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Usages spécifiques : un enjeu croissant pour la demande électrique résidentielle

Chapitre 1. Enjeux et objectifs de la thèse

1.2 Modèles de consommation énergétique résidentielle

1.2.5 Usages spécifiques : un enjeu croissant pour la demande électrique résidentielle

Bien que le chauffage compte pour deux tiers de la demande énergétique résidentielle, la part de l’électricité spécifique dans la consommation des ménages est en augmentation depuis plusieurs années. Elle représentait 16 % de l’énergie consommée dans les logements en 2012, contre 7 % en 1982 (Ademe 2015-1). Alors que la consommation diminue pour les autres usages domestiques, la demande d’électricité spécifique a augmenté de 44 % entre 1990 et 2012 (Figure 10). En conséquence, celle-ci représentait la moitié de la consommation électrique résidentielle française en 2012 (Baudry et al. 2015). Dans les nouveaux logements, performants thermiquement, l’électricité spécifique est ainsi devenue un poste plus important que le

chauffage. Elle peut représenter près de la moitié de l’énergie consommée par les logements passifs (Enertech 2009).

Figure 10: Evolution des consommations unitaires des résidences principales par usages en base 100 (Ademe 2015-1)

On observe une réduction générale de la consommation unitaire9 des appareils électriques domestiques. Néanmoins et simultanément, la croissance de l’utilisation de services audiovisuels et informatiques entraine une forte hausse de la demande liée à ces postes (Sidler 1997, Enertech 2009). Enertech constate une augmentation de 78 % de la consommation électrique audiovisuelle entre 1995 et 2007, la plaçant au second rang des usages spécifiques derrière la production de froid. Dans le même temps, alors qu’en 2000 le poste informatique était quasi nul dans la consommation d’électricité des logements français, il représentait en 2007 près de 400 kWh/an dans les logements équipés, devenant ainsi le troisième poste de consommation électrique devant l’éclairage. D’après Baudry et al. l’augmentation des consommations électriques liées aux usages audiovisuel et informatique s’explique par un arbitrage budgétaire des classes moyennes qui se fait de plus en plus en faveur de produits permettant des loisirs à domicile ou de proximité, quitte à renoncer à des vacances ou à des loisirs hors de la maison. L’immatérialité de la consommation d’énergie renforce cette tendance par la perception qu’une fois l’investissement initial assumé, les services auxquels ces appareils permettent d’accéder ne coûtent rien (Baudry et al. 2015). Or, durant les 50 dernières années, l’urbanisation de la société française a profondément transformé la ruralité, entrainant une

9 La consommation unitaire est exprimée en Wh/m²/an. Certaines publications utilisent le terme « consommation surfacique ».

homogénéisation culturelle des modes de vie et de consommation, quel que soit le lieu habité (CGET 2015). Il n’existe donc plus aujourd’hui un mode de vie rural différent du mode de vie urbain. Or les besoins d’électricité spécifique sont fortement liés aux effets comportementaux. On peut donc affirmer qu’ils ne représentent pas un facteur discriminant de la demande énergétique rurale.

Malgré cela, en raison du fort développement des usages spécifiques et de leur contribution aux pointes journalières (Sidler 1997), la représentation de leur foisonnement est nécessaire dans un exercice de prospective énergétique territoriale dynamique.

Bien que la demande électrique de certains postes soit conditionnée par la saison (réfrigérateurs, congélateurs, éclairage…), les usages spécifiques sont essentiellement liés aux habitudes des occupants tant en termes de fréquence et de durée d’utilisation des appareils qu’en termes de temporalité : instant de la journée, jour de la semaine... C’est pourquoi il est nécessaire d’intégrer le comportement des occupants dans les modèles dynamiques de consommation énergétique résidentielle (Stokes et al 2004, Widen et al 2009). Pour cela plusieurs méthodes sont disponibles.

Ces dernières années ont vu l’essor des modèles stochastiques pour quantifier les consommations d’électricité spécifique et d’éclairage (Widen et al 2009, Richardson et al 2009, Richardson et al 2010, Muratori et al 2013, Fischer et al 2015, Palacios-Garcia et al 2015). Ceux-ci intègrent des modèles d’occupation basés sur des chaines de Markov, lesquels définissent l’activité des occupants à un instant t en fonction de leur activité à l’instant t-1 (Richardson et al 2008, Page et al 2008, Widen et Wackelgard 2010, Wilke et al 2013, McKenna et al 2015). Ces modèles, bien que permettant une définition fine des consommations10, présentent une complexité importante liée à la définition de matrices de probabilité de transitions d’un état à l’instant t-1 à un autre état à l’instant t.

