettement minoritaires, et ce même si on inclut les inventaires après décès dans lesquels elles prennent naturellement part autant que les hommes. La répartition des payeurs pour les trois principaux types d’actes selon le sexe est à cet égard tout à fait éloquente :

362 BANQ-Q, CN301, S144, greffe de Joseph Jacob, vente de Barthélemy Poulin à Magdeleine et Joseph Poulin, 6 juillet 1743.

363 BANQ-Q, CN302, S14, greffe de René Gaschet, vente de Marguerite Cadrin, épouse de Robert Vermette, à Marie Cadrin, 3 février 1731.

364 Pour les inventaires après décès avec un époux survivant, nous considérons les deux époux comme mariés, puisque les montants en monnaie de carte ont été amassés solidairement du vivant des deux époux.

365 Courville, Population et territoire, p. 37.

366 55 % des mariages sont interrompus par la mort du mari au XVIIIe siècle. Courville, Population et territoire, p. 37.

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Figure 29 : Répartition des payeurs en monnaie de carte de la Côte-de-Beaupré et de la Côte-du-Sud selon le sexe et le type d’acte (1694-1743)

Sources : BANQ-Q, greffes d’Étienne Jacob, Barthélemy Verreau, Joseph Jacob, René Gaschet, Abel Michon, Étienne Jeanneau et Pierre Rousselot

Les montants en jeu sont tout aussi parlants. En effet, les détentrices de monnaie de carte ont en moyenne 232 l. dans leurs poches, alors que les détenteurs ont 281 l. Cet état de fait amène à relativiser une certaine conception exagérant le pouvoir économique des femmes en Nouvelle-France367 et à appuyer le constat fait par l’historienne Denyse Baillargeon d’une

nette « domination masculine368 » durant le Régime français, notamment en matière

d’échanges. La monnaie de carte, en tout cas, est clairement une affaire d’hommes.

Si la qualité des détenteurs est rarement mentionnée — l’immense majorité des habitants des campagnes étant des paysans —, on retrouve néanmoins de la monnaie de carte dans les mains de plusieurs artisans ou membres de la notabilité rurale (individus dont le statut est plus souvent précisé369). On a déjà noté la présence de quelques curés, qui vendent

ou achètent des terres pour leur Fabrique. Certains font même office de prêteurs, comme

367 On pense en particulier à l’historienne Jan Noel. Voir : Jan Noel, « N’être plus la déléguée de personne. Une réévaluation du rôle des femmes dans le commerce en Nouvelle-France », Revue d’histoire de l’Amérique française, 63, 2-3 (2009-2010), p. 209-241.

368 Denyse Baillargeon, Brève histoire des femmes au Québec, Montréal, Boréal, 2012, p. 36-37.

369 Pour la condition socio-économique des détenteurs, nous avons étudié autant les payeurs que les receveurs.

0 50 100 150 200 250 300 350

Vente Inventaire Quittance

N om br e d' in di vi du s Type d'acte

Répartition des détenteurs de MDC selon le type

d'acte et le sexe

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l’abbé Louis-Gaspard Dufournel, curé de L’Ange-Gardien, qui, durant l’été 1712, prête 180 l. à Catherine Laberge, veuve de Guillaume Marois, pour l’achat d’une terre370. À sa mort, le

6 juin 1715, à l’âge précoce de 36 ans, l’abbé Charles Hazeur, curé de Montmagny, laisse pour sa part 56 l. 15 s. en cartes, un bien petit montant si on tient compte de l’inflation qui fait rage à ce moment371. À deux occasions, c’est la Fabrique elle-même — Saint-Pierre de

l’île d’Orléans et Saint-Pierre de la Rivière-du-Sud — qui fait figure de partie prenante par l’intermédiaire d’un ou plusieurs marguilliers. Une autre fois, c’est au nom du Séminaire qu’un prêtre devient détenteur. C’est le cas de l’abbé Jean-Baptiste Gaultier de Varennes, procureur de l’institution, qui, le 24 février 1716, remet 300 l. en monnaie de carte à Noël Simard, un paysan de Saint-Joachim, à cause d’un billet de 80 l. signé par Mgr de Laval 18 ou 19 ans auparavant. Le notaire note que de Varennes a majoré le montant vu que Simard possède une grosse famille — 11 enfants en vie372. Quant aux trois cas de religieuses déjà

mentionnés — toutes de la Congrégation Notre-Dame —, elles se retrouvent toutes dans le camp de ceux qui vendent des terres reçues en héritage.

Pour ce qui est des laïcs, on trouve plusieurs petits artisans, notamment les forgerons Jacques Beaudoin, Alexandre Blanchard et Jean Boucher, les meuniers Jean Jollain et Charles du Laurent, les cordonniers Jean-Baptiste Voyer, le tisserand Pierre Mataut, les taillandiers Jean Fillion et Pierre Bail, le mercier Jacques Buron, mais aussi quelques membres de la petite notabilité rurale comme les capitaines de milice Pierre-Jean Gagnon, Charles Gariépy, Pierre Barrette et Jean Côté, les seigneurs Joseph Couillard, François Bélanger et Louis-Josaphat Morel et le chirurgien Jean Cazeau. Ceux-ci se situent autant dans le groupe des acheteurs que dans celui des vendeurs, à l’exception des seigneurs, qui sont tous dans le groupe des vendeurs de terres. Les montants se situent autour de la moyenne, sauf dans le cas du « marchand mercier » Jacques Buron, de Sainte-Anne-de-Beaupré, qui laisse 2485 l. 17 s. en cartes, billets et argent dans son inventaire après décès rédigé le