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Les usages de la liste

3. Monographies

3.4. La liste H-Français : une liste professionnelle disciplinaire à la croisée des chemins

3.4.2. Les usages de la liste

Dans l’attente du questionnaire qui donnera peut-être la parole à la majorité silencieuse de la liste il faut partir de ce qui est observable, c’est-à-dire en particulier des messages émis. Plusieurs types de regroupements semblent possibles pour dégager la trame des échanges. François Jarraud37 avait montré que la moitié des messages concernent d’abord les disciplines enseignées avec un poids sensiblement supérieur pour la géographie. Il nous a semblé utile de faire apparaître trois grandes catégories en gardant en tête qu’elles peuvent concerner de façon différenciée les acteurs qui interviennent.

D’abord les informations d’ordre général, disciplinaire, professionnel ou technique qui renvoient souvent à toutes sortes de recensions qu’il s’agisse de sites, de liens, de revues de presse, de colloques ou de publications. Les 5 contributeurs principaux fournissent une bonne part des matériaux et quadrillent soigneusement et méthodiquement le terrain professionnel.

Ensuite viennent les échanges qui s’installent en surplomb de l’activité au jour le jour : pour comparer les manuels dont on sait l’importance qu’ils ont dans la formation continue des enseignants, pour réagir aux programmes ou aux épreuves d’examen, pour faire face à des exigences nouvellement introduites comme les TPE ou les itinéraires de découverte, pour annoncer ou pour comparer des expériences pédagogiques locales. Les échanges mêlent ici interventions croisées des anciens, en général le noyau dur, et les occasionnels. On peut adjoindre à cet ensemble les réactions à tel ou tel événement marquant de l’actualité.

Enfin des demandes ponctuelles très précises faisant appel à des connaissances expertes sur le sens à accorder à telle inscription latine, sur la formule de calcul de l’IDH38, sur les avantages comparatifs d’un logiciel de gestion des notes, sur le programme de l’agrégation interne comme sur les mille et une subtilités administratives qui jalonnent la carrière d’un enseignant. C’est là que l’on rencontre le plus de messages uniques.

Au jeu des balances inégales, il faut relever un double déséquilibre en faveur de la géographie contre l’histoire, en faveur du lycée face au collège. Ainsi cette apostrophe le 11 décembre : « Je ne comprends pas pourquoi sur la liste les sujets concernant le collège ne rencontrent aucun succès ? N’y a-t-il que des profs de lycée ? Est-ce les sujets qui n’intéressent pas ? » La deuxième catégorie est particulièrement intéressante à examiner puisque l’on y rencontre des échanges suivis avec plusieurs interlocuteurs.

Si nous dépouillons la synthèse thématique réalisée par l’association des Clionautes et référencée sous le titre « Dossier documentaire au bac, échanges sur la liste H-Français, novembre- décembre 2000 », nous pouvons décortiquer le mécanisme d’une séquence complète. 20 participants ont échangé 23 messages sur 6 jours. La séquence s’ouvre le 30 novembre par un long message offrant à la discussion et à la critique une « fiche méthode » pour la correction au bac afin de « profiter de la puissance de la liste pour arriver dans une certaine mesure à des positions communes ». Si l’on se reporte aux groupes que nous avons définis dans notre observation au long cours de l’année 2001, 5 seront des gros contributeurs, chacun d’entre eux se succédant jour après jour ce qui contribue à faire rebondir le débat, 6 seront des contributeurs moyens, 5 seront des contributeurs à un message et 4 n’enverront rien dans cette période.

Des positions très contradictoires s’affrontent, permettant à chacun de constater les « bonnes raisons » que donnent les uns et les autres pour agir autrement. Le débat se clôt le 5 décembre par une synthèse des contributions. Elle émane de l’un des fondateurs de la liste, qui apporte de surcroît, outre des informations copieuses, l’ouverture de perspectives de mutualisation sur le thème des corrections de copies en renvoyant au travail entrepris sur un site académique.

A partir des effets immédiatement observables nous voudrions formuler des hypothèses si ce n’est des conclusions provisoires. La liste offre des débouchés à un certain nombre d’initiatives. Elles sont parfois à la périphérie du champ professionnel des colistiers comme dans le cas des travaux et projets de recherche universitaires ou des éditeurs multimédias. Elles sont surtout directement issues de ce champ professionnel. Les sites personnels plus encore que les sites d’établissement, les sites académiques parfois gérés par des Clionautes, des sites-portails plutôt centrés sur les collèges, tous ont besoin de visibilité pour exister. Notons, à partir d’une question sur les apports de la liste, cette réaction d’un Clionaute à propos de son site personnel : « une satisfaction à l’ego, j’ai fait ça… je peux le montrer… que ça puisse être repris ! ».

