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B. Les usages de la messagerie

1. Des usages variés

La variété d’usages de la messagerie s’observe dans la palette qui est offerte au sein de la P68 : ces usages peuvent être contraints ou laissés au choix de l’agent. Ces usages sont par ailleurs ordonnés, et clivés principalement par la position dans l’échelle hiérarchique : en marge de ces premiers usages réglementés, on observe des usages non autorisés.

a) Obligation d’usage vs. usage facultatif ?

Une première série d’usages de la messagerie est triviale. Elle concerne les premières déclarations des agents interrogés, qui décrivent leur utilisation quotidienne de la messagerie : envoi de messages à un ou à plusieurs collègues, envoi de documents attachés au message, diffusion du courrier interne au sein d’un service ou de la P68. Cette utilisation est jugée positive, en particulier parce qu’elle est rapide, peu coûteuse et constitue un moyen de commencement de preuve [Entretiens – cadres B et C, chefs de bureau, directeur, chargé de mission, juillet-août 2002 et octobre 2003]. Tous les agents interrogés montrent qu’ils sont parfaitement familiarisés avec la messagerie.

Cette familiarisation peut-elle néanmoins entraîner un usage trop important de la messagerie ? Les réponses apportées démentent cette hypothèse : les agents pensent massivement que leur usage n’est pas immodéré et déclarent utiliser parallèlement les autres moyens de communication à leur disposition (téléphone, fax, etc.) en fonction de leurs besoins. La messagerie s’intègre dans un ensemble de dispositifs dont l’utilisation laisse des marges de choix.

Selon une seconde série d’usages, on remarque une utilisation marquée en deux temps : d’une utilisation facultative de la messagerie, qui laisse à chacun la latitude de se familiariser avec l’outil, on passe à une utilisation plus contrainte.

Dans ce premier temps, l’approche non contraignante laisse à chaque agent la possibilité de s’approprier « sa » messagerie et de la modeler en fonction des besoins qu’il estime utiles dans sa sphère professionnelle. Mais ce n’est pas tout : le compte de messagerie étant faiblement contrôlé, on peut y voir un lieu où s’exerce une certaine forme d’intimité,

peut-être comparable au tiroir dans lequel on dépose des effets personnels, et auquel les collègues ont ou non accès. Cet outil, dont l’usage dépend de la régulation sociale préexistante au sein de la P68 et des fonctions que chacun lui attribue dans son service, acquière des propriétés qui favorisent le sentiment de liberté et de responsabilité personnelle.

Dans un second temps, qui est davantage un mouvement que les agents soulignent lors des entretiens, il ne serait plus possible de ne pas utiliser la messagerie. Le fait que la messagerie soit rentrée « dans les mœurs » de la P68 ne procure pas de critique s’agissant de cette tendance plus marquée. L’exemple répété du Préfet et de son cabinet « qui utilisent la messagerie » disqualifie les hypothétiques frondeurs [Entretiens - cadres C et chefs de bureau, octobre 2003]. Cette « nouvelle obligation » semble en effet davantage un vœu pieu lancé à l’attention des nouveaux agents de la P68 qu’une réelle obligation délivrée à ceux qui pourraient s’opposer à la modernité en marche. Les rares personnes encore récalcitrantes à l’usage des outils informatiques, apprend-on au cours des entretiens, ne sont plus en activité. Cette « obligation » incite surtout les agents qui entrent à la P68 à se former aux outils qui y sont d’usage courant.

Cette utilisation courante, quotidienne, est valorisée, mais plusieurs personnes interrogées signalent les risques liés à cette dépendance aux NTIC ; un avis répandu veut que

[ce soit] très pratique, mais quand ça [un système] plante, on est démunis. On est bloqués. On attend que le service informatique répare. Ils sont très efficaces. Ça plante très rarement et on est immobilisé au pire quelques dizaines de minutes. Mais ça fait peur.[Entretien - chef

de bureau, octobre 2003]

