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La monnaie de carte sous de Meulles et Champigny (1685–1702)

Chapitre 1 : La monnaie de carte dans l’économie-monde atlantique

2.1 La monnaie de carte sous de Meulles et Champigny (1685–1702)

Nous n’avons trouvé aucune trace de la monnaie de carte des deux premières émissions faites par de Meulles en 1685 et en 1686 dans les neuf greffes étudiés. Cela n’est guère étonnant : produite pour être rachetée quelques mois plus tard, la première monnaie de carte n’était pas tellement destinée à sortir de Québec, où elle était émise pour payer les soldats installés en garnison. Qu’en est-il des émissions de 1690 et 1691 effectuées par Champigny ? Les greffes d’Étienne Jacob206 et de Paul Vachon207 n’en contiennent aucune

trace. En consultant le livre de compte de la paroisse Sainte-Anne-de-Beaupré, on constate toutefois que la fabrique a payé, en 1690, 40 livres « a Monseigneur L’ancien [Mgr de Laval] en cartes208 », qui était revenu de France en 1688 pour mourir au Canada. Les émissions

subséquentes — dont les sources administratives ne soufflent guère mot — semblent avoir davantage circulé dans les campagnes209. En 1694, on retrouve notamment 11 livres de

monnaie de carte en dons à la même fabrique210, en plus de la vente d’une terre de 1,5 arpent

de front à Sainte-Famille le 22 août dans le greffe d’Étienne Jacob. Cette censive, d’une valeur de 600 livres, est vendue par Jean Guyon à son frère cadet Gervais, qui allait se marier l’année suivante211 et qui paie la moitié en « cartes, écus blancs et autres bonnes monnaies »

au moment de la transaction212.

206 L’état souvent très précaire des minutes des années 1680-1690 de ce greffe en rend la lecture ardue. 207 L’activité de Vachon se termine en 1693. Les quelques actes concernant la Côte-de-Beaupré contenus dans ce greffe ne font aucune mention de monnaie de carte. André Vachon, « Paul Vachon », Dictionnaire biographique du Canada [en ligne], http://www.biographi.ca/fr/bio/vachon_paul_1703_2F.html, consulté le 9 mai 2019.

208 Rapport des Archives du Québec, tome 45, Québec, Imprimerie du roi, 1967, p. 218.

209 Il semble que la monnaie de carte circule aussi en milieu urbain durant les années 1690, comme en témoigne l’inventaire du riche marchand montréalais Jacques Leber effectué en décembre 1693, qui comprend quelque 7500 l. en cartes. Dechêne, Habitants et marchands, p. 204.

210 Idem, p. 224.

211 PRDH, fiche #926 (famille).

212 La quantité exacte de cartes remises lors de la transaction n’est pas précisée. BAnQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, contrat de vente entre Jean Guyon et Gervais Guyon, 22 août 1694.

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Pour l’époque de Champigny, nous avons trouvé un total de 31 mentions de monnaie de carte, toutes dans le greffe d’Étienne Jacob (3,4 mentions par année entre 1694 et 1702). Les lieux de résidence des détenteurs de cartes se distribuent comme suit213 :

Figure 1 : Lieux de résidence des détenteurs de monnaie de carte dans le greffe d’Étienne Jacob sous Champigny (1694-1702)

Paroisse Payeurs Receveurs Total

L'Ange-Gardien 12 8 20

Château-Richer 11 4 15

Ste-Famille de l'Île d'Orléans 2 4 6

Ste-Anne-de-Beaupré 2 0 2

St-Jean de l'Île d'Orléans 1 0 1

Saint-Michel 0 1 1 Cap-St-Ignace 0 1 1 Neuville 0 1 1 Saint-Thomas 0 1 1 L'Ancienne-Lorette 0 1 1 Québec 0 1 1

Source : BANQ-Q, greffe d’Étienne Jacob

Le fait que nos données pour cette période proviennent du greffe d’un seul notaire installé sur la Côte-de-Beaupré (à L’Ange-Gardien plus exactement214) n’est pas étranger au fait que

la majorité des parties prenantes habitent dans ladite seigneurie, en particulier dans les vieilles paroisses de Château-Richer et de L’Ange-Gardien215.

La circulation de la monnaie de carte s’effectue quant à elle de cette manière :

213 Précisons que les actes notariés n’impliquent pas toujours de receveurs. C’est notamment le cas des inventaires après décès. De plus, comme le lieu de résidence des parties prenantes n’est pas toujours indiqué et qu’il est parfois difficile à connaître à partir du PRDH (notamment pour des raisons d’homonymie), certains cas douteux ne sont pas mentionnés. Enfin, par souci d’uniformité, nous avons préféré faire référence aux paroisses de résidence plutôt qu’aux seigneuries, sauf si la première n’était pas connue.

214 PRDH, fiche #3417 (famille).

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Figure 2 : Sens de la circulation de la monnaie de carte dans le greffe d’Étienne Jacob sous Champigny (1694- 1702)

Source : BANQ-Q, greffe d’Étienne Jacob

Comme on le constate, c’est la circulation interrégionale216 qui domine avec 53 % des

transactions (dont 21 % de la Côte-de-Beaupré à l’île d’Orléans), puis la circulation intraparoissiale217 (37 %) et la circulation intrarégionale218 (11 %). Les cartes transitent donc

aisément à l’intérieur du gouvernement de Québec, le fleuve et les longues distances n’étant nullement un obstacle à sa diffusion. Les échanges à l’échelle locale sont également privilégiés par nombre de paysans.