La liste garde des traces de l’activité souterraine de plusieurs mini-projets, en partenariat avec des éditeurs par exemple, et pour lesquels l’association a souvent servi de vecteur. En réalité on peut voir naître ces groupes de projet sur la liste mais l’essentiel des communications lui échappe ensuite pour s’établir en e-groupes parallèles. En une seule occasion la liste a relayé une activité de groupe de pression que l’association s’est résolue à mener, dans son domaine de compétence et malgré des

résistances internes, à l’occasion de la consultation nationale sur les programmes de première en géographie.

Le gros de la liste, la majorité silencieuse, reste largement une terra incognita. On émettra provisoirement deux hypothèses de travail. L’idée d’abord que l’existence même d’une liste résolument inscrite dans un cadre disciplinaire, d’une liste qui multiplie l’information et en accélère les délais d’accès, d’une liste qui rend visible et accrédite des opinions, des analyses, des connaissances touchant au travail même des personnes, ne peut que renforcer le groupe des professeurs d’histoire géographie et contribuer pour les individus qui le constituent à étayer une identité professionnelle propre. L’idée ensuite que la liste est peut-être un lieu à travers lequel peut s’amorcer un processus d’apprentissage organisationnel, sans doute lent, sans doute limité dans son ampleur mais dont la liste Clio des origines semble fournir un exemple.

De nombreuses expériences pédagogiques innovantes sont soumises par quelques-uns au regard de la liste mais qu’en est-il de leurs retombées et de leurs effets ? Les initiateurs et nombre des éléments moteurs de la liste appartiennent de toute évidence au courant de la rénovation pédagogique sans pour autant se rattacher à aucune chapelle. Tout montre que leur ambition a d’abord été de construire une liste à vocation pédagogique. Les TIC apparaissent dans leur esprit comme un moyen de renouveler l’enseignement de l’histoire ou de la géographie et de favoriser en particulier l’activité des élèves. Pour tel protagoniste disséquant le rôle d’Internet à l’école, il s’agit par exemple de percer « une nouvelle fenêtre dans les établissements », de remettre en question « l’organisation horaire, le cloisonnement des enseignements… et avec eux une bonne partie de nos habitudes ». Tel autre se projetant dans l’avenir imagine que pour « les Clionautes j’aimerais bien que plus tard on nous perçoive comme le GFEN39, des pédagos de l’histoire géo, informatique, échanges, réseau… ». Un troisième insiste sur « la mise en activité et en autonomie des élèves » avec « un prof accompagnateur ». En réalité tous nos interlocuteurs ont souligné la primauté à leurs yeux de l’innovation pédagogique comprise comme une action concrète, en situation, issue de leurs pratiques personnelles.

L’écart entre ce modèle et les réalités de la liste apparaît crûment dans la critique que dresse l’un de nos interlocuteurs « du fatras anti-itinéraires de découverte qui passe en ce moment sur la liste » ou dans la crainte exprimée par un autre que la liste ne soit aussi « un vecteur d’expression du corporatisme et du mal être de certains ». L’importance numérique des colistiers passifs de la liste, des « passagers clandestins », peut entraîner des interrogations sur la distance qui subsiste entre « une poignée d’enseignants innovants dans leur réflexion, dans leurs pratiques et dans les moyens qu’ils utilisent et une masse attentiste voire réfractaire » pour reprendre la formulation de tel formateur qui dans la même phrase rapproche colistiers passifs et comportements consuméristes trop fréquents à son gré dans ses stages de formation continue. A dire vrai, une plongée dans les archives de la liste montre que le problème est récurrent en ce qu’il intéresse d’abord des formateurs, comme le montre cet extrait du bulletin 82 de la liste Clio, dans lequel l’un des piliers des Clionautes, alors intervenant Mafpen, lance un débat sur les pratiques et les usages de la formation : « Je crois animer des stages qui tournent, qui satisfont (semble-t-il) les collègues. J’ai quelques indicateurs pour affirmer ceci : les grilles d’analyse de stage, les productions effectuées, le suivi des stages… Et pourtant, pour avoir repris contact avec la plupart des équipes que j’ai rencontrées, il me semble que le réinvestissement dans la pratique courante reste faible, en tous cas assez décevant ».

Jusqu’à quel point peut-on reprendre ce constat pour la liste ? Le fait est que l’apprentissage à partir de la liste a d’abord été celui d’un noyau dur qui a permis un élargissement sensible au-delà des pionniers fondateurs. A ce premier cercle il faut ajouter les effets d’une imprégnation par capillarité qui, à partir de la liste, peut contribuer à irriguer de proche en proche des établissements ou les IUFM40. Le projet d’une université d’été en gestation depuis un moment et dont le principe vient d’être adopté par l’association pourrait peut-être permettre d’élargir encore le noyau dur. Il s’agirait en

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effet d’utiliser et de renforcer l’apport du potentiel de la liste en matière de formation puisque l’on peut imaginer que la cible privilégiée d’une telle action serait à chercher, au moins en partie, du côté de la partie obscure de la liste.

3.4.3. Le positionnement