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A- Les registres de justification de l’outil

3- Pour les utilisateurs : les conditions de travail

La direction se soucie d’abord de productivité, les utilisateurs d’abord de leurs conditions de travail. Entre les deux, les agents chargés de la réalisation jouent un peu le rôle d’un prisme, plus (les informaticiens) ou moins (les éditoriaux) déformant. Une telle description est forcément réductrice : elle ne peut rendre compte de la totalité des points de vue que peuvent exprimer les agents, elle est forcément schématique. Notre propos est d’associer la position des agents dans l’organisation à leurs représentations, ce qui ne signifie pas que les différents discours soient tout à fait exclusifs l’un par rapport à l’autre. Pour justifier Déclic, la direction évoque en premier lieu des considérations de productivité liées à la démarche qualité, mais elle peut également prendre en compte les conditions de travail et la pénibilité des tâches. De la même façon, un éditorial peut aussi se soucier de la qualité du service rendu aux assurés sociaux. Ainsi, et sans qu’il s’agisse du seul registre mobilisé, les employés de la caisse, des cadres aux techniciens, évoquent d’abord l’amélioration des conditions de travail. A nouveau, le contexte de l’enquête, durant laquelle se sont exprimés des agents plutôt bien disposés à l’égard de l’informatique et des NTIC, peut aboutir à une image un peu déformée ou au moins incomplète du personnel de la CPAM : peut-être que les agents qui auraient le plus à se plaindre de Déclic n’ont pas souhaité participer aux entretiens. Il n’est pas exclu que certains agents justifient l’existence de l’intranet par la volonté de la direction d’exercer un contrôle plus rigoureux sur l’activité des agents, mais nous n’avons pas eu l’occasion de recueillir ce genre d’opinion. Dans plusieurs cas, les agents ne s’étaient

visiblement pas posé la question de la justification de l’intranet avant le moment de l’entretien. La politique de la caisse était considérée comme allant de soi. Dans ce cas, la bonne volonté de l’interviewé vis-à-vis de l’enquêteur l’incite à proposer une réponse susceptible de « satisfaire » son interlocuteur : la caisse s’est dotée d’un intranet parce que l’informatique, c’est la modernité, l’avenir, parce que c’est dans l’air du temps… Il est difficile de considérer de telles réponses comme réellement significatives des représentations des agents. Il s’agit avant tout d’artefacts produits par la situation d’entretien, par le fait qu’on se sent obligé de fournir une réponse à toutes les questions de l’enquêteur, de satisfaire ses attentes.

Quoiqu’il en soit, l’ensemble des agents interrogés admet facilement que l’introduction de l’intranet, comme de l’informatique en général, facilite le travail. Cet agent exprime bien l’imbrication de registres de justification :

Est-ce que vous savez pourquoi la CPAM a décidé de faire un intranet ?

Non, mais je m’en doute. Parce que c’est convivial. La convivialité, tous les acteurs peuvent communiquer, de toute façon c’est aller avec son temps. C’est pas un phénomène de mode, puisque ça existe toujours. Il fallait le faire, c’était se simplifier la vie. Encore une fois c’est le mot convivial qui revient, on est efficaces. Vous cherchez une info, je pense qu’il y a une certaine efficacité derrière. Pour se mettre à la place de la direction, c’est sûr qu’ils nous donnent des ustensiles pour progresser le plus rapidement. C’est toujours faire plus avec moins de monde. Que ce soit maintenant ici ou en entreprise extérieure, c’est pareil. Les meilleurs progresseront, ou alors vous disparaissez. Il faut nous donner ces moyens-là. Je suis conscient que la Sécu, ça allait il y a dix ans, vous étiez presque certain d’avoir le monopole, mais ce qui est vrai aujourd’hui sera peut- être pas vrai forcément dans cinq, dix ans. Un changement de gouvernement, et puis voilà, il y a une privatisation. (Entretien n°5, homme, 45 ans, agent de maîtrise)

Déclic présente aux yeux de cet interviewé trois vertus : une communication accrue, un travail facilité, et un gain de productivité. Précisons enfin qu’il n’est pas apparu de lien très visible entre la position des agents (cadre, agent de maîtrise, technicien, ou type de service) et leur façon de justifier l’existence de l’intranet. Le degré de compétence informatique pourrait être une variable plus sûre, mais pas encore de manière très nette. Un agent plutôt incompétent aura tendance à se contenter de considérations générales, alors qu’un agent plus compétent -comme c’est le cas ci-dessus- pourra donner quelques exemples pour appuyer son propos, mais le discours restera au fond le même. Quant à la démarche qualité, si elle est mise en avant par la hiérarchie, elle n’est jamais évoquée spontanément par les utilisateurs, qui de surcroît s’en sentent à certaines occasions très éloignés. En somme, aux trois niveaux d’existence de l’intranet, conception, réalisation, usages, correspondent trois modes de justification de l’outil. Comment concilier ces différentes approches ? Une solution pourrait être d’encourager la prise en compte des attentes des utilisateurs dans le processus de

définition du projet, de façon à les intéresser à l’intranet et en fin de compte à la vie de la caisse. C’est apparemment la voie choisie à la CPAM, en décidant de ne pas mettre en ligne uniquement des outils de production, mais aussi des contenus moins strictement professionnels, plus informatifs. Cette dualité est censée faciliter l’appréhension de Déclic, ce qui nous amène à poser la question de la multiplicité des usages possibles.