Très divers, les montants vont de 40 l. (don remis par Louis Jobidon à sa sœur Catherine à l’occasion de la signature de son contrat de mariage219 avec Jean Charest le

19 février 1696) à un exceptionnel 800 l. (montant payé par Guillaume Hébert à Charles Goulet et Marianne Racine le 1er juillet 1700 pour une terre de 1,5 arpent de front à L’Ange-

216 C’est-à-dire entre deux régions. La Côte-de-Beaupré, la Côte-du-Sud et l’île d’Orléans sont ici considérées comme des régions distinctes.

217 À l’intérieur d’une même paroisse. 218 Entre deux paroisses d’une même région.

219 BAnQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, contrat de mariage entre Jean Charest et Catherine Jobidon, 19 février 1696.

52,60% 36,80%

10,50%

Sens de la circulation de la monnaie de carte

dans le greffe d'Étienne Jacob (1694-1702)

Interrégional Intraparoissial Intrarégional

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Gardien d’une valeur totale de 2000 l.220). La distribution de l’ensemble des montants se lit

comme suit :

Figure 3 : Distribution des montants de monnaie de carte dans le greffe d’Étienne Jacob sous Champigny (1696-1702)221

Source : BANQ-Q, greffe d’Étienne Jacob

On voit que, règle générale, les montants ne dépassent guère 300 l. La moyenne réduite222 de

la période est pour sa part de 172 l. et la médiane de 160 l.

Au plan chronologique, la pénétration de la monnaie de carte s’effectue comme suit :

220 Le prix élevé de la terre s’explique probablement par le fait qu’elle est, comme le mentionne l’acte, assez bien dotée en bâtiments divers. Hébert paie également 200 l. en « écus blancs et autres monnaies ». BAnQ-Q, CN301, S143, greffe d’Étienne Jacob, contrat de vente entre Charles Goulet et Marianne Racine, et Guillaume Hébert, 7 juillet 1700.

221 La mention de 1694 a été écartée étant donné qu’on ignore la quantité de cartes ayant servi au paiement. 222 Par souci de justesse statistique, nous avons retiré de nos moyennes les données extrêmes s’écartant de plus de 1,5 fois de l’écart-type (moyenne réduite). De plus, les montants mixtes (constitués de monnaie de carte et d’un ou plusieurs autres moyens de paiements) où la quantité exacte de monnaie de carte n’est pas spécifiée ont été écartés du calcul de la moyenne. Ils sont cependant inclus dans le nombre de mentions. C’est pour cette raison qu’en 1694, par exemple, on retrouve une mention, mais sans moyenne.

0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1696 1697 1698 1699 1700 1701 1702 M on ta nt e n liv re s

Distribution des montants de monnaie de carte

dans le greffe d'Étienne Jacob (1696-1702)

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Figure 4 : Évolution quantitative de la monnaie de carte dans le greffe d’Étienne Jacob sous Champigny (1694-1702)

Source : BANQ-Q, greffe d’Étienne Jacob

Nos données montrent d’abord que si l’on ne parle pas de monnaie de carte dans la correspondance entre Versailles et la colonie pendant les années 1690, la situation sur le terrain est tout autre, même si le nombre de mentions trouvées reste plutôt modeste. Quant à l’évolution quantitative comme telle, elle se déroule en deux temps : une hausse progressive des montants entre 1696 et 1699, et du nombre de mentions jusqu’en 1700, avant un déclin marqué entre 1699-1700 et 1702223, baisse qui n’est probablement pas étrangère à la semonce

de Versailles de 1699 qui oblige Champigny à brûler 33 000 l. de cartes l’année suivante. La diminution se manifeste d’abord dans les montants, qui déclinent de manière importante en 1701, puis dans le nombre de mentions (une seule en 1702). L’intendant avait-il vraiment réussi à cesser l’utilisation de la monnaie de carte, comme il l’avait promis à l’automne 1700 ? À la lumière de nos données, les vœux de l’administrateur semblent être restés bien pieux224.

223 La hausse de la moyenne en 1702 n’est pas très significative, puisqu’elle concerne un seul montant. 224 Le fait que Beauharnois et Bégon aient retrouvé encore quantité de cartes du temps de Champigny ne fait que confirmer la chose.

0 50 100 150 200 250 300 350 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1694 1695 1696 1697 1698 1699 1700 1701 1702 M on ta nt s en li vr es N om br e de m en tio ns

Évolution quantitative de la monnaie de carte

dans le greffe d'Étienne Jacob (1694-1702)

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Il est également intéressant de voir la proportion de minutes comportant des paiements mixtes, c’est-à-dire effectués en monnaie de carte accompagnée d’écus blancs, d’autres monnaies ou même de blé :

Figure 5 : Nature des paiements en monnaie de carte dans le greffe d’Étienne Jacob sous Champigny (1694- 1702)

Source : BANQ-Q, greffe d’Étienne Jacob.

Le fait que les paiements faisant appel à d’autres monnaies tendent à être plus élevés à partir du moment où l’intendant a reçu l’ordre d’éliminer les cartes est sans doute une indication d’une possible diversification monétaire pour pallier la mise au rancart assez subite de cet instrument d’échange. La période Champigny est donc témoin d’une légère pénétration de la monnaie de carte sur la Côte-de-Beaupré, mais une pénétration qui reste sujette à des variations importantes, notamment en lien avec la baisse des émissions à Québec.