En outre, le recours croissant à la messagerie pour diffuser des documents internes, de même que le logiciel de pointeuse –massivement salué–, sont autant de leviers qui favorisent une immersion dans l’utilisation du micro-ordinateur. Ne pas s’y plier reviendrait à s’exclure de réseaux où circulent exclusivement certaines informations et à ne pas pouvoir gérer son activité professionnelle et ses congés. Dans le cas de la gestion des congés et du travail du personnel dans chaque service, un logiciel a été testé et validé : il s’agit d’un logiciel de pointeuse qui peut être utilisé en parallèle avec le système traditionnel de pointeuse à carte magnétique ; de surcroît, la gestion des congés se passe désormais de formulaires : chaque agent exprime, sur un calendrier visible en Intranet par tous les agents du service, ses demandes de congés, que le supérieur hiérarchique valide par la suite. Cette modernisation est accueillie très favorablement par tous les agents interrogés, qui y voient la fin de lourdeurs administratives internes, pesant sur les épaules de chacun, à tous les niveaux [Entretiens - cadres C et chefs de bureau, août 2002 et octobre 2003]. Cette réforme est d’autant mieux

passée que tous les agents sont déjà familiarisés avec l’utilisation d’outils bureautiques, et que ce logiciel de gestion du temps de travail est doté d’une interface graphique, simplifiée de manière exemplaire [Entretien – cadre C, octobre 2003].

Il pourrait donc être établi, en conclusion, que les usages variés observés de la messagerie, tant facultatifs que plus contraints, sont révélateurs de la dynamique qui existe entre la diffusion de cette technologie et les options qui sont choisies par la hiérarchie : afin de faciliter sa diffusion, les usages – ainsi que la formation - sont d’abord facultatifs afin de susciter l’adhésion, et lorsque la technologie est omniprésente et mieux connue, son utilisation – toujours ouverte à une certaine intimité – devient indispensable.

b) Des usages marqués par la position hiérarchique

La position au sein de la hiérarchie contraint fortement les usages liés à la messagerie : tous les agents, même s’ils ont dans leur carnet d’adresse l’adresse électronique du Préfet, ne s’autorisent pas à lui envoyer un message. Cela est conforme aux relations qui existent dans la Préfecture. L’outil informatique qu’est la messagerie s’est plaqué sur un ensemble de relations réglementées. Plusieurs témoignages soulignent ces usages insérés dans le dispositif d’une organisation très structurée.

D’abord, à partir d’un certain niveau hiérarchique, il est possible d’envoyer un courriel directement au Préfet ou à son cabinet. Cela ne signifie pas pour autant que l’on assiste à une dilution des relations hiérarchiques ; au contraire, dans ce cas précis, la faculté d’envoyer un message obéit aux habitudes préexistantes. Plusieurs agents interrogés, appartenant à un niveau hiérarchique intermédiaire, ne conçoivent pas de pouvoir envoyer directement un message au sommet, sans passer par le chef de bureau et le directeur de service – mais, ajoute- t-on, pourquoi le ferait-on ? Leur fonction ne les y conduit pas. Toutefois, ces mêmes agents qui ne peuvent pas avoir ce type de relations se valorisent dans leur propre usage de la messagerie, en saluant l’implication personnelle du Préfet et de son cabinet dans l’utilisation de la messagerie [Entretiens, cadres C, août 2002 et octobre 2003].

Néanmoins, cette règle n’est pas absolue : la voie hiérarchique est suivie en fonction d’un modus operandi qui a été principalement établi avec le supérieur. Ainsi, cela dépend notamment de la relation personnelle qui existe avec le directeur, des relations entre les agents au sein du service, de la pratique déjà existante concernant l’envoi de notes au sommet de la pyramide hiérarchique, et de l’accord établi petit à petit par la pratique ou par un contrat plus formel avec le directeur, s’agissant du courrier électronique. Par exemple, un climat convivial

permet de trouver des options de transmission hiérarchique en créant des voies moins rigides : un document peut être transmis au supérieur n+2 en envoyant une copie au supérieur n+1, ce qui évite que le document stagne pour différents motifs (absence, autres priorités, etc.) au niveau n+1 ; notons que le supérieur n+1 est au préalable averti et a donné son accord pour que cette voie moins formelle puisse être empruntée [Entretien – contrôleur, octobre 2003]. Des agents peuvent par conséquent s’emparer du dispositif technologique de la messagerie pour tenter de créer de nouveaux usages.

Par ailleurs un système de signature virtuelle s’est progressivement affiné dans la gestion de documents internes – documents virtuels qui ne font pas disparaître l’usage traditionnel du papier. Il est ainsi réputé qu’un document numérique porte la mention « signé » si son double au format papier a été au préalable signé par une autorité compétente. Les personnes autorisées à « signer » ou à faire circuler ces documents sont des agents en nombre limité qui, du fait de leur fonction et de leur considération, sont autorisés à utiliser ces voies plus rapides. Le réseau limité et sûr de diffusion de ces documents est donc une garantie de l’existence de ce système qui accélère les signatures de documents et facilite le travail en interne. Il ne constitue cependant pas en lui-même une preuve.