Armstrong et al. s’affranchissent de ces matrices et calculent la probabilité d’utilisation des appareils basée sur des courbes définies par Pratt (Armstrong et al 2009, Pratt 1989). La consommation électrique annuelle du ménage est basée sur la disponibilité de certains équipements au sein de chaque type de ménage, mais aussi d’un « facteur d’utilisation » définit arbitrairement pour distinguer les ménages. Bien que plus simple que les chaines de Markov, cette solution nécessite la définition d’une typologie de ménages qui s’ajouterait à la typologie de bâtiments.

Yao et Steemers (Yao et Steemers 2005) reconstituent les courbes de consommation d’électricité spécifique en se basant sur le nombre d’occupants, la consommation journalière moyenne par occupant et des profils quotidiens d’occupation. Le recours à des profils quotidiens pour la répartition de la consommation présente un intérêt de simplification évident tout en intégrant la notion de foisonnement des consommations, pour peu que le nombre de ménages pris en compte soit suffisant. Cette méthode présente cependant deux inconvénients majeurs. D’une part, les variations de la consommation journalière due aux usages spécifiques sont définies aléatoirement à partir des profils d’occupation des logements et non à partir de profils d’utilisation correspondant à chaque usage, la répartition journalière de la demande variant fortement selon les usages (Enertech 2008-1 et 2). D’autre part, Yao et Steemers basent leurs calculent sur des études datant des années 1990 ; étant donnée l’évolution des usages électriques au cours des dernières années, il semble nécessaire d’employer des données plus récentes.

Une quatrième méthode permet de répondre à ces contraintes de simplicité de modélisation, de prise en compte de la spécificité de chaque usage et de données récentes. Elle se base sur des courbes de charge issues de campagnes de mesure (Izuba 2010, négaWatt 2014). Le bureau d’étude Enertech a notamment réalisé de nombreuses études pour l’Ademe et EDF (Sidler 1997, Sidler 1998, Sidler-PW Consulting 1999, Enertech 2004, Enertech 2008-1 et 2, Enertech 2009). Celles-ci fournissent des courbes de charge pour les différents usages spécifiques et montrent les évolutions de la demande entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000.

L’éclairage représente un cas particulier des usages spécifiques. Le recours à l’éclairage électrique dans le secteur résidentiel dépend principalement du niveau de lumière naturelle entrant dans le bâtiment et de l’activité des occupants du logement (Richardson et al. 2009). L’interaction entre la disponibilité de la lumière du jour et le comportement des occupants rend le profil journalier d’éclairage difficile à modéliser car il n’existe pas de relation linéaire simple entre la demande et le moment de la journée (Stokes et al. 2004).

Il existe de nombreux modèles de la consommation électrique pour l’éclairage des bâtiments. Stokes et al. adoptent une approche orientée objet ; les consommateurs, les profils de besoins et les appareils étant considérés comme des objets (Stokes et al. 2004). Popoola et al. proposent un modèle de consommation énergétique d’éclairage basé sur un réseau de neurone et de la logique floue (Papoola et al. 2015). Le modèle tient compte du niveau de revenu des occupants, en plus du niveau de lumière naturelle et du profil d’occupation. Richardson et al. et

Palacios-Garcia et al proposent des modèles stochastiques basés sur la probabilité d’allumage des sources de lumière d’un logement (Richardson et al. 2009, Palacios-Garcia et al 2015). Ces modèles intègrent trois données d’entrée : l’éclairage naturel, le profil d’activité des occupants basé sur des modèles stochastiques (Richardson et al. 2008, Widen et Wäckelgard 2010) et une liste des sources lumineuses de chaque logement. Tous ces modèles présentent des niveaux de complexité élevés pour le calcul de la demande d’éclairage résidentiel à l’échelle d’une commune ou d’un territoire plus vaste. Or, dans le cas de larges groupes de bâtiments, les variations de la demande sont adoucies en raison de la diversité des consommateurs, les rendant plus facile à prédire (Stokes et al. 2004, Widen et al 2009). C’est pourquoi Widen et al. définissent un modèle de conversion de l’activité des occupants en demande d’énergie d’éclairage (Widen et al. 2009).